Ab initio[1]
Je
commencerais cette réflexion en invitant à lire ce que dit l'un des
neurobiologistes les plus connus au monde, Jean-Didier Vincent, membre de
l'Académie des sciences et de l'Académie de médecine, auteur de « Bienvenue en
Transhumanie. Sur l'homme de demain »[2]
: « La croyance est une fatalité du cerveau qui fait qu'on est attaché à des
objets ou à des situations qui n'existent pas. La foi est, au contraire, un
acte totalement rationnel qui résulte d'une quête d'amour, la seule vérité qui
compte. »[3]
Et je dois dire de suite que cette foi est, pour moi, une lumière qui est en
nous, une nitescence illuminant chaque parcelle de ce pays, êtres vivants et
non vivants.
Je tente
ici, en effet, une réflexion prospective sur la société tunisienne, une sorte
de philosophie du social en forme d'investigation tout à la fois de la surface
de la peau sociale que de sa centralité souterraine, autorisant
d'atteindre cette nappe phréatique qui irrigue l'imaginaire social et
politique, de vérifier si elle n'est pas tarie, agissant le cas échéant, sinon
en sourcier sociétal, du moins pour faire sens eu égard à la complexité du
social naguère spécifiée par Edgar Morin dans sa grande œuvre qu'est la « Méthode ».[4]
Car il est
fréquent aux observateurs du fait social ou sociétal de faire l'erreur de
continuer à braquer le regard sur ce qui se passe au sommet de la structure
sociale, comme si l'État était encore le centre du pouvoir. Ce faisant, ils
oublient que nous désormais dans une situation originale où la puissance
populaire, ce véritable pouvoir instituant, a pris le dessus sur le pouvoir
institué, surplombant. Ainsi commettons-nous souvent l'erreur de nous arrêter à
l'état où en sont actuellement des choses et qui est en plein mouvement
pourtant, omettant du coup d'en suivre la trajectoire. En cela, il ne s'agit
pas nécessairement d'en anticiper un quelconque aboutissement, mais bien mieux
d'en remonter la source afin de mieux comprendre la chute.
Allant
relativement vite à l'essentiel, évacuant du coup l'écume des apparences tout
en collant à l'actualité, nous commencerons par dire que nous ne jugeons
nullement dans ce qui suivra l'action des acteurs politiques majeurs, notamment
le plus en vue sur la scène. Si nous ne manquons pas d'émettre une appréciation
sur le creux d'une stratégie, c'est juste dans le cadre de cette nécessaire
articulation du dire sur l'armature de la société telle qu'elle est lue par
ceux qui sont censés en tisser la trame, vérifiant la correspondance de
celle-ci à la chaîne faisant aussi le tissu social.
In concreto[5]
S'agissant
des tenants d'un islam traditionnel au pouvoir en notre pays, nous estimons que
pour réussir leur entrée en politique, ils ont su user d'une méthode imparable,
mais sans nécessairement faire produire à leur thématique potentiellement
porteuse ses meilleurs fruits.
À raison,
ils ont tablé sur la fin du règne de la Modernité d'un Occident fatigué et
malade, malmené par une ère nouvelle qu'est la postmodernité. C'est que l'économie
de soi et l'économie du monde ont changé; le libre arbitre introduit par la Réforme
en Occident, Descartes et son ego cogitant, le sujet autonome des Lumières,
tout cela est bel et bien fini ! Ainsi, « l’axis
mundi » en cette postmodernité, après être passé des Dieux, transcendants
et immanents, à l'individu seul dieu reconnu omnipotent, est revenu au Dieu tutélaire
autour duquel tout s’articule de nouveau.
Partant
ainsi d'un constat parfaitement juste, ils se sont toutefois leurrés dans la
tactique, croyant pouvoir réaliser en Tunisie, à la faveur du retour en force
de l'irrationnel, le revif d'un islam cultuel. Or, une telle démarche relève de
l'aporie, l'islam présenté comme moderne selon les catégories occidentales
habituelles, se révélant être ipso facto rigoriste. En effet, dans une telle
option de retour en arrière, aussi bien dans la déclinaison orientale
qu'occidentale de notre religion, on se retrouve fatalement par-devers un
rigorisme momifié ou une modernité agonisante.
En un mot,
les islamistes dits modérés n'ont pas saisi les implications de leur stratégie.
Si, à bon droit, ils ont cherché à classer la religion dont ils sont les hérauts
hors de la rationalité classique qui n'est donc plus non rationnelle mais est
bien rationnelle autrement selon les canons de la postmodernité, ils ont oublié
qu'ils ne pouvaient le faire qu'avec un islam non cultuel, mais culturel, une
religion de son temps et donc forcément un islam postmoderne.
À défaut,
cela revenait à singer l'Occident si décrié, et ce tout pareillement à leurs
adversaires politiques laïcistes, même si cela prenait en apparence une forme
différente.
Verbi gratia[6]
Prenons
d'ores et déjà un premier exemple éclairant, mais nous ne manquerons d'en
retrouver plus d'un plus loin. On sait parfaitement que du social occidental de
la Modernité s'est élaborée une solidarité qu'on a qualifiée d'abstraite et de
mécanique et dont la conséquence la plus évidente a été la destruction de la
solidarité organique prémoderne d'un être-ensemble,
un vouloir-vivre communautaire.
Or, la même
chose est en train d'émerger du côté arabe musulman avec, juste en prime, une
forte connotation politique du fait de la spécificité de la religion musulmane,
à la fois religion et politique. On voit ainsi, spécialement en Tunisie, une
solidarité croyante, nécessairement « excluante
», se substituer à une solidarité organique ouverte et forte d'un désir d'être-ensemble, ce vouloir vivre bien communautaire,
au sens d'une communauté élargie à l'autre.
En effet,
dans la communauté musulmane d'origine, l'autre est toujours bienvenu par
principe, car il s'agit d'une communauté islamique fondamentalement ouverte à
l'altérité; et c'est pourquoi, pour ma part, j'utilise le néologisme de « communautarité
» pour la qualifier.
De fait,
si les mythes de la Modernité sont fatigués, particulièrement dans l'absolue
infaillibilité de la technologie et de la science et le caractère prométhéen de
la destinée humaine, les mythes islamiques ne le sont pas moins. Ici, il s'agit
spécialement des rites de la foi cultuelle et de la communauté comme ethnie;
car la foi chez le musulman lambda est davantage une culture qu'un culte.
Et on le vérifie
avec ce mois du jeûne qui reste toujours, chez le peuple, un prétexte à la fête,
quasiment orgiaque et bien loin de ce moment de piété classique que l'on croit
ou qu'on veut croire et accréditer. Au vrai, les deux s'entremêlent en un mixte
que résume la postmodernité actuelle où le divin est social et le social est
divin à sa manière.[7]
Quid[8]
Aussi, d'un
pur point de vue sociologique, il est tout à fait possible d'affirmer que si
l'islam dure à nos jours tout en demeurant vivace dans les coeurs, c'est plus
probablement du fait de sa dimension de culture que de culte ou, à tout le
moins, de culte souple, s'adaptant à des formes culturelles diverses. Ce que
confirme à merveille la conception de la communauté, certes constamment arabe,
mais jamais au sens ethnique. Ne suffit-il pas de parler la langue du Coran
pour être immédiatement intégré à la communauté?
Puis,
est-il besoin de rappeler la facilité de la conversion à l'islam, qui reste la
religion la plus ouverte à autrui, surtout lorsqu'on voit les obstacles pour
une conversion au christianisme et surtout au judaïsme. C'est ce qui justifie
le néologisme ci-dessus cité comme substitut au terme restrictif de communauté
arabe ou islamique, impliquant une ouverture certaine et imparable à l'altérité.
Cette
particularité islamique peut se révéler un atout majeur dans le cadre de notre
monde nouveau. C'est une époque où toute notre chronologie est à réinventer
pour la remettre à l'endroit au moment où les réalités humaines ne sont plus réduites
à l'ère chrétienne ou à la centralité de l'Europe. Ce moment est comparable à
l'antique « Kairos »[9],
cette opportunité qui fait déborder le vase plein de vieilleries.
Aussi
a-t-on besoin d'une sorte d'élimination culturelle intérieure, comme dirait
Olivier Roy, et de passer de la logique communautariste prévalant actuellement
(envers et contre la vraie conception) à une logique communalisante qui
ne ferait que ramener aux sources. Et nos islamistes se doivent donc de faire
l'apprentissage de la communalisation, de la mise en commun de l'héritage
auquel ils s'attachent et qu'ils croient être les seuls à défendre. Car, outre
le fait que cela ramène à l'islam des
origines, il urge de concrétiser pareille oeuvre, le besoin de vivre
autrement le temps étant si prégnant et bien généralisé.
C'est qu'à
la faveur de la postmodernité, le monde est passé d'un temps cosmique, où
l'ordre comptait seul en la forme d'un pouvoir institué et surplombant, à un
temps océanique où tout est fluctuant et mouvant comme les vagues de l'océan et
où il est plutôt question de puissance instituante, immanente, diffuse
dans les strates sociales ou sociétales, que d'un pouvoir transcendant, y
compris divin.
La stase
postmoderne actuelle vécue en Tunisie est un moment présentéiste, centré
sur l'actuel et le quotidien, se moquant du futur, profondément océanique.[10]
Cela implique que si l'on n'est plus nécessairement dans la mobilité
religieuse, on n'est pas non plus dans celui de la fixité de la croyance, mais à
un stade original, celui de la religion de la mobilité.
Et cela
est conforme au dogme de toute religion, islamique surtout, qui est et demeure
sa mobilité. Autrement dit, c'est la nécessité pour le croyant de faire des expériences
en vue de trouver, différemment de ses ancêtres et par des voies multiples, une
même vérité. Ce qui implique, au regard de notre religion dans son acception habituelle,
la mobilisation d'une énergie soutenue et sincère afin de justifier le
renouvellement de la pensée en activant le propre dynamisme de l'islam manifesté
par le recours à l'esprit insigne des textes. Arme éminente s'il en est
aujourd'hui, elle n'a d'ailleurs pas échappé aux plus perspicaces des
jurisconsultes classiques.
Quis[11]
Il s'agit
donc d'une autre manière, plus réactionnelle et plus émotionnelle, de se saisir
de la thématique religieuse et d'en parler au peuple. En cela, c'est bel et
bien une véritable bataille sur les postures dont il est question. Car, s'il ne
peut y avoir qu'une seule scène, la même toujours : le palais du Bardo ou de La
Casbah, pour cela et pour ce qui nous concerne, le scénario reste toujours
original et à définir, car jamais écrit d'avance, son encre étant les veines et
les artères du peuple.
Disons
ici, de suite, que pour la réussite de ce nécessaire défi — si le parti
islamiste tunisien au pouvoir souhaite sincèrement l'engager —, l'atout maître
pour lui est manifesté par le fait qu'il n'est pas solitaire sur la scène
politique mondiale, puisqu'il existe un islamisme en Turquie ayant une expérience
de gouvernement qui a fait, de plus, ses preuves. Un autre atout à son actif
est représenté par cette tendance, favorisée par la postmodernité, pour une
sorte de « New-Agisation » de l'islam, y compris auprès de ses franges les plus
traditionalistes, pour peu que le discours tenu à leur intention soit à leurs
yeux en cohérence avec leur imaginaire.[12]
Certes,
cela n'occultera nullement le fait que la grosse difficulté pour nos islamistes
au pouvoir demeurera la problématique du contrôle de l'interprétation des règles
religieuses. Mais ils garderont entières leurs chances d'y réussir s'ils
arrivent à se souvenir de deux choses capitales :
Primo, que
le pouvoir est un imaginaire institué fait de désirs, et que le pouvoir en
place est en mesure d'instituer son propre désir et d'en faire la base de sa légitimité,
comme l'assurait Castoriadis, en la faisant partager au plus grand nombre.
Secundo,
qu'il est interdit au pouvoir institué d'aller trop loin dans la gestion de son
propre désir en s'éloignant notamment du réel désir populaire, car alors il y a
forcément cassure et triomphe fatalement la puissance du véritable pouvoir instituant
qui demeure à jamais le peuple.
