La politique est l'art de l'im-possible
Ce qu'il y a peut-être à retenir le plus de la
nouvelle mouture du gouvernement Essid, c'est moins l'entrée officielle
d'Ennahdha que la mise à l'écart d'une figure éminente de la défense des droits
de la femme et de l'État civil, Madame Khedija Cherif qui devait occuper le ministère de la femme.
Assurément, cela traduit l'influence du parti islamiste qui a
opposé son véto à cette figure de proue de la lutte contre le voile appelé à
tort islamique alors qu'il n'est au mieux qu'une coutume méditerranéenne, sinon
une tradition bel et bien judéo-chrétienne et en rien islamique.
Or, si le nouveau pouvoir commence à céder ainsi sur le coeur de
cible de ses valeurs humanistes et civiles, cela augure mal de l'aboutissement
des réformes qu'il est censé conduire dans le cadre de la réforme nécessaire du
droit positif tunisien ! On verrait mal alors le gouvernement abolir les
lois scélérates, telles celles sur l’homophobie, ou les interdictions variées
au nom du sacré et d’une conception intégriste de la foi.
Aussi, doit-on faire le requiem d'une future avancée des acquis
de la femme et des droits à la différence avec l’exclusion du gouvernement de
celle qui fut une des fondatrices de la
vaillante Association des Femmes Tunisiennes Démocrates et dont la présence
aura été éminemment symbolique et qui n’aura pas manqué de retombées bénéfiques
pour le nouvel État civil tunisien ? Ce serait alors pour le président de
la République renier ses engagements auprès des femmes qui composent
l'essentiel de son électorat !
Cependant, connaissant le talent de M. Caïd Essebsi qui se doit
de faire face à celui de son concurrent, devenu un partenaire obligé, M.
Ghannouchi, on doit s'attendre à des tours de sa part pour reprendre l'initiative
en matière des valeurs démocratiques.
Aussitôt le gouvernement adoubé à l'Assemblée, gageons qu'il
reprendra l'action en faisant montre de l'étendue de son talent. L'égérie des
droits de la femme tunisienne serait assurément chargée d’une mission à la
hauteur de ses talents et de son ambition réformatrice.
D’ailleurs, M. Essebsi n'a-t-il pas promis durant sa campagne
électorale de réformer la législation inepte et injuste sur les stupéfiants ?
Attendu sur ce registre, il pourrait bien en faire la première réplique à
l’apparent poids pris par Ennahdha dans la composition du gouvernement. Sans
doute il y aura alors de quoi relativiser les propos de tous ceux qui dénoncent
aujourd'hui les concessions faites à Ennahdha.
C'est que la politique
est bien l'art de rendre possible l'impossible, même et surtout si l’on
commence par donner l'impression de se limiter à l'im-possible ; car il
emporte toujours une possibilité du moment que la volonté politique est
affirmée, claire et déterminée.
On ne peut qu’adhérer à cette définition de la politique et la croire
être l'état d'esprit de M. Caïd Essebi qui, en vieux briscard de cet art, fait
assurément sienne la sage parole de Martin Heidegger : « Au-dessus
de la réalité, il y a la possibilité ».
Publié sur Leaders