Dans un
monde globalisé comme le nôtre, qui n'est plus un village planétaire, mais un
immeuble, il urge de raisonner autrement, abandonner nos catégories de pensée
dépassées, devenues inopérantes. Or, les fondations de notre immeuble commun
sont à revoir pour vice de construction. Il ne suffit plus de procéder par de
menues réparations, un rafistolage de façade; il faut expertiser les fondations
et y apporter urgemment les mesures de sécurité indispensables.
J'ai la
prétention de croire, et j'ai les preuves nécessaires pour attester de la
validité de ce que je dis, que la solution de la crise actuelle — qui n'est pas
que celle de la Tunisie, mais aussi de tout le bassin méditerranéen — est dans
la création d'un espace de démocratie en Méditerranée.
Cet espace
commence par l'établissement de la libre circulation des citoyens des
démocraties ou des pays en train de le devenir, comme la Tunisie. Il faut
passer de l'espace Schengen actuel à un espace de démocratie, première étape
vers une intégration complète à l'Europe.
L'Union
européenne, qui est née d'une ambition de paix et de concorde, doit assumer
pour cela ses responsabilités éminentes, et que l'obtention du prix Nobel rend
encore plus grandes dans un monde où les frontières les plus pertinentes sont celles
de la démocratie.
J'y
reviendrai après avoir fait un détour par ce qui se passe en Tunisie et dans la
tête de ses élites, y compris les plus brillantes.
Un long chemin pour M. Jebali, de gloire ou de
croix?
La semaine
promet d'être longue pour le Président du Conseil des ministres; son chemin
sera-t-il fait de gloire ou juste ce qu'il est actuellement, un chemin de croix
pour le croyant sincère qu'il est ? Il a tous les atouts pour en faire ses
Champs Élysées, ayant démonté dans l'épreuve sa sensibilité aux vraies valeurs.
Il a été,
en effet, pratiquement le seul à comprendre le sens véritable des événements
secouant la Tunisie; et son éthique, sa conception morale de la politique,
l'ont amené à prendre la seule décision qui s'imposait en de telles
circonstances, celle qu'il a prise courageusement, quitte à violenter son
parti, quitte à heurter ses amis, assumant le risque de se retrouver seul, être
pris pour un traître, puisant dans son courage la lucidité de voir l'éclaircie
du bon port.
Il n'est
pas exagéré de dire, et je le fais d'autant mieux que je ne suis pas de son
bord politique, n'étant que de celui du peuple qui ne se reconnaît en aucun
parti, je dis donc que M. Jebali a été le seul politique, au soir de
l'assassinat du martyr Belaid, à montrer un sens de l'État.
Il honore
la Tunisie et mérite la confiance du peuple. Et celle-ci lui sera d'autant plus
précieuse que les partis se sont déconsidérés en se montrant, à des degrés
divers, plus soucieux de leurs intérêts égoïstes que de ceux du pays dont rend
parfaitement compte l'initiative tout courage de celui qui s'est mis, de fait,
hors de son parti et même hors de tout esprit partisan.
Même le
CPR semble renier ses valeurs, ce parti d'un Président de la République qui fut
naguère un farouche défenseur de la cause des opprimés et des droits de
l'Homme. Or, je viens justement de le rallier pour ses valeurs initiales, en
décidant d'entrer en politique; ces valeurs dont notamment l'adhésion à un
islam des Lumières dans une démocratie véritable. Certes, on l'a dit noyauté
par des partisans d'EnNahdha, et il le prouve en jouant docilement la partition
de son partenaire, devenant même son supplétif sans état d'âme, ou presque.
À M.
Jebali, je dis donc mon estime d'autant plus que j'ai bien précisé dès le
départ que mon adhésion au CPR était sur les valeurs premières du parti et non
celles d'emprunt qu'il affiche aujourd'hui sur la suggestion du parti de Cheikh
Ghannouchi.
Le
Président Marzouki peut continuer à raison à débiter son antienne sur la
nécessaire aide à apporter au parti islamiste pour réussir sa mue démocratique
inévitable; seulement, cette aide ne doit pas être l'alignement sur les
intérêts stratégiques actuels d'EnNahdha, encore marqués par la mainmise des
plus obscurantistes dans le parti à la courte vue sinon à la raison infantile.
Et surtout au moment où cette mue est incarnée par M. Jebali. S'il était
vraiment fidèle aux valeurs de sa vie, à son combat pour les droits de l'Homme,
M. Marzouki aurait saisi sans hésitation l'occasion inespérée que lui a donnée
M. Jebali.
Qu'il le
veuille ou non, celui-ci représente actuellement l'aile minoritaire de son
parti, mais une aile ouverte au changement et à l'évolution démocratique que
toute démocratie véritable appelle de ses vœux. C'est en elle que nous croyons
toujours malgré tout, et surtout les jugements précipités de certains, y
compris les plus avisés habituellement, comme le patron de Jeune Afrique, dont
je parlerai plus loin.