Urbi[13]
Or, le désir,
en Tunisie, est aux couleurs de la liberté, s'y modulant selon les différentes
strates des générations. Et l'on peut trouver des convergences dans ses différentes
déclinaisons à la condition de ne pas trop verser dans le manichéisme, et
surtout ne point s'arrêter à ces mots-valises sans aucun sens absolu, tels ceux
qui sont à la mode actuellement : salafisme, islamisme et charia, d'une part,
laïcité, sécularité et modernité, d'autre part.
En Tunisie
d'avant le Coup du peuple, tel désir brillait en une clarté au fond de chaque
Tunisien. Il s'agit d'une lumière qui lui a toujours appartenu et qu'on ne
croyait plus brûler en lui. Et c'est quand on l'a pensée définitivement éteinte
qu'elle a ressurgi de sous les cendres, illuminant un désir d'émancipation qui
a irradié les écrans des ordinateurs. Puis, se propageant partout grâce à cette
vitrine des nouvelles images du désir qu'est Internet, elle constitue
aujourd'hui la nouvelle structure des désirs en notre pays.
C'est que
la Tunisie relève aussi de cette ère de « l’universel concret » de la philosophie hégélienne
que nous vivons dans le monde au travers de la communication en réseaux,
humains mais surtout virtuels, notamment par le biais du réseau des réseaux.
De fait,
ce dernier a correspondu à un impératif de connectivité prégnant dans la société,
auprès de la jeunesse surtout, assurant une totale fluidité des désirs et des
fantasmes. Toutefois, soyons ici attentifs au fait parlant qui suit : si la
dimension essentielle des réseaux sociaux, consistant à se raconter, véhiculer
des récits, remplit aujourd'hui une fonction essentielle dans les sociétés
postmodernes, elle rejoint en Tunisie une réalité qui a toujours été inhérente à
la société. C'est cette caractéristique, aspect traditionnel des moeurs, de se
raconter une histoire, raconter son histoire dans un exercice où, comme le dit
Ricoeur, on devient soi-même un autre.
Ce qui
s'est passé et ce qui se passe toujours chez nous, c'est que ce désir est allé
grandissant grâce à l'internet, tout comme il était activement cultivé sur le
terrain par le travail intensif des islamistes contribuant, à leur manière, à
la transformation des désirs. Et, rappelons-le, cela a eu lieu au moment où
l'Europe choisissait la mauvaise option de financer les dictatures, alimentant
la répulsion des masses. Aussi, de la combinaison de pareil double travail
s'est petit à petit mis en place un système de désirs qui a fini par devenir un
système d'actions. Ainsi, c'est tout à fait logiquement qu'on a vu, presque
simultanément, Internet triompher dans les rues et auprès des larges strates de
la société et le parti EnNahdha gagner le coeur des larges masses aux premières
élections libres du pays.
Orbi[14]
Ce qui
s'est passé en Tunisie n'a fait qu'annoncer ce qui a désormais lieu de par le
monde où l'on assiste aussi à la transformation des désirs au point que l'on
peut assurer sans se tromper que là ou d'aucuns croient voir un choc des
cultures, il n'y a, en fait, qu'un choc des générations et un clash de leurs désirs
opposés.
Pour
l'Europe qui nous intéresse plus particulièrement, il y a lieu de rappeler que
ses peurs de l'islam ne font que la ramener à ses propres peurs, orpheline
qu'elle était devenue d'un européanisme défunt dont elle n'est pas arrivée à
faire le deuil. Il est évident, en effet, que l'Europe n'est plus le
psychanalyste mondialisé depuis les années 2000 et que son entrée dans le
troisième millénaire s'est accompagnée d'une peur de soi, la peur de sa propre ombre.
Et c'est l'islamisme qui est aujourd'hui, à tort, l'ombre de l'européanisme.
Nonobstant,
au-delà de ses peurs propres, l'Europe et le monde entier sont unis par une
appartenance à une même ère emportant une nouvelle et identique philosophie.
Aujourd'hui, quel que soit le pays auquel on appartient, que l'on soit donc
d'Occident ou d'Orient, en Europe ou en Tunisie, on est désormais à
des années-lumière de la philosophie des Lumières et de sa performativité
prométhéenne.
Le monde
entier est désormais bien plus proche d'un savoir qui est enraciné dans la
terre, chtonien, renouant avec cette « âme de la brousse », selon l'expression de C. G. Jung, ou encore cette « grammaire fauve » de la pensée espagnole qui,
soit dit en passant, n'est pas si loin de la manière de penser tunisienne
originale si on la toilette du résidu de ce je qualifierais de pensée
protectorale.
Il s'agit
donc d'une réalité universelle nouvelle dont on peut saisir et toucher l'esprit
naturel chez nous, en notre pays, par une raison sensible, une connaissance
ordinaire, tout ce qui est de nature à rappeler que la théorie a étymologiquement
une essence contemplative, faisant l'éloge de ce qui est et non de ce
qui doit être. Or, ce qui est, sur le sol de Tunisie, est une lumière
aveuglante dans nos rues, mais invisible dans les châteaux et les salons de la
République, y étant tenue sous le boisseau, châtelains et salonnards lui préférant
l'éclat artificiel des dorures et des lambris.
Sensu stricto[15]
Telle lumière
est notamment dans cette sagesse populaire pouvant se révéler démoniaque et qui
a l'avantage de mettre l'accent sur l'entièreté de l'être dont les humeurs —
toutes les humeurs avec leurs diverses sécrétions — font l'équilibre du corps
humain, assurant son bon fonctionnement. Or, celles-ci s'appliquent mutatis
mutandis au corps social dont elles sont une force inouïe permettant aux
masses populaires de résister à l'aspect totalitaire et unidimensionnel de
cette « Volonté de savoir » bien décrite par Michel Foucault.[16]
Elle
manifeste chez les dirigeants une tension, comme un projet récurrent, vers une
société parfaite où l'homme serait accompli en totalité et ce pour évacuer la
part d'ombre qui le travaille, niant cette réalité tout en ne faisant que
travailler ainsi, trop pris par leur peur d'elle, au retour du refoulé. Alors
que la vieille sagesse populaire a toujours su qu'il vaut mieux composer avec
cette ombre en nos entrailles, parallèle obligé à notre part de lumière, plutôt
que de la dénier; ne pas la fuir, mais passer au travers.[17]
Chez notre
peuple, une telle résistance à cette constante chez les élites dirigeantes, est
dans sa Volonté de vivre, si bien repérée et magnifiée par le chantre de
son âme éternelle, et qui est de nature à contrarier toute entreprise
d'embrigadement cherchant à réaliser la parousie d'une quelconque autre divinité
que la sienne, évacuant ce qui fait la nature même de l'humain, cet humus, sa
part obscure. Car tout doit être accepté de la nature, surtout de la nature
humaine; et à trop vouloir éduquer cette nature, l'émasculer au nom de faux préceptes
sacrés, on n'aboutit qu'à son saccage; et en sus, au dérèglement des
consciences.
C'est ce
que ne semble pas comprendre parfaitement le parti islamiste au pouvoir dans sa
recherche effrénée à islamiser à ses vues une société parfaitement islamique au
sens postmoderne.
Mais
disons à sa décharge que ses adversaires laïcs ne comprennent pas mieux le véritable
état des choses. Ils ne réalisent pas qu'ils ne peuvent opposer à une prétention
religieuse d'embrigadement de la société — erronée certes, mais ayant pour elle
l'avantage d'être domestique — une autre prétention aussi religieuse dans sa
radicalité, ayant en plus le désavantage de l'extranéité.
Sensu lato[18]
Car se réclamer
de la pensée d'un Occident, en crise qui plus est, que ce soit celle de Saint
Paul ou de Saint Augustin, des philosophies des Lumières ou des théorisations hégélian-marxistes,
ce n'est rien de moins que reproduire la tradition judéo-chrétienne à la base
de cet universalisme, qui a cherché à imposer avec outrance sa vision du bien
pour une société parfaite devant être la Cité de Dieu.
Pour ce
faire, cet Occident qui avait tout bon dans ses origines orientales, a été amené
à les répudier pour une coïncidentia oppositorum[19] aboutissant
à une Docte Ignorance tel que démontré magistralement par Nicolas de
Cuse[20]
avant de finir par devoir renouer avec la sagesse des origines en un retour
remarqué à ce que S. Lupasco et de G. Durand formulent comme étant le contradictoriel.
Or celui-ci n'est que la coexistence des contraires et leur complémentarité; ce
que nous connaissons si bien dans notre tradition arabe musulmane; tellement
bien que cela relève même de la banalité, comme ces mots uniques aux sens opposés.
Il faut dire que, chez nous, et on le redécouvre
désormais en Occident, la sagesse populaire est incorporée; elle est bien plus
vécue que pensée et donc relativiste, étant en étroite relation avec les éléments
de la nature humaine, réalisant la plus parfaite des symbioses entre ses composantes,
les plus nobles et les plus basses, des plus disciplinées aux plus sauvages.
Car, ainsi que l'assure le logicien P. Feyerabend, tout est bon dans la nature,
même le mal, même le dysfonctionnement, même le contradictoire ou contradictoriel
!
Sui generis[21]
La
rationalité axiologique en ce siècle nouveau suppose un syllogisme pratique
s'appuyant sur des prémisses solides. L'époque actuelle étant celle de la
postmodernité et l'islam étant une religion de son temps, l'islam est donc forcément
postmoderne. Voici le syllogisme religieux de la postmodernité.
Et le
politique vrai en Tunisie (compréhensif,
selon ma terminologie) est celui qui en tient compte, particulièrement s'il a
pour but d'agir au nom de ses convictions islamiques. Mais au-delà de cette spécificité,
il lui faut d'abord être ce vrai politique postmoderne dont le bureau est la
rue et qui ne se coupe pas du peuple, ses éléments les plus humbles surtout qui
expriment au vrai l'âme de la société. Il doit vivre parmi eux, ne mettant même
pas de porte à son logement suivant la recommandation du meilleur politique que
fut en la matière le calife Omar, ce qui revient aujourd'hui à se passer de
portier.
C'est en
cela qu'il sera fidèle à l'esprit et à la pratique de nos ancêtres, salafis
comme on dit; mais alors salafis au sens d'un retour à la vérité, donc au sens
du soufisme originel qui a su honorer l'âme de l'islam bien plus que sa forme,
et qui est véritablement le salafisme authentique. Nous y reviendrons infra.
Ce
politique compréhensif ou postmoderne
ne doit surtout pas oublier que le régime de la postmodernité se fait sous
l'ombre de Dionysos et d'Éros, dieux mythologiques certes, mais qui ne sont pas
si loin des moeurs arabes.
Rappelons,
au risque de surprendre, que les Arabes ont découvert avec émerveillement la
culture grecque, l'ayant trouvée cadrant parfaitement avec leur esprit
libertaire et festif; et avant de la transmettre à l'Occident, ils l'ont non
seulement épiphanisée, mais enrichi aussi. Il suffit d'observer, pour se
convaincre de l'érotisme social et du dionysisme populaire, les rues des
villes arabes musulmanes un soir de ramadan ou de fêtes religieuses, sans
parler des manifestations populaires à connotation soufie ou maraboutique.
Une sorte
d'orgiasme sociologique parcourt les sociétés arabes sous l'apparence
d'orthodoxie morale laquelle, paradoxalement, ne se maintient que grâce à ce
socle informel libertaire. Il s'agit là assurément d'un aspect érotique bien
patent quoique jouant de la transparence comme on jouerait de la séduction,
voilant et dévoilant ses charmes selon l'intensité et l'occurrence du désir.
Et la
morale religieuse en tout cela ne joue que la limite objective que l'on se
trace moins pour la respecter nécessairement que pour la satisfaction
psychologique et l'utilité pratique de son existence plus formelle que réelle.
Tout cela
participe de la lumière animant le corps populaire en Tunisie faite de cette
structure holistique originale qu'est le Tunisien, qui est une clarté bigarrée
de rayons; ce côté festif, orgiaque presque, n'étant que l'un d'eux, mettant en
relief un aspect précis de ses traits psychologiques, peut-être les moins avoués
bien qu'il soit si évident dans le comportement de tous les jours.
