Pour une diplomatie du troisième millénaire
Une stratégie de notre temps :
L'époque que nous vivons à l'entame du troisième millénaire est
celle de la fin d'un monde avec son paradigme saturé et une réelle faim d'un
monde nouveau par la naissance en cours d'un paradigme original du
vivre-ensemble des humains. Notre époque est dominée par des thématiques
emblématiques que nous regroupons dans les trois suivantes : Dogmatisme,
Solidarité et Islam. Nous en faisons une stratégie en les désignant par le
sigle D.S.I. et en accolant à chaque initiale un déterminant qui met l'accent
sur le besoin qui en est éprouvé, pouvant être en plus, en moins ou neutre.
Notre pays ayant inauguré la première révolution de ce millénaire,
il est amené à développer, tant sur le plan national qu'international, une
stratégie innovante, appelée à être en harmonie avec l'esprit du nouveau siècle
imprégné des thèmes majeurs précités. La stratégie D.S.I. proposée avec les
thèmes majeurs de notre époque et leurs déterminants se présente comme une
congruence avec les orientations et les exigences du nouveau millénaire. Et
nous la croyons inévitable si l'on s'attache à vouloir la réussite dans notre
pays d'un islam politique à la faveur des bouleversements majeurs qu'il vit.
S'agissant plus particulièrement de sa diplomatie, c'est une
stratégie en trois volets, formés chacun d'une double action. Cela nous donne :
moins de dogmatisme, plus de solidarité et ni plus ni moins d'islam, soit une
attitude neutre supposant juste un recours aux principes essentiels de l'islam
authentique à redécouvrir par une exégèse renouvelée.
1. Moins de Dogmatisme ou bannir le passé (- D) :
Il s'agit de répudier la pensée unique héritée
du passé, non seulement le nôtre, mais celui plus généralement d'un monde fini,
et ce pour relever pleinement de l'épistémè postmoderne en gestation.
1.1 : Bannir le passé
revient à s'atteler sérieusement à abandonner définitivement les pratiques
dévoyées de la dictature en l'étendant à tous les abus, qu'ils soient de veine
profane ou d'inspiration religieuse. Ce sont, d'abord, les injustices ayant
frappé sous l'ancien régime des diplomates de carrière et non encore levées.
C'est aussi l'arbitraire nouveau pratiqué depuis la Révolution dans le cadre
d'une action tendant à politiser le ministère des Affaires étrangères et
l'instrumenter au service de vues politiques de l'équipe au pouvoir, loin des
intérêts de la patrie et de son peuple dans toute sa diversité.
Plus que jamais, notre pays
a besoin de tous ses cadres, la diplomatie tunisienne ne pouvant plus se passer
de la moindre compétence avérée et de toute bonne volonté disponible.
1.2 : Bannir la pensée
unique dogmatique héritée du temps de la dictature porte aussi sur les
relations internationales de la Tunisie. Au sortir de l'indépendance, notre
diplomatie se voulait adaptée au génie du peuple (et nous employons ici le
terme en son sens neutre d'essence) qui est une adaptabilité à toute situation
moyennant une modération à toute épreuve.
Si l'on veut se conformer à
ce génie, on ne peut pratiquer une diplomatie d'excès et de manichéisme comme
on l'a vu avec la pantalonnade ayant accompagné la rupture des relations avec
la Syrie. Tout autant, on ne peut continuer d'ignorer la réalité de l'État
d'Israël pour de pures raisons dogmatiques et de bas intérêts politiques et
idéologiques, notre pays ayant été le premier dans le monde arabe à appeler à
tenir compte cette vérité incontournable.
Aujourd'hui, il nous faut
réveiller de sa léthargie une diplomatie que la Révolution du peuple a voulue,
sur ce chapitre comme sur d'autres, juste (dans le sens de justice et de justesse)
de voie et de voix. Or, dans les deux cas cités, on a eu affaire à une
diplomatie de cirque qui n'a rien à voir avec le génie de la tunisianité, cette
sagesse populaire ancestrale, à laquelle le Coup du peuple a instamment convié
de revenir.
L'effort de justesse et de
justice ne s'arrête bien évidemment pas à la question palestinienne
empoisonnant les relations internationales pour, entre autres, une impéritie
généralisée qu'alimente notre manque de courage et de lucidité. Il en va de
même pour nos rapports avec l'Europe gagnée, plus que jamais, par des réflexes
meurtriers d'ostracisme, allant contre le sens de l'histoire et même de ses
intérêts bien compris. Ainsi, notre diplomatie doit oser menacer de rompre tout
concours avec la politique migratoire européenne actuelle qui a démontré ses
limites et son caractère criminogène. Elle se doit d'appeler à une liberté de
mouvement de ses ressortissants sous couvert d'un visa biométrique de
circulation qui est aussi respectueux des réquisits sécuritaires que l'actuelle
pratique de visa désormais obsolète.
