Lettre à l'ambassadrice de l'Europe : Proposez
l'adhésion à la Tunisie, ne devenez pas coupables de non-assistance à
démocratie en péril !
Madame l'Ambassadrice,
La Tunisie est aux portes de
l'Europe, son sort ne saurait échapper à sa vigilance ainsi que c'est le cas pour
le gendarme du monde. Si ce dernier s'active sur notre sol, ayant dès le début
compris la nécessité d'être du côté du peuple dans son Coup historique,
l'Europe continue à y faire une politique de gribouille.
Pourtant, la Tunisie est à un carrefour
stratégique; aujourd'hui, rien n'est encore joué, mais rien n'est perdu
pour autant. Tout reste possible, même si le pire pointe son nez avec le récent
horrible coup de barbouzerie.
Une initiative originale est
en cours, de partout torpillée. Seule une initiative courageuse de l'Europe est
de nature à lui donner une chance de réussir.
Surtout que d'aucuns, liés
et complices objectivement ou subjectivement, tentent de profiter du climat
d'effervescence démocratique pour leurs machiavéliques machinations afin de
spolier le peuple de sa liberté retrouvée à la force de sa seule volonté
indomptable. Ils ne peuvent tolérer que l'on s'essaye en Tunisie à cette sorte
d'anarchie salutaire d'ordres multiples (quitte à ce qu'ils soient pris pour un
désordre), sans instances surplombantes.
Tous les dogmatiques,
n'ayant en vue qu'une illusoire Vérité unique, celle d'un État policier ou d'un
Dieu ennemi de l'humain, ne peuvent accepter plus longtemps que s'y réinvente
la politique.
En Tunisie, se déploie actuellement
un cheminement sociologique original, augurant d'une nouvelle typologie
postmoderne des institutions du Sud, un futur en gestation ne pouvant être que
novateur en notre pays, véritable laboratoire grandeur nature de la politique
de demain, une politique compréhensive.
La démarche compréhensive
est d'être à l'écoute, être en résonance de ce qui est de plus authentique chez
le peuple; et c'est sa spiritualité. Aujourd'hui, le constat qui s'impose à
nous, observateurs du réel et du quotidien tunisiens, est qu'il est bien temps
que toutes les véritables bonnes volontés se décident enfin à repenser
sérieusement la politique en Tunisie et dans le monde méditerranéen, qu'un
espace de réelle démocratie y voie le jour.
Nous n'avons eu jusqu'ici,
en notre pays, que le degré zéro du contenant; mais le degré du contenu y reste
infini, et il ira en s'inversant en une nouvelle culture, comme une ambiance,
dans laquelle s'épiphanise un contenant original en un nouveau vivre-ensemble.
Il s'agit d'une tonalité
nouvelle dont l'Orient est le contenant et dont l'ordinaire tunisien est déjà
tributaire. Pour que cela aille à son terme, pour que la grossesse n'avorte
pas, la Tunisie a besoin non seulement du soutien verbal de ses amis, mais aussi
et surtout de leur engagement concret et actif.
L'Europe est à la tête de
ses amis et même son intérêt bien compris lui commande de s'engager enfin à
aider à la réussite de son expérience démocratique dans le cadre de l'espace
précité impliquant à terme l'adhésion de la Tunisie à l'espace européen devenu
un espace de démocratie.
Mieux; c'est le devoir qui
le lui commande, car l'Europe ne saurait continuer à rester de marbre devant le
glissement au pays vers le fascisme, sauf à verser dans la complicité. Et qu'on
y prenne garde, ne tombons pas dans la facilité ou le manichéisme : ce fascisme
n'est pas que musulman !
Il est donc question, non
seulement de responsabilité morale, mais aussi pénale internationale; la
démocratie en Tunisie est en péril, l'Europe a le devoir de voler à son
secours, ne serait-ce que du fait de sa proximité qui n'est pas que
géographique.
Nobel oblige, elle doit
aujourd'hui proposer l'adhésion à la Tunisie afin de sécuriser les esprits,
calmer les ardeurs et faire renaître l'espoir dans les têtes des jeunes livrés
au lavage de cerveau des aventuriers de l'Apocalypse. C'est l'électrochoc
recherché désespérément au pays avec l'initiative hardie de M. Jebali.
La Tunisie a besoin d'un
choc psychologique salutaire, sa jeunesse en dérive en premier. Cette jeunesse,
pourtant brillante et intelligente, se laisse entraîner par les chants de
sirènes intégristes plus par dépit amoureux pour l'Occident que par rejet
viscéral. Car le Tunisien est
ouvert à l'autre par définition; et l'islam que d'aucuns travestissent en mal
suprême est foncièrement un hymne à l'altérité.
