Entreprises françaises en Tunisie ou l'art de
la sinistrose affectée
Dans un récent article,
Leaders s'est fait l'écho de ce que les milieux économiques en Tunisie tiennent
officiellement comme langage entretenant une sinistrose affectée. On croit
entendre Cassandre analyser avec pessimisme les perspectives économiques
générées par les incertitudes politiques. Pourtant, malgré les alésa actuels,
l'horizon économique n'a jamais été enfin aussi dégagé et porteur des plus belles promesses d'une
économie enfin remise aux canons de l'orthodoxie.
Certes, dans le sondage cité de la Chambre de commerce et
d'industrie tuniso-française, on fait état de la dégradation des relations avec
une administration désorganisée,
déplorée cependant par 55% seulement des sondés, de l'accès prohibitif aux
crédits bancaires, selon un avis quasi unanime (72,5%) et de la qualité déplorable
d'accueil, surtout d'accompagnement tout simplement défaillant (71,5%). À
croire que ces entreprises sont sur le point de déposer le bilan ou de déserter
le pays, lui tourner le dos, leurs affaires n'y étant plus assurées. Grossière
erreur !
Déjà, dans le même sondage, on lit que malgré tout ce qui
précède, la moitié des 116 entreprises présentes dans notre pays, anticipant
une reprise quasi assurée de l'activité économique, envisagent de nouveaux
investissements. Bien mieux, une majorité de ces entreprises (53,5%) affirme
avoir fait évoluer son chiffre d'affaires tandis que 60,5% ont pour le moins
maintenu un personnel renforcé.
Assurément c'est à une sorte de poker menteur que jouent ces
entreprises quand elles affectent une sinistrose qui ne cadre ni avec les
chiffres, pour une fois fiables, ni avec l'orientation générale du pays qui
s'ouvre sur un capitalisme débarrassé des freins qui l'étranglaient, réduisant
le marché tunisien à une réserve familiale privée.
Le millier d'entreprises françaises ou à capital mixte
tuniso-français sait pertinemment que la transition démocratique en Tunisie est
d'abord le triomphe du capital mondial sur une vision — qui ne pouvait durer —
d'une caricature de capitalisme au service d'une minorité maffieuse.
De plus, ces entreprises, outre celles en train de s'acheminer
vers la Tunisie, connaissent leur force et le poids que représentent les cent
mille personnes employées dans un pays où la paix sociale importe énormément
aux yeux de l'organisation du patronat et surtout du syndicat ouvrier puissant,
dont dépend la paix aussi bien sociale que politique aujourd'hui.
Elles savent surtout que l'horizon économique tunisien est dans
le libéralisme et qu'il est de bonne guerre d'agiter des craintes récurrentes
d'agitation sociale ou d'instabilité politique afin d'assurer le meilleur
avenir aux affaires. Celles-ci, assurément, n'ont jamais mieux marché
qu'aujourd'hui, débarrassées enfin des contraintes imposées par la maffia familiale
du temps de la dictature.
Le plus grand risque demeure cependant que la Tunisie bascule
d'un capitalisme maffieux vers un capitalisme sauvage qui se satisferait de
zones de non-droit dans la démocratie naissante en Tunisie, étant plus
favorables aux affaires qu'un strict État de droit.
C'est bien le challenge éthique qui se pose au monde économique
aujourd'hui à la faveur de la nouvelle bataille d'indépendance de la Tunisie. Car
c'est bien de souveraineté économique qu'il s'agit, une souveraineté dans
l'interdépendance avec les milieux d'affaires occidentaux certes, mais qui ne
doit nullement céder à la faciliter des rapports actuels, léonins et à sens
unique. C'est le premier pas vers une aire qui soit de civilisation, à
construire à partir de l'expérience actuellement en cours en Tunisie. Et c'est
possible, faut-il y croire !
Publié sur Leaders