Or, que
fait le parti du Président ? Il abandonne seul, en rase campagne, M. Jebali.
Bien pis, il fait tout pour saboter son initiative, la seule qui vaille
aujourd'hui, répétons-le encore ! Alors, Messieurs les démocrates,
réveillez-vous et soutenez tous l'homme juste qui s'est levé parmi vous;
apportez-lui le soutien qu'il n'a pas trouvé en son parti où il reste fragile.
Et ne
l'oubliez pas, le peuple est avec lui; il l'est, car on a affaire à un homme
qui a su innover grâce justement à ses convictions religieuses, entre autres
celles de ne pas avoir sur la conscience la responsabilité d'encore plus de
sang de victimes innocentes sur cette terre devant rester à jamais paisible.
C'est cet
islam dont en rêve pour la Tunisie; en tout cas, c'est la religion postmoderne
à laquelle je crois, une religion d'amour. Et c'est pourquoi je ne suis pas
d'accord avec mes amis adeptes d'une sécularité positiviste, caricaturalement
scientiste.
J'en veux
pour preuve le dernier « Ce que je crois » de M. Ben Yahmed auquel je me permets de m'adresser directement
ici et, à travers lui, à toute une façon académique de penser bien française
qui a le tort de ne plus rien représenter dans le monde des idées postmodernes
d'aujourd'hui.
Vous avez tort, M. Ben Yahmed !
Pour
illustrer les errements de nos élites, politiques ou non, dans l'appréciation
du donné social, je prends donc volontiers la chronique de M. Ben Yahmed dans
la dernière livraison de Jeune Afrique et je me permets, eu égard à tout le
respect que je lui dois, de m'adresser directement à lui, comme je le ferai
pour terminer avec M. Jebali.
Monsieur
Ben Yahmed,
Quand vous
jetez l'anathème sur les islamistes, ne faites-vous pas comme eux, fustigeant
l'adversaire ? Quand vous les comparez aux anciennes dictatures déchues, vous
faites bon marché de leur lutte avérée contre ces dictatures ainsi que de
l'adhésion incontestable qui leur est acquise d'une bonne partie de leur
peuple.
Non, M.
Ben Yahmed, quand votre prochain est lépreux, il urge de le soigner et non de
le stigmatiser, et encore moins de l'ostraciser. C'est justement à cause d'un
tel ostracisme que les islamistes ratissent large dans une opinion publique
marquée par une communion émotionnelle, que vous exacerbez ainsi que vous le
faites.
Ne
pensez-vous pas, étant affirmatif et catégorique comme un dogmatique, manquer
justement à l'objectivité ? Ne prenez-vous pas, de la sorte, votre conception
des choses pour le nombril du monde, un monde fini qui plus est ?
Jetez
plutôt un regard sur la périphérie de ce monde qui souffre, et vous êtes bien
placé pour le connaître mieux que personne, n'y est-on pas exclu de tout, et
surtout du droit de vivre ? Comment alors, sans hésitation, reprocher à ceux
qu'on empêche de vivre de chercher à se tuer et à tuer ?
Ne
croyez-vous pas, par exemple, que si l'on ouvrait les frontières cadenassées,
nous verrions assurément changer radicalement les réalités que vous dénoncez ?
Pourquoi donc ne voir que l'écume des choses ? Et qui irait aux creux des
apparences trompeuses si vous ne le faites pas, vous l'observateur
habituellement sans œillères ?
Commençons
à parler autrement de l'islam, sans le dénigrer, mais sans rien céder aux
valeurs de la démocratie et des droits de l'Homme, et on verra alors s'il y
aura ou non des musulmans véritablement démocrates !
Je viens
de le dire au ministre de l'Intérieur français, en réponse à son récent propos
sur la Tunisie, et je vous le redis ici : vous n'avez pas raison, car vous
n'allez pas au bout de votre logique. Or, celle-ci, pour M. Valls, est de faire
suivre les paroles par des actes. Et pour vous, de ne pas prendre pour quantité
négligeable le sérieux changement ayant cours en Tunisie.
On ne peut
bâtir une démocratie dans une réserve, le pluralisme politique ne naissant pas
à huis clos; on l'a vérifié avec le triste exemple malien. Est-ce bien l'islam,
qui a été pour certains une théologie de la libération, qui est la cause du
chaos actuel ou plutôt l'absence d'horizon ouvert pour une jeunesse condamnée à
vivre en vase clos, ruminant son ressentiment contre l'arrogance et l'égoïsme
de l'Occident ?