Aussi, et dans le cadre de
la proposition d'adhésion devant prendre le temps qu'il faut, l'Europe doit
proposer incontinent aux Tunisiens de circuler librement dans le cadre d'un
visa biométrique de circulation respectueux des réquisits incontournables de
sécurité.
En cela, l'Europe ne fera
rien d'extraordinaire; elle ne fera surtout pas la charité, car c'est le droit
de la Tunisie d'exiger pareille compensation à l'entorse qu'elle fait à sa
souveraineté en permettant à des étrangers de relever les empreintes digitales
de ses ressortissants.
Et il n'y a absolument rien
de monstrueux dans le visa biométrique de circulation, à part d'être juste et conforme
de la légalité internationale, puisqu'il est aussi respectueux des consignes de
sécurité que l'actuel système dépassé. La grosse différence, c'est qu'on sera
juste en harmonie avec les principes affichés, la libre circulation étant un
droit fondamental de l'Homme. Mieux, c'est le rempart à toutes les dérives
intégristes et maffieuses.
L'Europe a peur de ce qui se
passe en Tunisie; mais que fait-elle pour aider à s'y opposer ? Ne
souffle-t-elle pas sur la braise ? Que n'agit-elle donc intelligemment tant
qu'il est encore temps pour que la cendre prenne feu, cette cendre du meilleur
en islam, un islam de ces Lumières qui illuminèrent la civilisation mondiale
avant d'être obscurcies par les ténèbres musulmanes actuelles. Oublie-t-elle,
par hasard, ses propres ténèbres et l'apport islamique majeur et salutaire pour
les illuminer en un temps où la barbarie et l'horreur étaient européennes ?
En ce temps-là, l'islam
était venu au secours de la brillante civilisation gréco-romaine; et ce n'est
que le retour du balancier aujourd'hui. À l'Occident donc de venir au secours
de l'Orient en tendant la main à sa tête de pont, la Tunisie vaillante, la
Tunisie du Coup du peuple, ce gong qui sauvera l'islam et le monde en
permettant l'assomption sur cette terre d'amour qu'est la Tunisie de l'islam
postmoderne, l'islam des Lumières !
Jusqu'à quand, donnant
raison à Byron, faire de l'Europe une portion usée du globe ? A-t-on oublié ce
que répondait déjà Hegel au poète, à savoir que le sens de l'histoire va de
l'Orient à l'Occident ? Or, ce sens, s'il doit reprendre son chemin, se doit de
revenir se ressourcer à son point de départ, revoir son itinéraire et s'ajuster
à la bonne direction perdue.
En Occident, grisé par une
Modernité désormais évanouie, on continue de communier dans la pensée savante
de naguère qui est réduite à une vaine doxa. Le réveil à l'actuel et au
quotidien, le retour à la conscience, est forcément un retour à l'Orient
mythique que la Tunisie incarne aujourd'hui de la plus belle manière.
L'Occident n'est plus ce
paradis terrestre rêvé par le Prométhée occidental qui se voulait maître et
penseur de la nature et du monde. Il lui faut se débarrasser de la mythologie
schizophrène du faire et de l'agir légué par sa Modernité trépassée. On est
loin des canons matériels et matérialistes de la production et du
productivisme. Que les intellectuels occidentaux et leurs clones se regardent à
quel point ils sont ridicules à ce miroir déformant; qu'ils relisent donc
Baudrillard et sa généalogie instructive !
L'Europe ne peut plus
continuer sa dénégation insensée de l'ordinaire qui est à ses portes et jusques
dans ses rues et sentiers; la vraie vie est ailleurs que dans les salons et les
laboratoires. Elle prévaut dans ce lointain aux couleurs exotiques, dans ce
spirituel tant honni, bien loin d'une pensée à œillères, une docte ignorance,
source intarissable de la dénégation du réel réduit, au lit moderne de Procuste,
à du pur irréel.
Il est temps qu'elle se
réveille au vrai réel dont la poésie (le « Poiei » des Grecs exprimant la « poiésie ») rend mieux compte, et
surtout de l'existence sur l'autre côté de la Méditerranée; qu'elle s'émancipe
du fameux « principe
de réalité » (économique,
social ou politique) qui fut le modus operandi de la modernité défunte et ne consistant
qu'à réduire l'entièreté de l'être à sa plus simple expression, cette « reductio ad unum » d'Auguste Comte !
