La célébration du Mouled
n'est en rien islamique
Comme chaque année, nous célébrons en ce douzième jour du
troisième mois de l'année de l'hégire la fête du Mouled, ou naissance du
prophète. Outre l'aspect purement festif, puisque c'est l'occasion de déguster
inévitablement les préparations culinaires dédiées à ce jour, on s'évertue à
donner au Mouled, dans les sphères institutionnelles, un aspect religieux qu'il
n'a pas nécessairement sur le pur plan populaire.
En effet, en termes d'islam
pur, la célébration de la naissance du prophète n'est pas une pratique
réellement islamique.
Je m'empresse ici de
préciser que par pratique islamique, je ne me réfère point à la conception qui
s'est imposée de la lecture du Coran et de la Sunna selon les fuqahas et qui
nous a légué la tradition musulmane appelée fiqh.
Par ce qualificatif
d'islamique, je vise, d'une part l'interprétation fidèle du Coran au vu non
seulement de sa lettre, mais aussi et surtout de son esprit et de ses visées.
Et d’autre part, la Sunna parfaitement authentique, soit celle consignée dans
les deux recueils majeurs ; laquelle est interprétée pareillement selon
son esprit outre sa lettre.
On peut se référer
utilement, à ce propos, à mon article sur Nawat : De l'idéologie musulmane à l'utopie islamique
Sur cette question du
Mouled, les Salafis actuels ont vu juste et ont donc raison de le rejeter comme
étant une pratique étrangère à l'islam authentique.
Sans aller plus loin avec
eux dans leur conception du Mouled, je me limite à dire que cette fête, comme
d'autres aspects de l'islam traditionnel, y compris salafi, illustre à quel
point notre pratique musulmane actuelle est si peu islamique, étant marquée par
la tradition judéo-chrétienne. C'est ce que j'avais déjà démontré dans deux
articles, l'un en français sur Nawat (Lefondamentalisme islamique est une création judéo-chrétienne)
et l'autre en arabe sur mon blog (ما في السلفية منإسرائيليات وما في الصوفية من روح إسلامية).
En l'occurrence, c'est bien
la tradition chrétienne qui est copiée par les musulmans. En effet, nul
n'ignore que la naissance du Christ est une fête centrale du christianisme où
le christ est quasiment divinisé. Or, il n'y a rien de tel en islam où le
prophète reste un être humain, élu certes par la grâce divine et par son
message et les valeurs morales qu'il est venu finaliser, mais demeurant un
homme, n'étant élevé que parmi les hommes.
D'ailleurs, aucun des Compagnons
du prophète n'a songé un instant à célébrer sa naissance. Ce qui atteste
symboliquement ce désintérêt chez eux, c'est le fait qu'ils n'aient même pas
retenu la date exacte de sa naissance ni cherché à en être particulièrement
sûrs, les avis étant divers à ce sujet et l'étant restés.
C'est bien tardivement que
la fête a été instaurée, et il a fallu du temps pour qu'elle devienne
l'habitude consacrée pratiquement partout qu'elle est devenue aujourd'hui.
Ce n'est qu'au quatrième
siècle de l'hégire, en l'an 362, que le chiite Moez le Fatimide l'instaure en
une fête officielle en Égypte. Elle apparut longtemps comme une particularité
provinciale, hérétique même d'un califat dissident, au point que le calife
abbasside finit par l'interdire un peu plus d'un siècle plus tard, en 490.
Certes, elle sera réinstaurée puis suspendue avant d'être instaurée de nouveau,
souvent par des autorités chiites; mais elle restera communément considérée en
une tradition fondamentalement non conforme aux enseignements islamiques.
C'est d'ailleurs dans ce
sens que sont allés certains fuqahas, y compris sunnites modérés, comme l'imam
Abou Ishaq Chatibi.
Cela permet de relativiser
l'aura que veulent donner aujourd'hui les islamistes institutionnels à une fête
qui n'a rien de véritablement islamique.
Bien évidemment, la fête
étant bien installée dans les traditions, il ne s'agit pas de l'abandonner ni
de nier l'attachement des gens à ses manifestations; il faut juste avoir la
lucidité de reconnaître que c'est un attachement plutôt festif que religieux, à
peine spirituel.
Sociologiquement parlant,
c'est probablement même tout le folklore culinaire qui accompagne le Mouled,
comme toutes les fêtes musulmanes d'ailleurs, qui est derrière sa
pérennité. J'en ai parlé dans un article ici, en arabe, à l'occasion de la fête
de l'aïd : العيد في الإسلام من شعائر الدين إلىالمهرجان
Assurément, une telle
approche permet de jeter un éclairage original sur la vitalité de l'islam dans
les cœurs, une vitalité nourrie par ce côté éminent de notre religion en tant
que communion émotionnelle dans l'humanité et la convivialité et comme culture
des sentiments d'amour et d'amitié plutôt que cette haine, exclusion et rejet
d'autrui qui vicient la foi de nombre de nos prétendus musulmans.
Publié sur Nawaat