Décidément,
on aura tout vu à l'Assemblée Constituante ! Parmi les frasques de ces députés
élus par un pays souffre et ne demande à ses représentants que de le servir en
dotant au plus vite le pays d'une constitution à la hauteur de l'intelligence
de son peuple, on a vu certains s'offrant un pèlerinage et d'autres des
vacances au plus mauvais moment qui soit, comme si le peuple les avait choisis
et les paye grassement pour mener à ses frais la belle vie !
Et
voici d'autres qui, non seulement violent la confiance placée en eux et dans le
parti sur la liste duquel ils ont été élus en le quittant, mais en changent
carrément, allant jusqu'à oser prétendre vouloir représenter un parti qui ne
s'est même pas présenté à l'élection! C'est le comble du dévergondage
politique, pour ne pas dire autre chose. Car pareil tourisme politique
s'assimile à du tourisme sexuel, désormais réprimé de par le monde civilisé.
Je
n'ai rien contre le talentueux Béji Caïd Essebsi, puisque la dernière
pantalonnade ayant lieu à l'Assemblée Constituante concerne son parti; mais je
trouve que ce qui se fait en son nom est une honte pour la démocratie.
Certes,
BCE et ses partisans peuvent toujours arguer n'agir que pour l'intérêt de cette
démocratie que d'autres violent; le hic est que ceux qu'ils traitent (et
peut-être à raison) d'ennemis de la démocratie ont été légalement élus et ont, jusqu'à
preuve du contraire, la légitimité pour eux, et ce malgré tout ce qu'on peut
penser de leur action, de leur idéologie ou de leur politique actuelle.
De
plus, peut-on agir au nom de la démocratie en la violant? Car, oser créer un
groupe parlementaire aux couleurs d'un parti qui ne s'est pas présenté à
l'élection revient tout simplement à un pronunciamiento juridique.
Sans
avoir à discuter de la question de savoir si, moralement, le parti Nida Tounes
a le droit de se présenter aux élections, du fait de son étroite liaison avec
le parti RCD déchu, il est indubitable que n'ayant pas été présent lors de
celles du 23 octobre 2011, il ne peut qu'attendre les suivantes pour s'y
présenter. C'est non seulement la légalité qui le commande, mais aussi et
surtout la morale politique. Or, sans morale, il n'est nulle politique
légitime.
Légalement,
certes, le nomadisme électoral, qui consiste à changer d'allégeance partisane
en cours de mandat, n'est pas inconnu des démocraties et l'attitude diffère à
son égard selon les pays, allant de l'interdiction pure et simple à la
tolérance eu égard à son insignifiance.
Je
ne m'étendrai pas ici sur l'expérience des uns et des autres, car ce qui
m'intéresse est ce qui se passe en notre pays hic et nunc.
Il
n'en reste pas moins qu'au-delà des diverses expériences de par le monde, un
jugement revient comme un leitmotiv : l'aspect immoral de pareille transhumance
et la violation avérée d'un contrat moral, notamment quand il s'agit d'une
élection au scrutin de liste comme cela a eu lieu chez nous.
C'est
que pareil scrutin ne donne aucune autonomie ni prééminence à la personnalité
de l'aspirant député sur celle du parti au nom duquel il se présente. Aussi, si
le député faillit à assumer son devoir à représenter ses électeurs en tant que
membre d'une liste d'un parti il doit céder sa place à son suppléant et, à
défaut, ouvrir la voie à une nouvelle élection. En tout cas, il n'est plus
apte, au moins moralement, à représenter ceux qui l'ont élu sans qu'ils aient
eu à lui renouveler leur confiance.
C'est
ce que commande la morale politique, mais aussi la légalité observée au pied de
la lettre.
Dans
notre système électoral, toute démission du parti sur la liste duquel on a été
élu suppose, dans un premier temps, le remplacement ipso facto du député élu
par son suppléant et, dans un second temps, une nouvelle élection (dans le cas
du député solidaire du choix du titulaire du mandat, par exemple).
Et
il est important de noter qu'il s'agit ici des députés élus de partis ayant
participé à l'élection qui a eu effectivement lieu. Aussi, il va de soi que la
défection du député d'un parti pour opter pour un autre qui n'a pas participé à
cette élection est non seulement une aberration juridique, mais bien plus, un
coup de force légal. Car il ne
s'agit en l'occurrence que de se substituer au peuple et de lui imposer un choix
partisan le dotant d'élus sans avoir été consulté.
