La période de festivités de
cette lunaison célébrant le coup du peuple tunisien, sa révolution 2.0, modèle
de genre politique nouveau de la transformation du virtuel en réel par la seule
volonté du peuple, est propice aux épanchements des cœurs transis d'amour
sincère. Aussi, j'en saisis l'occasion pour m'adresser à notre élite politique
afin de lui livrer ce que je lis sur les lèvres de tout Tunisien que je
rencontre.
Il s'agit, bien évidemment,
de ces humbles mais dignes personnes, jeunes et vieilles, qui forment l'âme
vive de ce pays et dont on fuit habituellement la compagnie et la misère, qu'on
n'écoute ni n'entend, malgré la sagesse de leur propos bien visionnaire, qui ne
dédaigne pas le réel pour un principe réducteur de la réalité, ne connaissant
que ce réel, leur actuel et leur quotidien, si dur à supporter.
Or, ils me disent : Qui
oserait aujourd'hui avoir le panache de Farhat Hached pour proclamer haut et
fort son amour pour le peuple ? Nos politiques, trop englués dans leur ego,
aveuglés par un nombrilisme les empêchant d'être en empathie avec la populace,
se soucient comme d'une guigne de ce qu'ils perçoivent être une mièvrerie.
Pourtant, c'est ce qu'attend
impatiemment le Tunisien, un nouveau Farhat lui déclarant sa flamme, lui
disant, car le croyant et le vivant dans tous les actes de sa vie quotidienne,
jusqu'à y offrir sa vie : Peuple, je t'aime !
Oui, osons le dire haut et fort
: Peuple, je t'aime ! Plus que jamais, aujourd'hui, faire la politique, c'est
être capable d'aimer, aimer ce peuple humble, avec ses petitesses et ses
grandeurs, ses seigneurs et ses petites frappes, et surtout tous ses pauvres
hères ; qui est donc préservé des turpitudes de la nature humaine, des aléas de
la vie ?
Il est une force prodigieuse
dans l'amour dont seul un politique véritable sait user à bon escient sans
afféterie et sans mensonges, car le peuple est aujourd'hui le roi qui s'affiche
après avoir été longtemps le clandestin roi.
L'atmosphère de nos temps
postmodernes, notre ère des foules et des sens débridés, est à la culture des
sentiments, à loi des frères, une loi horizontale n'ayant plus rien de
surplombant, le père ou le Dieu tutélaire étant le frère égal en tout, chéri et
aimé avant d'être craint et adoré. C'est un temps des affects, de la culture du
meilleur de ce que l'être humain peut offrir de lui-même, ses nobles sentiments
d'amitié et de fraternité, cet amour infini qui augmente l'âme.
Par un esprit qui travaille
en empathie totale avec le peuple, comme le ferait un somnambule aux mains d'un
magnétiseur expert, pratiquant son art dans son acception originelle et loin de
tout charlatanisme, le politique postmoderne est en mesure d'accéder à des
modes de perception sensoriels et extrasensoriels fabuleux, aboutissant aux
sens et au sensorium en tout être humain formant sa société, et à l'âme même du
peuple.
Il n'est plus question alors
de nommer les faits et les phénomènes, ceux-ci n'ayant que les noms que nous
leur donnons, et ce sont ces noms qui font la réalité en s'y substituant, au
point de la défaire de tout réel véritable. Car si nommer un fait, c'est lui
donner une réalité, y croire, c'est faire advenir cette réalité en créant
mentalement la cause génératrice de l'effet inéluctable.
Et il ne sera plus question
de prévoir, mais d'apprendre à présavoir, ou encore mieux à pressentir; ce qui
revient à sentir d'avance, pressentir ce qui préoccupe le peuple, ce qui doit
fatalement arriver.
Il s'agit donc, comme Farhat
Hached nous en a donné le plus bel exemple, d'une symbiose totale et profonde
entre le politique et le peuple qu'il est censé représenter à travers cette
action aussi bien explicite qu'implicite, quasi magnétique ou même mystique,
pour l'amener à être autonome, être lui-même.
C'est d'une sorte de
suggestion de la liberté qu'il est question, l'action du politique devant se
résoudre en tout ou en partie à ce que le peuple y lise constamment une invitation
à la liberté et une exhortation à l'autonomie, ces valeurs cardinales de
l'inconscient tunisien, avec la dignité.
Le politique doit résumer
dans son action et concrétiser de la façon la plus éloquente la force des
idées; car se croire libre, c'est mobiliser la capacité mentale pour le
devenir. C'est que la liberté n'est pas une représentation, un concept; elle
est bien une force. Et quel slogan plus mobilisateur, plus fort que cet hymne
d'amour de toute éternité de l'enfant de Kerkennah aujourd'hui en colère :
Peuple, je t'aime ?
