L'heure n'est plus aux
atermoiements ni aux calculs politiciens et encore moins à la trop fameuse
langue fumeuse faite de bois et d'arrière-pensées. Le peuple de Tunisie a assez
prouvé, tout au long des épreuves endurées depuis son Coup retentissant, qu'il
est attaché à ses libertés, toutes ses libertés, autant qu'il est fier de son
identité dans sa dimension spirituelle propre.
Réduire l'identité
tunisienne à une conception anachronique de la religiosité a été une
monstruosité de la part de certaines des élites aux commandes de l'État et qui
récoltent aujourd'hui les fruits amers de leur machiavélisme politique et leur
dogmatisme religieux.
Tout autant, nier la
dimension spirituelle avérée de la tunisianité au nom d'une sécularité mal
comprise, érigée en une déité profane, ne fut pas moins monstrueux de la part
des opposants à nos religieux grisés par le pouvoir et de leurs sympathisants
fanatisés par leur lecture inauthentique de l'islam, surtout lorsqu'ils fermaient
les yeux sur les avanies d'un ordre passé désormais fini, qu'ils cherchaient
ainsi à faire revivre, même artificiellement.
Le temps est à la volonté du
peuple qui est une puissance épanouie dans les rues en cet âge des foules aux
sens débridés qui, même si elles peuvent être manipulées, n'ont pas moins un
imaginaire rétif à toute instrumentation et dont les déités tutélaires ne sont
ni exclusivement morales ni totalement matérielles, mais tout à la fois
éthiques et esthétiques ou spirituelles en ce sens qu'il s'agit en l'occurrence
d'une soif de dignité, d'une faim d'authenticité et d'une exigence de libertés.
Cette trinité politique qui
a été au cœur du Coup du peuple de janvier 2011 constitue encore et toujours le
chœur de nos rues en fièvre, et il serait suicidaire pour nos élites, au pouvoir
ou hors pouvoir, de l'ignorer après que l'irréparable se soit produit et ait
été cyniquement confirmé.
Que faire alors ? Dissoudre
une assemblée d'élus qui n'a plus la confiance du peuple, même si elle assure
avoir tiré les leçons des événements passés et être sur le point de satisfaire
nombre de ses exigences, dont une entente sur le texte de la constitution ?
C'est bien la solution qu'imposent les circonstances, ayant le mérite du
spectaculaire qui soit d'efficacité immédiate, ralliant les oppositions les
plus véhémentes, même si elle présente l'inconvénient majeur de revivifier les
inimitiés chez les accros de la légitimité des urnes, que ce soit au titre des
principes de la légalité ou de la pure tactique politique, avec à la clef le
risque non négligeable d'instabilité juridique s'ajoutant à l'instabilité
politique devenue chronique. Or, ce serait même inévitable au vu du jeu auquel
s'adonnent les divers protagonistes qui se la jouent sans vergogne, qui aux
chevaliers blancs de la vertu, qui aux tenants soucieux de la rationalité la
plus élémentaire.
Malgré tout, une telle
solution demeura la plus adaptée à la situation exceptionnelle actuelle que vit
le pays, à moins que l'Assemblée Nationale Constituante ne réussisse par des
décisions solennelles,
et encore plus spectaculaires que sa dissolution, à reconquérir une place dans les cœurs en
démontrant qu'elle est véritablement représentative des plus larges couches de
la population et inspirée par leurs exigences révolutionnaires.
Quelles seraient de telles
mesures, synonymes d'une seconde révolution en Tunisie ? Ceux qui me lisent ont
certainement deviné ce à quoi je vais appeler de nouveau, ce pour quoi je
milite et que je considère comme inéluctable, aussi bien en termes d'évolution
historique que d'analyse politique. En tout cas, c'est ce qui me semble de
nature — ici et maintenant — à sauver la légitimité de l'ANC tout en réactivant
l'esprit de la Révolution.
En voici la potion magique
en quelques mesures qui sont comme un antidote à la situation terrible de crise
actuelle :
1 — Sur le plan national :
1.1/ Que le parti
majoritaire déclare solennellement accepter les exigences des droits de l'Homme
dans leur universalité et, en une manifestation à haute valeur symbolique, décide
de consacrer le principe de l'abolition de la peine de mort dans la
constitution. Agissant de la sorte, il administrera la preuve tangible de sa
capacité à évoluer vers l'assomption des symboles démocratiques et de dépasser
ses spectaculaires blocages dogmatiques.
1.2/ Que Nahdha, sans se
cacher derrière la prétendue indépendance de la justice — puisque tout un
chacun sait qu'elle n'est pas encore effective en notre pays —, annonce la
libération immédiate de tous les prisonniers d'opinion et le droit au retour
librement en Tunisie de tout réfugié politique, et ce en même temps que la
suspension sans délai de toutes les lois liberticides héritées de l'ancien ordre
juridique, toujours en vigueur.
1.3/ Que le gouvernement décide
aussi devant l'Assemblée de la manière la plus solennelle la suspension du
service de la dette de l'ancien régime tout en la dénonçant comme une dette
scélérate.
2 — Sur le plan
international :
2.1/ Qu'il énonce tout aussi
solennellement le principe de la libre circulation pour les Tunisiens comme un
acquis de leur Révolution. Et que la Tunisie décide d'office la suspension de
la tolérance de relevé des empreintes digitales de ses nationaux par les
représentations consulaires étrangères tant que le visa biométrique n'aura pas
été transformé en visa de circulation pour tous ses ressortissants.
2.2/
Que la Tunisie appelle, dans ce cadre, à la création d'un espace méditerranéen
de démocratie et propose dans la foulée son adhésion à l'Union européenne.
Qu'elle rappelle à ses partenaires la nécessité pour toute démocratie avérée
d'encourager à la stabilisation de la jeune démocratie en Tunisie qui ne peut
se passer pour cela d'un espace de démocratie élargi à ses voisins, pays
démocratiques. Et en appui à cette démarche, que la Tunisie appelle aussi, dans
le cadre de son rôle historique en francophonie, à un espace francophone de
démocratie méditerranéenne, rappelant que nulle démocratie naissante ne saurait
croître et se stabiliser sans être articulée à un système démocratique ayant
fait ses preuves. Et qu'elle rappelle que la paix et la prospérité en
Méditerranée dépendent pour une grande partie de la réussite de l'expérience
démocratique tunisienne, et que c'est une exigence majeure incombant aux
démocraties, notamment européennes, leur propre sécurité étant également
concernée.
2.3/
Et qu'elle agisse pour promouvoir auprès de ses partenaires une vision apaisée
et paisible de l'islam en appelant à un islam démocratique, attaché
véritablement aux valeurs humaines universelles, dont elle lancera ainsi
officiellement le mouvement, prenant sa tête, confirmant de la sorte que
l'islam politique tunisien est non seulement sui generis, en étant conforme aux
canons démocratiques universels, mais qu'il est parfaitement en mesure de
constituer le modèle futur pour tout pays arabe musulman tenté par la
démocratie.
Ainsi, et ainsi seulement,
l'ANC serait en mesure de prétendre demeurer en place, car elle aura alors la
prétention d'incarner à bon droit les exigences populaires tout en ayant réussi
à se transfigurer en assemblée véritablement révolutionnaire.
Publié sur Nawaat