La Tunisie actuelle
administre la preuve de la faillite de la théologie, la théodicée du grand
discours d'émancipation de l'époque moderne, se résolvant en un report de la
jouissance et un individualisme outrancier. L'âge des foules, l'ère postmoderne
des tribus exige de vivre sa vie hic et nun, ici et maintenant, dans une
communion émotionnelle totale, avec des sens débridés, en émoi. C'est le Carpe
Diem des anciens dont la déclinaison islamique est attestée, intimant l'ordre
de vivre intensément sa vie comme si l'on était éternel et de préparer sa mort
comme si elle était imminente.
La pensée islamique
authentique est d'actualité en notre postmodernité et il est tout à fait
possible de retrouver son esprit dans la Tunisie d'aujourd'hui, esprit enfin
libéré du passif du riche legs musulman. Seules ces retrouvailles permettront
de se débarrasser, tant pour le monde musulman que pour l'Occident
judéo-chrétien, de l'utilitarisme de la Modernité qui s'est mué en
ustensilarité.
En Tunisie, un effort
sérieux est en train d'être fourni par des consciences libres afin de renouer
avec les racines humanistes de la Tunisianité, cette âme faite d'ouverture et
de tolérance. Une action sérieuse en véritable archéologie du savoir y a cours
pour retrouver les racines, les caractéristiques essentielles de l'islam en
tant que culture et civilisation.
Il y a eu révolution en
Tunisie, ne l'oublions pas; et ce fut une révolution sur soi qui doit continuer
pour aboutir à la parousie d'une foi paraclétique postmoderne permettant de
sublimer la croyance basique en une spiritualité élevée dont le soufisme a donné
une manifestation éminente !
Selon cette conception
postmoderne de l'islam dans la Tunisie du Coup du peuple, Dieu n'est plus que
dans les mosquées; il est partout, et surtout dans les cœurs, car c'est un Dieu
d'amour et de fraternité.
Comme le Dieu de la Bible,
avant que la tradition judaïque ne le transforme en Léviathan et que nos
intégristes s'en réclament à leur tour, Dieu est dans la brise, au creux du
doux murmure du zéphyr (aux senteurs de jasmin, en Tunisie, faut-il le
préciser) et nullement sur le Mont Horeb ou dans les flammes des incendies des
guerres saintes qui ne sont que les guerres de prétendus seigneurs, ces saigneurs
véritables des croyants.
Avec le Coup du peuple,
notre révolution postmoderne, on redécouvre sur cette terre de Tunisie le véritable
sens de l'anarchie comme un ordre suprême, une puissance populaire
démultipliée.
Et cette révolution
n'apparaît aux couleurs noires d'un islam des mensonges que pour ceux qui ne
veulent y distinguer que leurs phantasmes. Continuant à percevoir avec un
effroi la banalité, le vécu quotidien, ils n'y voient qu'une source
d'inquiétude, demeurant aveugles à ce qu'il y a de pertinent dans cet ordinaire
bel et bien extraordinaire, « hors-dinaire », un or dunaire. Or, pour les plus perspicaces,
il est possible d'y voir se dessiner les linéaments du vouloir-vivre
postmoderne.
En Tunisie s'incarne en
grandeur nature une force primordiale aux couleurs d'un quotidien orignal et
expressif de ce qu'il peut y avoir de meilleur et de distinctif dans une
civilisation et une culture, avec à la clef un retour possible à cette culture
qui fut belle et rebelle et qui l'est toujours, celle de l'islam authentique,
cet humanisme de grand format.
Faut-il que l'Europe
continue donc de relever du passé et ne voir en Tunisie que le théâtre d'ombres
de ses fantômes et les revenants d'un ordre périmé, s'adonnant à cœur joie à
fausser les pistes, à laver les cerveaux et à faire avorter le futur grandiose
qui s'écrit au jour le jour ?
Pourquoi réduire la
théâtralité urbaine à un jeu de gosses, de chenapans et de petites frappes ? Ce
qui est en jeu véritablement en Tunisie, c'est un corps traduisant une force
invisible dans l'effervescence, l'orgiasme avec ses excès; et s'il est en
apparence purement corporel, il n'est pas moins fondamentalement spirituel.
J'appelle donc les
consciences libres en Europe à une sorte de « Common decency » tel qu'on a parlé Orwell ! Je demande aux
responsables actuels de l'Europe de faire leur révolution mentale et de
réaliser enfin que la décence politique commande de prendre compte de la
décence ordinaire qui est dans la vie quotidienne du Tunisien, ses politiques
surtout. Elle est faite d'un savoir-vivre populaire, la faculté instinctive et
non cognitive de comprendre les choses quitte à aller jusqu'à épouser les vues
de l'adversaire par hyperréalisme.