Non, le moment historique
que nous vivons n'est plus à singer une pratique politicarde venant
d'outre-Méditerranée et qui a fait banqueroute ni une idéologie étrangère à
cette terre prétendant prendre source au ciel et qui ne fait que ternir la
splendeur céleste !
Le temps est venu de
s'ouvrir aux réalités de ce peuple dont l'âme est riche de merveilles attestées,
faites de talent, d'ingéniosité et d'originalité. Il est temps de déclarer la
Tunisie terre d'amour et de fraternité et de faire la politique comme on fait
l'amour, non de décrier ce sentiment essentiel faisant l'humanité.
Que les plus pudibonds de
notre élite politique sachent que dans l'homme, il y a d'abord de l'humus, et
que le spirituel ne s'incarne véritablement que dans le matériel ! Qu'ils
sachent que toute sublimation des valeurs, si elle n'est pas libre, venant
d'une assomption de ce qui est de plus trivial en l'homme, est une porte
ouverte au retour du refoulé, au dramatique passage de l'animalité à la
bestialité.
L'honneur du politique tunisien
aujourd'hui est d'aider à ce que sur cette terre de tolérance et d'ouverture un
esprit politique nouveau souffle enfin, esprit paraclétique, humainement universel
et spirituellement œcuménique pour l'épiphanie chez ce peuple paisible d'une
façon postmoderne de faire la politique et de vivre la religion.
Il est temps de passer en ce
pays d'une croyance dogmatique à une foi rationaliste, véritablement islamiste,
conforme à l'esprit d'une religion révolutionnaire, qui a été moderne à son
avènement et qui ne peut qu'être postmoderne aujourd'hui, toujours en avance
sur son temps.
Le politique de l'année
troisième de la Révolution tunisienne doit donc être doté d'une vue qui n'en
est pas une, étant plutôt une perception éthique, un sens infaillible de la
vérité, une vision somnambulique ou magnétique de la réalité échappant à nos
sens communs.
Assurément, comme avec la
transe populaire ou soufie, ce rapport empathique aura des vertus de cure
magnétique où le peuple trouvera son équilibre physique et psychique, surtout
moral, car son élite sera à son écoute, traduisant dans le concret le tréfonds
de son âme tout en respectant sa volonté. Ne prenant plus barre sur elle, le
politique offrira ainsi cet appoint de pouvoir formel ou institué à la
puissance populaire, informelle mais instituante, afin que le peuple en fasse
usage pour sa propre émancipation dans les meilleures conditions.
Loin de les conditionner à
force de slogans ineptes qui n'ont plus la force mobilisatrice d'antan, pareil
politicien magnétique conduira ainsi ses administrés à l'expérience authentique
de prise de conscience qui fait réellement leur être pour se constituer enfin en
sujets libres dans une quête réussie de leur autonomie, leur dignité.
Aujourd'hui, à l'orée de
l'an III du magistral Coup du peuple tunisien, il est encore temps pour notre
élite d'avoir la conscience théorique de la fatalité de ce que j'avance sur la
transfiguration nécessaire de sa pratique politique. Il est toujours possible
pour que l'on passe enfin du chantier actuel, cet espace de tâtonnement et de
découverte, à l'étape décisive de la théorisation de l'expérience tunisienne avec
la clarté nécessaire afin d'en faire le modèle politique incontournable offert
aux générations futures.
Et ce sera à la fois une
somme philosophique, psychologique et pratique dont la Tunisie fera le présent
au monde entier comme la conception nouvelle de l'humain postmoderne, un
posthumain moins matériel et plus spirituel.
C'est à quoi l'expérience
politique en cours actuellement en Tunisie est idéalement appropriée. C'est le
second souffle à lui donner, ne reniant rien de ses principes originaires, mais
n'insultant point un avenir qu'il appartient au peuple de Farhat de tracer sur
la conscience du monde, reprenant son cri du cœur à l'intention du monde entier
appelé à la solidarité véritable et à l'œcuménisme sans arrière-pensées : Je
t'aime, ô humanité !
C'est le message révolutionnaire
au monde de notre Tunisie du Coup du peuple à la veille de la troisième année
de son épopée postmoderne. Pourvu que sa classe politique sache troquer la
haine pour l'amour et suivre l'exemple de l'amant du peuple, le grand Farhat,
criant au peuple : Je t'aime !
Publié sur Nawaat