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I-SLAM : ISLAM POSTMODERNE








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samedi 9 avril 2022

Roman-feuilleton du Ramadan :
1re semaine

 

Prologue, Partie I,
chapitres 1, 2 et début du 3e


Roman-feuilleton du Ramadan

 

Aux origines de l'islam

Succession du prophète, ombres et lumières

 

Fresque historique de Farhat OTHMAN

(Texte intégral)


 

PREMIÈRE SEMAINE  

 

Prologue

 

Une incroyable fin

 

Chevelure épaisse, brillante, légèrement ondulée, descendant aux épaules, nouées en boucles, sa tête était sur le giron de sa femme préférée. De ses bras, Aïcha, la plus jeune de ses épouses, partageant sa vie depuis ses six ans, entourait tendrement celui qui était bien plus qu’un prophète : l’homme de sa destinée. C’est chez elle qu’il avait choisi de s’aliter durant sa maladie et, contre son cœur, il répondit à l’invitation de son Dieu le rappelant à lui.

Sur cette terre d’Orient si riche d’inspirations mystiques, où les vocations prophétiques, a-t-on pu dire, sont bien plus fréquentes à naître que l’eau de pluie des nuées au ciel, en un début d’après-midi triste d’été, le premier des Arabes venait de quitter les siens, préférant la compagnie d’Allah, seul et unique Seigneur, créateur et maître des mondes, dont il s’était présenté, prophète arabe, comme l’ultime messager.

Depuis quelques jours, autour de la demeure de la veuve de dix-huit ans, jouxtant la mosquée de la ville, la foule était agglutinée, anxieuse, n’osant croire à l’imminence de l’irréparable, voulant encore espérer. Et la rumeur vint de muer en une annonce funèbre dans le brouhaha d’une folle agitation secouant la mosquée de Médine, cette ville prospère dont l’illustre envoyé de Dieu fit sa résidence.

Ce lundi 8 juin 632, treizième jour de Rabii 1er, le troisième mois de ce qui allait bientôt devenir le calendrier musulman de l’hégire (dont on venait de commencer la onzième année), l’incroyable nouvelle fit l’effet d’un tremblement de terre. Mohamed est mort !

— Non, le Messager ne saurait mourir. Non, il n’est pas mort !

Grand, brun, sur de larges épaules, le turban dénoué, quelques perles de sueur mouillant le sommet et l’avant de la tête à l’évidente calvitie et venant se perdre dans la broussaille d’une barbe touffue, un homme rougeaud, l’air sombre, le caractère revêche, s’époumonait à contrôler la foule, criant à tue-tête, niant l’évidence d’une fin incroyable.

Colère, incrédule, sa stature imposante dominant la foule frappée de stupeur, Omar, les traits encore plus sévères qu’à l’habitude, son inséparable badine à la main brandie, passant nerveusement de la droite à la gauche et vice-versa, vitupérait, tonnant, menaçant :

— D’aucuns prétendent que le Messager est décédé ; par Dieu ! Il ne l’est point. Il s’est juste rendu auprès de son Seigneur, tel Moïse s’absentant quarante nuits. Il reviendra et alors, à tous ceux qui prétendent sa mort, mains et pieds il coupera.

Sa baguette, dans sa main, telle une lance miniature, la foulée rapide, le pas vigoureux, martelant lourdement la terre et remplissant les airs de sa voix de stentor, Omar était fidèle à lui-même. Il inspirait la peur quand il est en furie, terrorisant la foule comme quand il lui plaisait, prenant d’une main l’oreille d’un cheval puis de l’autre la seconde, d’enfourcher vivement la bête pour une cavalcade aussi inopinée qu’improvisée dans les rues animées de la ville, faisant déguerpir les gens sur sa voie et tressaillir les badauds attablés sur les bords de la route.

Il était l’un des plus proches intimes du disparu ; sa conversion à la nouvelle religion fut même appelée de ses vœux par ce dernier. Réputé pour sa vaillance et sa fougue, il possédait des talents multiples, en plus d’un vaste savoir, notamment des religions précédentes. Il avait aussi une maîtrise de l’art diplomatique que n’empêchait pas son caractère revêche, la magnifiant même, étant au service d’un sens aigu des choses justes.

Au même moment, le pas rapide, furtif, un autre fidèle compagnon de l’illustre défunt, traversa prestement la salle de prière de la mosquée. Teint blanc, joues poilues à peine, ce sexagénaire avait le port digne malgré un corps mince, sec, légèrement bossu, et la barbe fleurie aussi abondante que sa chevelure aux ondulations menues et serrées.

Abdallah, plus communément appelé — comme le veut la bienséance arabe — par son surnom d’Abou Bakr, le premier fidèle compagnon de Mohamed, était en visite dans sa famille résidant aux portes de la ville, quand il a été averti de l’issue fatale. Il n’avait osé quitter le prophète qu’à la faveur d’une rémission qu’on pensait durable de la maladie et il revenait précipitamment au chevet de son beau-fils, son aîné de deux ans.

Personne ne se doutait ni ne voulait croire mortelle sa pleurésie. On supputait juste une inflammation bénigne. On savait le prophète sportif, son thorax et ses poumons sains, lui qui, enfant, fut élevé au plein air des vastes terres bédouines, selon la plus pure tradition — ce qui lui valut santé et éloquence. Jeune et moins jeune, il eut la meilleure hygiène de vie en entretenant son corps par le meilleur des sports qu’étaient les nobles arts de l’équitation et des armes.

Des yeux inquiets, interrogateurs se retournaient vers Abou Bakr, questionnant, sollicitant une sagesse réputée de cette respectable figure du pays d’origine du prophète et connue avant l’islam pour ses dons divinatoires. Mais il ne daigna ni s’arrêter ni répondre, ne se retournant même pas vers l’ami houspillant la foule. Directement, il se dirigea, de sa foulée de velours, vers la demeure de sa fille Aïcha.

Il s’avança d’un pas lent, hiératique, vers le coin de la cabane. Un corps était étendu sur le lit recouvert d’un manteau rayé du Yémen. La main avança, tremblotante. Il en découvrit le visage. Dans sa barbe drue, soigneusement taillée, gardant son teint blanc rosé, celui qui ouvrit à la plus universelle des religions les cœurs des Arabes avait les longs cils des yeux définitivement fermés.

Longuement, il fixa du regard ce beau visage magnifié encore plus par la sérénité de la mort. Ses larmes coulèrent, abondantes. Il ne les retenait jamais. Que de pleurs n’a-t-il pas déjà versé depuis le début de la maladie de son meilleur grand ami ! Sa larme était encore plus facile et bien volontiers spontanée que celle, plus souvent affectée, dans tant d’yeux autour de lui lors des occasions tristes où l’attitude convenue est généralement de rigueur.

Au fond de la pièce, le malheur de la maisonnée se donnait libre cours. Toute son immense douleur était dans la voix assourdie de sa fille, jeune veuve éplorée, dominant les lamentations des familiers et des pleureuses. Il se pencha finalement sur le corps inerte et, une tendresse infinie dans le geste, il posa délicatement un baiser entre les yeux clos, murmurant quelque prière. Puis, lentement, il recouvrit celui qui fut plus qu’un ami, son frère, désormais sans vie.

L’âme du prophète n’était plus là, présente parmi les siens, mais son esprit demeurait et surtout son enseignement sublime. Il fallait en faire usage. Il suffisait d’y arrimer sa destinée, ne jamais l’oublier. Et, pour cela, l’on se devait d’être prêt à tout. Alors, d’un pas ferme, répondant à peine aux regards désolés de sa fille et des siens en appelant à sa sagesse, son secours, il ressortit, revenant à la mosquée. Son ami Omar y continuait à s’égosiller devant une foule de plus en plus houleuse. Ne voulant ou ne pouvant admettre l’évidence, il menaçait de mort quiconque prétendrait celle du défunt prophète.

— Doucement, là, là !

Il s’en était approché ; les yeux creux très humides, mouillant les pommettes saillantes dans un visage à la teinte jaunâtre ; il lui demanda de se taire. Emporté par sa fougue, Omar n’entendit même pas cette voix fluette, à peine perceptible, montant vers lui. Il était trop excité et ne pouvait même pas prêter une once d’attention à la moindre voix de raison. Aussi Abou Bakr finit-il par le délaisser et s’en écarta un peu. Les bras levés au ciel vers lequel pointèrent un nez aquilin et des yeux caves embués, il commença par invoquer Allah, le Dieu Un et Unique, Clément et Miséricordieux.

En toutes circonstances, y compris la plus triste, il savait garder son calme et respecter la tradition de glorifier, de louer le Seigneur. Et comme par enchantement, au son de cette voix douce, suintant la sagesse, sans jamais le moindre éclat, la foule s’agglutina rapidement autour de lui.

— Ô vous qui croyez ! lança-t-il, s’efforçant de parler haut, tout comme de contenir son émotion, si c’est Mohamed que vous adoriez, Mohamed est bien mort ; mais si c’est Allah que vous vénérez, Allah est vivant et ne meurt point.

Raide debout, la tête toujours tournée au ciel, l’ample manteau ouvert comme à l’habitude, il récita alors un extrait du Coran, le message si incomparablement éloquent du défunt prophète, son miracle majeur même, cette parole divine faite Livre, comme elle fut faite déjà humaine avec le tout précédent Envoyé de Dieu.

Ce sceau du troisième rang, tout le monde le connaissait bien ; en combien d’occasions ne l’a-t-on pas récité dans les prières, les psalmodies ! Pourtant, c’était comme si on l’entendait pour la première fois. Aussi, fiévreusement, la foule qui avait définitivement délaissé Omar se mit aussitôt à répéter ledit sceau rappelé à son souvenir volage.

Se retrouvant bien seul, Omar se sentit subitement comme paralysé. Une étrange frayeur, tout à fait inhabituelle pour quelqu’un de sa bravoure, se saisissait de lui. Et, dans un mouvement irrépressible quasi théâtral, il se laissa tomber par terre, réalisant tout d’un coup la terrible réalité. Le prophète que les Arabes venaient d’avoir était bien mort et il ne servait à rien de nier l’évidence ! C’était ainsi, peut-être, sa façon d’accepter enfin une fatalité que la force de son caractère autorisa à nier, osant du coup braver l’entendement, soutenir l’impensable.