2 - Plus de Solidarité ou agir pour la démocratie (+ S) :
Il s'agit ici de consolider
le présent et les acquis de la Révolution par une diplomatie d'excellence
s'employant à être dans le sens de l'histoire.
2.1. Agir pour une
démocratie réelle ne peut être utile ni prendre forme dans le cadre des
faux-semblants formalistes du passé comme sur le plan interne, la démocratie
représentative devant céder le terrain à une démocratie participative, seule
désormais en adéquation véritable avec la légitimité et la souveraineté
populaire.
Sur le plan des relations
internationales, il n'est plus guère possible d'user des arguments tendant à
faire un impératif catégorique du principe consistant, pour un pays pauvre
sortant d'une dictature, à honorer sa dette, l'état de délabrement de sa
société, la nature scélérate de pareille dette et les efforts de
démocratisation l'interdisant. Car aucune démocratie ne peut naître et durer
dans la misère et sans la solidarité effective des démocraties plus anciennes.
En la matière, notre
diplomatie doit d'avoir comme priorité de renégocier pour le moins, sinon
d'annuler d'autorité la dette de l'ancien régime. De plus, elle ne pourrait
continuer de s'endetter au risque de perdre sa souveraineté économique tout en
maintenant le train de vie actuel de l'État en dépenses fastueuses, de pure
ostentation. Nos dirigeants doivent se rendre compte que, dans un pays zawali,
bien pauvre, le prestige et le rang publics ne se situent plus dans les pompes
et les fastes, mais dans la dignité retrouvée du peuple; et le nôtre est foncièrement
humble.
Outre la dette — ancienne et
nouvelle, dont la plus récente avec le FMI, appelée à aggraver les tensions
sociales —, notre diplomatie en tant qu'émanation d'une Révolution populaire,
doit s'atteler à renégocier nombre d'accords internationaux pour les
rééquilibrer à l'avantage de ses citoyens. Outre les conventions avec l'Union
européenne, il y a ceux régissant nos relations avec les pays où se trouvent
les plus fortes concentrations de nos expatriés, comme la France, et qui sont,
par certains aspects, quasiment léonins.
2.2 Dans le même cadre de la
démocratisation du pays, il nous faut comprendre que la démocratie ne saurait non
plus voir le jour ex nihilo, particulièrement lorsque l'imaginaire de la
population concernée, y compris avec ses élites, s'y oppose. Et il n'est plus
besoin de dire à quel point l'imaginaire, en structure anthropologique
éminente, fait et défait les actions humaines.
L'imaginaire actuel fait de
la certitude d'une incapacité rédhibitoire d'atteindre un niveau occidental
supposé inatteignable, suppose qu'aucune démocratie ne peut naître avant
longtemps dans un pays démuni de tradition pluraliste. Aussi, toute tentative
en ce sens, pour être sérieuse, doit s'articuler à une démocratie avérée.
Notre diplomatie doit agir
activement en vue de promouvoir l'idée inévitable d'un espace de démocratie
méditerranéenne en se donnant pour objectif ultime l'adhésion de la Tunisie à
l'Europe. Une telle adhésion, pas aussi farfelue qu'on veut le croire, pourrait
devrait aussi être préparée par l'appel à un espace immédiat de démocratie
francophone.
C'est là encore se situer
dans le sens de l'histoire. C'est aussi la seule façon crédible, loin de toute
démagogie, de réaliser l'union maghrébine, tout aussi inévitable. Or, celle-ci
ne pourrait se faire qu'entre démocraties réelles au Maghreb. En effet, sauf à
se bercer d'illusions, nulle unité n'est possible entre pays maghrébins sans
une démocratisation préalable et aboutie. Ce qui suppose le passage obligé par
le système démocratique européen en articulation et en locomotive nécessaires,
et eu égard à l'intrication des rapports et des intérêts géostratégiques en
Méditerranée.
Pour prendre un exemple
sportif, tout se passe comme en cyclisme où le fait d'être dans les roues d'un
bon rouleur aide à ne pas décrocher quand on n'est pas doté des mêmes
aptitudes, même si l'on est, par ailleurs, un excellent sprinter ou un grimpeur
hors pair. La démocratie est en effet un sport d'équipe, l'exemple du cyclisme étant
parfaitement approprié en plus d'être éloquent. Et la politique, aujourd'hui,
n'est-elle pas une activité se faisant en équipe, non seulement à l'intérieur
des États, mais aussi dans leur environnement international?