Comment
continuer dans ce cas de parler de souveraineté nationale? A qui appartient le
pouvoir de désignation à l'Assemblée constituante : au peuple ou aux officines
partisanes?
Pour
être exhaustif et en réponse à l'avance à certaines voix offusquées qui ne
manqueront pas de se lever ici et là pour contester ce qui précède, ajoutons
que si le phénomène dénoncé ici comme une forfaiture à la démocratie est toléré
dans certaines démocraties, c'est qu'il demeure limité à certains cas
d'exception et n'emporte pas de conséquences majeures sur la vie même de la
démocratie. Aussi, dans les pays qui admettent pareille pratique de certains
députés isolés, cela se fait au nom de la liberté de conscience du parlementaire
considéré comme représentant avant toute la Nation.
Or,
quand pareil phénomène n'est plus si isolé que cela, devenant un phénomène de
groupe, comme on le voit chez nous, il est bien moins facilement admis dans les
démocraties eu égard à ses effets déstabilisants pour la démocratie même sans
parler de la violation de son esprit et l'éthique qu'elle impose comme
déontologie à tout politique..
Dans
ces pays, et à juste titre, on considère que les députés en rupture avec leur
parti d'origine qui leur a valu l'élection, s'étant présentés sous ses
couleurs, défendant ses principes et son programme, rompent tout simplement le
« contrat moral » qui les lie aux citoyens en renient leurs présumées
convictions telles que manifestées lors de l'élection.
Il
s'agit ici, sinon de trahison, du moins de cynisme politique, même si pareils
députés peuvent toujours arguer qu'ils ne font que défendre leurs vraies
convictions. Or, le député ne fait qu'incarner les convictions du parti et
c'est celui-ci qui les détermine et en assure la nature et l'authenticité. En
cas de conflit, l'honneur commande qu'il démissionne du parti et lui rende le
mandat obtenu en son nom. Rien de moins; tout autre comportement relève, au
mieux, de l'opportunisme politique.
Aujourd'hui,
face à la donne politique qui se profile, il est légitime que l'Assemblée
Constituante mette le holà à pareille stratégie du fait accompli dont veulent
user certains députés aventuriers, jouant aux condottieri d'une dictature
revenant au galop en se jouant de notre démocratie naissante,
Il
est urgent qu'une séance plénière de l'Assemblée Constituante statue toutes
affaires cessantes sur les questions suivantes, qui sont autant juridiques que
politiques et éthiques; il y va de l'honneur de la démocratie en Tunisie :
—
La "possession" du mandat : Qui, du parti ou du député, conserve le
siège du député nomade ? Doit-on faire remplacer le député touriste par
son suppléant ?
—
La déchéance du mandat : Doit-on considérer le député nomade comme ayant perdu
son siège devenu ainsi vacant et, en l'absence de remplacement par son
suppléant, tenir une élection partielle pour combler le siège ? Et dans la
situation actuelle au pays, comment y procéder en l'absence d'instance adéquate
et eu égard aux autres priorités du pays?
— Le recours à une mesure exceptionnelle
: avec la confirmation du rejet du principe de libre mandat du député, doit-on
instituer provisoirement une règle du retour au statu quo ante et ce en sommant
les députés nomades de retrouver leurs partis faute de quoi ils s'excluent
d'eux-mêmes de l'Assemblé Constituante, mais sans ouverture d'élections
partielles dans l'immédiat eu égard aux circonstances exceptionnelles que vit
le pays?
Autant
de questions qui se posent urgemment à l'Assemblée constituante. Y répondre au
plus vite, c'est arrêter la gangrène dont on voit pointer les prémices et qui
est encore bien plus grave que ce qu'on peut voir de similaire dans les dérives
obscurantistes chez les plus zélés de nos élus au nom d'un islam intégriste incompatible
avec les principes de tolérance si vivaces en notre Tunisie. Car, d'un côté, il
s'agit d'une dérive issue des urnes, donc légale et, dans l'autre, d'une dérive
illégale. Or, la légalité se contre légalement dans un État de droit tandis que
l'illégalité une fois installée c'est le requiem pour l'État de droit.
Publié sur Nawaat