Autour de lui, sur une multitude de lèvres éplorées, était scandé le sceau 144 de « La Lignée Amrâm », ce rang du Coran de Médine fort judicieusement rappelé par le premier et plus fidèle ami du disparu :

 

« Et Mohamed n’est qu’un prophète avant lui les prophètes sont passés vous vous en détourneriez-vous s’il vient à mourir ou s’il est tué. Or, il ne saurait nuire à Dieu qui s’en détourne et aux fidèles, Dieu récompense leurs actions de grâce ».

 

Cela se passait à l’Est de Médine, l’ancienne Yathrib, ville faisant partie d’un chapelet de hameaux implantés dans un réseau d’oasis dans la plus fertile partie du Hejaz, sur une haute terre, au relief de collines, distante de centaines de kilomètres des côtes de la mer Rouge.

Tout autour, en dehors des Arabes convertis ou appelés à adhérer à la nouvelle foi, on affectait de ne rien remarquer d’anormal pour noter le phénomène. Tout au plus pouvait-on dire qu’il ne s’agissait que de l’extinction du seigneur de quelques tribus alliées en vue de dominer d’autres dans les sempiternelles guéguerres interarabes. Évoquerait-on la qualité éminente du disparu que d’aucuns, y compris parmi les croyants monothéistes de la région, Arabes Chrétiens mais surtout Hébreux, oublieux de la geste des prophètes d’Israël ou de la parole du Christ affirmant être venu apporter l’épée, répliqueraient par ignorance ou suffisance n’avoir jamais vu un prophète brandir l’épée comme ce fut le cas de ce dernier.

De fait, les adeptes de la nouvelle religion, autant par l’éloquence du prêche que par la terreur des armes brandies contre ceux qui refusaient par les leurs de se soumettre à la nouvelle Loi, allaient devoir amener à ces gens leur croyance comme le renouvellement de la foi monothéiste. Tout en supputant la mauvaise foi des récalcitrants parmi eux, ils assuraient que

le prophète Mohamed qui venait de disparaître, était bel et bien annoncé par les religions précédentes qu’il était venu parachever, étant à la fois le Messie et le paraclet des écritures.

D’où l’immensité d’une détresse qui ne devait pas être la leur exclusivement ; détresse d’autant plus incroyable que le destin d’un grand rêve, d’une promesse grandiose pour les hommes, semblait brisé non par une mort violente en ces contrées où la violence sublime tous les actes, surtout quand elle se pare des atours des nobles causes, mais par une simple maladie, une indigne inflammation dans la cage thoracique de la membrane enveloppant les poumons.

Comme pour contrecarrer cette vision un peu banale d’une condition prophétique paraissant par trop humaine, d’aucuns supputèrent l’effet tardif d’une tentative juive d’empoisonnement, tandis que d’autres, abondant en sens contraire, controuvèrent un complot, faisant du poison le résultat d’un conflit conjugal ou politique, comme nécessaire prolongement de faits graves ayant émaillé quelque temps avant le foyer du disparu et sa dernière expédition militaire.

Or, le prophète arabe n’avait-il pas assez répété n’être qu’un simple humain choisi par Dieu pour transmettre un message ? Son miracle n’était-il pas présenté non point comme un assemblage de faits surnaturels ou extraordinaires de nature à étonner, mais bien plus sûrement et rationnellement en la transmission de ce message divin inimitable, dont l’éloquence, dans sa lettre et dans son esprit, étonne moins en s’adressant aux sens humains — ce que l’être humain possède de plus imperfectible — qu’elle n’interpelle la raison et l’entendement, ce qui distingue justement l’homme de l’animal, faisant toute sa noblesse ?

Car son message fut tout d’abord un pari sur l’homme arabe, son intelligence à dépasser une condition pitoyable et son ambition à triompher de l’impossible. Ce fut aussi une revanche contre l’injustice des hommes et de l’histoire aux yeux exclusivement tournés vers des cousins ayant érigé en une spécificité particulariste un héritage ancestral commun issu de cette péninsule qui était leur contrée à tous avant que ne se séparent les routes et la destinée des uns et des autres. Aussi fut-ce au nom d’une réappropriation de cette part d’héritage ainsi que de leur droit à entrer aussi dans l’histoire que vint la nouvelle religion, une foi se voulant rationaliste et universelle.

 

Publication sur ma page Facebook et sur Kapitalis



 

Partie I

Aux sources d’une épopée

ou

Le premier des fidèles

 

Chapitre 1

 

Coup de force au préau

1/2

 

Le préau de la famille Sa’ida, la plus en vue de Médine, là où avait l’habitude de se réunir les gens de la ville, grouillait singulièrement de monde ce jour-là. Blancs, poivre et sel ou comme du charbon ardent y étaient les poils sur les joues et les mentons des hommes ; une foule de barbus tenait réunion. On y distinguait Abou Bakr avec sa chevelure et son menton aux poils touffus teints au henné, accompagné de son proche ami Omar dont la barbe était également traitée à la poudre de cette même plante tropicale. Collé à eux, la barbe clairsemée, le visage strié de veinules, un quadragénaire édenté, aussi grand homme qu’Omar, complétait le trio réputé être celui des amis préférés du prophète.

Couramment appelé de son surnom Abou Obeïda, par égards manifestes, Ameur Ibn AlJarrah était allé avertir Omar de l’occurrence d’un événement grave, seul fait majeur ayant pu venir éclipser le drame incommensurable de la communauté. Aussi se sont-ils hâtés ensemble de quérir leur ami commun chez sa fille au chevet de l’illustre défunt.

À l’instant même de l’annonce du drame, une réunion impromptue se tenait, les Ansars — premiers soutiens de l’apôtre de la nouvelle religion, appelés depuis les Renforts tout court — s’apprêtaient à élire le premier d’entre eux pour régir les affaires de leur ville, succédant ainsi au prophète qui n’en avait expressément désigné aucun.

Des membres de la famille endeuillée, présents à son chevet, assurèrent qu’il voulut bien le faire à ses derniers instants ; mais la défiance de certains de son entourage l’en empêcha de peur que la maladie n’eût altéré son jugement ; il était dans ses ultimes moments et la fièvre, l’évanouissement avaient totale prise sur lui.

Tenue le jour même de la mort de Mohamed, la réunion des Ansars avait lieu dans la cour à l’entrée de la maison des Sa’ida où ils s’étaient réunis autour du doyen Saad Ibn Oubada, chef des Khazraj, l’une des deux branches composant les tribus arabes de l’ancienne Yathrib.

Avec les Aws, l’autre tribu originaire comme eux du Yémen, ils eurent droit à leur surnom valorisant la geste des premiers clans arabes à secourir l’envoyé divin contre sa propre tribu Qoraïch, aux premiers moments, les plus durs de sa mission. Au bout de dix ans de prédication sans résultat parmi les siens ni grand nombre de convertis, ils l’accueillirent chez eux dans leur ville qui abandonna à l’occasion son ancien nom pour célébrer sa venue en devenant la Ville du prophète, puis Ville tout court (soit Médine) depuis qu’il s’y installa après une fuite de nuit de La Mecque. Ils le supportèrent, l’aidèrent à revenir conquérir sa ville, et ils en tiraient une légitime fierté, leur propre ville devenant la capitale de la prophétie ayant eu le pas sur le centre du monde arabe qu’était La Mecque du fait de son sanctuaire religieux.

Descendant d’un même ancêtre, cohabitant dans la même ville, les Aws et les Khazraj ne se supportaient guère pourtant, conformes en cela à un trait de caractère atavique chez les habitants de la péninsule arabique. Ce fut, d’ailleurs, pour sublimer leurs divisions, entre autres, qu’ils accueillirent chez eux ce prophète venu d’une tribu rivale qui allait fédérer les Arabes et les amener à dépasser leurs divisions pour prétendre à l’ambition de conquérir l’univers. Rêvant certainement moins de conquête du monde, que leur promettait la vision universaliste de leur illustre hôte et les réels dons divinatoires de son premier compagnon, que d’un primat en terre arabe, ils se furent les plus ardents défenseurs de la nouvelle religion, autant par foi et conviction que par opportunisme ou calcul politique.

Sur un tapis étendu, accoudé à un oreiller, Saad était engoncé dans ses vêtements ; il était fiévreux. La maladie avait ratatiné sa stature imposante que l’opulence et la tradition familiale de munificence, de prodigalités même, ajoutaient à sa magnificence. Calmement, toutefois, avec ce détachement caractéristique des nobles personnes pour ce qu’ils estiment leur dû, il attendait l’issue prévisible de la réunion avec une lassitude relevant autant de son état que de ce sentiment-là.

Après les palabres de rigueur entre les membres des deux tribus de la ville, l’assemblée devait confirmer sa prétention à succéder à l’envoyé de Dieu. Cela, du coup, le consacrerait chef de toutes les tribus arabes ralliées à la religion naissante, voire de celles appelées à y adhérer tôt ou tard, le mouvement de conversion s’étendant et devant finir par prendre l’allure d’un raz de marée malgré quelques réticences et certaines oppositions

violentes. Or, qui mieux que lui, notoirement réputé être l’homme parfait, dont la bravoure et la vaillance équivalaient à sa générosité proverbiale, pouvait s’acquitter de cette mission ?

Rien n’était encore décidé, toutefois ; Abou Bakr et ses deux compagnons arrivaient juste à temps ! Il leur fallait empêcher l’occurrence de ce qu’ils estimaient relever de l’erreur fatale. Confier l’héritage prophétique à quelqu’un d’autre qu’un membre éminent de la tribu mecquoise de Qoraïch était de nature à créer les pires divisions dans la communauté musulmane, pensaient-ils.

Des dissensions étaient déjà apparues de la vie même de Mohamed et elles risquaient de s’aggraver et finir par se perpétuer si on ne laissait pas à la tribu abritant déjà le sanctuaire majeur, vers lequel tous les Arabes polythéistes se retournaient, cette même primauté avec la nouvelle religion. Les trois compagnons n’étaient en cela que représentatifs de l’état d’esprit des gens de leur tribu. Tout comme eux, l’ensemble des Émigrants ou Mouhajirouns, ces musulmans des premières heures issus de la tribu de Mohamed, ayant émigré avec lui, n’accepteraient en aucun cas que le successeur du prophète ne fût pas issu de leurs rangs.

Au-delà de la préséance et de la prééminence entre les tribus, c’était une question de principe ; et Abou Bakr, le plus âgé des trois arrivants à la réunion des Ansars, allait devoir puiser dans sa sagesse pour l’expliciter à l’assistance afin d’avoir sa totale adhésion. Car il ne fallait surtout pas se diviser ni se déchirer en ce moment déjà suffisamment tragique par la disparition du fondateur de l’islam.