Une circulation libre, tout en étant
respectueuse des réquisits sécuritaires, dans le cadre d'un visa biométrique de
circulation notamment, n'aurait-elle pas permis d'éviter l'asphyxie de la
société civile et de prémunir les jeunes de basculer dans l'extrémisme ?
La
démocratie est une valeur éminente parmi d'autres et qui a ses exigences, dont
justement ce droit de l'Homme qu'est la libre circulation, essentielle comme
constante anthropologique de tout progrès humain.
Quand on
enferme des jeunes dans des réserves, les réduisant à des enfants éternels, on
ne doit pas s'étonner de les voir verser dans le comportement d'attardés,
nourrissant la plus terrible haine pour leurs geôliers.
Monsieur
Ben Yahmed,
Vous nous
avez habitués à des analyses bien plus pertinentes, frappées au coin de la
lucidité, de la finesse et de la mesure. Dresser comme vous le faites un lit de
Procuste de l'islam, c'est user, non seulement de figures de pure mythologie,
mais faire aussi une analyse à l'antique de réalités qui ne relèvent même plus
de la modernité, se situant désormais au-delà, en une postmodernité où le
possible est derrière le réel, au-delà de l'utopie.
Il est
possible de parler de l'islam autrement, et je le prouve. Demain, il sera
également possible de vivre un islam différent en Tunisie, ouvert et humaniste.
Faut-il pour cela y croire, avoir une foi à toute épreuve, la foi soulevant des
montagnes, faisant des miracles, transformant l'illusion en réalité tangible.
C'est
l'impératif catégorique en notre pays qui vous semble à la dérive et qui n'est
qu'en pleine mutation, en ascension vers l'assomption de son identité
véritable, celle d'une Tunisie authentique, tolérante et paisible, une terre
d'amour et de fraternité.
Elle sera
la tête de pont d'un âge nouveau, postmoderne, où la fin du monde ancien, cette
irrépressible faim d'un autre monde, prendra les couleurs de l'islam rénové,
renouvelé, un islam d'amour, à la manière soufie, un islam œcuménique, un islam
rationaliste et universel, un islam postmoderne.
Dans un
article récent, j'ai dit, en jouant avec les voyelles du mot, que le Vis-à-vis,
la Qibla dans la Tunisie du Coup du peuple doit être le baiser au peuple qui
est hédoniste dans l'âme, ce même baiser que lui donna sans hésiter le grand
Farhat Hached, osant paraître ridicule en un monde de brutes.
Dans une
thèse en cours, ainsi que dans une série d'articles disponibles sur mon blog,
j'administre la preuve de la possibilité véritable d'une lecture renouvelée de
l'islam. J'y démontre, par exemple, que l'homosexualité (que je préfère
qualifier d'homosensualité) n'y est nullement interdite contrairement à la
conception erronée qui s'est imposée à tort sous l'influence de la tradition
judéo-chrétienne. J'y prouve aussi que l'apostasie, non plus, est loin d'y être
criminalisée. Et le reste est à l'avenant.
Monsieur
Ben Yahmed,
Ceci n'est
qu'une illustration de ce qu'on peut dire de l'islam aujourd'hui, en Tunisie,
loin du discours convenu éculé, prétendument objectif et scientifique quand il
n'est que subjectif et scientiste.
Or, le
retrouver chez vous m'a bien surpris et me fera dire ici qu'il s'agit, de votre
part, moins d'une erreur que bel et bien d'une faute. C'est ce que je crois,
quant à moi.
Comme vous
dites, dans ce que vous croyez, essayer de répondre à la question de savoir que
faire des islamistes, j'espère vous avoir apporté quelques éléments de réponse.
Notamment la nécessité de laisser les musulmans vivre leur propre devenir sans
préjugés inutiles ni condamnations prématurées.
Les plus
belles œuvres mettent du temps à s'épiphaniser, vous le savez bien. Il suffit
d'avoir la foi, la volonté; et il n'y a que cela en Tunisie d'aujourd'hui.
Ne donnez
donc pas votre opinion, Monsieur Ben Yahmed, comme on jette la pierre à qui
faute, car vous fautez alors bien plus que lui !
Je préfère
vous garder intacte mon admiration; et surtout, ne vous méprenez pas sur
l'intention de cette lettre, elle n'est qu'une marque d'absolu respect.