Aussi, malgré son sentiment
d'appartenance, sinon d'apparentement à l'espace européen, le politique
tunisien n'osera jamais, pour différentes raisons que je résume par cette
décence, demander l'inéluctable : l'adhésion de la Tunisie à l'Europe et, pour
commencer, la libre circulation de ses ressortissants entre les deux rives
d'une Méditerranée devant être fatalement amies et unies.
Que de transformations on
fera avec ces deux gestes éminemment politiques ! Et d'abord, ce sera
l'électrochoc que cherchent nos politiques, le tsunami civilisationnel pour
notre époque, non seulement dans le bassin méditerranéen, mais aussi et surtout
dans le monde.
Il ne s'agit pas uniquement
de l'intérêt de la Tunisie, de la consolidation de sa démocratie naissante,
mais aussi et surtout de la paix mondiale. C'est qu'on aura enlevé, mine de
rien, l'épine au pied de l'islam qui l'empêche de marcher correctement; on aura
soigné son talon d'Achille intégriste, cette maladie infantile de toute idéologie
dogmatique.
Et l'Europe retrouvera
elle-même sa tradition en renouant avec ce sentiment cosmique qui, rappelons-le
aux oublieux en notre ère d'Alzheimer politique généralisé, était le fondement
du romantisme du XVIIIe siècle européen.
La figure emblématique de
Dionysos, divinité chtonienne et étrangère à la cité, y était déjà un retour
inévitable à l'Orient, à cette passivité apparente et bien prégnante en
Tunisie, qui n'est que le passage du sens à la signification. Déjà, au
Moyen-Âge, on parlait d'un « étant » caché. Or, Dionysos est dans les transes
quasiment bachiques de nos salafis des mensonges, des transes postmodernes. Au-delà
des apparences trompeuses, il nous faut y voir l'immense désespérance qui les
fonde, ce désir d'altérité contrarié, cet amour infini d'un horizon de liberté.
Je pose la question à
l'Europe : Au moment où la Tunisie ouvre la voie de nos sociétés
méditerranéennes à un devenir mystique prometteur, doit-on l'abandonner en
privilégiant une sorte d'orphanité égoïste et manichéenne ?
Ne serait-ce qu'au nom de sa
propre morale, l'Europe ne peut et ne doit plus continuer à s'en tenir à sa
posture actuelle de retrait. Ou alors, elle doit y activer, pour le moins,
cette énergie particulière propre à l'acte spirituel du retrait permettant de
renouer avec la clarté qui est en nous, une nitescence venue de l'intérieur.
Pareille retraite a été
réussie en Tunisie, et la lumière qui est en elle est prête à illuminer le
monde. Que l'Europe remplisse son devoir, l'histoire le commande; qu'elle ne
batte pas en retraite et fasse plutôt à la Révolution tunisienne une retraite
aux flambeaux !
Ainsi assumera-t-elle sa
véritable nature, faisant coïncider son esprit de conquête avec le même esprit
bien vivant dans l'âme arabe. La conquête dont il s'agit étant bien évidemment
celle d'une nouvelle frontière, une aire originale, un espace de démocratie
méditerranéenne.
Alors, Madame
l'Ambassadrice, vous qui êtes sensible à la diversité, faites votre devoir de
civilisation, soyez mon interprète auprès des gourous de l'Europe encore
endormis, portez-leur mon message avec votre talent et votre intelligence avant
que les gourous de l'islam obscurantiste ne réussissent à phagocyter l'espoir
bien réel au pays !
Dites-leur que l'Europe ne
peut plus rester « logocentriste
», relevant d'un paradigme
épuisé; elle sera aujourd'hui « lococentriste » ou elle ne sera plus. Le cœur même de la
transformation du politique qui est à repenser urgemment est en ce lieu qui est
à sa porte, un lieu oriental ainsi que l'exigent ses fondamentaux. Que l'Europe
s'y réveille enfin !
La paix et la démocratie ne
se construisent pas en une réserve, à huis clos, mais dans le cadre d'un
processus d'interactions où la personne humaine est bien supérieure à la marchandise,
car elle est bien plus qu'un microcosme, étant un panvitalisme magique. On ne
vit pas seul et on ne pense même plus, car on est plutôt pensé, on agit moins
qu'on ne réagît.
Il est un passage
inéluctable aujourd'hui d'une individualité illusoire à une communion, et pour
le moins à une individuation, où l'autre n'est plus guère une altérité, mais
l'avers ou l'envers d'une même réalité. Réussissons donc ensemble ce passage du
« soi » au « Soi » !
Publié sur Nawaat