La Tunisie ne sera pas
salafie, car elle est déjà soufie !
La quatrième année de la Tunisie du coup du peuple est augurée par
la fête populaire qu'est le Mouled célébrant la naissance du prophète, J'y
trouve un excellent symbole esquissant à grands traits les caractéristiques du
futur de notre pays.
En effet, malgré les tentatives de l'islam officiel
institutionnalisé de faire de cette fête essentiellement populaire une
manifestation de religiosité, elle reste une occasion de plaisirs festifs, à la
fois gastronomiques avec les spécialités culinaires bien connues que de convivialité
étant une occasion de communions émotionnelles aux couleurs de la spiritualité
islamique puisant dans le riche patrimoine soufi du peuple.
Car le Mouled, n'est pas une institution islamique, au départ. Il
a été le produit de pratiques populaires fortement marquées par des apports
étrangers à l'islam, prenant naissance dans ce fonds commun au monothéisme, manifesté
dans la société musulmane par la forte prégnance de la tradition
judéo-chrétienne.
Cette dernière a d'ailleurs particulièrement marqué la tendance
chiite de l'islam; or, on sait l'étroitesse des liens historique entre le
chiisme et le soufisme.
C'est l'une des raisons qui a fait que la tendance la plus intégriste du
sunnisme rejette toute célébration de la naissance du prophète y trouvant un
aspect d'hérésie.
Salafisme contre soufisme
Nous retrouvons ici les deux tendances majeures de l'islam
appelées encore un temps à s'affronter en Tunisie : le salafisme et le
soufisme. On a vu le premier à l'œuvre dans notre pays à la faveur de l'arrivée
au pouvoir du parti islamiste; c'est le salafisme aux couleurs du wahabisme
avec ses mots d'ordre de haine et de mort. De fait, c'est un faux salafisme si
l'on revient à l'éthique des premiers salafis basée sur la hauteur morale et
une fortitude d'âme. Le second, et c'est le vrai salafisme, c'est ce que le
pape salafiste Ibn Taymia a qualifié de gens de la vérité, c'est-à-dire les
soufis.
Les événements que vit la Tunisie en ses jours d'anniversaire de la
révolution jettent la lumière sur une réalité qu'il ne faut pas négliger. Tout
le monde sait que des intérêts multiples, internes et surtout externes au pays,
cherchent à déstabiliser la marche du pays vers la stabilité. Ce qui dérange
certains qui représentent des intérêts économiques d’intégristes laïques
attachés au modèle capitaliste libéral extrême, quasiment sauvage, c'est la
réussite en Tunisie d'un modèle de gouvernance politique que je qualifierais de
postdémocratie. Ce qui dérange les autres, c'est l'instauration durable en
Tunisie d'une socialité postmoderne, une nouvelle manière du vivre-ensemble; et
il s'agit des salafis extrémistes faisant une lecture erronée de l'islam dont
le parti majoritaire semble désormais vouloir se séparer pour assurer sa
pérennité.
C'est qu'il a fini par comprendre que le salafisme ne sera que le
boulet qui entraînera sa perte ; surtout qu'il a vérifié que cette lecture
de l'islam ne saurait avoir un écho sérieux et durable en Tunisie.
De fait, le parti Nahdha été un peu lent à réaliser ce que ses
anciens alliés avaient très vite compris dès le départ. En effet, le salafisme
vindicatif a assez tôt estimé que son projet n'avait aucune chance de succès
dans un pays où chaque village et chaque ville ont un saint soufi qui les
protège; d'où les quelque quarante attaques des mausolées un peu partout au
pays. Ce faisant, ils ont bien montré que le soufisme est leur principal
adversaire étant le représentant de l'islam authentique; et le mensonge n'a
aucune chance de durer longtemps quand il est confronté à la vérité.
Le soufisme défend le vrai islam
Les soufis qui n'étaient pas organisés, se suffisant de l'aura
populaire du soufisme et de sa présence intime au Tunisien, marquant le rythme
de sa vie de tous les jours, ont compris depuis la révolution le rôle qui leur
incombe en une phase délicate de l'histoire du pays. Aussi, ils se sont organisés
et entendent investir la scène politique. Ils n'excluent même plus, dans un
combat déjà commencé aux côtés de la société civile, d'être à la base d'un
futur parti politique, si la nécessité l'imposait. Désormais, ils n’excluent
plus, comme auparavant, la sphère politique afin de mieux agir pour le triomphe
de l'islam tunisien, cet islam des Lumières, un islam tolérant, scientifique et
œcuménique, l'i-slam postmoderne.
C'est ainsi qu'on doit surtout juger le retournement de la
stratégie du parti Nahdha, abandonnant ses certitudes et ses alliés d'hier pour
sauvegarder son fonds de commerce. Maintenant, il sait que le peuple sait que
le parti de cheikh Ghannouchi n'est pas nécessairement le meilleur porte-parole
de l'islam en Tunisie. Car le soufisme a bien plus de droits à être qualifié pour
ce rôle ; il l'a compris et entend le faire comprendre aux plus larges
masses.
Cela nous permet d'affirmer que la Tunisie ne sera jamais salafie
au sens dévergondé du salafisme désignant cette lecture inauthentique de la foi
islamique, intégriste et intolérante. Elle sera bien plutôt soufie, soit donc
véritablement salafie, éprise d'un islam ouvert sur les valeurs du monde,
magnifiant l'esprit véritable de la démocratie comme souveraineté effective du
peuple dans le cadre d'une postdémocratie où le pouvoir s'exerce à l'échelle
régionale et locale par le biais du mécanisme de participation directe de la
population grâce à sa société civile et la maturité du peuple.