Lettre d'amour à Monsieur Jebali :
Monsieur
le Président du Conseil,
Ce n'est
pas parce que vous êtes aujourd'hui presque seul contre tous, que vous êtes
solitaire. Le peuple est avec vous et vous le savez. Vous réaffirmez votre
fidélité à votre parti, mais ce dernier ne sait qu'ergoter, vous privant de son
total soutien; tenez bon et continuez à essayer de le rénover, et s'il le faut
au forceps ! Sinon, partez avec ceux qui vous sont fidèles, créez un autre
parti qui soit une véritable renaissance de ce parti sclérosé qu'est encore
votre parti, risquant de fossoyer la résurrection de l'islam des Lumières en
Tunisie.
Monsieur
Jebali,
Vous
cherchez des compétences pour le pays et je vous offre la mienne, bien avérée
dans le service de notre communauté expatriée, mais aussi dans celui du pays en
général et de l'islam rénové en particulier.
Diplomate écarté abusivement du corps
diplomatique pour avoir osé incarner les droits de l'Homme et les servir à
l'intérieur même d'un Administration pourrie, et bien que je n'ai demandé
aucune réparation, juste la régularisation de ma situation et mon droit de
servir mon pays avec ma modeste compétence, j'attends toujours qu'on donne
suite à ma requête, le ministère des Affaires étrangères la renvoyant au premier
ministère et celui-ci à la Justice transitionnelle, et le ministère des Droits
de l'Homme aux calendes grecques. Pourtant, le service du pays, seul qui compte
à mes yeux, n'attend pas !
Je viens
de m'engager en politique et d'adhérer au CPR pour donner corps à mon investissement politique, devant passer forcément par une
structure partisane. C'est que j'ai jugé le parti du militant Marzouki,
combattant connu et apprécié des droits de l'Homme, le plus proche des valeurs
que je porte. J'ai d'ailleurs indiqué sur mon blog, dès le premier jour, mes
motivations bien clairement fondées sur des principes bien précis, ne taisant
pas que je venais avec des valeurs qui me feront repartir le cas échéant.
Le CPR
semble hélas fouler au pied ces principes ainsi que le démontre l'actuelle
crise au pays qui, comme je l'ai répété à plusieurs reprises, n'a que du bon,
mettant à nu la réalité des choses, permettant d'avancer vers le meilleur.
Je me
permets, à cette occasion, de noter que je place mon action sous la devise du
service véritable du peuple et d'un islam dont je fais une lecture rénovée. Le patronyme que je porte le permettant, j'ai d'ailleurs choisi pour nom de mon
action politique celui de Hached Ibn Affen.
Je
prétends porter à mon peuple l'amour qu'il est en droit d'exiger de tout
politicien, comme osa le lui donner mon corégionnaire, natif de mes îles
kerkennah et dont je porte aussi le prénom.
Et, à l'islam,
qui est pour moi une culture avant d'être un culte, j'entends apporter une
réforme de cette lecture qui tarde, et qui serait de nature similaire à l'acte
majeur du troisième Calife Majeur, à savoir le sauver de la disparition
inéluctable s'il reste en l'état, soumis à une interprétation obscurantiste et xénophobe. C'est bien sûr l'islam des Lumières
retrouvé, un islam dont l'approche est rénovée selon ses deux principes
fondamentaux que sont sa scientificité et son universalité.
Aussi, je
me mets à votre disposition, et s'il le faut, je me retire incontinent d'un
parti que je viens juste de rejoindre avant qu'il ne donne les signes actuels
de la flagrante remise en cause de ses fondamentaux.
J'y suis
prêt comme je le suis pour un sort similaire à celui du dernier martyr de la
Révolution, Chokri Belaid. Dois-je le rappeler, il fut aussi la destinée des
personnes dont je me réclame pour mon nom de guerre politique ? Nom de guerre,
certes, mais qui n'a rien de belliqueux, étant un appel à un ordre amoureux
dans le cadre d'une conception compréhensive de la politique.
On a
besoin aujourd'hui, plus que jamais, de fonder un espace de démocratie en
Méditerranée auquel notre pays, avec son Coup du peuple magistral, a appelé
tous ses partenaires. J'entends y travailler, avec vous ou non.
En
postmodernité, on n'est plus soi, avec un « s » minuscule, ce qui correspond à une individualité dépassée; on est
Soi, avec un « S » majuscule, ce qui veut dire qu'on est fait et défait par
l'attitude de l'autre; on ne pense même pas, on est pensé par nos conditions de
vie.
Mais,
avant tout, bon courage M. Jebali ! Que la chance vous accompagne. Vous êtes un
homme juste et la voie des justes est l'empyrée terrestre.
Publié sur Leaders