Il en allait de même pour le chef des Renforts, qui tenait pour évident le rejet des tribus arabes d’une réunion de la dignité prophétique et de la distinction politique dans une même tribu, les contestations de ce fait n’ayant déjà pas tardé à apparaître de la vie même du prophète. Or, qui d’autre est le plus digne de ces fonctions que le chef des premiers secours de la nouvelle religion, sans lesquels elle n’aurait peut-être pas fini par triompher ?

Sous les traits de l’analyse objective, Ibn Obada ne cachait pas moins son aversion pour la tribu du prophète qui, du jour au lendemain, était passée du statut de plus farouche adversaire à celui de plus ardent supporter de l’islam. Or, la haine dans le cœur des hommes, même chez les plus fervents musulmans parmi eux, ne s’efface que trop difficilement ! Le jour de la conquête de la Mecque, alors qu’il était, comme à son habitude lors de toutes les précédentes batailles de Mohamed, le porte-drapeau des Ansars, il avait nourri l’espoir d’assouvir sa vengeance, mais ne voilà-t-il pas que les anciens ennemis devenaient subitement des ralliés, que la demeure de leur chef était sanctuarisée et qu’on lui retirait même son oriflamme pour le confier à son propre fils, jugé plus diplomate, de peur qu’il ne se laissât aller à ses sentiments de haine !

Depuis ce jour, les Renforts se sont sentis comme trahis, l’ennemi combattu leur subtilisant la place de premiers défenseurs de l’islam, arrivant même à obtenir du prophète un traitement de faveur dans la répartition des prises de guerre. Certes, ce dernier, soupçonné par d’aucuns de favoriser les siens, a bien balayé par la parole et le geste toute suspicion en réaffirmant la place éminente des Ansars dans un discours émouvant et en gardant Médine comme résidence ; le malaise n’en était pas moins resté vivace dans le faible cœur des hommes.

— Alors, que voit Abou Thabet ?

S’adressant à Ibn Oubada, Abou Bakr l’appela sans surprise par son surnom selon la coutume arabe de respect pour l’interlocuteur, le valorisant ainsi en évitant de l’apostropher par son simple prénom ou son nom de famille. En cela, il en allait pour lui de bien plus que de simple diplomatie ; c’était dans son caractère, sa manière d’être.

Tout autour, les alliés Khazraj de celui qui présidait la réunion étaient en nombre et scandaient son nom ; quelques autres de la tribu rivale de Médine auraient bien voulu se manifester et s’y opposer; mais entre estimer le pouvoir devant revenir aux Aws et le claironner haut et fort, il y avait la stature et le prestige de l’homme du jour que ne pouvait plus contester leur propre chef disparu lors de la bataille dite de la tranchée. Il fallait désormais compter avec Bouillie de farine — surnom de Qoraïch — et les Émigrants, avec l’arrivée inopinée de ses trois représentants ; et cela créait une nouvelle donne.

— Je suis un homme d’entre vous.

Jouant la modestie, Saad répondait énigmatiquement. Il sentait bien la détermination des arrivants, en voyait le feu sur les visages, mâtiné de colère dans les yeux d’Omar dont le bras droit, la main toute proche d’un sabre bien en évidence dans son fourreau, était discrètement retenu par Abou Bakr. Pour lui, il ne faisait pas de doute ; les éminents représentants de la grande tribu rivale venaient défendre bec et ongles une prééminence tribale bien moins que l’intérêt de la religion. Il voulait bien mettre cette réaction instinctive sur le compte de la confusion, créée par le terrible drame qu’ils venaient de vivre ; lui, toutefois, prétendant rester toujours égal à lui-même, voulait rester calme, agir avec raison, loin de toute émotion.

Dans le brouhaha généralisé, la bousculade échauffait les esprits. L’un des présents qui affirmait garder aussi sa lucidité, se vantant d’avoir l’avis sûr — ce pour quoi il était, au reste, réputé — éleva la voix, péremptoire, usant de paraboles agrestes, se faisant à peine écouter par la foule grondant en grossissant. Il parvint, néanmoins, à faire entendre l’essentiel de ce qu’il voulait dire :

— Je suis celui dont l’avis s’est toujours révélé salutaire, vous le savez ! Un émir d’entre nous, un autre d’entre vous ; si l’Émigrant agit mal, le Renfort l’arrêtera et vice-versa. Écoutez, c’est l’opinion sensée !

C’était un Khazraj comme Saad. Il prétendait que, par deux fois, il avait eu l’oreille du prophète, la première fois lors de la bataille décisive de Badr, quelques années auparavant, et la deuxième, il y a juste quelques jours, au début de la maladie de Mohamed lorsqu’il en parla à ses compagnons, leur demandant leur avis. Il assurait qu’alors que ceux-ci lui tinrent le langage du coeur, manifestant leur attachement à sa présence parmi eux, lui seul lui tint le langage de la raison, lui disant de faire sien le choix qu’Allah aura fait pour lui.

Mais ni la science de l’homme ni ses images empruntées à la vie quotidienne pour illustrer sa clairvoyance n’eurent d’effet sur une assemblée désormais houleuse, des Mouhajirouns y ayant rejoint en nombre le trio initial. Omar se retenait avec peine ; sa fougue naturelle et son sens aigu des responsabilités le portaient à user de la force dont il se sentait porteur pour le bien général. On ne pouvait afficher pareil spectacle affligeant d’un appétit pour le pouvoir à pareil instant ! C’était pis que de l’indécence, un flagrant manque de respect pour la mémoire du défunt ; et les arguments relatifs aux dangers de vacance du pouvoir n’avaient nulle valeur à ses yeux.

Il s’apprêtait à protester de son indignation, mais s’arrêta net ; Abou Bakr le lui demandait. Et il se tut, instruit par l’épisode de la mosquée, convenant que son compagnon s’en sortirait bien mieux que lui, même s’il se sentait assez outillé cette fois-ci, ayant préparé mentalement une argumentation minutieuse. Il le regarda parler en opinant du chef, admettant en son for intérieur qu’Abou Bakr détaillait à merveille ce qu’il avait lui-même projeté de dire.

Avec sa douceur caractéristique, une voix presque mielleuse, Abou Bakr captait l’attention et ralliait à lui les plus dubitatifs d’entre les Renforts, le clan des Aws, particulièrement, pour qui la jalousie exacerbée amenait à faire de leurs frères des ennemis mettant en pièces les prétentions des autres.

— Nous, les Émigrants, nous avons été les premiers à embrasser l’islam. De lignée, nous sommes les meilleurs, appartenant à l’élite des tribus dont nous sommes les plus qualifiés des représentants ; et nous sommes de la plus proche parenté du prophète, bénédiction et salut d’Allah sur lui. Vous êtes nos frères en islam, nos partenaires dans la religion ; vous avez été des supporteurs et des secoureurs, que Dieu vous en récompense bien. Nous sommes donc les émirs et vous êtes les vizirs ; car les tribus arabes n’obéiront qu’à ce clan de Qoraïch qui est le nôtre. Alors, ne disputez pas à vos frères les Émigrants leur mérite par Dieu reconnu. Car le prophète — bénédiction et salut d’Allah sur lui — a bien dit : « Les chefs de file sont de Qoraïch ». Aussi, je vous propose de choisir l’un de ces deux hommes : Omar Ibn AlKhattab et Abou Obeïda Ibn AlJarrah.

En s’effaçant devant ses deux compagnons, Abou Bakr ne faisait qu’obéir à une propension naturelle de modestie et de consensualisme; du même coup et involontairement, il agissait en incontestable stratège politique en faisant leçon aux présents, subitement honteux de se montrer avides du pouvoir en de telles circonstances particulières et en présence de pareilles personnalités réputées proches et si estimées de l’illustre défunt.

— Cela se pourrait-il advenir alors que tu es en vie ? Personne n’oserait t’ôter de la position à laquelle t’a placé le prophète, bénédiction et salut d’Allah sur lui !

Dans une cour où le vacarme, ajouté à la confusion, était à son comble, Omar, de sa voix haute, accompagnée de gestes secs, venait de répliquer aussitôt. Ayant relevé de son œil averti le subit flottement des pensées, il voulait se saisir promptement de l’instant qui lui semblait être de ceux où le destin bascule en faveur des plus audacieux. Il n’était pas le seul à avoir compris l’importance du moment, le Renfort avisé de tout à l’heure revenait à la charge, cherchant à rallier l’assemblée à sa proposition de partage du pouvoir :

— Je suis l’homme de la situation. Un chef d’entre nous et un autre parmi vous, gens de Qoraïch !

Sa voix insistante, contrant celle, bien retentissante d’Omar, venait aussi de réussir à se faire entendre dans le bruit assourdissant ; mais le qoraïchiten n’y prêta aucune attention et topa en hâte, en signe de reconnaissance, la main d’Abou Bakr, prise d’autorité, entraînant derrière lui quelques-uns des présents, Abou Obeïda et les Émigrants en premier.

Et l’enchantement eut lieu ! Car, aussitôt, spontanément, comme par mimétisme, les premiers ralliés au choix d’Omar furent suivis par la plupart de l’assistance, la tribu rivale du président de séance surtout dont les représentants vinrent s’agglutiner autour d’Abou Bakr, lui prendre la main, trouvant en lui la meilleure alternative à une reconnaissance du frère ennemi qui équivalait plutôt à une reddition.

— Vous avez tué Saad !

Dans la cohue générale, des cris fusaient maintenant et l’on entendit la même haute voix, d’autres aussi moins affirmées, déplorer l’outrage : le chef Aws venait d’être bousculé ; d’aucuns faillirent même le piétiner, par inadvertance, mais peut-être aussi intentionnellement.

— Tuez-le ! Que Dieu le tue ! C’est un séditieux !

Hurlant presque dans l’instant, sabre à la main, Omar répondait provocateur, faisant mine de se précipiter vers l’homme alité, aussitôt mieux entouré de ses intimes bousculés de toutes parts.

— Et si je t’écrasais, hein !

Sa haute stature aidant, Omar était pratiquement debout à la tête du chef malade, qu’il continuait à malmener verbalement, à faire mine de le menacer, dans un bouquet de bras et de mains nues ou armées faisant barrage entre les deux hommes. Nullement impressionné, Saad, par bravade, n’hésita pas à se saisir rageusement de la barbe fournie de son détracteur en grommelant ; mais le brouhaha couvrit sa voix.