3 - Ni plus ni moins d'Islam ou rénover la tradition musulmane (I
neutre) :
Il s'agit ici de ne plus
ignorer que le fait religieux est central dans l'air du temps postmoderne; or,
l'islam est ce fait par excellence; d'où la nécessité d'en renouveler une
approche œcuménique qui soit universaliste et rationaliste. Et du fait des
retombées de l'appréhension de cette religion sur les relations internationales,
notre diplomatie est appelée à se ménager forcément une dimension spirituelle
en mesure de lui permettre d'agir pour la paix religieuse, à l'intérieur comme
à l'extérieur du pays.
3. 1. Agir pour un islam de
paix est assurément incontournable à l'intérieur du pays. Cependant, il ne peut
y réussir sans un affichage extérieur impliquant un engagement sérieux pour la
rénovation de la tradition musulmane. Pour cela, l'exégèse du Coran et
l'interprétation de la Sunna au vu des réalités présentes sont devenues
inévitables afin de sortir notre religion d'une conception obsolète sur pas mal
de questions heurtant désormais l'esprit de paix et de concorde de l'islam.
En effet, un certain nombre
de pratiques étrangères à l'islam, issues de la tradition judéo-chrétienne, a
investi la jurisprudence musulmane tout au long de l'histoire arabe islamique, dénaturant
certaines de ses valeurs, réduisant sérieusement son humanisme et écornant sa
spiritualité. Et c'est ce qui se retrouve dans la doctrine de base du salafisme
actuel, vindicatif et haineux, et qui s'inspire bien plus d'un intégrisme étranger
à l'islam que de sa spiritualité telle que magnifiquement illustrée par le
soufisme.
Cette réouverture de
l'effort d'interprétation de la tradition jurisprudentielle musulmane doit
forcément figurer en un axe essentiel de notre diplomatie du fait de la stature
universelle de notre religion et des implications mondiales de sa lecture
fondamentaliste, outre les menées en notre pays même des tenants des doctrines
intégristes. C'est par un affichage clair et assumé en faveur d'un islam de
paix, y compris et surtout sur la scène mondiale, que notre pays sera en mesure
de contrecarrer les dérives actuelles d'un faux islam meurtrier attentant à sa
sécurité intérieure.
3.2 : Pareil militantisme
pour l'islam authentique correspond à la seule foi possible en Tunisie, cet
islam tunisien étant en congruence avec la religion tolérante du pays et les
mœurs de son peuple. Notre diplomatie doit avoir le courage de promouvoir ce
produit culturel authentiquement tunisien et en faire la propagande comme le
ferait une diplomatie économique pour tout autre produit du pays et de bien moindre
importance.
Surtout qu'une telle action
pour des retrouvailles avec l'esprit perdu de l'islam véritable reste un aspect
essentiel de la démocratisation du pays. Qu'est-ce la démocratie, en effet,
sinon la prise en compte des sensibilités différentes et plurielles d'une
société? Or, la nôtre porte, dans certains de ses larges pans, une forte marque
islamique, l'islam étant d'abord un trait d'identité. En cela, il est bien plus
une culture qu'un culte. C'est ce qui m'amène à affirmer que tout le monde en
Tunisie, religieux comme profane, est en droit de se réclamer de la laïcité en
son sens étymologique qui n'est que le fait de relever de ce qui est commun au
plus grand nombre. Ce qui est le cas de l'islam en notre pays, qu'il soit vécu
en culte ou en culture.
En conclusion, disons qu'avec une pareille stratégie D.S.I, (-D.
+S. I) bannissant les travers du passé, agissant pour un présent meilleur et
appelant à une plus grande solidarité humaine, notre diplomatie participera
activement à la réussite de l'instauration de la démocratie en Tunisie. Car
dans un monde passé de l'état de village à celui d'immeuble planétaire, aucune
action ne peut plus prétendre relever uniquement du pur plan local; elle
emporte forcément et intrinsèquement une dimension régionale et universelle. Nul
observateur lucide ne saurait ignorer cette réalité tangible sauf à être myope
ou aveugle, effectivement ou par affectation; dans les deux cas, la vue est
bien voilée soit par la cécité, coupant de son prochain, soit par une idéologie
répudiant la solidarité humaine de rigueur en ce monde du troisième millénaire.
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