D'autres
rayons de lumière sont dans ces instruments variés utilisés par ce Tunisien qui
ne se conçoit que comme un individu relié à l'autre, son prochain, non pas tant
par un lien religieux, à la limite spirituel, mais surtout animal. Et il le vit
comme un trait naturel, en un antidote à sa finitude, un gage de perdurance,
une tactique pour s'assurer la longue durée.
Pareille
tactique est aussi repérable quotidiennement à tous les coins de rue du pays.
Elle est, par exemple dans le quasi ensauvagement de la vie par cette
musique, permanent fait social total, ou par cette exubérance dans un parler
quotidien généralisé assez proche de l'argot des loubards et des truands, où
l'on retrouve d'une manière paroxystique une éminente posture de résistance à
l'ordre établi transcendant, rappelant les exigences de la nature humaine, sa
divinité immanente. Pour la manifester, il n'est jusqu'aux pratiques si
communes de sorcellerie ou ses succédanés faits de jonglerie pratiquée au grand
jour et qui, si l'on croit Jung, ont ce « but diabolique de renverser
l'ordre divin et d'établir à la place un désordre infernal ».
C'est
qu'il y a, dans le psychisme du Tunisien, une interaction permanente du matériel
et de l'immatériel qu'il faut veiller à ne jamais perdre de vue. Et on doit
surtout se garder d'anathémiser ce démonisme ambiant, mais en tenir compte
comme une facette essentielle de l'identité d'un peuple, d'autant plus que ce
dernier a fini par se réveiller à une puissance en lui, toute lumineuse, de
nature à contrer n'importe quel pouvoir se voulant surplombant, fût-il divin.
Il faut
dire que cette véritable posture existentielle n'est une particularité
tunisienne que dans sa déclinaison et sa forme, sinon elle renvoie à une
constante anthropologique des sociétés en général.
C'est que
la postmodernité a permis de retrouver cette réalité au-delà des codes du
discours rationaliste, renouant avec une vitalité plongeant racine au creux de
l'entièreté humaine et de sa totale adhérence à cette terre dont l'homme est pétri,
qui le fait et le défait.
Mais — et
nous insistons en y revenant — ce qui fait surtout la grandeur du peuple de
Tunisie c'est de s'être réveillé à temps à sa véritable nature, une grandeur
qui peut nous paraître parfois négative, mais qui n'est nullement la négation
d'une telle grandeur, comme il en va de la grandeur négative de Kant.
Sed lex[22]
Les
observateurs de courte vue soutiennent que notre pays est actuellement au bord
du gouffre, et ils ne se doutent pas que la proximité de l'excès est aussi une
constante anthropologique. Celle-ci rappelle que la vie ne se réduit pas à
l'utilité, que l'effervescence et l'anomie sociales dans la vie des peuples (ou
encore, pour employer une expression de Bloch, l'instant obscur) ne sauraient
condamner les promesses du renouveau qu'elles emportent; car elles ne
condamnent qu'un ordre fini, saturé.
C'est
l'intuition que j'ai de la réalité de mon pays, au sens exact de vision, soit
d'action de contempler de l'intérieur. Et c'est une de ces idées-forces dont on
ne peut faire l'économie si l'on souhaite avoir une emprise sur l'avenir.
D'ailleurs,
de tout cela, le peuple du fait de sa naturelle sagesse est bien conscient. De
par la clarté irradiant son être, il a ainsi une soif d'authenticité qui, alliée
à son adaptabilité à toute épreuve, lui permet de survivre à toutes les expériences.
Jacques Lacan rappelait d'ailleurs que « chaque fois qu'un homme
parle à un autre de façon authentique, il se passe quelque chose qui change la
nature des deux êtres en présence».
Or, comme
chacun sait, nous sommes depuis pas mal de temps déjà dans l'ère des foules et
des tribus qui n'est rien d'autre qu'une effervescence marquée par l'émotionnel
de l'affoulement populaire et cet irrationnel qui est une rationalité
originale. C'est aussi une approche spiritualiste des choses de la vie, le
temps de la puissance des masses, ce pouvoir instituant de tout corps politique
en une socialité nouvelle, faisant la nique au pouvoir surplombant des vieilles
institutions transcendantes, jusques y compris à cette conception désormais dépassée
du contrat social.
Oui, le
contrat social est bien mort ! Que ceux qui continuent de s'y référer ou
cherchent à le réactiver en Tunisie en prennent acte! C'est désormais les
termes d'un pacte qu'il faut chercher, une sorte de pacte delphique basé sur la
loi des frères, une relation horizontale de la puissance sociétale plutôt que
celle périmée du père, Dieu le père ou le maître divinisé qui, il n'y a pas si
longtemps, était encore l'État omnipotent.
Mais comme
rien ne naît « ex nihilo », à partir de rien, il n’y
a absolument pas de débuts ou de fins abrupts. On retrouve en quelque sorte cet
« éternel retour » du philosophe, jamais le
retour du même, car on a affaire à une sorte de croissance prenant la forme de
la spirale.[23]
En ce
cycle en gestation, la règle d'or à avoir à l'esprit est que la perfection
n'est plus limitée à être celle des sommets, seule admise jadis. La pratique
sociale, surtout dans la lutte quotidienne pour la survie, n'a pas nécessairement
le ciel et la divinité pour but, même si cela peut demeurer pour elle un idéal.
En plongeant dans les profondeurs de la réalité sociale, on réalise qu'il est
un abîme riche de vérités insoupçonnables, celui de cette animalité sommeillant
en tout humain, sa part d'ombre ou du diable.
C'est de
pareil esprit animal libéré par la révolution qu'il nous faut prendre
conscience, surtout qu'il revient sur le devant de la scène sociale non
seulement en Tunisie, mais dans toutes les sociétés postmodernes du monde. Et,
ce dont on doit surtout s'assurer, c'est qu'il ne s'agit pas là d'une
quelconque régression d'un sens moral, mais d'une attitude sociale raisonnée et
raisonnable, adaptée aux réalités contingentes, une «regrédience» qui implique et intègre
l'archaïque, le primitif et l'animal en l'homme, jamais absents dans la nature
humaine. En tenir compte, c'est entrer (ingresso) dans l'entièreté de
cette humaine nature sans en rejeter telle ou telle partie qui ne serait qu'un
acte de cruauté, une émasculation, l'ablation d'un organe du corps.[24]
C'est ce
que la pensée fouriériste appelle « l'esprit des bêtes »[25] ou encore l'ultima ratio des sens, ce sensible se limitant à
vivre le présent, ne projetant pas dans d'hypothétiques lendemains une réalisation
souhaitée, la laissant se faire toute seule.
Statu quo[26]
Or, une
telle peur de l'animalité du peuple anime notre élite, toutes tendances
confondues, qui demeure déconnectée des réalités populaires. En cela, elle ne
fait que réagir selon l'orthodoxie telle que vue durant la modernité
occidentale, fondant même sa perspective universaliste.
Aujourd'hui,
elle fait surtout le fonds de commerce des partis d'obédience islamiste tout
comme ce fut le cas des élites bourgeoises en cet Occident fatigué. Rappelons
ici ce que Marx disait de ses chefs de file : « Ils n'ont pas de morale,
mais ils se servent de la morale. »
Ainsi, il
n'y a au fond aucune originalité dans ce que le gouvernement actuel entreprend
comme forme de moralisation de la société, y compris en fermant les yeux sur la
traque du péché; il ne fait que reproduire une pratique bien rodée en Occident,
à ceci près qu'elle se basait sur la tradition judéo-chrétienne.
De fait,
ceux qui se réclament aujourd'hui d'un islam rigoriste ne se doutent pas qu'ils
ne font que militer pour un islam judéo-chrétien dans son inspiration
moralisante, car le vrai islam est autrement moins pudibond dans sa conception
de la morale et du sexe. Et pour se rendre compte du degré de mimétisme de la
part de nos traditionalistes, il suffit de relire M. Foucault qui résume cette
tradition occidentale par son expression de « volonté de savoir » déjà signalée et qui, sous des figures diverses, redit la hantise
constante et la peur de la part d'ombre en nos entrailles. Or, c'est cette part
d'ombre qui permet de mieux distinguer la lumière qui est en nous.
Il est
vrai qu'il n'est pas évident de détecter cette lumière brillant en notre peuple
malgré toutes les ombres pouvant marquer son comportement. Cela a souvent amené
et amène encore, par dépit amoureux le plus souvent, à une rupture avec les
masses populaires prises à tort soit pour indolentes et léthargiques soit pour
vulgaires et sans valeurs.
Aujourd'hui,
pour y revenir, le parti islamiste, faut-il le dire, se réfère à un aspect de
cette lumière, mais juste pour le déterrer de dessous la cendre des avanies
faites à sa propre idéologie religieuse durant son combat passé, croyant y débusquer
toute la clarté du peuple, alors que ses autres rayons qui éclairent déjà dans
nos rues sont traqués par les milices des bonnes moeurs.
D'autres,
quand ils arrivent aussi à distinguer cette lumière ou quelque halo d'elle,
craignent à raison qu'ils ne disparaissent sous les assauts obscurantistes tout
en proposant d'y substituer une lumière artificielle, sans se rendre compte que
celle-ci ne saurait remplacer la naturelle lumière et que tôt ou tard elle
n'est qu'obscurité.
Enfin,
nombreux sont ceux qui ne voient nulle lumière autour d'eux, sans réaliser que
l'obscurité qui les entoure est celle de leur cécité. Il se trouve que la pensée
négative qu'ils entretiennent sur leur pays n'émane que de leur propre manque
de clarté malgré cette cendre continuant à rougeoyer en eux, et ce du fait de
leur appartenance à ce pays et ainsi qu'elle l'a longtemps fait chez le peuple
avant de prendre feu.
Non bis in idem[27]
Désormais éclairé
de ce feu, le peuple a besoin en cette étape décisive de son histoire d'une
lumière à la mesure de la sienne. Il veut que l'on prenne compte de celle qui
est en lui, tout autant que de sortir celle que l'on garde sous le boisseau.
Politique, celle-ci est relative à ce qui s'est passé et ce qui se passe au
pays, aux responsabilités des uns et des autres, et notamment à l'idée que ses
politiques se font réellement de lui.
Le peuple
aimerait savoir s'il est pris pour des moutons de Panurge ou pour l'avant-garde
d'une escouade filant vers la rénovation des mentalités en un monde postmoderne
en pleine saturation de ses vieux repères vers l'émergence d'un cycle nouveau
rompant avec le passé et non le reproduisant, lui resservant cette même chose déjà
rejetée au rebut.
Or, cela
ne semble pas être encore dans les cordes de la classe politique actuelle,
toutes tendances confondues. Et la Tunisie attend toujours un personnel
s'adonnant à une politique autre, capable d'avoir le goût d'autrui, cet autre
nous-mêmes, écouter les autres sans les juger, oublier cette envie du paraître,
consubstantielle à une forme antique de la politique qui a épuisé tout son
sens, étant appelée à être transfigurée en cette nouvelle ère de la postmodernité.
In abstracto[28]
Pour y
revenir, le politique postmoderne, politique compréhensif par excellence doit réunir en sa personne la geste du
Christ, l'exemple de notre prophète et le combat de Gandhi. Il est celui qui se
présente à son adversaire les mains nues, en ami, s'offrant à racheter par son
propre exemple la mauvaise conduite de celui qui se définit en ennemi. Pour
cela, il n'a d'armes éventuellement — et juste pour se défendre — que celles de
son adversaire qu'il ne fera que retourner contre lui, ne parlant que fraternité,
rappelant le message d'amour qu'est l'islam en religion humaniste, de toute
l'humanité.
Et la
fraternité islamique véritable n'est pas ce succédané décaféiné que dénonce Régis
Debray, mais ce que j'aime à appeler[29]
affrèrement, cette fraternité d'anciens temps, qu'on annonce pour un
futur qui serait régi par la loi des frères précitée.
