Pour une nouvelle frontière en Méditerranée
Monsieur Essid, nouveau chef de gouvernement a été concis et s'est voulu déterminé en entrant officiellement en fonction. Ne détaillant pas encore son programme, il a juste dit que ce sera celui de l’action, affirmant qu'il dédaignera les solutions classiques faits de recettes analgésiques et soporifiques sans nulle utilité réelle.
On veut bien le croire; aussi voici une problématique d'actualité où le nouveau gouvernement pourra faire montre d'originalité tout autant que de courage et d'ambition pour le pays en osant bousculer le ronron d'une diplomatie tunisienne qui s'est par trop prosternée aux intérêts européens. Cela nécessite toutefois du courage et de la force d’âme.
Le défi d’une nouvelle frontière
Il s’agira, comme en parlait le président Kennedy pour son pays, du défi à relever d’une nouvelle frontière, une œuvre de dépassement de soi pour être en mesure de s’offrir et offrir au monde le meilleur possible à donner.
Or, en Tunisie et en Europe, nous en sommes au même défi, celui de repousser nos frontières mentales au-delà du dogmatisme et conformisme logiques voulant que la doxa antédiluvienne des rapports internationaux reste en l’état, intangible.
Car le monde a irrémédiablement changé et les concepts antiques comme la souveraineté nationale, la frontière étatique ou encore la technique du visa ne sont plus opérants, étant désormais vides de sens faute de contenu utile.
Un immeuble planétaire
Aussi, il nous faut en inventer d’autres qui soient adaptés à notre univers passé du statut de village planétaire à celui d’un immeuble planétaire. Peut-on raisonnablement ériger des cloisons entre les étages d’un immeuble ? Soumettre la circulation d’un étage à un autre à une obligation de visa ou ne pas se soucier de ce qui se passe de nuisible pour la sécurité du bâtiment dans un appartement privé, dans la cave ou les combles ?
Un dégât des eaux ne peut déjà ne concerner que les habitants d’un appartement ; que dire quand il s’agit d’un incendie ? Ce n’est pas uniquement le droit des voisins de réagir au plus vite en plus de l’obligation de réparation incombant au propriétaire ou au locataire de l’appartement ; c’est leur devoir également !
C’est bien d’une prise de conscience de l’état actuel du monde qu’il s’agit, et elle implique impérativement une révolution mentale qu’on se doit de faire et de réussir avant qu’elle ne s’impose à nous dans les pires conditions.
Un partenariat pour l’immobilité
Or, l’occasion se présente à la Tunisie comme à l’Europe à la faveur de la reprise des négociations sur le fameux accord de réadmission appelé pompeusement et cyniquement par les Européens partenariat pour la mobilité quand il ne fait que consacrer une mobilité patente.
Au prétexte de devoir lutter contre l’entrée illégale en Europe, phénomène crée de toutes pièces par la fermeture des frontières, cet accord entend faciliter l’éloignement du territoire européen de tous ceux qui auraient tenté d’y entrer illégalement. Nonobstant leur nationalité, la réadmission prévue par cet accord s’imposera au pays d’où serait parti le clandestin pour l’Europe.
Ce faisant, l’Europe luttera moins contre les entrées illégales qu’elle n’externalisera hors de ses frontières la lutte contre l’immigration clandestine. Concrètement, en effet, la Tunisie sera tenue de réadmettre sans formalités non seulement ses nationaux, mais n’importe quel étranger, quelle que soit sa nationalité, et ce juste du fait qu’il sera passé par son territoire. C’est très grave pour un pays qui ne manque déjà pas de problèmes sociaux.
Et qu’offre l’Europe contre une telle grosse obligation faite à notre pays ? Rien de vraiment utile, juste une promesse de facilités dans la délivrance de visas selon des critères bien flous !
Pas de réadmission sans admission libre
C’est ici que le bât blesse, car la logique suppose que la moindre réadmission à faciliter doit être conditionnée par une facilité concomitante au niveau de l’admission. Ce n’est donc pas des facilités de délivrance de visas qu’il faut, mais l’abrogation du visa actuel et son remplacement par un visa de circulation garantissant le libre mouvement.
Effectivement, c’est uniquement dans un système d’entrée libre que le principe de réadmission trouve sa logique. La réadmission n’est qu’une technique qui vient compenser l’entrée libre afin d’équilibrer le cas échéant les flux s’il y a risque de déséquilibre. C’est le cas, par exemple, dans le cadre du visa de circulation, d’un maintien au-delà des trois mois de résidence légale d’office sans une sortie suivie d’une nouvelle entrée donnant droit à une nouvelle période de trois mois de résidence régulière.
Par conséquent, l’accord de réadmission proposé par l’Union européenne ne peut ni ne doit être accepté par la Tunisie. Notre pays aura bien intérêt à proposer un contre-accord faisant le lien indispensable entre la réadmission devant être précédée d’une nécessaire admission préalable.
À cet égard, nos diplomates seraient bien inspirés de songer à un précédent avec la France dans les années 1990 qui a vu la Tunisie contrer avec succès un accord similaire, étant juste national et non européen, par une proposition d’accord opposé faisant le lien absolument logique entre l’admission et la réadmission.
Nécessité du visa biométrique de circulation
C’est une occasion en or tant pour la diplomatie tunisienne que son alter ego européenne ; pour la première de faire montre de courage et d’inventivité, et pour la seconde d’avoir plus d’humilité à reconnaître les réalités de l’obsolescence du visa actuel.
Et d’autant plus que la relève existe et est parfaitement compatible avec les motivations sécuritaires justifiant la logique du visa actuel tout en ne sacrifiant pas le respect du premier des droits de l’Homme, celui de la libre circulation.
Il est à noter que la Tunisie a déjà commis la grosse erreur de signer un protocole lié à cet accord ; aussi doit-elle se racheter en s’abstenant de signer l’accord. Dans le cas contraire, elle méconnaîtra assurément l’intérêt bien compris du pays et de ses ressortissants.
Bien mieux, en tenant le raisonnement exposé ici, la diplomatie tunisienne aidera sans conteste son alter ego européen à tenir compte de cet impératif catégorique de transformation du visa actuel en visa biométrique de circulation.
Ainsi repoussera-t-on de concert les frontières du dogmatisme en Méditerranée ! Ainsi y révolutionnera-t-on les mentalités pour un avenir moins sinistre, le terrorisme se nourrissant de la situation actuelle y régnant, celle d’un « holocauste moderne », selon la terrible expression d’une responsable européenne !
Alors, Monsieur Essid et M. Baccouche, oserez-vous donner une nouvelle ambition à notre diplomatie ? Vous savez ce que cela nécessitera comme action immédiate !
Publié sur Nawaat