Les deux hommes, aussi braves l’un que l’autre, ne se supportaient guère ; Omar n’aimait particulièrement pas le goût du luxe et la superbe de Saad qui ne pouvait que honnir les manières frustes et le caractère intransigeant, dénué de nuances d’Omar. Certes, ce dernier reconnaissait sa générosité et saluait la bonne tradition de sa maison de nourrir régulièrement les multitudes et, depuis l’arrivée des Émigrants, de se charger d’un groupe conséquent des petites gens réfugiées dans la mosquée. Il ne pouvait oublier cependant une scène qui dévalorisa à jamais l’homme à ses yeux.

C’était au lendemain de son arrivée à Médine ; le prophète rendait visite à Ibn Oubada et, le saluant en entrant, ne reçut aucune réponse et dut répéter ses salutations plus d’une fois avant que l’orgueilleux chef Khazraj ne daignât répondre. Bien sûr, celui-ci prétendit après coup avoir répondu par devers lui, en silence, faisant cela dans l’intention de bénéficier du plus possible de saluts dans la bouche du prophète. Aux yeux d’Omar et de tout vrai croyant, une telle explication cachait mal l’affront fait au prophète et la vanité démesurée de son auteur.

N’ayant pas besoin de jouer des coudes, les gens s’effaçant devant lui, Abou Bakr intervint aussitôt pour séparer les deux hommes, s’adressant à son ami :

— Doucement Omar ! L’indulgence est de rigueur ici.

— Par Dieu, s’écria Saad, si j’avais eu la force, vous m’aurez entendu rugir ! Emportez-moi de ce lieu !

Et ses serviteurs l’extirpèrent péniblement de la confusion tumultueuse, s’en allant le transporter hors des lieux relevant désormais de l’atmosphère d’une vraie foire.

Saad enrageait. En lui, bien plus que la déception, c’était la rage de l’impuissance qui le rendait encore plus malade ; cette incapacité physique et psychique où il était de peser sur le cours des événements. Il était moins déçu qu’on l’ait écarté de la succession du prophète que du fait de la tournure prise par les événements, et qui annoncerait les pires calamités. Sa candidature ne procédait pas d’une ambition personnelle ; elle se voulait le résultat d’une analyse objective de la situation pour éviter les divisions, assurer la pérennité de la nouvelle religion.

Or, ce qu’il redoutait le plus venait d’avoir lieu par la faute surtout de cet homme à la barbe en éventail, au teint d’ivoire, au caractère exécrable. Il aurait voulu par sa candidature maintenir la religion naissante hors des ambitions du clan d’origine du prophète disparu, prolongeant au-delà de la vie de Mohamed le rôle majeur de principal secours des gens de Médine. À ses yeux, retirer la succession du prophète aux Ansars revenait à assurer, tôt ou tard, la mainmise des Qoraïchites sur les rouages de l’Etat naissant ; ce qui finirait par déboucher sur les travers qu’on voulait justement éviter. Il n’était pas assuré que les Arabes obéiraient aux gens issus de la parentèle du prophète comme l’assura Abou Bakr, pas mieux en tout cas qu’ils n’obéiraient à ses principaux soutiens qui sauraient, bien plus que les Qoraïchites, tenir le pouvoir en dehors des querelles des familles rivales au sein d’un même clan, comme c’était le cas au sein même de la tribu qoraïchite, dont notamment celles se réclamant de la lignée prophétique.

À suivre...


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Chapitre 1

 

Coup de force au préau

2/2

 


Fort avancée était la nuit. Un vacarme assourdissant venait du préau des Sa’ida. Dans le plus total désordre, une foule compacte le quittait en direction de la mosquée ; on allait de sitôt confirmer le choix du nouveau chef qu’on venait d’obtenir au forceps dans cette enceinte sacrée consacrée à la prière, mais où toute manifestation publique majeure dans la vie de la nouvelle cité se devait d’être solennellement confirmée et s’y officialisait.

Dans le même temps, dans la demeure du prophète, attenante à la salle de prière, on s’affairait autour de la dépouille mortelle. Après le terrible choc, dans la plus totale consternation on retrouvait péniblement le sens des réalités. Seuls les plus proches entouraient le corps sans vie de l’illustre disparu qu’on n’avait pas encore fini de laver. Il y avait Ali, cousin et gendre, Al Abbès, l’oncle, qui était accompagné de deux de ses fils. Deux des affranchis de Mohamed étaient aussi admis dans la pièce : Salah, un Abyssin, plus connu sous le nom de Choqrane, et Oussama, le fils d’un ancien esclave de sa toute première femme, qu’il avait adopté du temps où il était encore à La Mecque.

Contrairement à la pratique habituelle, on n’avait pas osé déshabiller le corps ; on le massait et on le frictionnait à l’eau par-dessus sa dernière tunique portée.

— Dieu est grand ! Dieu est grand !

La formule des grands événements, bruyamment répétée, venait de se faire entendre à côté, violentant le silence hiératique de rigueur dans la pièce. Tout étonné, encore comme étourdi par le drame, Ali se demanda d’une mimique ce que c’était ; son oncle, dont l’âge avait aiguisé depuis longtemps le sens des réalités, n’eut même pas besoin de répondre, commentant, simplement, d’un air entendu :

— On n’a jamais vu pareille chose ! C’est bien ce que j’avais pressenti.

Al Abbès avait à l’esprit ce qu’il dit à ce même cousin quelques jours auparavant, bien avant la mort du prophète, aux premiers jours de sa maladie. Bien instruit des mœurs des siens, surtout conscient de la rivalité exacerbée entre les divers clans agitant la tribu jusque dans une même famille et que l’action de Mohamed avait permis de transcender sans les faire disparaître, il redoutait une lutte âpre pour sa succession. En cela, il ne s’éloignait pas trop de l’analyse faite par le chef des Ansars qui venait d’être débouté dans sa tentative de garder le pouvoir hors de portée des Qoraïch, même s’il divergeait avec lui sur la conséquence de cette analyse.

Pour lui, le pouvoir ne devait pas seulement rester dans la tribu du prophète, mais aussi dans sa famille ; il fallait le savoir et agir pour l’avoir afin de couper court à toutes menées ne manquant pas de se faire jour, suscitée chez d’aucuns par l’appétit vorace du pouvoir. Aussi, et afin que les choses fussent claires, il pria son neveu Ali de poser la question de sa succession à l’élu de Dieu : serait-elle dans sa famille – Ali, meilleur représentant du clan des Hachem, la famille du prophète, serait alors le mieux placé – ou irait-elle à un autre clan et il était, alors, préférable d’en être avisé à l’avance.

Mais, dans son obstination à suivre ce qu’il croyait être la vérité ou relever de la grandeur d’un geste et de l’attitude de dignité toute parée, Ali n’était point de l’avis de son oncle ; il refusa net la moindre initiative, quitte à improviser une justification bancale que d’aucuns assurèrent avoir entendue dans sa bouche :

— Par Dieu, si je lui posais la question et qu’il nous en excluait, personne ne nous donnerait plus le pouvoir. Jamais, je n’en parlerai au prophète de Dieu !

Le lendemain, on se retrouvait pour rendre le dernier hommage à l’être cher disparu. Sur la dépouille mortelle prièrent tout d’abord les hommes ; dans les premiers rangs, on voyait côte à côte Abou Bakr et Omar se tenant tout près de la famille du défunt conduite par deux corpulentes figures éplorées, aux tailles diamétralement opposées, l’une menue, le ventre proéminent, l’autre énorme, aux cheveux tressés en deux nattes : Ali et Al Abbès. Les femmes entrèrent après, précédées des épouses du défunt et de ses filles ; puis vinrent les enfants et enfin les serviteurs et les affranchis.

Longtemps, on avait palabré sur le lieu le plus approprié pour l’enterrement ; on hésitait entre la mosquée et le cimetière. D’aucuns, pensant que dans la première il se retrouverait bien seul, préféraient qu’il retrouvât ses compagnons au cimetière de la ville. Ce fut l’intervention d’Abou Bakr qui emporta la décision ; encore une fois, son bon sens et son expérience furent appréciés. Faisant état d’un dit du prophète sur l’enterrement des envoyés de Dieu à l’endroit même où ils décèdent, son avis emporta l’adhésion de tous.

Aussi, en plein milieu de la nuit du mardi à mercredi, un bruit de pelles se fit-il entendre dans le logis du prophète ; sous son lit de mort, on creusait un trou qui allait devenir la tombe de l’illustre disparu. Enveloppé dans trois linceuls blancs, la tête découverte, le prophète fut enterré en cette même nuit dans ce qui était encore la demeure d’Aïcha. On y vit d’aucuns s’ingénier pour avoir l’honneur d’être reconnus comme les derniers à avoir côtoyé le disparu et d’autres se faire fort de repousser ces prétentions incongrues.

Durant toute la cérémonie funèbre, Abou Bakr se montra à la hauteur de sa réputation d’homme sage et avisé, le plus fidèle des fidèles du prophète disparu. On le connaissait homme d’honneur et il le démontrait. Sans disputer aux plus proches l’honneur d’être les derniers à accompagner son cher ami à sa dernière demeure, se gardant d’imiter ceux qui en arrivaient au subterfuge pour descendre dans la tombe ou être les derniers à en sortir, il ne se comporta pas moins comme le digne successeur du prophète.

Pourtant, il ne pouvait pas prétendre encore assumer dans sa plénitude la nouvelle charge, étant loin d’avoir rallié l’unanimité des musulmans. En effet, il lui manquait l’appui sans réserve de la tribu du prophète et son clan principal, notamment la famille Abd Manef et, en son sein, la famille des Hachem, celle dont Mohamed est issu.

Déjà, à La Mecque, la surprise de l’avènement d’Abou Bakr fut totale quand les nouvelles du décès puis du nom du successeur arrivèrent coup sur coup. Même son père Othmane, un vieillard rompu pourtant aux coups du destin et avisé de la valeur personnelle de son rejeton, ne s’y attendait pas. Aussi, dans cette sagesse des plus avisés à tenir compte des lignes de force marquant la mentalité et les mœurs de leur société, on vit celui qu’on appelait plus communément Abou Kouhafa s’inquiéter aussitôt de l’assentiment des clans majeurs de Qoraïch, et des deux branches des Abd Manèf en tout premier lieu.