Celle-ci
peut bien être celle que chantent nos Frères musulmans sans savoir ni en
incarner réellement l'esprit ni surtout en respecter les exigences, notamment
en termes de tolérance et de respect d'autrui dans toute sa différence, jusques
et y compris ses possibles humaines imperfections.
De la
gesticulation et du ramage des méchants, le politique compréhensif se contente
de renvoyer l'écho trompeur en cris de guerre faisant défaut de sa part, se résolvant
en chants de gloire, répétant sans se lasser dans sa philosophie humaniste en
parlant de ses supposés ennemis : ils sont mes chants, ils tirent le meilleur
en moi d'aménité dans l'adversité, de sérénité dans la calamité, de clémence
face à la cruauté.
Et il ne
regarde en arrière que juste pour éclairer devant lui sachant pertinemment qu'à
force de voir en arrière on finit par croire en arrière et avancer à reculons.
Peu lui chaut alors d'être conforme à l'esprit de son temps ou d'être pris pour
un homme posthume selon la terminologie nietzschéenne, car ainsi il est assurément
mieux entendu, même s'il est si peu écouté. Sa congruence avec la réalité lui
suffit, une réalité entière, non réduite au principe réducteur dit justement de
réalité.
Swami
Vivekananda[30]
disait que « la force et le courage jaillissent de notre expérience
de la réalité ». Cette réalité, le politique postmoderne la prend
justement telle qu'elle sans essayer de la vouer aux gémonies ni d'y complaire.
Et dans son action, il ne cherche pas à être sympathique ou emphatique,
veillant tout juste à être vrai et empathique, quitte à avouer son ignorance,
et bien pis sa faiblesse, car comme disait Balzac « un homme est bien fort quand il s'avoue sa faiblesse »[31].
Et dans la
Tunisie postmoderne, ce politique a intérêt à suivre le conseil de Swami Prajnânpâd[32]
pour réussir : « Ne pas penser, ne pas interpréter, ne pas juger,
ne pas comparer, mais voir ce qui est comme cela est. Accepter ce qui est.
C'est la seule façon de le transformer ».
C'est donc
bien d'humilité qu'il s'agit; or, l'humilité de la part du politicien est ce
qu'il a le plus de difficulté à avoir, le pouvoir faisant rapidement prendre la
grosse tête. Pourtant, se savoir ignorant quand on est véritablement savant
n'est-ce pas le plus haut degré du savoir ?
Et dans
une telle politique de l'humilité il y a
nécessairement aussi une contiguïté cultivée avec cet « humus » dont est pétri ce qui est « humain ».[33] Ainsi, par « humilité », le politique en Tunisie revient tout autant à une saine politique
humaine qu'à une juste appréhension de la science politique.
Rebus sic stantibus[34]
Le
personnel politique actuel en Tunisie est-il en mesure d'être compréhensif,
reproduit-il les qualités précitées? Le sûr est qu'il donne à tort, eu égard à
la valeur intrinsèque de ses membres, l'image d'être un têtard, la grosseur de
la tête, et donc de l'ego personnel surtout, étant inversement proportionnelle
au corps, réduit le plus souvent à une simple queue en perpétuelle agitation.
Telle se décline, aux yeux du plus grand nombre, l'action chez cette élite,
notamment celle s'étant retrouvée orpheline d'us et coutumes de l'ancien régime
dans lesquels elle était passée maîtresse dans cet art la caractérisant de la
simulation et de la dissimulation.
Il en va
ainsi de la marche entamée pour le retour au pouvoir par le talentueux Béji Caïd
Essebsi qui rappelle par sa magistrale orchestration la célèbre marche de Radetzky.[35] À ce
propos, pourrait-on ignorer que cette célèbre marche militaire viennoise de
Johann Strauss père célébrant les mérites du maréchal autrichien du même nom
est adoptée par la fanfare de l'armée chilienne pour ses défilés? Aussi ne
manquerait-elle pas de faire songer, ainsi interprétée à la tunisienne, à la
noire époque de Pinochet premier du nom et, du coup, à une période nationale
aussi noire, de celui que d'aucuns considéraient comme un Pinochet national ?
L'arme
magique proposée par l'Appel de la Tunisie dénommée consensus serait efficace
si elle n'était enrayée ou utilisant des munitions controversées. Car c'est
moins d'entente et de complicité entre ses élites dont le peuple a besoin; le
consensus il le connaît pour le pratiquer instinctivement. De plus, celui
proposé par les élites politiques se résout à ses yeux en une forme de clause
tacite de maintien des choses en l'état au pays, alors qu'il rêve de
changement. Un changement en tout, y compris dans la vision et la pratique de
l'islam en tant que partie intrinsèque de la politique.
Le défi
donc que doit relever cette composante de l'élite tunisienne est bien simple
tout en étant original. Il ne s'agit, rien de moins, que d'accepter l'effort de
faire table rase du passé dans ce qu'il a de plus difficile à disparaître : les
mauvaises habitudes incrustées et leurs symboles au-delà des personnes, leurs
qualités intrinsèques et leurs talents avérés. Ainsi réussira-t-elle à se faire
la violence inévitable qu'impose la situation et qui est de nature à nous
permettre de distinguer finalement cette lumière qui est en nous !
Certes ce
travail sur soi ne lui est pas spécifique, s'adressant à la totalité de l'élite
stationnant à l'orée du stade nécessaire pour comprendre la psychologie des
foules tunisiennes. Il reste que si l'ensemble continue de vivre hors du temps
ou hors du réel populaire palpable et sensible, cela est particulièrement
remarquable et remarqué chez les formations politiques qui allient à un ramage
strident un plumage attrayant.
Nourries
aux mamelles de la culture de l'Occident, aveuglées par sa lumière qui fut réelle
et qui ne l'est plus, sinon comme celle des étoiles lointaines déjà éteintes,
certaines parmi elles semblent les plus incapables de voir ce qui crève les
yeux. Il s'agit encore de ce rayonnement intérieur en chaque Tunisien, ce
complexe de sérénité harmonieuse et d'énergie débordante dont est faite la
magie animant l'âme des grands peuples. Et, paradoxalement, elle ne comprend
pas qu'il est exactement cette aura
dont parle Walter Benjamin.[36]
Il s'y condense, aux creux des apparences et des résidus de la matérialité de
ce monde factice, une sagesse tout en spiritualité invisible quoique bien réelle,
tout comme l'air, ayant la consistance de la matière la plus raréfiée, la plus
quintessenciée.
C'est, au
final, ce qui distingue ces franges de notre élite de l'autre, arrivée au
pouvoir et qui a donc pris conscience de la présence de pareille nitescence, même
si elle finit par ne plus la voir que selon sa propre vision déformante, une
illusion d'épiphanie lumineuse religieuse.
Nonobstant
ce bémol, le parti de cheikh Ghannouchi, notamment après le retour au bercail
de sa figure soufie emblématique, cheikh Mourou, semble objectivement être en
pole position pour encore mieux comprendre le peuple dont il a partagé les
souffrances. Nous y reviendrons.
Dans l'immédiat,
nous dirons aux uns et aux autres que leur déconnexion des réalités du peuple
ne portera pas à conséquence s'il ne s'agit que d'une étape dans un parcours nécessaire
devant supposer, pour le moins, la rupture avec un surplace mythique pour
l'aboutissement obligé du trajet à une autre étape du moment que l'ensemble se
situe sur le cheminement bien orienté vers cet horizon qui est la vérité.
Toutefois,
croire avoir atteint le niveau maximal de la modernité politique, sous sa forme
religieuse ou profane, la considérant quasiment comme un succédané du nirvana
dans son apparence scientifique imparable, c'est être le jouet d'une véritable
hallucination. Puisque la modernité elle-même — et nous le rappelons bien
volontiers — n'a été qu'un stade qui a fini par se saturer,[37] se résolvant
en un stade supérieur, celui d'un autre ordre des choses, un nouveau cycle qui
s'appelle donc actuellement la postmodernité.[38]
Faut-il
rappeler aussi — ce qui est toujours bon à l'intention des sectaires de tous
bords — que les véritables théories scientifiques sont potentiellement fausses,
faute de quoi la science ne progresserait jamais. De fait, une théorie n'est
qu'une proposition sur le monde et comme ce monde est en continuel changement,
elle attend toujours ce que Gaston Bachelard appelait « un fait polémique », ce réel qui vient souvent briser la théorie si
elle ne peut pas l'expliquer. Aussi n'est-elle grande, en quelque sorte, qu'en
puissance, ayant juste le potentiel pour le devenir à l'advenue du fatal fait
nouveau en défi mettant à l'épreuve sa pertinence et qu'elle relèverait, mais
toujours dans l'attente d’un autre fait polémique, un autre fait à relever.
Ex aequo[39]
Pour
revenir à l'équipe dirigeant actuellement le pays, nous insisterons sur le fait
que si elle se réclame justement de la splendeur de cet islam, elle n'en
retient pour l'instant que l'éclat du socle, qui est certes important, mais
bien loin de l'esprit encore plus lumineux. Elle ne réalise pas encore assez
qu'en tant que religion postmoderne, l'islam est une foi polydimensionnelle,
à la carte en quelque sorte. Et cela est non seulement dû au fait que l'islam
est à la fois un culte et une culture, mais aussi parce qu'il s'adresse à la
raison et que la véritable adhésion à ses préceptes se fait par la seule
conviction.
Aussi,
elle se doit vite de comprendre que le croyant en islam postmoderne ne relève
pas ou plus seulement du culte ou de sa riche culture, même si la totalité de
la foi suppose les deux intimement liés et le recommande. Plus encore, cela ne
saurait être imposé au croyant sans violer l'esprit de l'islam. Car il est la
religion d'une foi libre où le croyant n'est soumis à personne d'autre qu'à son
créateur à qui — seul — il doit répondre de ses actes, sinon on atteindrait à
la souveraineté et à la première caractéristique divine qui reste l'absolue
magnanimité.
Tout
autant que le reste de l'élite du pays, de laquelle elle ne diffère donc pas
dans la pratique de la politique, elle se doit de comprendre le peuple pour
mieux le servir et non desservir ses plus chers voeux à la dignité.
Et elle se
doit, par conséquent, de prendre acte de la lumière qui brille au fond des yeux
de tout Tunisien, vieux et surtout jeunes, porteuse de mille envies et de
milliards de rêves et de projets d'avenir. Cette lumière que nous ne nous
lassons pas de célébrer et qui est comme l'éclat du soleil en ce pays,
brillante et chaleureuse, irradiant tout le corps social par capillarité. Une
lumière qui ne saurait plus s'éteindre !
Summa injuria[40]
Parlant de
l'islam, on ne peut se limiter à ceux qui se situent par rapport à lui, mais on
doit aussi évoquer ceux qui se tiennent à une distance plus ou moins rapprochée
de lui, sinon carrément loin. En notre paysage politique actuel, en effet, il
en est aussi qui n'y voient qu'une religion dépassée vouée aux gémonies, dénonçant
sa prétendue anhistoricité et autre obscurantisme, ressassant des clichés
éculés.
Ceux-ci
tirent avantage du fait que leurs thèses se trouvent accréditées par la
pratique de certains activistes qui, face à eux, se présentent comme étant les
plus fervents défenseurs de cet islam incompris en son essence véritable. Mais
les uns et les autres se trompent sur la vraie nature de l'islam.
Celui-ci
ne réside pas dans sa lettre, combien même on la dit intangible, car sacrée,
mais dans son souffle, encore plus sacré et réellement inviolable pour ce qui
le concerne. En effet, le texte du Coran ne peut être dénué d'un esprit dont il
procède, et c'est celui-ci qui est le véritable verbe divin qui est éternel,
donc non susceptible d'être altéré par la moindre modification. Par contre, ce
texte même quoique d'inspiration divine se trouve, de par sa fonction propre,
adapté à la situation hic et nun[41] des
croyants et demeure donc susceptible d'évolution selon la situation atteinte
par la société que l'islam sait parfaitement évolutive et changeante, et ce
dans le strict cadre de l'inspiration divine éminente qui est l'âme même du
texte, sa transcendante visée.
