« Couvrez ce sein que je ne saurais voir ! »
Cette
citation de Tartuffe illustre bien l'absurdité de ce que nous avons vécu
récemment lors de l'investiture du gouvernement Jomaa. Quèsaco ?
La situation était délicate,
certes; l'investiture ayant été obtenue à l'arraché. Et M. Jomaa a eu beaucoup
de talent pour influer sur la tendance générale, un tantinet hostile, avec une
empathie certaine, une bonne volonté belle à voir. Mais est-il allé jusqu'au
bout de ce qu'il s'était engagé à faire : tenir le langage de la vérité au pays
?
Il est vrai, c'était encore
un peu trop tôt et que, d'un strict point de vue de bon sens, peut-être aussi
de stratégie, il était nécessaire de s'assurer d'abord les responsabilités pour
s'engager après dans le vif du sujet.
Il n'empêche que la vérité —
même la plus amère — est toujours bonne à dire; et le plutôt est toujours le
mieux. C'est d'elle que dépendra la réussite ou l'échec de ce gouvernement
d'ultime chance pour nos dirigeants actuels dans leur pratique classique de la
politique. En tout cas, c'est ce qu'attend le peuple : un langage de vérité,
quitte à heurter ses faux a priori, et surtout le confort intellectuel de
certaines de ses élites engoncées dans un conformisme suicidaire.
Sur cette nécessité d'une
vérité crue, cruellement absente lors des débats d'investiture du nouveau
gouvernement, nous avons voulu parler d'une question hautement symbolique,
toujours propice à jeter la lumière sur cette confusion des sentiments et des
valeurs, si préjudiciables à nos intérêts les plus éminents.
Ainsi, on a vu certains
députés user de la rengaine habituelle de l'ennemi israélien, reprochant à un
membre du futur gouvernement de s'être rendu à Israël présenté comme le diable
à ne point fréquenter. Et M. Jomaa a bien évidemment défendu la personne
injustement attaquée; toutefois, ce ne fut point en se situant sur le plan des
principes, mais en caressant dans le sens du poil ces députés aveuglés par une
haine qui ne doit pas avoir sa place en notre pays, se voulant un modèle de
sagesse et de tolérance. Surtout que la Tunisie fut le premier pays arabe
musulman à appeler à reconnaître l'État d'Israël à un moment où sa réalité
était encore bien moins incontournable qu'aujourd'hui.
La réalité incontournable d'Israël
Qu'aurait donc dû dire M.
Jomaa ? Quitte à ne pas avoir l'investiture, nous pensons qu'il avait le devoir
— cet impératif catégorique — de dire tout haut aux députés ce que pense tout
bas la classe politique tunisienne dans sa majorité, en tout cas celle qui est
au pouvoir ou le sera demain.
Il aurait dû déclarer que
l'État d'Israël est une réalité tangible qu'on ne peut plus ignorer; qu'il nous faut traiter
normalement avec cet État, tout comme on le fait avec d'autres, afin de pouvoir lui dire justement ses
quatre vérités et chercher à peser utilement sur une éventuelle évolution du
conflit palestinien dans le sens du droit international.
C'est que les absents ont
toujours tort, surtout quand les premiers concernés, les Palestiniens, ont
reconnu cet État et entretiennent avec lui des rapports qu'ils veulent sereins.
Or, s'ils ont le plus besoin du soutien de leurs frères arabes, c'est pour les appuyer dans ces
efforts. Et pareil soutien ne peut
venir d'une démission se cachant derrière des considérations idéologiques
fallacieuses, n'ayant d'utilité que sur le plan intérieur. Voire !
En la matière, on n'agit pas
autrement que l'Occident qui, au nom de sa sécurité, use d'une politique
migratoire supposée lui garantir une sécurité illusoire alors qu'elle maximise
les risques qu'une ouverture de ses frontières apaiserait bien au contraire.
C'est en établissant des rapports normaux avec Israël que les pays arabes
auront une chance réelle de peser sur sa politique faussement démocratique,
s'assimilant à un nouvel apartheid à l'intérieur de ses frontières.
On voit bien à quel point de
retard est notre politique étrangère, puisque Bourguiba, dans les années
soixante déjà, tenait le propos de la raison, appelant à normaliser nos
rapports avec Israël. On ne peut plus tourner le dos à ses paroles de vérité
aujourd'hui; et tout comme pour l'action à laquelle j'appelle, tendant à agir
afin de mettre fin à cet holocauste moderne (l'expression est de la maire de
Lampedusa) que l'Union européenne pratique en Méditerranée dans l'indifférence
générale, il nous faut rappeler aux premières victimes de l'holocauste, les
juifs d'Israël, qu'ils sont en train de pratiquer la politique de Hitler à
l'égard des Palestiniens. Or, on ne pourra leur dire cette vérité que de vive
voix, face donc à ces Israéliens, pour espérer avoir une chance d'être
entendus.
M. Jomaa, maintenant que
vous êtes investi, faite en sorte par votre talent et votre pratique noble de
la politique qu'on rompe enfin avec l'imposture ! Osez donc avoir le courage de
la vérité que vous nous avez promise ! Révolutionnez la pratique tunisienne de
la politique, au moins sur le plan de sa diplomatie ! Soyez celui qui aura le
privilège d'être enfin le juste de voix et de voie dont rêvent la Tunisie et le
monde !
* Cet article a déjà été publié sur mon blog sous le titre : Le premier faux pas du gouvernement Jomaa ?
Publié sur Nawaat