Ainsi, Sakhr, dit Abou Soufiane, le chef de la famille Omeyya – seconde branche des Abd Manèf et deuxième principale tribu de Qoraïch avec le clan rival des Hachem – était-il opposé à ce sacre. Bien contraint de tenir compte du nouveau rapport des forces et ne pouvant espérer garder la prééminence de son propre clan qu’il avait avant l’islam, il n’était cependant pas près d’accepter de la voir échapper à la grande famille, quitte à ce qu’elle fût confiée à des cousins, les frères ennemis. La solidarité dynastique a des raisons que la raison n’adoube pas nécessairement.

On disait, à Médine que le borgne Abou Soufiane, qui avait perdu un œil lors d’une bataille livrée avec le prophète au lendemain de sa conversion, y allait de sa verve de tribun dans les ruelles de La Mecque, puisant dans cette veine poétique caractérisant ses congénères, raillant Ali et AlAbbès, les qualifiant d’incapables, menaçant de soulever Qoraïch contre celui qu’il n’était pas loin de considérer comme un usurpateur.

 

                        Famille de Hachem, de vos acquis,

                        Ne laissez les gens vous usurper,

                        Ceux de Taïm Ibn Mourra et de Adii,

                        Notamment, pour commencer.

                        L’affaire vous appartient et elle vous revient ;

                        Seul Abou AlHassan, Ali, au pouvoir, convient.

 

D’aucuns assurèrent aussi l’avoir vu arriver précipitamment à Médine et parcourir ses rues, déclamant ses vers avec le plaisir de l’homme d’action recouvrant une liberté de mouvement après une trop longue inaction. On lui prêtait même des propos belliqueux, lui faisant dire qu’il serait prêt à faire couler le sang des gens de Taïm Ibn Mourra et de Adii, les clans minoritaires dans Qoraïch du successeur désigné de Mohamed et de son premier et sûr soutien.

Avant d’embrasser la nouvelle religion, Abou Soufiane était la plus éminente personnalité de Qoraïch ; certes, en cette qualité, il était le plus acharné des opposants aux musulmans. Mais ce fut aussi à ce titre qu’il négocia la reddition de La Mecque aux troupes de Mohamed, venues la conquérir en l’an 8 du nouveau calendrier, obtenant que sa demeure fût érigée en sanctuaire pour éviter les débordements inéluctables de l’entrée d’une armée dans une ville ouverte. Pour cela, certains de ses ennemis voyaient en lui un traître, ayant livré sa ville à l’ennemi de la veille sans véritable bataille, tandis que d’autres allaient jusqu’à en faire un grand stratège, usant de ruse pour faire carrément main basse sur les succès obtenus par la nouvelle religion, détournant vers sa tribu ses imminents succès à venir.

Certes, il faisait partie – ainsi que son fils Mouawiya – des Fourbes que le prophète ménageait, les avantageant même lors de la distribution du butin des prises dans l’intérêt de la nouvelle religion. Or, son fils était apprécié par le prophète pour ses nombreuses qualités qui firent de lui l’un de ses secrétaires les plus proches, rédacteur de la Révélation, entre autres.

Et puis, c’est bien aux plus éminents membres de la famille omeyyade que le prophète confia nombre de missions et responsabilités dans les provinces acquises à la nouvelle religion. Abou Soufiane combattit même vaillamment pour Dieu, perdant son œil lors du siège de Taïf, en Arabie, non loin de La Mecque. Il fut aussi dépêché au nord du Yémen en tant que représentant propre de Mohamed pour gouverner en son nom et prêcher l’islam sur cette terre acquise depuis longtemps au christianisme, célèbre par la résistance de ses croyants à la conversion forcée à la religion juive au point que le Coran même cite leur martyre. Il assuma de même, de la vie du prophète, la charge de récolte de l’aumône de son clan.

Omar, qui ne quittait jamais le nouveau calife, le suivant comme son ombre, craignait fort cette grande figure et son réel pouvoir de nuisance. Bien que désormais d’un âge avancé, approchant sa septième décennie, l’homme était toujours réputé pour son héroïsme et sa bravoure, gardant la vivacité et la force de son caractère aussi rude que le roc, âpre comme la guerre, des images qui rendaient bien la signification de son prénom et celui de son père (Sakhr fils de Harb).

Le principal soutien du calife était conscient de la fragilité du pouvoir naissant et, plus encore, des dangers menaçant de toutes parts cette belle nouvelle religion à laquelle il se donnait tout entier, acceptant de s’y sacrifier ; ce qu’il redoutait le plus était la moindre fissure dans l’unanimité du soutien de toutes les forces comptant dans la communauté à Abou Bakr.

Sans doute, celui-ci n’était pas moins sensible à la gravité de la situation ; il pensait cependant que, malgré sa nature toute gentille portée sur le compromis, son ami Omar n’avait pas lieu d’appréhender le sérieux avec lequel il assumait les lourdes responsabilités dont il ne voulait pas. Il se demandait toutefois si, par peur de ne pas être à la hauteur de la suprême mission de succéder au prophète de Dieu et encore plus que lui, Omar n’en viendrait pas à perdre de vue la nécessité du compromis pour privilégier l’intransigeance d’une morale qu’il avait à cœur, plus que jamais, d’incarner ? Or, il lui conseilla de calmer les ardeurs du récalcitrant en agissant sur sa corde la plus sensible. Ce dernier, par goût comme par habitude, chérissait les honneurs ; il obtiendra assurément son adhésion à sa désignation en le confirmant dans les hautes responsabilités qui étaient les siennes avant le décès du prophète.

Il fut donc agréablement surpris de trouver son ami de son avis. Ainsi désamorçaient-ils la redoutable menace d’Abou Soufiane qui, déjà, usait de son poids dans la tribu, tablant sur sa réputation pour son bon jugement, afin de rallier à la dissidence naissante au nouveau pouvoir la personne la plus en vue à Médine censée avoir des prétentions et un titre à succéder à l’illustre disparu. De par l’un de ses surnoms, on l’appelait respectueusement Abou’l Hassan, du nom de son fils aîné ; Ali était cette éminente figure. Des témoins assurèrent avoir vu Abou Soufiane aller vers lui — tout naturellement, auraient-ils ajoutés — lui demandant de tendre la main afin de lui donner sa voix et son soutien, le choisir en lieu et place d’Abou Bakr et appeler pour le voir succéder à son cousin et beau-père ; mais Ali l’aurait rabroué, répliquant, sévère :

— Tu n’as cherché que la sédition ; tu as toujours voulu du mal à l’Islam et nous n’avons que faire de ton appui.

S’il ne donna pas suite aux sollicitations, réelles ou supposées, d’Abou Soufiane, Ali n’avait pas moins fait mystère de sa désapprobation de la manière avec laquelle s’était déroulée la succession de son parent. Bien évidemment, il s’estimait tout à fait apte à lui succéder et assumer la lourde charge de continuer son œuvre politique. Mieux, il ne fit pas mystère de son sentiment d’avoir été lésé dans ce qu’il estimait être son droit de succession. Aussi ne topa-t-il pas encore ni ne donna sa voix à Abou Bakr entraînant derrière lui tout son clan et nombre de ses clients et alliés hésitants qui avaient à l’œil l’attitude du plus proche parent du prophète.

Ils n’étaient pas les seuls récalcitrants au choix d’Abou Bakr. La contestation, composée de légalistes et de légitimistes, sourdait dans la ville qui avait encore peine à réaliser le drame qui venait de la secouer et fait s’agiter le monde autour d’elle de rumeurs, de menaces et bien des périls.

 

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Chapitre 2

 

Et sourde la contestation !

1/2

 

 En son âme et conscience, malgré ses réticences à assumer le lourd fardeau de l’illustre et incomparable élu de Dieu, Abou Bakr avait quand même la conscience tranquille. Il avait beau se torturer de questions sur sa légitimité à se placer là où on le mit eu égard, notamment, à la manière dont les choses s’étaient déroulées, les conditions et les circonstances qui les avaient entourées, il ne pouvait, honnêtement et objectivement, y trouver rien à redire. En plus des voix nombreuses obtenues déjà des habitants de Médine, cette légitimité était bien attestée par sa désignation par le prophète, avant sa mort, pour présider la prière à sa place.

Même en cet ultime jour précédant le décès, quand il sembla retrouver ses forces et apparut dans la mosquée en pleine prière, il le laissa finir de la diriger en sa présence.

Par le menu, Abou Bakr se souvenait de ces instants si éloignés déjà et de plus en plus fugaces, les derniers où il vit l’être devenu le plus cher à son cœur respirer de cette force, cette noblesse de vivre que toute sa personne dégageait. Malgré ce front ceint de serre-tête, il resplendissait de vie ; certes, il fit la prière assis à côté de lui, après l’avoir repoussé au-devant des rangs alors qu’il s’était empressé de reculer pour lui céder la place, mais il ne semblait nullement vivre ses derniers instants en cette journée terrible.

Telle confirmation, pour présider l’acte majeur de la communauté que représentait la prière, était spectaculaire et venait consolider la pratique des jours précédents depuis la maladie du prophète qui demanda expressément que l’on fît appel à Abou Bakr pour l’y remplacer. Et ainsi l’interpréta la plupart des personnes en vue de son entourage, au demeurant :

— Le prophète — bénédiction et salut d’Allah sur lui — n’est pas mort subitement. Chaque jour de sa maladie, lorsque Bilal venait faire auprès de lui l’appel à la prière, il a demandé à Abou Bakr de la conduire. Il me voyait bien à ses côtés, mais ne m’en a pas chargé. Aussi, à la mort du prophète – que Dieu le bénisse et le salue – les musulmans ayant accepté pour les diriger dans les événements de la vie celui que le prophète — bénédiction et salut d’Allah sur lui — choisit pour les diriger dans leur religion, je fis de même.

Ali, lui-même, admettait donc qu’un tel comportement pouvait se résoudre en une désignation à succéder. Ce fut son analyse quand il finit par se rallier au choix d’Abou Bakr. D’aucuns, plus tard, en firent peu de cas ou même la contestèrent, osant en nier la véracité ; mais c’était mal comprendre la personnalité de l’homme et le sens des valeurs qui la marquait.