Dire le
contraire au nom d'un sacré qui serait intouchable, serait violenter l'islam
dans ce qu'il a d'essentiel, à savoir sa validité pour tout temps et tout lieu,
son caractère éternel tout simplement. Ce serait aussi se méprendre sur le sens
intrinsèque du sacré qui, dans la culture arabe, est loin d'avoir le caractère
de fixité qu'on lui suppose. Il est bien plutôt de la déférence, la même que le
croyant doit à son créateur, et qui est une sacralité dynamique,
appropriée au fond des choses, nullement attachée à une forme par définition
volatile.
Tout dans
la tradition du prophète et du texte du Coran atteste cette vérité d'extrême
dynamisme coranique et de l'élan révolutionnaire de l'islam, tel que le
confirme la geste prophétique. La technique même appliquée par Allah en son
texte sacré, notamment celle de l'abrogation, prouve à quel point l'évolutivité
est un impératif catégorique en islam, correspondant à une vision éminemment
humanitaire et une appréhension rationnellement juste et fondamentalement
scientifique de la nature des choses. Elles reflètent une sorte de coenesthésie[42]
appliquée par avance par cette religion — humaniste par excellence — à la vie
sociale perçue déjà comme une socialité avant la lettre.
Aujourd'hui,
la lumière du génie du peuple, longtemps sous le boisseau, alliée à l'aura de
l'islam, dégagé de ses enluminures naïves et anachroniques devenues hideuses et
monstrueuses, peut constituer, sans lampe ni luminaire, la nouvelle nitescence
de l'islam dont la pureté et la brillance n'a plus que faire d'une brillance
devenue une matité, léguée par les âges, sa luminance naturelle étant
suffisante.
C'est
pourtant cette fausse lumière qui tient lieu d'oriflamme à la cinquième colonne
intégriste infiltrée en islam pour essayer de détruire de l'intérieur notre
Tunisie et son islam postmodernes. Et, la léthargie culturelle aidant, aux menées
des adeptes des Écritures sacrées classiques, ennemis de l'esprit libertaire du
renouveau du monothéisme islamique, de se retrouver en roue libre !
S'agissant
des tenants de la raison à outrance, qui profitent de la moindre occasion pour
mettre plus bas que terre une religion qui honore justement cette raison, nous
dirons tout juste qu'ils se révèlent aussi obscurantistes que ceux qu'ils dénoncent.
Nous leur
dirons aussi qu'on peut certes pratiquer la philosophie au marteau, mais à la
condition qu'elle ne soit pas marteau; comme ces propos entendus dans la bouche
d'un philosophe assimilant le tourisme à la prostitution. Car; ce faisant, on
ne fait que théoriser nos phantasmes, religieux ou laïcs, non seulement en pensée
mais aussi en jugements, au lieu de prendre la vérité ici, le peuple en
d'autres circonstances, tels qu'ils sont et surtout les servir.
Pour le
peuple, on aurait tort de chercher une « rationalisation généralisée
de l’existence », selon l'expression de Max Weber, et qui n'est
qu'une oeuvre réductrice des richesses de notre peuple musagète, ce qu'Auguste
Comte résumait par l'expression : « reductio ad unum ». Et rappelons-nous ce que disait d'Alembert bien avant notre entrée
en postmodernité : « La nature de l'homme est un
mystère impénétrable à l'homme même, quand il n'est éclairé que par la raison
seule ».
Pour ce
qui est de la vérité, nous signalerons la réflexion, dans une récente conférence,
de Bernard d'Espagnat qui est probablement le physicien qui a su le mieux
analyser les conséquences philosophiques des données de la physique quantique.
Elle s'insère dans des considérations qui constituent un véritable séisme
intellectuel et épistémique dans le monde scientifique puisqu’elles permettent
de récuser les représentations que le matérialisme philosophique se faisait de
la réalité.
Celles-ci
nous indiquent clairement que l’être ne sera jamais réductible au paraître, que
le spectacle n’expliquera jamais le spectateur, ni la théorie le théoricien.
Mieux, elles soutiennent que s'il y a une réalité indépendante de notre esprit,
elle ne peut être que « lointaine » et « voilée »,
insaisissable par notre entendement qui ne peut, tout au plus, qu’y penser, l’évoquer
analogiquement et symboliquement.[43] Ainsi se vérifie, comme il
le signale lui-même, la prémonition attribuée à Henri Poincaré : « les objets réels
que la nature nous cachera éternellement ».
Verba volant[44]
En cette ère
où tout s'envole, les souvenirs comme les paroles, surtout celles de la vérité,
nous rappelons à ceux qui sont toujours entichés de l'Occident qu'on y avait
fabriqué artificiellement une dualité structurelle à partir de la notion de
culpabilité chrétienne issue de la peur nourrie par cette religion de la part
d'ombre dans le peuple. Elle fut ensuite théorisée par la « séparation » hégélienne et la coupure
freudienne dans un commun rejet de l'entièreté de l'être, répudiant ce qu'il
peut y avoir de tragique intimement lié à la condition humaine.
C'est ce
qui fut le fondement de cette conviction de l'éternité de l'homme, maître du
monde, et sa fuite éperdue de la mort, sa dénégation même, alors que cette
dernière reste la source de l'existence. Ne le voit-on pas dans le refus de
considérer le vieillissement cérébral comme une fatalité, un processus naturel,
comme on le faisait chez nous il n'y a pas si longtemps encore, et de l'ériger
en maladie (ce mythe de la maladie d'Alzheimer)[45] qu'il
fallait absolument médicaliser et traiter au non d'une science pourtant
impuissante devant l'oeuvre de la nature?
Toujours
en cet Occident, référence absolue pour les uns et aussi étalon inconscient
pour les autres, on a déjà rêvé de la société parfaite, le paradis sur terre au
nom d'une religion triomphante ou d'une modernité anticléricale. Puis, on se
rendit compte que l'on ne pouvait évacuer sans dommages le mal de la nature
humaine, mais qu'il fallait négocier avec lui, car qu'il en allait de la dignité
humaine.
Nous faut-il donc aujourd'hui, en
porteurs d'oeillères, singer les erreurs de l'Occident, alors que les principes
de la religion mis en oeuvre pour cela contredisent notre entreprise et se
retrouvent faussés par elle?
Qu'est-ce
donc que ce sentiment d'infériorité qui nous fait ignorer ce qu'il peut y avoir
de bon chez nous, au seul critère qu'il est de chez nous? Mais qu'est-ce aussi
ce complexe de supériorité qui nous fait toiser les autres pour les croire
seuls susceptibles d'être salis par ce que l'être humain, tout être humain, a
de moins vertueux en sa nature, et de les rabaisser sans nuances?
C'est
oublier que tout complexe de supériorité est en fait un complexe d'infériorité
inversé. C'est aussi oublier que l'islam est tout sauf arrogance et mépris
d'autrui et que l'amour islamique est bien plus fort que celui incarné par le
christianisme qui généralise le péché à tous les humains et, du même coup,
consacre la rémission divine des fautes pour tous les pécheurs.
Et pour
revenir ici à la pensée grecque qui a eu l'influence que l'on connaît sur
l'esprit occidental, disons d'abord que cela ne fut possible que grâce à
l'intermédiation arabe qui a traduit un égal intérêt pour cette pensée de la
part de nos ancêtres au temps de la splendeur de l'islam.
Disons
ensuite qu'il y existe une distinction importante à méditer : le péché, d'un côté,
qui est un acte sur lequel on peut agir et que l'on peut éviter éventuellement
et, de l'autre, la pollution, qui est automatique, indépassable. Le premier est
en quelque sorte ponctuel, la seconde est structurelle.[46]
Prendre en
compte de cet aspect structurel est une question de clairvoyance populaire et
permet de garder cette sagesse quotidienne de la nécessité. Cela ne peut que
conduire à une posture existentielle qui ne s'offusque ni ne rejette les formes
variées de déréliction dans la recherche d'un équilibre riche de ses déséquilibres
apparents, des équilibres (dés-équilibre) variés et non contradictoires.
Il en va de même du désordre nominal (des-ordres) qui n'est donc que la
recherche d'ordres autres, nouveaux, et cela mène à un équilibre, à un ordre
plus complexe certes, mais plus complet. Il est celui du contradictoriel,
cette logique qui ne fonctionne pas sur le dépassement du mal par la synthèse
obligée et la perfection recherchée, mais qui fait de l'imperfection et de la
part d'ombre des éléments essentiels, inévitables de la vie individuelle et
collective.
Quare[47]
Et qu'on
se le dise ! s'il doit y avoir renouveau ou même refonte en islam, c'est celle
du sens et non pas simplement du droit. C'est une refonte radicale qui ne se
fera pas non plus de l'extérieur, mais de l'intérieur même de cette religion
qui a produit, durant sa riche histoire, l'instrument de sa propre régénération.
C'est dans sa spiritualité, qui a su assez tôt saisir le sens vrai de la révélation
coranique, aller à son esprit au lieu de demeurer à la surface de sa lettre,
que se situe ce nouvel effort d'Ijtihed qui est, dans le même temps, ancien et
authentiquement islamique.
Il s'agit
bien évidemment du soufisme des origines, seul capable aujourd'hui de contrer
la pensée occidentale fatiguée en même temps que le discours intégriste
musulman. Or, le soufisme est bien vivace en Tunisie, et c'est ce qui a permis
d'enrayer dans ce pays le processus de sclérose de cette religion déjà bien
entamé ailleurs, aboutissant à une inversion totale des valeurs islamiques
originelles et originales. Comme le dit Éric Geoffroy dans « L'islam sera spirituel ou ne sera plus »,[48] le soufisme est « tel un noyau en fusion, il
a le pouvoir de vivifier l'écorce de la forme religieuse en réévaluant les
rapports entre raison et supra-raison, entre Loi et esprit de la Loi ».
Dans l'ère
postmoderne que nous vivons, cet Ijtihed spirituel réussira d'autant mieux la révolution
du sens islamique qu'il ne se coupera pas de la pensée occidentale dominée par
le nihilisme et/ou l'errance morale. Comme l'exclusion de la religion a amené
au désenchantement du monde occidental, l'islam revivifié par sa spiritualité
soufie pourrait fort bien réussir à réenchanter ce même monde par une véritable
quête de l'excellence spirituelle à travers un islam paisible, tolérant et
ouvert, un islam soufi. Cette ambition universelle au sens où l'utilise Adorno
devrait inciter Ennahdha et les islamistes véritables à oeuvrer dans ce sens en
conformité avec la prétention de leur religion à l'universalisme.
Grâce au
soufisme et en ce moment propice qu'est la postmodernité, la société islamique
tunisienne est enfin en mesure de féconder ses immenses richesses en les sortant
de leur fixité soigneusement érigée en dogme autour des quatre grandes écoles
juridiques. Celles-ci, contrairement au souhait de leurs maîtres, ont été imposées
en diktat politique plutôt que purement religieux par un pouvoir instituant qui
y trouvait matière pour contrôler le peuple, châtrer ses velléités d'émancipation
.
Un retour à
une saine interprétation de l'islam telle que tentée et réalisée par le
soufisme, le vrai, permet de retrouver l'esprit de l'Ijtihed qui consacre la
primauté de l'effort individuel de compréhension de sa religion par le croyant
dans un rapport direct avec Dieu où le collectif ne se substitue pas aux libertés
individuelles, mais en constitue la somme et au mieux la synthèse.
En
Tunisie, la révolution des sens que fut celle du jasmin en appelle une autre
donc, celle du sens en réussissant à étendre la force régénérante qui a permis
le coup du peuple du domaine social et politique au domaine sacré et religieux
en un mouvement de sublimation du pur cultuel vers une conscience plus élevée
d'ordre mystique et de facture culturelle.
Il nous
faut, par conséquent, nous convaincre que l'islam perpétuel est l'islam
spirituel, celui entrevu déjà par les soufis de la Vérité.[49] Et que les soubresauts
actuels en Tunisie du fait, entre autres, de notre rapport à la religion
authentique ne sont que les douleurs de la gestation d'une réalité nouvelle.
Ils consacrent surtout un passage inévitable du collectif à l'individuel et du
pathologique à l'ontologique.
