Ce week-end, la Tunisie vote, déjà à l'étranger puis, dimanche 26, sur le territoire national; et on veut faire bien plus que mine de croire à une exception tunisienne en matière de transition démocratique.
De fait, s'il existe une exception véritable, elle est moins dans l'opération électorale formaliste, guère différente de ce qui arrive et peut arriver n'importe où ailleurs dans le monde arabe, que de la possibilité réelle d'un modèle tunisien qui soit le prototype d’une réelle renaissance arabe, une reviviscence de l'islam.
L'intuition américaine
Rappelons d'abord que rien ne serait arrivé en Tunisie sans l'intuition américaine tablant sur la capacité de la Tunisie de renouer avec un passé d'originalité remontant à la nuit des temps. Carthage fut une terre de culture et de civilisation raffinées et les enfants de cette terre, y compris les farouches guerriers que sont les hommes libres autochtones, ont toujours su allier désir et plaisir de vivre.
L'ami américain devenu indéfectible depuis l'instauration de l'ordre mondial aujourd'hui en crise a eu l'intelligence de comprendre que, ce monde ayant changé, il était impératif d'innover dans la pratique politique et les rapports internationaux. La Tunisie lui parut à juste titre le laboratoire idéal pour en finir avec un ordre saturé qui ne tenait que grâce à leur appui.
Se laissant tenter par l'aventure de la transfiguration du politique en Tunisie, ils ont osé aller à l'aventure de faire entrer dans la bergerie de la classe politique tunisienne ce qui était considéré par certains, hier et encore aujourd'hui, comme le loup islamiste à tenir à l'écart, sinon à tuer.
Le mérite des États-Unis et d'avoir cru le chef de file tunisien dans sa profession de foi démocrate au point de l'aider, une fois le Coup du peuple réussi grâce à leur feu vert sinon leur appui agissant, à avoir en mains les clefs du pays.
Une transfiguration lente du politique
Il est vrai que l'allié islamiste ne fut pas à la hauteur des attentes américaines, ayant été débordé par ses membres les plus extrémistes et pour cause d’une stratégie par trop sophistiquée dans son esprit antique. Cela aurait pu relever de la trahison des engagements si la réalité complexe des contraintes internationales ne pesait de tout son poids.
Comme on le dit, il fallait gérer une situation où la peste le disputait au choléra et où le borgne ne pouvait qu'être roi au pays des aveugles. Aussi, malgré les coups de griffe et même de poignard reçus par son supposé nouvel allié, l'Amérique d'Obama sut résister à ses propres vieux démons anti-islamistes ainsi que ceux de ses anciens alliés se présentant comme libéraux et démocrates.
Aussi, a-t-on eu la sagesse de ne pas remettre en cause ce qu'impliquait l'intuition première, laissant les événements aller à leur terme en continuant, moyennant une mise à jour logicielle, de parier sur la possible et nécessaire transfiguration du politique en Tunisie.
Celle-ci fut lente et le sera encore, mais elle prit finalement naissance avec la formule du consensus imposant le recours aux compétences. C'est ce qui prendra mieux forme au lendemain des élections législatives où l’on pourra parler d'une nouvelle forme de gouvernance politique que je qualifie de Compétensuelle où le service de l'État prime l'appartenance partisane, la seule appartenance n’étant que celle due à la patrie, nullement à un quelconque parti.
Or, un tel scénario est parfaitement possible grâce au génie tunisien, l'essence de l'être dans ce pays, qui bien plus porté sur le consensus que la chicane, y compris et surtout en matière d’idéologie.
En effet, de tout temps, en Tunisie, on a eu moins affaire à l’idéologie comme négation de l'appétence à la vie que comme un aphrodisiaque à une volupté de vivre propre à cette terre que les artistes, grâce à la finsese de leur âme, ont été les premiers à déceler et à chanter
Une postdémocratie en cours d'émergence
C'est à cette constante quasiment anthropologique en Tunisie que se sont finalement ralliés les gourous politiques de la Tunisie actuelle qui se disent, chacun à sa façon, les hérauts de ce Coup du peuple tunisien — mon expression pour ce qui ne fut point une révolution techniquement parlant — qui n'a réussi que grâce à l'intuition américaine.
Un cours nouveau est en train de prendre forme en notre pays à l'occasion des élections législatives dont le résultat sera confirmé par l'élection présidentielle.