Le soufisme est appelé à être une caractéristique essentielle du
modèle tunisien fait plutôt d'accords que de désaccords, de consensus bien plus
que d'alliance, de logique consensuelle et non électorale, d’une démocratie qui
soit participative plutôt que représentative.
L'islam
politique sera aux couleurs soufies
L'islam politique est en mesure de réussir en Tunisie, mais ce
sera l'islam aux couleurs soufies, celui des premiers maîtres de ce courant et
non, bien évidemment, celui de la jonglerie à laquelle ses ennemis ont voulu le
réduire.
Nos islamistes l'ont enfin compris en quittant le pouvoir,
cherchant à rattraper le temps perdu de la bataille qui s'annonce en se
recentrant idéologiquement.
C'est aussi ce que doivent bien comprendre les amis de la Tunisie.
Leur choix est simple consistant de continuer à tabler sur une copie de l'islam
qui leur convient mieux, car adoptant leurs postulats politiques et
économiques, bien qu’inadaptés à la Tunisie tels quels. Ou plutôt d’innover en
accompagnant la mise en place du modèle tunisien, un modèle de gouvernance
politique pour le futur d'un monde plus paisible. À cette fin, ils se doivent
d'opter pour l'original de l'islam, l'islam soufi, et accepter, dans la foulée,
d’abandonner leurs conceptions éculées du politique et des relations
internationales.
Aujourd'hui, l'ordre mondial est perçu comme un désordre par
nombre d'éminentes voix indépendantes, de plus en plus entendues; car il ne
reflète que les intérêts égoïstes des anciens seigneurs d'un univers qui, plus
que jamais, n'appartient plus à eux. On le voit bien au fait qu'il suffit d'un
rien pour que tout un chacun en contrarie la sérénité, fausse sa marche en la
perturbant par un acte insensé immédiatement planétaire, et ce le plus
facilement du monde.
Cet état des choses commande ce qu'on n'a jamais arrêté
d'évoquer sans vraiment le vouloir sérieusement : une solidarité effective
entre les riches et les pauvres en ce monde, ses nantis et ses damnés. Ce qui
suppose que l'Occident, comme il a déjà rationalisé son idéologie économique,
passant du capitalisme le plus sauvage, à un mode de marché libre sous
contrôle, doit faire de même dans ses rapports avec les pays du Sud.
Le peuple tunisien a cru en sa révolution et continue à
vouloir qu'elle ne soit pas juste un jeu d'intérêts, ceux du libre marché ayant
eu raison d'une maffia qui voulait le dominer à ses fins propres. Le peuple a
fait de sa révolution un acte fondateur de sa puissance, la révolution
tunisienne étant dans l'imaginaire des Tunisiens un coup du peuple qui suppose
plus de libertés et plus de dignité dans une démocratie véritable. Or, il n'est
plus aujourd'hui de démocratie véritable sans un pouvoir diffracté, émanant des
régions déshéritées, et non centralisé en un centre coupé du peuple. La
démocratie n'est plus simplement formellement représentative, elle est d'abord
participative et directe, le pouvoir y étant horizontal et non plus vertical.
C'est d'une nouvelle façon de gouverner qu'il s'agit; et la
Tunisie en est le laboratoire. Que ce laboratoire ne soit pas, comme l'entend
encore l'Occident, pour y faire du neuf avec du vieux; cela ne marchera pas. Il
faut du neuf avec du neuf. Et c'est possible. Du côté tunisien, le neuf sera la
révolution spirituelle de l'islam politique soufi. Du côté occidental, il
faudra la révolution culturelle du libéralisme intégral, non seulement
économique, mais aussi politique et humain.
Il est légitime que l'Occident, soucieux de ses intérêts,
veuille que la Tunisie lui soit un marché ouvert, conformément à sa doctrine
économique. Mais il ne saurait le faire en violant, dans le même temps, ses
propres principes et valeurs politiques, ceux de la libre circulation et des
droits de l'Homme. Que la Tunisie soit ouverte à la libre circulation des
marchandises, soit ! mais que cela le soit aussi et en même temps pour les
humains, les véritables créateurs des richesses !
Le bon sens populaire le dit bien : on ne peut vouloir le
beurre et l'argent du beurre; il nous faut donc être raisonnables.
Aujourd'hui, il est raisonnable de parler d'interdépendance
et de sort commun des humains. C'est ce qu'on est passé du mondialisme à
l'altermondialité; et celle-ci est même en train de se muer en ce que je nomme
mondianité. Le sens de l'histoire est au regroupement et non au choc des
cultures, comme certains ont le tort de penser. À moins que ce ne soit le choc
qui est le propre des révélations majeures et des découvertes qui nous semblent
étonnantes et qui ne relèvent que de l'évidence.
Et cette évidence en Méditerranée est celle de l'espace de
démocratie à créer afin d'u entrevoir demain le lac de paix de cette mère
commune dont le sort est d'être vraiment cette mare nostrum plus que jamais
possible aujourd'hui.
C'est parce que leaders est bien conscient de l'importance de l'avenir
soufi de la Tunisie et de la réussite plus que probable de l'islam politique
dont la possibilité est inscrite dans le sens de l'histoire, qu'il a décidé de
consacrer un dossier à la question dans son prochain magazine du mois de
février.
D'ici là, bonnes fêtes, du Mouled et de la Révolution !
Publié sur Leaders