Après une phase transitoire
dominée bien plus par des copains et des coquins que de vrais serviteurs du
peuple, voici la Tunisie entrée de plain-pied dans une phase durable dédiée aux
tontons flingueurs ! Voilà ce qui menace notre pays : que les barbouzes, ces
affidés des fascismes, de droite comme de gauche, dictent leur loi au peuple
par l'impact des balles meurtrières et le diktat de fatwas aux effets d'armes
de destruction massive.
Est-ce la République des
horreurs que préparent ces agents d'un ordre transcendant qui veut forcer le
peuple à plier à la loi d'airain d'une déité sanguinaire, asservissant les
cerveaux, conditionnant les mœurs et les comportements dans un moule unique obéissant
à une idéologie liberticide, adoratrice d'un Dieu vindicatif ou de son clone
profane, un marché non moins rancuneux pour les gagne-petit et les miséreux ?
L'assassinat du député
Brahmi, second acte abject dans la Tunisie issue du Coup du peuple, est encore
plus significatif politiquement ayant eu lieu lors de cet anniversaire d'une
république qui entend renaître de ses cendres en une véritable nouvelle chose
publique.
Est-ce la première étape
d'un scénario entendant militariser la vie publique ? Est-ce la poursuite d'une
série d'horreurs cherchant à vanter les mérites de l'ordre par les abominations
d'un désordre planifié, méthodiquement agencé pour accélérer une fuite en avant
vers l'abjection, laissant espérer angélique la moindre monstruosité ?
Il est inutile de se
demander à qui profite le crime d'aujourd'hui; il serait plus judicieux de se
demander qui il dessert; et la réponse est évidente : c'est le peuple et sa
volonté de vivre librement qui sont ainsi violés.
Peu importe qui sont les
commanditaires de l'assassinat du député de Sidi Bouzid, qu'ils soient les mêmes
pour l'autre figure de la gauche tunisienne Chokri Belaid ou d'autres agents de
l'ombre se jouant des rivalités des uns et des autres pour avancer leurs pions,
ils sont tout autant les ennemis de la République nouvelle rêvée pour la
Tunisie.
Que les assassins de ce jour
terrible aient agi au nom d'une morale toute-puissante et omnipotente dans son
intégrisme ou de celui de Mammon, non moins souverain absolu des intérêts
matériels et financiers, c'est au peuple de Tunisie qu'ils s'en sont pris, à son
rêve d'une démocratie exemplaire, paisible et tolérante, où la justice et la
politique seront indépendantes, n'ayant ni Dieu ni maître, sinon l'intérêt
suprême d'un peuple libre de conscience, de parole et d'acte.
Aujourd'hui, ce n'est pas
seulement la République qui est endeuillée; face à la scène politique ainsi
assombrie, ses élites, toutes tendances confondues, doivent faire le deuil de
leurs ambitions, sincères ou simulées, d'être les dignes représentants de la
volonté populaire.
Avec ce nouvel acte
criminel, on revient au surlendemain de l'assassinat du premier martyr de la
Tunisie Nouvelle attendue dans la douleur. Car cette Tunisie se veut
démocratique et tolérante, civile et authentiquement spirituelle, mais de cette
spiritualité qui est un supplément d'âme et non une réduction, une suppression
de cervelle par un conformisme logique, religieux ou profane.
Plus que jamais, le pays a
moins besoin d'une classe politisée que d'un véritable gouvernement de
compétences servant non point ses intérêts partisans, mais bien ceux d'une
République consensuelle, où la justice est justesse, la politique, une réponse
aux véritables attentes populaires et la morale, une éthique esthétique,
sachant reproduire les différentes sensibilités du peuple dans leur diversité
enrichissante et jubilatoire, sans la moindre pruderie ou mesquinerie.
Ce
jour de célébration d'une République qui ne sut éviter de générer la dictature
en ce pays doit être aussi celui de son enterrement dans ce qu'y subsiste
d'accointances avec un passé honni. Ce serait alors le jour où, pour y avoir vu
le prix fort payé en vies humaines, la coupure est définitive avec les
pratiques politiciennes anciennes, cette loi partisane qui, petit à petit, vide
notre Révolution de toutes ses exigences à la liberté et à la dignité.
Qu'il en soit donc ainsi
dans un sursaut salutaire au nom du peuple ! Que le gouvernement laisse la
place à une équipe de compétences et de spécialistes avérés chacun en son
domaine; le pays n'en manque pas ! Et que l'Assemblée Nationale Constituante
mette fin à son mandat en déléguant à des spécialistes les missions de mise en
place des institutions nécessaires aux futures élections et de finalisation de
la Constitution !
Ainsi et ainsi seulement,
par un pareil retournement nécessaire et spectaculaire de la situation, on
pourrait mieux espérer enrayer la tragique spirale qui risque d'entraîner le
pays vers des lendemains où ne chanteront que les intérêts de certains milieux prospérant
sur le dos de ceux du large peuple.
La voix d'un juste ne fut
pas entendue après l'assassinat de Belaid, écoutera-t-on aujourd'hui la voix de
la raison qui n'aura peut-être plus l'occasion de se faire entendre?
Publié sur Leaders