Certes, en la matière, on relèvera encore de ce que je qualifie de daimoncratie, ce pouvoir des démons de la politique; mais il ne faut pas faire la fine bouche, le pays étant en pleine transition, trop faible et trop inexpérimenté pour prétendre avoir droit à une démocratie modèle quand elle n'existe même plus en Occident.
On aura le moins mauvais résultat à visée téléologique que d'aucuns qualifieront de partage de pouvoir et qui serait un équilibre instable agissant pour un plus grand équilibre. Disons qu'il sera ce désordre politique unitaire en train de se transformer en une multiplicité d'ordres, muant en des-ordres pour le bonheur et l'intérêt du plus grand nombre. N'est-ce pas ainsi que l'on s'acclimate au vivre-ensemble démocratique ?
On aura alors non pas une démocratie ainsi que l'on peut en voir la caricature en Occident, mais une nouvelle forme approchant ce qu'il en sera demain, bien plus faite de compétnecs ne se réclamant que de l’intérêt du plus grand nombre avec un pouvoir capillarisé dans des structures régionales et locales, cette puissance sociétale incontournable. Cela se fera surtout grâce à la démocratie participative dont certaines localités en Tunisie découvrent le charme et l'inéluctabilité pour une démocratie encore plus participale que participative.
Le défi de l'exception tunisienne
S'il est une parole de vérité dans les propos de campagne du chef du parti islamiste, c'est quand il exprime la nécessité pour les politiciens en Tunisie de ne pas la diviser davantage et d'agir pour unir son peuple. Ce qu'il ne dit pas cependant et a le devoir de le faire, c'est que cette union ne doit pas être la réduction à l'un, qui serait une vision de l'islam figé comme il y tient encore, mais une unicité multiple, tout à l'image du pays.
En effet, la classe politique tunisienne — tous bords confondus — baigne dans une conception de l'islam traditionaliste qui ne varie que par ses déclinaisons. Ainsi, si les islamistes sont enclin à un certain rigorisme, les libéraux et assimilés ne sont pas moins attachés au maintien des lois actuelles supposées inspirées d'une conception modérée de l'islam quand ces lois mêmes ne sont nullement islamiques. En effet, toutes les lois se prétendant inspirées par l'islam en matière de vie privée sont à revoir et à modifier et à abolir car elles heurtent non seulement l'esprit démocratique, mais aussi l'esprit islamique bien compris.
Or, sur cette question, on a un quasi-conformisme généralisé dans la classe politique, gauche et droite confondues au prétexte que la société serait conservatrice. Qui oserait, par exemple, appeler à l'abolition des lois homophobes comme symbole flagrant de refus du vivre-ensemble paisible en Tunisie ? Une telle question est symbolique de la fermeture dogmatique et elle explique pourquoi on ne peut encore, au nom de pareil conformisme logique, avoir de politicien osant appeler à une politique étrangère innovante, prônant par exemple l'établissement de relations diplomatiques avec Israël, issue que l'on considère pourtant en catimini comme une nécessité inévitable.
C'est le véritable défi de ce qui a cours en Tunisie, bien plus que le respect des règles de transparence et de conformité à une démocratie formelle déjà en crise dans les pays de tradition démocratique.
Le consensus auquel les forces qui comptent sont parvenues au forceps et qui suppose un partage raisonné du pouvoir suppose que les uns et les autres aillent au bout de cette logique en tirant force de l'esprit populaire tunisien ouvert.
Celui-ci est largement ouvert à l'originalité et au non-conformisme pour peu qu’il y ait dans ses élites qui oserait innover dans la pratique politique. Ainsi participera-t-on à la mise en place d'un véritable modèle politico-culturel tunisien qui sera encore plus que le vivre-ensemble démocratique.
En effet, il est possible aujourd’hui en Tunisie de mettre en place un véritable être-ensemble postmoderne fait de communion émotionnelle, ce qui fait le propre de l'homme tout autant équivalent sinon plus à ses droits intangibles.
C’est en cela que l’on saluera demain les élections actuelles en Tunisie comme un tournant capiatl non seulement dans l’histoire du paus et du bassin méditerranéen, mais dans le monde arabe islamoque et forcément dans le monde entier. L’histoire s’écrit bien aujourd’hui sur cette petite terre de Tunisie au festin pouvant être grandiose.