Certes, malgré ce fin constat et le rappel de faits confirmés par Bilal, le muezzin noir du prophète, le ralliement d’Ali ne fut ni évident ni ne vint de sitôt. Or cela ne relevait que de la riche complexité de la personne, intraitable sur les principes, tout en ayant également dans le sang, en parfait guerrier, le sens de la manœuvre et le souffle long du stratège que rien ne décourage, sauf justement la mise en péril des principes cardinaux auxquels il croit et qui guident impérativement son action.

De fait, aussitôt officialisée l’approbation d’Abou Bakr à la mosquée, un groupe s’était formé, récalcitrant à voir succéder à l’illustre disparu un représentant d’une composante minoritaire de la tribu — eût-il eu les qualités et les mérites les plus incontestables, unanimement reconnus.

Indubitablement, il avait pour figure de proue le cousin et gendre du prophète en sa qualité de l’un des deux plus éminents représentants du clan de la prophétie, la famille Hachem, avec son oncle AlAbbès, également à ses côtés. De leur bord, il y avait, en outre, quelques autres figures importantes de la nouvelle religion, des noms qui comptaient.

Ainsi, était de la contestation un autre cousin, fils de la tante maternelle de Mohamed : Zoubeyr Ibn Al Awwam, qu’on appelait volontiers par le surnom d’apôtre et disciple du prophète, que ce dernier lui avait choisi. Ce grand homme brun et mince, à la barbe clairsemée, cadet de cinq ans d’Ali, possédait sa bravoure et sa flamme ; comme lui, il avait dévoué sa jeunesse à la cause de l’islam dès la sortie de l’enfance, et on le présentait volontiers, pour l’anecdote, comme celui qui fut le premier en date à avoir brandi son épée pour la cause de Mohamed.

On y trouvait également son frère dans l’émigration (le prophète ayant demandé aux Émigrants, à leur arrivée à Médine, de se choisir chacun un frère) : l’Émigrant Talha Ibn ObeïdAllah, un homme de taille moyenne dont la particulière fierté au-delà de ses traits réguliers, son intelligence et son statut social, était qu’on lui trouvât avoir une chevelure comparable à celle du prophète. Richissime homme d’affaires, aussi riche que Zoubeyr dont il avait l’âge, il était surtout réputé par ses largesses, ce qui lui valait de nombreux clients et partisans ; ne disait-on pas ainsi que la fameuse tribu des Tamime était tout acquise à lui ?

De leurs rangs relevait aussi le Renfort Saad Ibn Obada, le chef des Khazraj. Issu d’une dynastie qui aimait le pouvoir et affectionnait d’en user à bon escient, celui qu’on avait surnommé avant la Révélation : le Parfait, pour sa maîtrise des arts majeurs de l’écriture, de la natation et de la guerre, ne portait pas trop dans son cœur ces étrangers à sa ville qu’étaient les Émigrants trop frustes à son goût si raffiné; c’est à peine s’il ne les appelait pas «les Tuniques» comme le faisait, avec mépris, ceux qu’on appelait «les Hypocrites» pour cause d’une foi tiède ou ambiguë ! On assurait que malgré sa foi nouvelle axée sur l’égalité de tous, il se voyait toujours le noble prince qu’il était ; du haut du fortin familial, depuis la nuit des temps, s’est toujours fait entendre l’appel à y venir pour tout un chacun, affamé, routard ou pauvre hère, désireux de manger à satiété, assuré d’y trouver viande et graisse en abondance.

Raffiné, il l’était de naissance et combien même il l’aurait voulu et bien qu’il s’était constamment fait violence pour s’y faire, il n’arriva jamais à supporter durablement ces pauvres convertis, fiers de puer comme des moutons dans leurs grossiers habits de laine, leur mauvaise odeur étant, à leurs yeux, un titre de fierté, le signe qui ne trompe pas de leur désintérêt pour les choses de la vie et, concomitamment, de la pureté de leur foi. Plus que tout, il rendait au vrai chef de cette communauté : Omar — même s’il ne l’était pas en titre — la même répulsion qu’il avait pour ce qu’il était et ce qu’il représentait. Saad, en effet, ne pouvait s’empêcher de voir en cet homme, propulsé au-devant de la destinée des Arabes musulmans, que l’ancien berger aux mœurs grossières, de ceux qui n’hésitèrent pas à enterrer vivants leurs nouveau-nés de sexe féminin. Et il s’irritait au plus haut degré de la prétention qu’il lui prêtait, nourrie de références bibliques — dont Omar était parmi les rares connaisseurs dans sa tribu —, d’être pour la nouvelle communauté des croyants le pendant du prophète David venu d’auprès son troupeau d’ovins pour être le berger du nouveau troupeau élu de Dieu.

Imbus d’eux-mêmes, de leurs qualités incontestables que personne ne pouvait leur contester ni n’imaginait essayer de le faire, forts de leurs réserves sur la manière dont les choses s’étaient déroulées en un moment délicat et fort exceptionnel, ces récalcitrants manifestèrent leur désaccord avec le choix d’Abou Bakr refusant d’y voir une fatalité; mais ils le firent avec circonspection et quelque retenue. Il ne pouvait en aller autrement, le deuil étant encore par trop vivace, commandant un minimum de dignité.

Pour manifester leur désapprobation, traduisant en silence leur défiance à l’égard du successeur du prophète, la famille Hachem et ses alliés gardèrent leurs demeures ou se réunirent chez l’époux de la fille du prophète Fatima, se distinguant de la quasi-totalité des habitants de la ville, se sentant en devoir de célébrer les cinq prières en public, dans la mosquée.

Seul le chef Ansar manifesta son opposition plus bruyamment. Il quitta la ville, ostensiblement en désaccord avec les siens, et partit en Syrie où il avait des biens comme nombre des gens en vue de Médine. Son poids personnel et sa qualité de dirigeant de l’une des deux importantes familles des Renforts maximisaient sa réelle capacité de nuisance exacerbée par l’étalage public de son désaccord, contrairement aux autres opposants, gardant encore l’apparence d’une dissidence plus discrète et par conséquent toujours susceptible d’être retournée, jugulée ou muselée.

Si le successeur du prophète, fidèle à lui-même, gardait son calme et semblait ne pas trop se soucier de voir ces récalcitrants venir à lui pour faire allégeance, Omar redoutait grandement la situation. Homme d’action, fervent défenseur d’un islam encore fragile, il s’est toujours enflammé pour sa cause. Déjà, aux temps où ses disciples étaient encore persécutés et n’osaient se montrer au grand jour, le prophète appelait de ses vœux que sa religion fût renforcée et soutenue par la conversion de l’un des deux hommes connus à La Mecque par leur vaillance ; et il était l’un des deux, justement ! Homme de culture, lisant couramment la Bible, il apporta son aura à la religion qu’il embrassa, aussitôt converti, veillant personnellement que ses nouveaux coreligionnaires pussent assumer librement leur foi au vu et au su de tous. N’a-t-on pas dit de lui qu’il était à l’islam ce que fut Paul au christianisme, religion de nombreux Arabes de la péninsule avant l’avènement de la foi de Mohamed, cet apôtre persécuteur de la foi du Christ avant d’en devenir le plus ardent supporter, au point de la refonder ?

Se sentant depuis toujours comme le bras armé de la vérité, se voyant en quelque sorte garant du vicariat d’Abou Bakr, il n’entendait pas laisser de liberté d’initiative ni de maîtrise de leurs mouvements aux contestataires tant qu’ils n’auraient pas adhéré au choix de la majorité, celui de la raison à ses yeux, s’imposant à tous. Autrement, il pouvait en aller de l’unité de la communauté et de l’avenir même de sa religion affaiblie par la perte de son fondateur.

Car la foi nouvelle restait menacée ; la péninsule arabique était loin d’y avoir adhéré et nombre d’Arabes juifs et chrétiens demeuraient attachés à leurs croyances et, pis encore, cherchaient à dissuader les convertis de quitter la foi des ancêtres. Par ailleurs, ceux des Arabes qui n’étaient pas contre le fait d’adhérer à la nouvelle religion, l’estimant volontiers être une distinction divine, demeuraient rivés à leur ancestral attachement à leur liberté, une liberté totale, sans freins ni limites, étant synonyme de dignité bien plus que de souveraineté.

En légaliste dans l’âme, Omar admettait volontiers avoir imposé son ami à une communauté plutôt réticente et que sa personne imposante et ses colères homériques forçant le respect y étaient pour beaucoup. Mais, honnêtement, il soutenait que c’était ce qu’il y avait à faire de mieux, qui plus est dans l’urgence d’une situation périlleuse. De ce choix politique du chef, il s’attendait à une réaction tout aussi politique de rejet qu’il pensait devoir contrer par une attitude inflexible d’unité, pour la mater le cas échéant.

Ce Compagnon, il l’estimait être le meilleur choix pour la communauté musulmane et pour sa nouvelle religion au plus délicat moment de son existence ; aussi, pour l’intérêt général, il se sentait une responsabilité particulière de fortifier son pouvoir et d’assurer sa pérennité par devers tout et contre tous, car la fin noble pouvait justifier certains moyens commandés par les circonstances ou imposés pour des comportements singuliers, impossible à contenir.

Racontant, plus tard, les circonstances de la désignation d’Abou Bakr, Omar reconnut que cela se fit dans la violence et le désordre ; mais la gravité de la situation justifiait les moyens utilisés. Renchérissant sur ce rôle particulier joué auprès de lui par Omar, Abou Bakr assura plus tard aussi, en réponse à quelqu’un qui se demandait qui des deux était le calife, ayant obtenu auprès de ce dernier une concession territoriale refusée par la suite par Omar qui se retint de la confirmer : « C’est lui, mais il l’avait refusé ! »

On assura qu’en vue d’obtenir d’Ibn Obada la reconnaissance du nouveau calife, Omar chargea l’un de ses hommes de confiance d’aller le trouver, insistant pour qu’il ne ménageât pas sa peine pour arriver à ses fins, lui recommandant même, en cas de refus de l’intéressé, de solliciter Dieu contre lui. L’émissaire serait allé rencontrer à Hourane, en Syrie, le récalcitrant qui s’y était retiré pour retrouver la santé tout en y ruminant ses ambitions déçues. Il aurait voulu gérer la destinée de tous les Arabes musulmans, certes, mais surtout, de son point de vue, son intime conviction, lui éviter les plus funestes lendemains.