Hic et nunc[50]
Pour cela,
et afin de relativiser le jugement sévère sur la situation actuelle au pays, il
ne faut pas oublier que toute situation de crise n'est que l'achèvement d'un
cycle saturé[51]
et le passage à un autre; c'est cette « pars destruens » (inévitable destruction) préalable au passage à la « pars
construens » ou « pars aedificans » (nécessaire reconstruction).
Cela correspond à cette part en nous qu'on doit éliminer même dans les pires
douleurs, et ce comme une peau nécrosée en cas d'escarre devant être nécessairement
soumise à détersion pour laisser la place à une nouvelle peau saine.
La dépense
d'énergie à laquelle on assiste actuellement chez notre peuple est prodigieuse,
même quand elle se pare de ses plus mauvais atours, car elle doit être prise au
sens de G. Bataille, soit comme une recherche de la fusion. Une fusion avec ce
gouvernant qui prend ses distances, une vision avec l'autre étranger qui nous
snobe en nous fermant ses frontières. En fait, on a tout juste en oeuvre ces « lois de l’imitation » proposées par Gabriel Tarde
et qui semblent non seulement caractériser son comportement, mais aussi celui
du monde entier où elles seraient la règle actuellement.
Car, dans
sa sagesse ancestrale, le peuple tunisien sait d'instinct que nous n'existons
que dans et par le regard de l’autre, que cet autre soit celui de la tribu
affinitaire, celui de l’altérité humaine de la nature ou le grand Autre
qu’est la déité. De fait, si durant la Modernité défunte, l’autonomie était à
la fête, l'homme étant sa propre loi, en postmodernité, c'est l’hétéronomie qui
prévaut, la loi de l'un, c'est l’autre qui la fait. C'est une sorte d'inversion
du temps pour le mettre à l'endroit, comme on écrit le mot police à l'envers
sur les véhicules des forces de l'ordre pour que cela soit visible à l'endroit
dans les rétroviseurs des automobilistes.
Aussi, désormais,
c’est moins l’Histoire linéaire qui importe que les histoires humaines. On a pu
parler, à ce propos d'une « Einsteinisation » du temps, dans ce sens que le temps se contracte en espace qui est
bel et bien un présent qui se vit ici et maintenant, mais jamais seul, avec
d’autres et en un lieu donné.
Cela a
permis à certains de dire[52]
que le présent postmoderne rejoint la philosophie du « kairos » déjà évoqué et qui met
l’accent sur les occasions et les opportunités; l’existence n’étant en quelque
sorte qu’une suite d’instants éternels qu’il convient de vivre, au mieux, hic
et nunc. N'est-ce pas là ce qui caractérise au fond le peuple tunisien
aujourd'hui au-delà des conceptions simplistes relatives au chaos?
Aujourd'hui,
chez les sociologues compréhensifs, celui-ci n'est plus interprété en termes
alarmistes comme avant. Ainsi, l'un d'entre eux, le plus en vue, Michel
Maffesoli, a proposé pour l'appréhender une subtile distinction entre les notions
de drame et du tragique. Le drame, comme son sens étymologique l'indique,
serait ce qui évolue vers une solution possible et même nécessaire, comme le
bourgeoisisme moderne l'a illustré, avec une tension permanente vers un degré
zéro du risque. Tout au contraire, le tragique se révèle « aporique », car ne recherchant ni
n'espérant de solutions ou de résolutions des états de crise, reposant sur la
tension des éléments hétérogènes.
Ainsi, en
une suite logique d'un processus dialectique, le drame aboutit à une synthèse
recherchée et espérée, alors que le tragique, pour reprendre le néologisme déjà
utilisé, repose essentiellement sur le « contradictoriel » au sens où le contradictoire doit être pris en tant que tel, sans
opposition mais complémentarité entre ses éléments apparemment antagoniques.
Et la
postmodernité est le temps du tragique par excellence. Il s'agit donc là d'une
autre façon de dire que l'on doit accepter le présent tel qu'il est et le
prendre pour ce qu’il est, en ne cherchant surtout pas à se projeter dans
quelque avenir que ce soit.
C'est
ainsi que réagit actuellement notre peuple, mais ce n'est pas ainsi que le perçoivent
ses élites qui, ayant toujours en vue le côté dramatique des choses, un aspect
donc dépassé, pensent pour lui à un avenir dont il ne veut guère se soucier. Il
n'est donc pas surprenant que cet avenir ne lui convienne pas tant qu'il n'en
aura pas fait son présent; ce qui nécessite une autre politique de la part de
dirigeants estimés, à tort ou à raison, déconnectés des réalités populaires véritables.
Quomodo[53]
Au-delà de
la politique compréhensive qu'ils ont
intérêt à développer, il y a lieu donc pour les politiques en Tunisie de
veiller à l'image qu'ils donnent
d'eux-mêmes, l’image étant devenue aujourd'hui un « mésocosme », c’est-à-dire un milieu ou
vecteur, un élément primordial du lien social.
C'est
qu'avec la postmodernité, on assiste à la (re) naissance d’un « monde imaginal », une manière d’être et de
penser, traversée entièrement par l’image, l’imaginaire, le symbolique, l’immatériel,
véritable réceptacle du désir précédemment évoqué. L'optique weberienne
toujours d'actualité ne soutenait-elle pas que l'on peut parfaitement
comprendre le réel à partir de l’irréel ou de ce qui est réputé tel ?
N'est-on
pas loin, désormais, du temps de cette Modernité de Descartes à Sartre où
l’image et l’imaginaire étaient jugés comme entravant le bon fonctionnement de
la raison, stigmatisant la moindre sensibilité théorique. En ces temps révolus,
l’imagination était la « folle du logis », expression philosophique devenue proverbe
populaire. Tout au contraire, en postmodernité, et par le biais de l’imaginal,
on est en mesure d'être plus attentif à la société complexe, prendre acte de la
solidarité organique qui s’y amorce et avoir conscience de cette parfaite « correspondance », au sens baudelairien, qu'on y trouve entre tous éléments de
l’environnement social et naturel, parfaitement imbriqués.
Notre époque
est bien en prise avec les réalités concrètes, et donc plus attentive à
l’impermanence des choses les plus établies. C'est pourquoi elle a permis l’émergence
des valeurs archaïques enterrées par la Modernité; ce qui met l'accent sur
cette loi capitale enseignant que si toute civilisation est mortelle, la vie,
quant à elle, ne peut que perdurer.[54]
En notre
pays, la page du cycle ancien a été tournée par le coup du peuple tunisien. Or,
galvauder cette révolution qui est la première page de ce nouveau cycle marqué
par le génie d'un peuple alerte, illuminé par une nitescence, en lui
aujourd'hui active, c'est tout simplement ne pas être à la hauteur de ce
peuple, ne pas refléter sa lumière et démontrer une étroitesse culturelle et
psychique engendrant frustration et compression sociale.
Ne pas la
galvauder revient à en respecter l'esprit en ne contrariant pas l'élan du
Tunisien vers l'autre, son ouverture d'esprit et son ingéniosité, alliée à une
insatiable soif de libertés, et qui le faisait inventer, par couscoussier
interposé, sa propre antenne parabolique en un temps où l'information était
encore plus cadenassée qu'aujourd'hui.
Comment y
arriver ? En consacrant ses valeurs dans la future constitution, y élevant en
dogme sa traditionnelle tolérance et en sacralité l'égalité de tous les
citoyens de ce pays, où la femme n'a jamais été inférieure à l'homme[55]
et n'a jamais démérité dans le service de son pays. C'est aussi et surtout lui
tenir le langage du coeur, qui est un langage de vérité et revendiquer tout
haut son droit à circuler librement.[56]
En un
monde qui a changé, on ne peut faire la diplomatie comme avant; on ne peut
surtout prétexter du statut et du poids de la Tunisie qu'on suppute minime et
qui est bien plus grand qu'on ne le pense pour se priver d'innover.
Aussi
est-il possible et impératif d'envisager entre l'Europe et le Maghreb une véritable
convergence démocratique méditerranéenne, dans le cadre d'un pacte de
civilisation, aboutissant à la réalisation d'objectifs concrets de cohésion
sociale. Cela pourrait se faire à travers une circulation fluide, grâce à
l'adoption et la généralisation du principe du visa de circulation,[57]
plus d'efficacité dans le domaine économique par le biais de la coopération décentralisée
et davantage de compétitivité moyennant un véritable espace de liberté et de
gouvernance régionale et locale.
Pour cela,
il faut oser, au nom du peuple et de sa réalisation historique, inviter l'Union
européenne à anticiper le sens de l'histoire et à innover en imaginant une
sorte de processus avant la lettre d'intégration à venir de la Tunisie, pays désormais
démocratique, au cercle européen des démocraties et en mettant à sa disposition
la batterie des fonds structurels décennaux prévus pour mise à niveau préalable
à toute adhésion. Ce serait la meilleure façon d'ancrer la Tunisie dans la démocratie
tout en assurant les intérêts bien compris de tous les pays de la région.
Que nous
cessions donc, élites tunisiennes toutes tendances confondues, de ne voir que
notre nombril comme s'il était celui du monde et non seulement de notre pays !
C'est une variante maladive de l'égoïsme trop humain, un égotisme bien
politique qui n'est même pas ce qu'en disait Aristote pour qui « l'égoïsme n'est pas l'amour de soi, mais une passion désordonnée
de soi ». Il est, tout simplement, un désordre dépassionné
de la vie une désorientation spatio-temporelle, un Alzheimer politique.
Et que
l'on se tienne, ô partis islamistes, à l'impératif catégorique de se défaire de
toute tentation de réductionnisme confessionnel pour une homogénéité religieuse
illusoire ! S'il faut une dose d'apostolat dans vos activités, faites qu'elle
soit de nature politique conformément à la nature double de l'islam qui est
fondamentalement une religion et une politique. Aussi, pareil apostolat doit-il
obéir aux règles de la démocratie, le régime politique le moins mauvais, aussi
bien dans le prêche par l'exemple et le débat, acceptant et suscitant la
contradiction, que dans la reconnaissance d'une nécessaire opposition avec la
garantie de tous ses droits légitimes.
En un mot,
il nous faut passer de l'état dépassé de la croyance à celui nouveau de la foi.
Or, la foi islamique s'y prête à merveille si ses adeptes administrent la
preuve qu'ils la méritent vraiment. Aussi, nous faut-il nous persuader que rien
n'arrêtera l'advenue de l'islam postmoderne, étant donné que « rien n’arrête une idée dont le temps est venu », ainsi que le dit Victor Hugo.
Il nous
faut juste, pour y être prêts, adopter la posture intellectuelle nécessaire,
audacieuse et résolue pour définir les grandes caractéristiques de cet islam
dans le cadre de l'épistémé postmoderne et cela d'une manière non judicative,
non normative. Il s'agit, rien de moins, que d'épiphaniser les grandes
caractéristiques de notre religion qui sera culturelle, spirituelle ou elle ne
sera plus !
Il faut
aussi que l'élite politique actuelle au gouvernement, bien plus donc que celle
en dehors du pouvoir, regarde la Tunisie au fond des yeux et y voie son âme
dont la douleur digne se cache derrière une résignation qui est moins une
faiblesse qu'une force de caractère rétive à la violence pour ses excès. En
cela, tout comme l'ensemble de notre élite, elle reste tout éprise par les
plans de sa carrière, négligeant l'essentiel qui est d'être en empathie avec le
peuple, cherchant la voie facile, affectant une sympathie de circonstance. Et
elle dit aimer ce peuple dont l'amour doit être logiquement la première
condition pour le servir; mais ses initiatives démontrent qu'elle n'aime qu'une
représentation mythique de sa personne, correspondant à ses désirs. En tout
cas, elle ne lui voue pas cet amour simple et sincère tel que ce fils du peuple
que fut Farhat Hached l'a incarné, par exemple.
Sine die[58]
Aujourd'hui,
plus que jamais, il urge que la classe dirigeante répare ses erreurs de
jeunesse dans cette démocratie naissante en en refondant la pratique à mettre
au diapason des attentes du peuple et ne pas repousser aux calendes grecques
les réponses à ses attentes.
