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dimanche 27 octobre 2013

D'altermondialisme à mondianité 3

L'autre terrorisme à combattre aussi !

Le terrorisme qui endeuille notre pays a une face bien apparente; mais il en est un autre, inapparent et insidieux, aux conséquences dramatiques presque similaires, et dont on ne parle que peu ou pas. Il alimente même le premier sournoisement. C'est celui que constitue le dogmatisme en matière de politique migratoire, actuellement en cours en Méditerranée.
Entre les deux terrorismes, il est un lien invisible, mais évident; celui qui amène nos jeunes privés de leur droit de bouger à rejeter l'Occident ainsi qu'ils le voient les rejeter, et à verser par conséquent dans l'extrémisme et la négation d'autrui.
Arrêtée par une Europe arrogante, devenue aveugle  et autiste, une telle politique est bien terroriste, alimentant fatalement l'intégrisme religieux. Pourtant, elle emporte l'adhésion de nos gouvernants, puisqu'elle ne peut être mise en oeuvre que grâce au concours de nos responsables. Et il est honteux de voir nos diplomates, tout comme du temps de la dictature, s'empresser d'aller au-devant des desiderata européens malgré les deuils récurrents sur nos côtes et en Méditerranée, entretenus par une politique devenue quasi criminelle. 
Le récent drame de Lampedusa a fait trois cent soixante morts, et ce n'est rien ! Ce ne sont pas moins de seize mille victimes qui ont péri en mer depuis l'érection de ce mur de la honte sur la Méditerranée avec la vaine prétention d'empêcher la libre circulation au prétexte de la maîtriser.
L'Europe continue à ne considérer la question qu'en termes de flux migratoires nécessitant tout simplement des mesures sécuritaires, ce qui n'est que de l'incitation aux drames. Il est vrai, ceux-ci comptent bien peu par rapport au score électoral des partis en Europe, surtout à la veille d'échéances électorales !
Ainsi, le Conseil européen qui vient de se réunir le 25 courant à Bruxelles a encore reparlé de cette ineptie de flux qui n'existent que dans les imaginations fertiles des politiciens. Il est bien une évidence, en effet, que la migration internationale est stable durant toute la seconde moitié du siècle passé et le début du nouveau. De fait, s'il y a des flux, ils vont moins du Sud vers le Nord qu'ils n'ont lieu à l'intérieur des pays pauvres.
Une larme sur les dernières victimes innombrables de la politique de l'Europe a bien été versée durant le conseil, mais cela n'a pas empêché les responsables européens d'envisager le durcissement des dispositifs réglementaires en vigueur jugés par trop laxistes, comme l'obligation d'hébergement du demandeur d'asile prévue par le règlement de Dublin II.
S'agissant des partenaires du Sud, dont le nôtre, les chefs d'État européens, obnubilés par leur monstre en carton qu'est la clandestinité, ont concédé la nécessité d'une aide encore plus conséquente à ces pays. Or, on sait que cela est bien moins pour le développement que pour le renforcement de la capacité à contrôler les frontières.
Le soutien aux pays du sud de la Méditerranée ne peut pourtant plus et ne doit se cantonner au strict domaine du contrôle de la circulation humaine. Il est appelé urgemment à s'élever au niveau d'une véritable coopération d’égal à égal entre les membres d'un espace méditerranéen qui suppose un sort commun, ne serait-ce que du fait des échanges qui n'y ont jamais cessé, aussi bien humains que culturels et économiques.
L'Europe continue à tort de s'en tenir à des accords antiques, déséquilibrés et léonins, ne se souciant que de ses intérêts à court terme. C'est le cas de ceux qui sont en cours de négociation, qu'on appelle pompeusement Partenariat pour la mobilité, et qui ne font que confirmer l'immobilité.
Notre participation à ces accords doit être suspendue incontinent à moins d'un rééquilibrage impératif impliquant la liberté de mouvement de nos nationaux sous couvert de visa biométrique de circulation qui est respectueux des exigences sécuritaires européennes tout en étant en conformité avec le droit et la morale des gens.
Il ne suffit plus de parler de tragédie et de terrorisme, il faut s'atteler véritablement à revoir la politique européenne en la matière et, pour ce qui nous concerne, d'aider à le faire en amenant le débat, pour le moins. Cette politique a amplement démontré non seulement ses limites, mais aussi et surtout la caducité de ses présupposés, outre sa haute nocivité, sinon son caractère criminogène.
