Révolution et contre-révolution ou la loi des marrons du feu
Tirer les marrons du feu :
Il est une expression qu'on emploie parfois à tort et à travers et
qui résume la dialectique existant entre la révolution, quelle qu'elle soit, et
la contre-révolution. J'en tire une loi que je qualifie de loi des marrons du
feu.
Tirer les marrons du feu est la locution par laquelle l'on veut
dire qu'on se donne de la peine pour autrui, seul profiteur de notre labeur. La
loi des marrons du feu est donc le fait que ce sont d'autres qui jouissent des fruits de notre œuvre sans y voir le moindre titre.
C'est ce qui se
passe en Tunisie. Et cela n'est ni nouveau ni surprenant. Pour l'histoire
ancienne, arabo-musulmane en l'occurrence, rappelons comment l'esprit éminemment
démocratique de l'islam a été assez vite détourné de son essence avec les Omeyyades.
Le règne monarchique de cette dynastie a été préparé par le troisième calife
Majeur quand, durant la seconde moitié de son califat, il se détourna des
principes de gouvernance de ses illustres prédécesseurs.
Pour nos temps
contemporains, notons qu'aucune révolution populaire n'a réellement abouti à
l'instauration du pouvoir du peuple, par le peuple et pour le peuple.
En Russie
bolchevique, ce fut le centralisme supposé démocratique, le peuple étant réduit
à une caricature de représentation, celle d'une poignée de militants au service
d'une idéologie qui a vite renié ses fondements populaires pour ne faire que
profiter du pouvoir.
En France, on eut
assez vite une restauration et même un empire. Et les différentes républiques
qui se sont succédé, dont la cinquième, n'ont jamais été en mesure de conserver
en permanence le pouvoir au peuple.
Révolution et
contre-révolution :
En Tunisie,
certains parlent aujourd'hui de contre-révolution, dénonçant les menées de
supposés profiteurs cherchant à détourner la Révolution de son cours, quand ils
ont été les premiers à le faire, n'ayant eu en vue que de se maintenir au
pouvoir et d'en exclure leurs opposants.
Que ceux-ci aient
été aux commandes et que certains parmi eux en avaient profité ne fait aucun
doute; mais est-ce une raison d'y inclure les intégres qui n'étaient certes pas
hors du pouvoir, mais qui n'avaient fait que servir le peuple et les intérêts
de la patrie en premier ?
Que ceux qui
parlent aujourd'hui au nom du peuple, se présentant comme les seuls
porte-parole de la Révolution, ne sont pas tous des révolutionnaires est aussi
une évidence. Certains parmi eux
n'ont fait que se servir d'une étiquette affichée d'opposition au régime pour
servir au moins un ego surdimensionné. Et on le voit aujourd'hui à la manière
dont ils se désintéressent des attentes du peuple alors qu'ils disposent de
tout le pouvoir ou d'une partie conséquente pour le servir.
C'est la loi des
marrons du feu qui veut cela : le peuple tunisien dont le Coup fameux, cette
révolution 2.0 ou postmoderne, n'a fait que tirer les marrons du feu pour les
profiteurs; et il en est dans les deux camps, majorité comme opposition.
Servir
véritablement le peuple :
Aujourd'hui, servir
la Révolution, suppose tout d'abord un dépassement de l'aversion manifeste que
la conservation ou la quête du pouvoir fait naître et cultiver chez les uns et
les autres.
Aujourd'hui, servir
le peuple, c'est tenir compte de ses exigences; et elles ne peuvent se résoudre
simplement par la rédaction d'une constitution ou l'organisation d'élections.
Le peuple de
Tunisie est désormais saisi par l'esprit de la postmodernité qui est celui de
la souveraineté des foules. Celles-ci sont les seules détentrices du pouvoir,
une puissance sociétale instituante que le pouvoir institué ne saurait plus ni
représenter ni remplacer.
C'est de démocratie
directe qu'impose l'âge des foules dans lequel la Tunisie est entrée de
plain-pied. Si nos élites, quel que soit leur bord, veulent être véritablement
révolutionnaires, elles doivent tout faire pour aider à aller dans le sens de
l'OpenGov, des médias réellement libres et du pouvoir véritable et prééminent du
peuple à l'échelon local et régional, à travers la société civile et des
instantes du cru opérationnelles.
Elles ont intérêt à
renforcer la décentralisation poussée de l'État en octroyant le pouvoir de
décision autonome à des élus locaux, implantés dans leur terroir et au fait de
ses réalités, ses problèmes et les solutions à y apporter, y entretenant des
rapports personnels, directs et réguliers avec la population.
Les pouvoirs
publics classiques ne doivent plus être coupés du peuple et d'instances locales
au pouvoir décisionnel véritable; elles ne peuvent qu'être des instances de
représentation chargées d'harmoniser les décisions initiées et confirmées à
l'échelle locale.
Les schémas pour la
concrétisation constitutionnelle et institutionnelle de cette démocratie réelle
ne manquent pas; et ils doivent être au plus vite envisagés, car l'ère de la
démocratie formelle est révolue.
On ne peut plus
prétendre bâtir une démocratie en postmodernité sur les reliques d'un passé
fait d'élections de président et d'assemblées nominalement représentatives, y
compris législatives, et qui ne sont plus en mesure de représenter la puissance
sociétale et la souveraineté populaire qu'un court laps de temps tout en
prétendant en tirer une légitimité durable se transformant asses vite en
dictature véritable, même si elle est censée être limitée dans le temps.
Ce qui était encore
possible hier n'est plus tenable à l'âge des foules. Que les révolutionnaires,
les vrais, y pensent avant qu'une réplique du Coup du peuple ne l'impose à une
classe politique qui se contente de profiter des marrons que d'autres, qui
doivent être les premiers à en jouir, ont tirés du feu. En âge des foules, la
loi des marrons du feu n'est que le chiffon rouge agité devant le taureau des
corridas. Qu'on y réfléchisse !