Ce qui urge le plus pour
l'ensemble de la classe politique cette fois-ci, c'est d'arrêter de repousser
l'action utile à plus tard, sans nul engagement sérieux sur un délai, une date,
pour s'atteler enfin à l'essentiel, au présent. Or, cela découle du fait
qu'elle est tellement prise par l'écume inutile d'un futur taillé à la mesure
de ses ambitions, ajoutant l'inutilité d'une attitude politique à l'inutile
social, ce qui ne manque pas de donner fatalement une somme d'inutilités ayant
juste une apparence d'utilité, ne faisant qu'alimenter encore plus l'inutile.
Il est temps, pour les uns et les
autres, d'écouter l'exhortation du sage : «Ne vous appesantissez pas
sur le passé, ne rêvez pas de l'avenir, concentrez votre esprit sur le moment
présent ! » Et ce perspicace conseil de Bouddha est non
seulement sensé du point de vue de la philosophie sociale ainsi que l'on s'est évertué
à le démontrer tout au long de
cette réflexion, mais aussi et surtout d'un point de vue neurologique,
l'importance de vivre dans l'instant étant capitale dans le cerveau; et l'on
sait ce qu'il en coûte de perdre nos souvenirs, de succomber à la maladie de
l'oubli ![59]
C'est que
personne parmi notre élite politique n'est arrivé encore à être à la hauteur de
ce que mande le peuple : ni les anciens, nostalgiques d'un ordre révolu qui
serait beau s'il n'était celui des tombes bien alignées dans le silence des
cimetières ni les nouveaux qui ne réalisent pas être les revenants d'un monde périmé
englouti par l'effervescence de la postmodernité que nous retrouvons dans les
remous émotionnels et créatifs du peuple.
Ils ne réalisent
pas que ce peuple ne saurait accepter un retour en arrière, la reprise même
sous des oripeaux neufs des haillons d'un passé honni. Surtout, ils ne se
doutent pas assez, dans le feu de leur action supposée judicieuse, qu'il nous
faut repenser la politique, reconnaître sa transfiguration, pratiquer la politique compréhensive dont il a été
question dans cet article.
Celle-ci
suppose, s'agissant par exemple de l'attitude à l'égard des brebis galeuses de
toute nature, que la société ne saurait les traiter comme avant par l'exclusion,
mais comme des égarés, sans restriction de leurs droits à l'expression et, dans
le même temps, sans compromission avec le respect des libertés de tous. Si cela
est avéré de la part d'EnNahdha avec les salafistes, leurs sbires et séides
nostalgiques de la dictature ou illuminés d'un grand soir islamique, il doit l'être
aussi et de la manière la plus évidente avec tous ceux qui se situent aux
antipodes de ses croyances et convictions, des hérétiques aux homosexuels en
passant par les libertaires.
Certes la
loi de l'exercice politique est dure, imposant sa lourdeur, mais faut-il passer
sous les fourches caudines du conformisme? Doit-on continuer à pratiquer le
pouvoir à la manière antique, sans réaliser que la langue de bois n'a plus
cours et que la sincérité doit être de mise, même si les politiciens vieux jeu,
tout auréolés des palmes de l'âge et de l'autocélébration, croient que cela relève
de la naïveté et de l'inexpérience ?
Ils ne
peuvent ignorer, pourtant, que les paroles en politique volent et qu'elles
emportent désormais avec elles moins les espoirs de ceux qui les entendent —
personne ne les écoutant plus —, mais les illusions de ceux qui les tiennent,
croyant réussir à bâtir un avenir en politique, alors qu'ils ne font que
construire un château de sable au bord de la mer de leurs illusions.
Il en va,
mutatis mutandis, de la théorie religieuse déconnectée de son socle social où
l'irrationalité, de part et d'autre, se décline à l'état absolu. Ainsi, et on
s'y est assez étendu, le fait religieux islamique est, pour les uns,
intangible, figé, comme s'il n'était pas rationaliste, scientifique même dans
sa vision de l'homme et du monde. Pour les autres, l'islam serait inconciliable
avec la modernité sauf à être repensé sur des bases rationalistes.
Or, nous
avons assez répété que la Modernité n'est plus, que la rationalité postmoderne
ne correspond pas à celle connue par l'Occident et que l'islam, qui fut moderne
avant la lettre — ou plutôt « rétromoderne », d'après mon néologisme —, est forcément appelé à être
postmoderne pour assumer au moins sa vocation d'être en harmonie avec son
temps, à défaut d'être en avance comme il en a la légitime disposition.
Pretium doloris[60]
Disant
cela, nous ne contestons nullement à l'équipe dirigeante actuelle, comme le
font à tort certains, toute capacité politique ni surtout sa légitimité à faire
face à la situation actuelle du pays. Ceux-là contredisent leur profession de
foi démocratique en agissant et réagissant selon la couleur idéologique de l'équipe
au pouvoir sans saisir assez sa caractéristique principale qui est d'avoir été
bel et bien dans l'opposition active et l'exil, outre d'avoir été longtemps
persécutée.
Car c'est
cette caractéristique majeure qui la marque pour l'essentiel, et c'est elle qui
a motivé le vote citoyen. Pour le peuple, la couleur politique peut n'être
qu'une apparence qui change selon les réalités du pouvoir, surtout si la
pratique politique heurte les convictions issues du combat politique. Cela relève
de la transfiguration du politique désormais patente même si certains
continuent de l'ignorer, mus moins par le flair politique que par des réflexes
conditionnés.
Certes, en
voyant le peuple lui ouvrir la voie au pouvoir, le parti EnNahdha a eu le tort
de croire qu'il était assez savant, qu'il connaissait suffisamment l'âme de ce
peuple pour, non seulement l'incarner, mais en réécrire la trame. Aussi, au
lieu de marcher sur les pas du peuple et laisser se soulever devant lui le
voile de sa grandeur si discrète et par trop pudique, il a préféré emprunter sa
propre voie, qui n'était même pas originale, reprenant les incunables de ses prédécesseurs
adeptes de cette politique tellement à l'ancienne. Ce faisant, il a omis que ce
que le peuple attendait de lui, c'était de le voir prendre goût pour une philosophie
réellement au marteau, une déclaration de guerre aux chimères et aux idées reçues,
où l'on brûle au feu d'une pensée comme une psychanalyse du feu, une méthode
qui serait nouvelle d'investigation, au carrefour entre la religion et la
science.
Il est
vrai que le pouvoir à de ces délices qui font oublier les devoirs qui y sont
attachés, surtout quand le mécanisme psychologique de réparation d'un dommage
subi joue à fond, au point de faire de la réparation du dommage moral une
licence pour tout faire. Il est donc temps de se rappeler que s'il est une
vertu en politique, c'est celle de la mesure en toute chose, y compris en matière
de ce à quoi on estime avoir légitimement droit.
Et nunc erudimini[61]
Il est
surtout temps que nos islamistes se rendent compte que leur slogan de retour à
la mélodieuse partition divine de l'existence n'est pas une spécificité
musulmane. Toute la conscience occidentale a été marquée par une semblable
partition se voulant une séparation entre les ténèbres et la lumière. L'esprit
longtemps triomphant de la Modernité avait déjà développé une thématique
semblable axée sur une telle séparation.
Aussi,
croyant innover, nos islamistes, les moins modérés d'entre eux particulièrement,
ne font que mettre leurs pas dans ceux de la tradition judéo-chrétienne. Il est
vrai que, pour être scientifiquement exact, il faut désormais parler d'une
tradition judéo-christo-musulmane, tellement le fonds sémite est commun aux
civilisations gréco-romaine et arabo-musulmane. De plus, ils n'ont pas
conscience que ce qu'ils croient original dans leur prêchi-prêcha, débordant de
cette moraline hors de temps, pour user de la dérision nietzschéenne,
puise directement dans la philosophie des Lumières qu'ils croient dénoncer.
Ce
faisant, ils tournent le dos à ce qui a fait la spécificité de la civilisation
arabo-musulmane qui a su rompre justement avec l'hypocrisie d'une morale judéo-chrétienne
qui n'a fait qu'engendrer frustrations et pathologies sociales diverses.
L'islam a
su, en effet, se développer et prospérer grâce à une pratique assumée de tolérance
et d'ouverture endossant « l’entièreté de l’être », sa « complétude »,[62]
incarnant ainsi bien mieux que ses héritiers occidentaux la dialectique nuancée,
signalée ci-dessus, de la pensée grecque, à savoir cette imbrication subtile
entre le « péché », factuel et dépassable, et la « pollution »,
structurelle et inéluctable, qu'il échet d'accepter et de faire avec.
Notre
civilisation, en transmettant à l'Occident son héritage, après l'avoir enrichi,
a su sauvegarder son esprit originel et éviter ce qui allait devenir une
coupure radicale dans l'Europe du Moyen-Âge, fondant le conflit métaphysique
entre le bien et le mal. C'est ce que nous voyons, ironie du sort, ressurgir
chez nous, faisant d'une réalité étrangère la plus authentique de nos mythiques
spécificités.
En effet,
pour le christianisme, que singe aujourd'hui un islam dénaturé, aucun équilibre
n'existe entre deux entités voulues opposées, antinomiques. Ainsi, dans la pensée
augustinienne, dont on sait l'importante en chrétienté, le mal n'a aucune réalité
en soi puisqu'il n'est que privatio boni, une privation du bien. Or,
elle est reprise par nos islamistes qui voient pourtant bien son peu d'impact
sur la sagesse populaire qu'ils jugent démoniaque du fait qu'elle continue de
reconnaître, à bon droit et selon sa tradition ancestrale, que le bien et le
mal restent deux entités autonomes et équivalentes.
Ce qui est
remarquable et à remarquer ici, c'est que les manifestations d'une telle sage
intuition marquent le quotidien de ce peuple intelligent, admettant par
tradition l’imperfection comme étant aussi un élément structurant du donné
social tunisien. C'est ce qui devrait inspirer le politique, tout autant que
l'observateur des phénomènes sociaux, comme un angle d’attaque particulièrement
pertinent pour son action ou ses études.
Et on ne
le répétera jamais assez, il ne s'agit là, rien de moins, que d'une conception
saine de l'esprit de l'islam dans sa vision exhaustive de l'existence réelle.
Sa tradition, tout comme celle, profane, du peuple ne pullule-t-elle pas de fées,
d'esprits et de démons ?[63]
Sursum corda ![64]
Aujourd'hui,
si le parti de cheikh Ghannouchi est encore dépositaire de la confiance
populaire, et même s'il souhaite et plus que tout la garder, il semble ne pas
savoir comment exorciser sa hantise à voir se défaire lentement, mais sûrement
semble-t-il, la confiance du peuple placée en lui. Celle-ci, rappelons-le,
stipulait essentiellement qu'il réussisse à réunir par son style propre — soit
avec un islam épuré comme par un ciment de mosaïque — les pierres précieuses
qui sont celles d'angle de l'édifice Tunisie, à savoir la tolérance,
l'ouverture et la liberté.
En se
comportant comme il le fait, réagissant émotionnellement à tout ce qui ne
convient pas à ses militants, surtout parmi les plus extrémistes, n'hésitant
pas à en faire une atteinte à l'islam, il fait de notre belle religion cet ânon
que tout un chacun cherche à enfourcher et dont on s'improviserait le propriétaire
en cherchant à défendre l'animal d'être monté.
Or, loin
d'être ce bourricot, l'islam est une altitude inatteignable, une sommité que ne
saurait abaisser nulle bassesse ou turpitude, sauf paradoxalement notre propre
comportement qui ne ferait alors que donner une fausse vision de la hauteur
sublime de notre religion. Par conséquent, nous ne serions que pareils à cette
mère dite juive, prototype de toute mère possessive et si débordante d'amour au
point d'étouffer son enfant chéri.
Et nous le
rappelons encore, quitte à nous répéter : l'instant éternel que vit le peuple
aujourd'hui est un instant soufi,[65]
en ce sens que l'islam tunisien est fondamentalement imprégné par l'esprit
soufi qui est une recherche de connaissance directe de la divinité, une mystique
enseignant la progression spirituelle sur la voie d'une rencontre de l'âme du
croyant avec son créateur.[66]
C'est ce qui fait l'attachement du Tunisien à sa religion en une forme de plénitude
d'islam vécu comme une voie d'excellence et vers l'excellence.