Au conseil européen, on a bien parlé d'une détermination pour que de nouveaux drames humains n'aient pas lieu, prétendant s'attaquer aux causes profondes. Toutefois, la seule cause profonde susceptible de changer la donne et de résoudre le problème à la base n'est même pas entrevue. En effet, au lieu d'avoir le courage de faire face aux réalités et de comprendre qu'il n'est de clandestin que du fait de la fermeture des frontières, et que leur ouverture favorisera la circulation et non l'installation, les dirigeants européens préfèrent ressasser leurs recettes qui relèvent du cautère sur une jambe de bois.
On ressort le discours oiseux de la politique de retour effective et d'aide au développement supplémentaire, en plus de la sempiternelle rengaine de lutte contre les réseaux de trafic. Si l'on évoque du bout des lèvres une possible redéfinition de la politique de l'immigration en Europe, c'est juste pour la renvoyer à l'été prochain, n'y envisageant que la thématique de l'asile en vue de le restreindre davantage.
Les responsables européens savent pourtant que le monde a changé et que leur politique ne doit plus être commandée uniquement par les considérations électoralistes et les calculs politiciens, mais plutôt par le réveil de conscience et les retrouvailles avec des valeurs et principes oubliés; ce qui nécessite pas mal de courage et de force d'âme. Or, ce sont bien les marques d'une politique véritable.
Il est vrai que la fausse question migratoire suscite trop de passions auprès des masses populistes fanatisées par ce qu'elles considèrent comme une question identitaire majeure. En cela, elles ne se comportent pas différemment des intégristes fanatisés qui menacent la paix dans notre pays. De fait, les deux intégrismes, nationaliste en Europe et religieux en Tunisie, sont les deux faces d'une même réalité, un dogmatisme liberticide et négateur du moindre humanisme. Aussi supposent-ils pareillement une lutte déterminée et une détermination acharnée des deux côtés.
C'est pour cette raison que si la politique européenne sur la question migratoire est assurément honteuse, notre attitude face à elle l'est encore plus. Il est du devoir de notre diplomatie de tenter d'amener les Européens à ne plus esquiver le fond du problème en ayant l'audace en tant que diplomatie de pays ayant fait sa révolution mentale d'évoquer la question de la libre circulation et de l'espace de démocratie méditerranéenne, amplement évoquée à maintes reprises.
Le sûr est que nos amis d'Europe ne veulent rien entendre de pareil discours; mais est-ce suffisant pour faire le dos rond et nous contenter de ce qu'ils croient pouvoir nous dicter ? S'ils ne sont pas prêts de reconnaître l'inanité de leur politique et son caractère déraisonnable avec ses implications criminelles, ils ne continuent pas moins de rechercher à lui donner un sens en se prévalant de notre assentiment; aussi doivent-ils désormais déchanter de l'avoir ! On ne doit plus se sentir acculés à soutenir une politique absurde, nous amenant à faire peu de cas, non seulement des intérêts de nos compatriotes, mais aussi de leurs vies.
Aujourd'hui, en tant que ressortissants d'un pays où s'écrit l'histoire, c'est notre mission de faire comprendre aux Européens que nulle politique sécuritaire ne saurait empêcher le besoin de bouger des hommes. Le mur de Berlin ne l'a pas fait; comment un mur édifié sur la mer le ferait-il ?
Il nous faut refuser que les Européens continuent de faire de nos diplomates les complices objectifs et actifs des drames jalonnant le quotidien de notre Méditerranée. Pratiquement, nous devenons les pièces maîtresses dans le renforcement des dispositifs répressifs que sont l'Agence de surveillance des frontières Frontex et le nouveau système qu'est Eursur; et ce dans l'attente des nouveaux stratagèmes encore plus attentatoires aux libertés qu'un groupe de travail est déjà chargé de préconiser dans les plus brefs délais.
N'aurait-il pas mieux valu qu'un tel groupe se penche sur la véritable cause des migrations qui — répétons-le encore ici — bien loin de n'être seulement que le sous-développement, est justement ce qu'on présente comme l'antidote par excellence, soit la fermeture des frontières ?     
Notre diplomatie a de quoi être bien honteuse. Non seulement elle se satisfait d'un état de fait gros de tragédies, porteur de funestes drames futurs, mais elle négocie en plus des accords avec l'Union européenne taillés sur mesure pour une politique meurtrière. Honteuse, elle l'est déjà de n'assumer pas ses responsabilités en tant que diplomatie de la Révolution, mettant l'Europe devant les siennes pour l'amener à être dans le sens de l'histoire et en conformité avec ses propres valeurs et le droit des gens. Car à défaut de la sortir de sa politique migratoire dogmatique, la diplomatie tunisienne peut amener l'Europe à accepter d'en débattre, et ce en refusant de coopérer à ce qui revient de notre part à verser ipso facto dans le grotesque, sinon le déshonneur.
