M. Zbidi serait-il le futur chef de gouvernement?
Le miracle semble demander encore du temps pour se réaliser, même
s'il a été tout près de prendre forme par une entente in extremis sur le nom du
futur chef du gouvernement de consensus. Pourtant, le secret fut bien gardé
pour éviter l'échec des délicats pourparlers. Il semble, toutefois, que le nom
de M. Zbidi revenu en force pour s'imposer ait suscité d'ultimes difficultés.
L'ancien ministre de la Défense aurait la côte aussi bien auprès
des Américains, l'autre parrain bien occulte du dialogue national, que du chef
de Nidé tounes dans le gouvernement duquel il a servi et bien servi. Et Nahdha,
qui a toujours veillé à ne pas mécontenter l'allié de toujours
d'outre-Atlantique, semblait ne plus pouvoir se permettre de ne pas se rallier
à la realpolitik quitte à imploser.
Certes, M. Zbidi est loin d'avoir tous les suffrages du côté du
Front populaire ou de la troïka, notamment au CPR. Mais on sait que ce dernier
n'est plus qu'une illusion politique, une carte ayant servi les ambitions du
pouvoir de son président à la faveur de la stratégie islamiste.
Or, toute bonne stratégie évolue; et Nahdha n'a plus besoin des
services du président Marzouki, surtout qu'il est désormais bien grillé auprès
de ses anciens amis militants des droits de l'Homme. En effet, ces derniers en
viennent même à douter de la sincérité de l'engagement du président pour les
libertés, à voir l'extrême élasticité de son éthique en la matière.
De plus, il n'est un secret pour personne, malgré les dénégations
des uns et des autres, que Nahdha n'a jamais cessé de caresser l'option d'un
compromis historique avec l'incontournable BCE. N'était l'obstination de
l'actuel occupant provisoire du palais de Carthage, cheikh Ghannouchi l'y
aurait bien vu après son passage remarqué à la tête du gouvernement d'avant des
élections réussies, un modèle du genre en Tunisie, ne serait-ce que parce
qu'elles ont donné le pouvoir sur un plateau à Nahdha.
Toutefois, le parti de BCE n'existait pas encore au lendemain de
ces élections; et il était encore trop tôt pour Nahdha de jouer cette carte,
jamais abandonnée par son gourou.
Aujourd'hui, la donne a changé, et ce n'est pas uniquement
l'intérêt partisan qui, pour une fois, commande l'action de cheikh Ghannouch.
Il sait que les sacrifices en politique sont comme l'air qu'on respire, et que
la bouffée salvatrice peut venir même d'un opposant, surtout à l'article de la
mort.
Or, qu'on le veuille ou non, qu'on partage ses vues ou pas, BCE
est le seul à pouvoir sauver Nahdha de l'impasse où elle s'est fourvoyée pour
cause d'un exercice manichéen du pouvoir. Le parti islamiste a besoin d'une
seconde virginité quêtée inlassablement par les moins dogmatiques dans ses
rangs, qui pourraient enfin en rêver grâce au talent indéniable, l'aura et
l'expérience de l'autre gourou de la politique tunisienne, celui d'une
opposition qui a bien le vent de l'histoire en poupe.
Et il est clair que l'ancien ministre de la Défense du premier
gouvernement de la Tunisie révolutionnaire reste une carte maîtresse dans ce
jeu de poker menteur où il ne suffit plus de bien mentir pour réussir la
partie, puisqu'il faut bien tenir jusqu'à la fin.
Les qualités personnelles de M. Zbidi, son sens de l'État et
surtout de l'éthique politique, n'ont pas peu compté dans le choix qui devait être
final en se portant sur lui; or, l'argument éthique ne peut qu'avoir grande
résonance pour un parti parlant au nom de l'islam ! Rappelons que c'est bien
pour raison éthique que M. Zbidi a choisi de démissionner quand il a vu que le
gouvernement dont il faisait partie versait dans une pratique dévergondée de la
politique.
C'est une politique non politicienne qu'il serait appelé à mettre
en œuvre si les conditions qu'il a posées ne sont pas toutes refusées. Ce qui,
même s'il nécessite encore du temps, semblait acquis.
Ce faisant, ce serait un très mauvais cadeau que cheikh Ghannouchi
ferait pour son ami stratégique de Carthage à la veille de l'anniversaire de
ses deux années à la présidence. La politique n'a-t-elle pas ses raisons que
l'amitié n'a pas?
Au vrai, M. Marzouki a prouvé durant ses deux années à la tête de
l'État que c'était le pouvoir qui constituait sa seule ambition; aussi
serait-il bien avisé de démissionner afin de se consacrer à l'objectif de sa
vie en ranimant un parti moribond sans lequel il ne serait jamais entré à
Carthage. Ce serait l'ultime conseil amical qu'aurait donné M. Ghannouchi à son
ami de toujours.