Aussi, après
la fragrance du jasmin, la Tunisie pourrait s'embaumer du parfum de l'islam
dans sa saveur soufie, cet éveil à l'universel et au goût d'une foi
rationaliste apaisée.
Écoutons,
pour terminer comme on l'a commencé, ce qu'assure le célèbre neurobiologiste
Jean-Didier François sur l'inévitabilité de la foi, et ce bien qu'il soit un
indécrottable matérialiste, croyant à la naissance inévitable d'un homme transhumanisé
(que, personnellement, je pense être plutôt un homme spiritualisé) : « Je
n'ai pas besoin de l'hypothèse de Dieu pour faire ma science. Mais je suis
quand même "religieux", puisque je prie. Mon besoin naturel de
transcendance s'exerce librement, sans que je sois contraint par une morale ou
par un dogme. Dieu peut être un partenaire, mais pas un destinataire. »"[67]
À méditer...
NOTES :
[1] À l'origine, dès le départ,
depuis le début.
[2] Grasset, 2011, coécrit avec
Geneviève Ferone.
[3] La Vie, numéro du 9 août 2012, p. 42.
[4] Seuil, mars 2008, 2 volumes.
[5] Dans le concret, par rapport
aux éléments concrets.
[6] Par la grâce de l'expression,
par exemple.
[7] Si on devait avancer ici une
définition provisoire de la postmodernité, dont il sera question tout au long
de l'article, ce pourrait être celle donnée par Michel Maffesoli : « la
synergie de phénomènes archaïques et du développement technologique ». Cf.
infra note 36.
[8] Qu'en est-il? Quoi?
[9] Concept définissant le temps
chez les Grecs, tout comme Aion et Chronos, le Kairos est le temps de
l'occasion opportune, de la circonstance.
[10] C'est ce que soutient,
relativement au temps océanique, Raphaël Liogier, professeur à l'IEP
d'Aix-en-Provence et directeur de l'Observatoire du religieux, dans son récent
livre : « Souci de soi, conscience du monde. Vers une religion globale? »
Armand Colin, juin 2012, 280 p.
[11] Qui?
[12] Ainsi, le même Raphaël
Liogier a-t-il pu affirmer, avec raison, qu'il est parfaitement raisonnable, eu
égard à cet imaginaire, que « manger halal et manger bio, c'est pareil!».
[13] À la ville, ici.
[14] Dans le monde.
[15] Au sens strict.
[16] « La Volonté de savoir »,
Paris, Gallimard, 1976.
[17] C'est le « nicht'raus,
sondern durch » de C.G. Jung.
[18] Au sens large.
[19] La coïncidence des
contraires. Elle est l'une des manières les plus archaïques par lesquelles
s'est exprimé le paradoxe de la réalité divine.
[20] Sur le cardinal Nicolas de
Cuse (ou de Cues, né en 1401 et mort en 1464), considéré comme le dernier des médiévaux
et le premier des modernes, ayant fait passer les thèses de Maître Eckhart dans
la modernité, voir : « La Docte Ignorance », Paris, Rivages Poche, 2011.
[21] De sa propre espèce, de son
genre, particulier, spécial.
[22] C'est la loi. De
l'expression : Dura lex, sed lex, soit : Loi dure, mais c'est la loi.
[23] Ainsi que l’indiquait le
philosophe Nicolas de Cuse.
[24] Cf. l'ouvrage capital de M.
Maffesoli dont on reprend ici certains développements : « La part du Diable. Précis
de subversion postmoderne », Champs, Flammarion, 2002.
[25] Cf. Charles Fourier, « Le
Jeu des passions », Paris, Desclée de Brouwer, 2000.
[26] État d'immobilisme, état précédent
des choses.
[27] Pas deux fois pour la même
chose.
[28] Dans l'abstrait.
[29] À la suite de mon ami
sociologue Michel Maffesoli.
[30] Philosophe et spiritualiste,
il fit connaître l'hindouisme au monde occidental. Il est disciple de
Ramakrishna professant que « toutes les religions recherchent le même but», plaçant
la spiritualité au-dessus de tout ritualisme.
[31] « La peau de chagrin »,
1831.
[32] Maître indien contemporain
dans l'enseignement de la tradition indienne la plus ancienne, formé aux
disciplines scientifiques, il cherche à réconcilier la science et l'approche
matérialiste avec la tradition et l'approche spirituelle.
[33] La proximité étymologique et sémantique des deux termes est
d'ailleurs évidente, comme le rappelle M. Maffesoli, op.cit.
[34] Les choses demeurant en l'état.
[35] J'ai la plus grande estime
pour BCE qui fut l'un de mes premiers modèles aux Affaires étrangères quand j'y
faisais encore mes premières armes. Au reste, c'est en me référant à son modèle,
entre autres, que je me sens autorisé aujourd'hui à dire, à juste titre, avoir été
à bonne école. Et c'est justement l'esprit de pareil enseignement qui fait que
je peux sembler être sévère ici à son égard. Ce n'est assurément pas le cas, ou
alors juste en cette sorte de sentiment d'affection qui autorise une sévérité
tel un acte nécessaire de vérité.
[36] L'aura pour Walter Benjamin,
parlant de l'œuvre d'art, est son unicité, son authenticité et sa présence «
ici et maintenant », soit son caractère sacré. Car l'œuvre d'art, pour lui, est
unique, liée à un endroit précis et qui s'inscrit dans l'histoire. Cf. « Petite
histoire de la photographie », Paris, Allia, 2012, 48 p., et « L'œuvre d'art à
l'époque de sa reproductibilité technique », Paris, Gallimard, 2008, 162 p.
[37] La saturation est ce
processus chimique consistant dans l'éclatement des molécules composant un
corps qui se désintègre. De fait, les éléments désintégrés se réunissent de
nouveau pour créer un nouveau corps. On considère, en Sociologie, qu'il y a
actuellement saturation du modèle hérité de la modernité, sa manière d'être
ensemble. La socialité postmoderne impose
un nouveau paradigme dont l'apparition, comme toute gestation, est
traumatique. Aussi, parler de crise sociale sans noter le processus d'évolution
qu'elle annonce, c'est rester à la surface des choses, ne faire qu'une analyse
bien superficielle.
[38] Sans avoir à rappeler les définitions
désormais classiques de la postmodernité comme celle de J.F. Lyotard en termes
de fin des grands mythes de la modernité, nous retenons plus prosaïquement
celle de Michel Maffesoli rappelée supra en note 7. C'est, par excellence, l'ère
où l'on réalise que ce qu'on croyait dépassé revient en force comme dans une
sorte d'éternel retour où il ne s'agit jamais du retour du même, mais d'une
croissance prenant la forme de la spirale. Avec la postmodernité, aux notions
de l'ère moderne d'État, nation, institution et système idéologique, on a plutôt
des notions plus pertinentes comme l'univers, le local, la tribu et la valeur
mythologique. Cf. M. Maffesoli :
Sur la postmodernité in : Nouveau millénaire, défis libertaires,
http://1libertaire.free.fr/Maffesoli03.html.
[39] À égalité, ayant le même
rang dans un classement.
[40] Injustice suprême. De
l'expression : Summum jus, summa injuria, soit : Justice excessive, injustice
suprême.
[41] Ici et maintenant.
[42] Proposée par E. Durkheim,
l'expression « cœnesthésie sociale » désigne ici pour moi cette « interpénétration
des consciences » qui fait que malgré incohérences et vicissitudes, crises et
catastrophes, bouleversements et crimes ponctuant son histoire, la communauté
musulmane perdure. La cœnesthésie ou cénesthésie, c'est cette sensation ou
impression générale d'aise ou de malaise donnée par l'ensemble des sensations
internes. Or, c'est la coutume, réhabilitée par la pensée postmoderne de M.
Maffesoli, qui s'y trouve être un va et vient entre stéréotypes, us vécus au
jour le jour et mythes fondateurs. Pour Maffesoli, cela amène à préciser la
parenté entre proxémie et solidarité comme « principe d'allonomie qui repose
sur l'accommodation, l'ajustement, l'articulation organique à l'altérité
sociale et naturelle ». C'est cela qui nous autorise à dire que la perception
de la tradition islamique par les croyants est bel et bien un phénomène de cœnesthésie
sociale. Cf. Michel Maffesoli : « Le temps des tribus. Le déclin de l'individualisme
dans les sociétés de masse», Paris, Méridiens Klincksieck, 1988.
[43] Cf. sa conférence donnée à
l'université Paris Diderot le 22 mai 2012 intitulée : Physique quantique et réalité
: la réalité, c'est quoi? http://www.asmp.fr/fiches_academiciens/textacad/espagnat/12-05-22_PhysiqueQuantique&Realite.pdf
[44] Les paroles s'envolent.
[45] Cf. Peter J. Whitehouse et
Daniel George : « Le mythe de la maladie d'Alzheimer. Ce qu'on ne vous dit pas
sur ce diagnostic tant redouté », éditions Solal, 2009.
[46] Cf. Dodds (E.R.), Les Grecs
et l'Irrationnel, Paris, Gallimard, 1976. cf. aussi M.Maffesoli, op. cit., dont
on s'inspire ici.
[47] Par quel moyen.
[48] Le Seuil, Paris, 2009.
[49] L'expression est de Cheikh Ibn Taymiya lui-même, le héraut
incontesté des salafis.
[50] Ici et maintenant.
[51] L'expression de saturation
est de P. Sorokin qui l'emploie pour les œuvres culturelles et que M. Maffesoli
reprend à son compte.
[52] Michel Maffesoli, en
particulier.
[53] Comment.
[54] C'est en ce sens que M.
Maffesoli tient à appeler la modernité une « postmédiévalité», en ce sens
qu’elle a permis une nouvelle composition de l’être-ensemble en l'ère actuelle
postmoderne.
[55] Rappelons, par exemple, la
clause appelée du « Mariage kairounais » qui a permis à la femme tunisienne du
temps de la polygamie de contourner cette pratique.
[56] J'ai exposé avec la formule
du visa biométrique de circulation une solution satisfaisant tout le monde. Cf.
mon article : « Pour un visa biométrique de circulation pour les Tunisiens »,
http://tunisienouvellerepublique.blogspot.fr/2012/06/du-virtuel-au-reel-9.html#more
[57] Cf. mon article précité : «
Pour un visa biométrique de circulation pour les Tunisiens».
[58] Sans fixer de jour, de date.
[59] Ainsi, le célèbre neurologue
Peter Whitehouse écrit dans son livre sur le Mythe de la maladie d'Alzheimer : «
Cette focalisation augmente l'activité électrique dans certaines régions de
votre cerveau et conduit à la libération de neurotransmetteurs entre des
milliers de vos synapses. Cette augmentation de l'activité forme des connexions
synaptiques de neurone à neurone qui, en fin de compte, solidifient les énoncés
dans votre esprit et vous rendent plus enclin à vous en rappeler à l'avenir si
on vous y incite. » Op. cit., p. 87.
[60] Le prix de la douleur, les
dommages et les intérêts pour une douleur physique et/ou morale.
[61] Et maintenant, soyez
instruits !
[62] Pour utiliser des termes
maffesoliens.
[63] Il est instructif de se référer ici, au-delà des célèbres Mille et
une nuits, à nos contes populaires, comme a tenté de le faire Abdelwaheb
Bouhdiba. Cf., à titre d'exemple, sa brillante analyse dans « L'Imaginaire
maghrébin », Tunis, Cérès, 1994.
[64] Élevez vos cœurs ! Haut les
cœurs !
[65] Pour reprendre le titre de
l'essai d'Éric Geoffroy : « L'Instant soufi », Actes Sud, collection Le souffle
de l'esprit, Paris, 2000.
[66] On se référera toujours avec
intérêt à la poésie d'Ibn Achir en la matière, résumé éloquent de l'islam
tunisien. J'en reproduis le texte sur mon blog Tunisie Nouvelle République sous
la rubrique : « La Tunisianité ou de
l'identité tunisienne » : http://tunisienouvellerepublique.blogspot.fr/