Au vrai, la honte n'est pas que sur l'Europe pour son approche répressive. Par notre silence, notre collaboration empressée à cette même approche, nous permettons qu'elle se pérennise tout en faisant nôtre l'inacceptable pénalisation du droit à la circulation et au séjour. Sans notre silence et notre assentiment, on n'aurait pas aussi facilement transformé en ubuesque irrégularité pareil droit autorisant toutes sortes de pratiques abusives de refoulement ou de rétention, de violation d'obligations de secours et de protection, qui sont bien plus que seulement éthiques, car internationalement consacrées.
La honte est sur nous, donc, premiers intéressés, les victimes venant de nos terres, étant nos compatriotes; et que nous contribuons comme si de rien n'était à la mise en place d'une absurdité érigée en politique. Elle est sur nous qui aidons activement le fer de lance européen en matière de cette supposée politique migratoire, l'agence Frontex dont le budget (passé de près de vingt millions d’euros en 2006 à plus de cent millions d’euros en 2011) aurait pu mieux servir en étant consacré à l'aide au développement, se chargeant par exemple de donner vie à la création des multiples projets plus novateurs les uns que les autres dont étaient porteuses les victimes qui ont trouvé la mort en mer.
En lieu et place de quoi, grâce à notre concours honteux, cette agence — la plus financée de l’Union — s'érige de plus en plus en véritable danger pour les libertés et les valeurs humaines par ses violations répétées et délibérées des lois internationales. En effet, sa mission d'empêcher le franchissement des frontières extérieures de l'Europe lui autorise pratiquement toutes les entorses. De fait, Frontex que nous serons appelés à épauler encore plus étroitement dans sa politique répressive, se soucie très peu des droits fondamentaux des migrants, tel celui de l'asile, ou du principe de non-refoulement, de rétention ou encore d'enfermement et de déni d'accès à la justice, sans parler des fréquentes morts qu'on lui a imputées suite à des traitements jugés inhumains.
Il est à rappeler, d'ailleurs, que bien que les patrouilles de Frontex en mer aient été multipliées grâce aux augmentations continuelles de ses crédits, elles n'ont jamais été en mesure d'empêcher les embarcations de fortune des malheureux boat people de tenter leur chance en essayant de passer entre les mailles du filet. Concrètement, elles n'ont fait que contraindre les malheureux aventuriers de nos temps postmodernes à prendre plus de risques, empruntant des voies encore plus périlleuses; d'où assurément une responsabilité bien plus grande de Frontex et de tous ceux qui l'aident, dont nos autorités, dans les accidents et drames inévitables.   
Aussi est-il temps que notre diplomatie se réveille enfin de sa léthargie et ose faire entendre la voix du Tunisien ! Qu'on arrête au ministère des Affaires étrangères de servir de caisse de résonance au discours européen, notamment celui prétendant que l'Europe fait déjà le maximum en termes d'accueil et qu'elle ne peut recueillir toute la misère du monde. Comme si cette misère n'est justement pas entretenue par le système mondial dont elle est une actrice majeure et dont elle profite, tout autant que tout l'Occident qui se croit envahi ! Comme si la misère du monde n'est pas liée au système économique dont tire les ficelles ses financiers avec le reste des gourous occidentaux !
Il est temps qu'on arrête chez nous d'accepter de reproduire la violation du droit international et de la morale faisant d'une constante anthropologique une catégorie pénale : la circulation humaine, qui est bien plus expatriation que migration.
Il est temps que vérité soit dite; car notre époque suppose plus de solidarité et moins de mensonges. C'est le moment de donner le prolongement humaniste qu'impose l'altermondialité au mondialisme : une mondianité où l'humanité est réellement placée au centre de nos préoccupations. Et cela commence bien en Méditerranée par l'aménagement d'un espace de démocratie.
La politique migratoire à l'antique a fait son temps; qu'on ose dans le pays de la Révolution dire non à la fausse solution du tout-sécuritaire ! Que la Tunisie révolutionnaire montre donc le chemin de la politique humaniste qui s'impose en la matière, où la libre circulation des marchandises suppose d'abord celles de leurs créateurs, les hommes. Ainsi le veut d'ailleurs le véritable libéralisme aussi bien économique que politique !
Publié sur Leaders