Il aurait continué d’opposer un refus net au choix de la majorité ; en vain insisterait l’envoyé d’Omar, usant même de menaces. Dans la communauté agitée par le drame, inquiète de ce que pouvait cacher l’avenir paraissant si sombre, bruirent alors les rumeurs d’une conversation tendue entre l’ancien chef Ansar et l’émissaire d’Omar :

— Je ne reconnaîtrai jamais un Qoraïchite !

— Je te tuerai, sinon !

— Je le refuse même au prix de ma vie.

— Quitterais-tu l’accord qui a soudé la communauté ?

— De la reconnaissance, oui, je me tiens bien en dehors !

Abou Thabet était de la trempe des seigneurs ; il l’avait démontré en apportant son soutien décisif à Mohamed, en bataillant à ses côtés aux pires moments ; il ne mettrait pas en berne ses convictions quitte à ne faire que songer à ses rêves perdus de pouvoir être un utile recours. La menace ne saurait servir avec des hommes comme lui ; mais la rumeur pouvait y suppléer parfois.

Quelques jours plus tard, on retrouva le corps inanimé de Saad dans un hammam, sans vie depuis quelques jours. D’aucuns précisèrent même qu’il était transpercé d’une flèche. Et il se raconta aussi que, dans les ruelles populaires de la ville, le soir venu, des voix de djinns se faisaient entendre, déclamant quelques vers éplorés :

 

                        Et nous tuâmes le chef des Khazraj, Saad Ibn Obada ;

                        Deux flèches décochées et, son coeur, point on ne rata.

 

Était-il vraiment mort à ce moment-là ? Fut-il tué ? Certains assurèrent le contraire. On le revit, d’après eux, plus tard, chez lui à Médine, aussi ombrageux qu’avant à l’égard du pouvoir, mais moins ostentatoire dans le désaccord. Et, soutinrent-ils, il finit même par supporter Abou Bakr, sans pouvoir ou vouloir en faire de même pour Omar, toutefois.

 

À suivre...

 

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Chapitre 2

 

Et sourde la contestation !

2/2

 

 

Bien que silencieuse, la grogne de la famille d’Ali n’était point du goût d’Omar non plus. Il voulait y mettre fin à sa manière, pouvant être violente et expéditive. Mais Abou Bakr ne voulait se départir de sa nature pacifique, plus doucereuse ; il le retint de toute action d’éclat. Sur le front proéminent du vicaire de Dieu, dans ses yeux enfoncés, se lisait la bonté. De ses mains, aux veines saillantes, il veillait particulièrement à distribuer du bonheur autour de lui. Il n’était même pas contrarié d’être connu pour avoir la larme facile.

Comme son dos voûté, il ployait sous la gravité de ses responsabilités et ressentait particulièrement la lourdeur de la mission de succéder au premier des hommes. Pour cela, pour le respect de la religion ou pour honorer la pratique de son prophète, il pouvait surprendre plus d’un et se départir de sa souplesse, adopter l’attitude la plus dure, la plus intransigeante.

Par respect des principes, ainsi, il n’hésita pas à contrarier la fille et l’oncle du prophète. Fatima et Al Abbès vinrent réclamer leur part dans l’héritage du prophète, dont une terre ; il leur opposa une catégorique fin de non-recevoir, soutenant avoir entendu Mohamed dire qu’on n’hérite pas des envoyés de Dieu ; ce que ceux-ci laissaient était réservé à l’aumône. C’était un principe de la religion du parent disparu et il n’était point en son pouvoir d’y contrevenir pour quelque raison que ce fut.

La fille du prophète ne dit rien ; ses intimes assurèrent que cela ne la choqua pas moins et qu’elle n’adressa plus la parole au calife jusqu’à sa mort, à peine quelque six mois après le décès de son père. Dans le clan hachémite, certaines voix critiquèrent cette intransigeance de la part d’Abou Bakr, n’hésitant pas à penser, comme d’autres à soutenir, que cette rigidité ne venait pas seulement de son souci de se conformer aux faits, gestes et dires du prophète, mais était également motivée par l’attitude hostile à son choix de l’époux de Fatima et de l’ensemble du clan des hachémites.

Même si elle était encore sournoise et silencieuse, cantonnée surtout à Médine, cette opposition ne privait pas moins le calife de l’adhésion totale et unanime à son pouvoir de la communauté, et cela importait aussi bien à ses yeux qu’à ceux des musulmans. Bien qu’elle fût celle d’éminentes personnalités, elle ne sembla pas, malgré tout, prendre de l’ampleur ni attirer la sympathie. Un certain nombre de Qoraïchites commençait même à réprouver le comportement des Hachémites.

Face aux défis menaçants, venant à l’intérieur de nombreuses tribus formellement islamisées promptes à apostasier et, à l’extérieur, aux confins de la péninsule arabique, de la part des voisins perse et surtout byzantin, de tout temps redoutés, on commençait plutôt à très mal juger cette attitude abstentionniste, l’estimant fort préjudiciable, divisant la communauté au lieu de la conforter.

Telle était bien la conviction d’Omar. Des témoins ahuris, ne croyant pas leurs yeux, le virent un jour un brandon à la main, cédant à sa nature querelleuse, allant chez Fatima menacer de mettre le feu à la maison si Ali et ses compagnons ne se décidaient pas à reconnaître enfin le calife comme la plupart des gens. Dans la demeure, réunis autour d’Ali, il y avait quelques récalcitrants, dont Talha et Zoubeïr.

Tout aussi vaillant et emporté qu’Omar, ce dernier était toujours prompt à dégainer l’épée et chercher le combat. Aussi, ces mêmes témoins assurèrent-ils avoir vu le géant qu’il était se précipiter vers son semblable ; avec son imposante stature, Omar apparaissait en vrai colosse lorsqu’il était colère. Mais, ne voilà-t-il pas que les jambes si longues de Zoubeïr le trahirent, s’accrochant au fourreau pendant à sa ceinture ! Et il trébucha, laissant échapper son arme. Voisins et curieux étaient nombreux autour de la maison, en cette nuit agitée. On s’empressa de ramasser l’épée, s’employant à séparer les deux hommes, empêchant la situation de dégénérer, finissant par dissuader Omar de ses intentions pyromanes.

La nuit finit par passer sans plus d’incidents. Dans la maison d’Ali, la fille du prophète était alitée et sa maladie ajoutait le plus noir chagrin au désappointement de son mari. Même ses deux fils, l’entourant de leur tendresse filiale, n’arrivaient pas à soulager son immense peine ; ces deux enfants étaient pourtant toute sa fierté et ils étaient la plus grande joie de leur grand-père, le prophète, qui les appelaient jeunes seigneurs du paradis.

Reclus dans sa maison, soignant la fille du prophète, son unique épouse jusque-là, Ali n’eut pour seule autre occupation que la lecture du Coran et, d’après ses thuriféraires, sa compilation et son commentaire. Sa défiance à l’égard d’Abou Bakr eut une fin concomitante de celle de Fatima. Elle avait tout juste trente ans quand elle décéda en cette nuit de lundi à mardi du début de ramadan ; placée sur une sorte de palanquin, à la manière des Abyssins, elle fut enterrée de nuit dans un coin de sa maison ; autour de lui, Ali avait le strict cercle familial. Abou Bakr ne daigna pas venir ; l’avait-on seulement informé du décès ou invité à l’enterrement ?

La fille du prophète ayant rejoint son père, d’aucuns soutinrent qu’Ali se sentit bien seul ; même ses compagnons contestataires commençaient à voir leur ardeur s’affadir et penchaient à accepter une situation qui avait la force de la réalité convenant à une majorité silencieuse mais consentante. Pis ! Il avait l’impression de se rencontrer comme isolé dans sa tribu ; les gens l’avaient, en effet, délaissé quelque peu, comprenant de moins en moins sa défiance à l’égard d’Abou Bakr.

Alors, il finit, par faire volte-face et tendit la main à Abou Bakr, l’invitant à se rendre chez lui, dirent des témoins. Suspicieux, Omar chercha à le dissuader d’y aller, ou surtout de ne pas être seul. — Par Dieu, j’irai bien seul, s’écria Abou Bakr ; et que pourraient-ils me faire ? La vision pessimiste de l’humanité de son bras droit ne relevait pas de sa nature et, dans son exclamation spontanée et sincère, c’était toute son estime pour le prophète et sa famille qui se récriait.

Aussi, tout seul, retenant de la main le haut de son manteau toujours ouvert, Abou Bakr entra chez son hôte qu’il trouva entouré de tous les membres de sa famille. L’accueil fut cordial quoiqu’un peu froid ; le double deuil de la maisonnée y était encore très vivace.

— Abou Bakr, il ne nous a empêché de te reconnaître ni une quelconque négation de ta vertu ni quelque jalousie pour un bien vers toi dirigé par Dieu ; tout juste pensions-nous avoir en la matière un certain droit que vous nous aviez ravi.

Après avoir loué et glorifié Dieu, Ali en était venu à l’objet de l’invitation et il parla avec un air sérieux si peu habituel sur son visage sémillant où les grands yeux aux lourdes paupières trahissaient même un certain désarroi. Évoquant ensuite sa parenté avec le prophète, il s’étendit tellement sur les droits qui en découlaient qu’il fit venir des larmes aux yeux de son invité.

Ali avait sa vision de la légalité, celle-là même dont le principe — mais seulement le principe, sans sa conséquence logique — fut consacré au préau des Béni Sa’ida. On y admit, en effet, que la succession du prophète ne devait pas sortir du cercle de sa tribu et de ses Compagnons. Or, affirmait le cousin et gendre de Mohamed, écarter de cette succession le plus proche parent du prophète, c’était comme si on choisissait l’arbre pour en rejeter aussitôt le fruit.

— Dieu m’est témoin que le respect de la parenté avec le prophète (bénédiction et salut d’Allah sur lui) m’est bien plus important que celui de la mienne propre, répondit Abou Bakr. Pour ce qui est de ces fonds qui nous avaient divisés, je n’ai cherché que le bien, car j’ai entendu le prophète (bénédiction et salut d’Allah sur lui) dire : «On ne laisse rien en héritage, mais tout en aumône.» Aussi, je m’applique avec l’aide de Dieu à suivre à la lettre ce que faisait le prophète, bénédiction et salut d’Allah seront sur vous.

Abou Bakr était réellement ému ; mais il avait la capacité de se reprendre vite. Aussi parla-t-il doucement, une fois qu’Ali se fut tu, récitant les salutations traditionnelles, louant Dieu, avant de développer une réponse qu’il évita d’axer sur la question du pouvoir, préférant évoquer le différend financier qui l’avait opposé aux successeurs de l’illustre défunt.

On parla un moment, palabres courtoises et sincères de la part de chacun, et on finit par se séparer, se donnant rendez-vous à la mosquée pour la tombée de la nuit. L’accord était parfait. On allait faire comme si de rien n’était. Après avoir dirigé la prière du coucher, Abou Bakr s’adressa aux présents et excusa le retard d’Ali à reconnaître sa qualité. Ce dernier se leva alors. Évoquant la vertu et les antécédents d’Abou Bakr, il lui rendit hommage avant de se diriger vers lui et serrer sa main. C’était le signe attendu du consentement tardif mais sincère à son magistère.

La satisfaction des présents dans la mosquée était visible, évidente ; d’aucuns vinrent même confier à Ali leur appréciation du geste, le féliciter, le qualifiant de beau et noble. Fugacement, le masque de tristesse couvrant le visage du cousin depuis la mort du prophète sembla se dérider et il parut en bonne voie de retrouver son habituel entrain.

À la communauté éplorée, assez vite, Abou Bakr parut être le meilleur choix. Premier et plus âgé des compagnons les plus proches du prophète, il avait la sagesse de l’expérience et l’antériorité dans la foi ; il adhéra parmi les premiers à son message et fit avec lui le voyage de la fuite vers Médine, compagnonnage célébré par le Coran.

De plus, il était le père da sa femme préférée, Aïcha, qui n’avait encore que dix-huit ans, qu’on aimait et qu’on appelait affectueusement « Mère des croyants » malgré son tendre âge. Il paraissait aussi le mieux placé pour souder les musulmans en ce premier moment critique qu’ils venaient de connaître sans leur guide. Ce sentiment assez général, Abou Bakr ne fit que le renforcer lors de son discours d’investiture. Ses paroles étaient toutes choisies ; elles définissaient une politique de gouvernement inspirée de celle de Mohamed, fidèle aux principes de sa religion.

— J’ai été chargé de vous diriger et je ne suis pas le meilleur d’entre vous ; donc, si j’agis bien, vous m’aiderez, mais si je me conduis mal, redressez-moi ! La probité est de la loyauté, mais le mensonge, c’est de la trahison. Auprès de moi, le faible parmi vous est fort jusqu’à ce que je le fasse rentrer dans son droit, si Allah le veut bien ; et le puissant d’entre vous est, pour moi, impuissant jusqu’à ce que je lui fasse entendre raison, si Allah le veut bien. Que personne ne se détourne de la lutte pour la cause d’Allah, car Il avilit ceux qui la délaissent ; or, si la turpitude se répand dans une tribu, Allah la plonge aussitôt dans le malheur. Obéissez-moi tant que j’aurais obéi à notre Seigneur et à son prophète ; si je leur désobéis, je ne saurais prétendre à votre obéissance. Veuillez vous lever pour la prière, qu’Allah vous soit miséricordieux !

 

C’était au lendemain des événements du préau. Il s’était tenu sur la seconde marche de la chaire de la mosquée qui en comptait trois, n’osant pas monter plus haut, décidant par pur respect de ne pas imiter le prophète, en l’occurrence. Il venait d’écouter Omar dire tout le bien qu’il pensait de lui après les formules d’usage payant tribut à Dieu.

— Vous qui m’écoutez, je vous avais tenu hier des propos ; sachez qu’ils procédaient d’une conviction intime ; je ne les avais pas trouvés dans le Livre d’Allah et ils n’étaient pas un serment que j’aurais tenu du prophète de Dieu, bénédiction et salut d’Allah sur lui. Je pensais que le prophète (bénédiction et salut d’Allah sur lui) ne nous quitterait qu’en dernier et non sans avoir bien arrangé toutes nos affaires au préalable. Allah nous laissa son Livre par lequel il avait bien guidé son prophète, que Dieu le bénisse et le salue ; et si vous vous y tenez, bénédiction et salut d’Allah seront sur vous. Allah a confié vos affaires au meilleur parmi vous, le fidèle du prophète (bénédiction et salut d’Allah sur lui) qui : « était son seul compagnon lorsqu’ils étaient dans la grotte ». Levez-vous, reconnaissez-le !

Le zèle des gens se démultiplia avec la citation du verset 40 de la sourate « La Résipiscence » par laquelle Omar fit précéder son invitation de l’assistance à rendre hommage à son nouveau guide et, après la reconnaissance du préau, on se pressa à reconnaître solennellement le successeur du prophète. Ainsi intronisé, sa harangue appréciée, le nouveau chef de tous les musulmans voyait dans les louanges de la foule un motif supplémentaire pour ne pas démériter à parfaitement s’acquitter de sa trop lourde mission.

 

À suivre...


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Chapitre 3

 

Luttes d’influence et guerre de religion

1/5

 

Dans le marché de la ville, assis à son commerce comme il l’a toujours fait, Abou Bakr était pensif. Sa désignation en tant que vicaire du prophète de Dieu n’avait rien changé encore pour lui et il gardait ses habitudes.

On était samedi ; la veille, il s’était teint la tête et la barbe et avait présidé la prière de groupe du vendredi. Entre sa maison sur les hauteurs de la ville et le centre de Médine, il continuait à faire l’aller-retour, à pied souvent, à cheval par moments, venant toujours vendre, acheter. Outre la mercerie, il n’a pas arrêté, non plus, de s’occuper de son troupeau d’ovins et de traire lui-même ses chèvres et brebis.

Tiendrait-il ainsi plus longtemps, plus de six mois ? il ne le pensait plus. Le commerce ne pouvait se cumuler avec la gestion des intérêts de la communauté, il en était persuadé, désormais. L’investissement total pour remplir dignement sa charge devenait de rigueur, d’autant plus que la situation était grave.

Les idées d’Abou Bakr vagabondaient, son regard se projetait de la petite cité orpheline de son chef aux parages en ébullition, tout autour. Il n’était pas qualifié par sa tribu d’érudit pour rien ; sa science de la généalogie et des lignées arabes, sa connaissance pointue des faits et des événements du temps passé, outre sa prescience, en faisait un véritable sage au regard pertinent, aux vues judicieuses.

Plus que jamais, il avait désormais besoin de ces qualités unanimement reconnues. L’islam était en danger ; la mort de leur guide avait fait vaciller leur foi aux Arabes ! Avant même son décès, déjà, le prophète eut à faire face à des apostats en plus des mécréants arabes qu’il cherchait à convertir à l’Islam tantôt par la raison, tantôt par l’argent et enfin par la force des armes.

Que de chemin parcouru depuis l’apparition de la nouvelle religion à La Mecque, dans le centre-est de la péninsule arabique, au milieu de la province du Hijaz ! L’islam s’installa officiellement à Médine depuis la fuite du prophète en l’an 622, dite Hijra ou Émigration. Parti de nuit, fuyant les siens qui en étaient venus enfin à attenter à sa vie, Mohamed avait pris Abou Bakr pour compagnon de route, jusqu’à l’ancienne Yathrib, au nord de La Mecque, où les tribus arabes autres que juives attendaient une venue appelée de leurs vœux.

La péninsule arabique était loin d’être un foyer exclusif de paganisme. Parmi les Arabes, il y avait de nombreux israélites attachés au judaïsme ainsi que des chrétiens non moins fiers de leur religion. Si, au Hijaz, les Arabes polythéistes étaient nombreux, les Arabes judaïques et chrétiens se retrouvaient à ses confins, aussi bien au sud, au Yémen, qu’au nord, vers l’Irak, et sur tout le pourtour méditerranéen. Il y avait aussi nombre d’autres croyances, un véritable patchwork de confessions, chacun optant pour la foi que sa liberté lui faisait choisir quitte à en changer au gré de ses humeurs ou de ses convictions.

À Yathrib, devenue Médine, assez nombreuses étaient les tribus arabes juives avant l’installation officielle du prophète. Au demeurant, ce fut pour contrebalancer leur puissance tout aussi que pour unir leurs propres forces que les tribus des Aws et des Khazraj – appelées, depuis les Renforts – adhérèrent au message du prophète et le reçurent dans leur ville.

L’Arabie était le royaume des tribus ; dans un désert aride parsemé d’un chapelet d’oasis, la solidarité ethnique faisait loi. Mais, dans les quelques tribus sédentarisées, la lutte pour le pouvoir et son corollaire, la politique des alliances, pouvait occulter la prééminence du sang ; c’était le cas à La Mecque dont la principale tribu, Qoraïch, avec ses divers clans rivaux mais solidaires, s’adonnait au commerce, aux affaires, et avait besoin de pacifier ses voies moyennant des pactes et des liens de diverses natures.

Chez les nomades, condamnés à être les maîtres du désert pour survivre, ils avaient les mœurs guerrières, corollaire d’une propension atavique vers la liberté absolue comme idéal suprême de vie. Leur existence était rythmée de razzias, de rançons, et d’asservissement, et il n’y avait pas de place aux faibles. Hors les rapports de paix découlant des pactes à la valeur sacrée, aussi rapides à être célébrés solennellement qu’à se défaire au gré des intérêts, la guerre permanente était la constante de ce mode de vie. De rares moments de concorde ou de paix existaient toutefois, limités aux temps des pâturages, moments éphémères de cohabitation pour les tribus lors des transhumances, ou aux mois sacrés réservés au pèlerinage ou au commerce dans les quelques marchés connus et courus. Tous ces moments, supposés être de paix, où les armes et les querelles se taisent pour un temps, laissaient place à la vie et à la poésie, autre façon de survivre, mais des armes de l’éloquence cette fois-ci.

S’il apporta à la majorité de ces peuples la religion qui leur manquait, les faisant même se sentir inférieurs par rapport aux autres Arabes, gens de l’Écriture, parmi les juifs et les chrétiens, l’avènement de l’Islam ne fut pour certaines tribus belliqueuses qu’une façon nouvelle de s’adonner à leur mode de vie ancestral, le marquant tout juste d’un idéal nouveau.

Ainsi étaient-elles plus sensibles à la forme de la nouvelle religion qu’à son fond, moins attachées à ses principes qu’au surcroît de prestige, de puissance et de gains qu’elle leur apportait. Aussi, leurs batailles et leurs razzias continuaient-elles sous le couvert d’une légitimation nouvelle. Mais, grâce à l’unité réalisée autour de la personne du prophète et, à travers lui, d’un Seigneur tutélaire : Dieu, le seul qu’ils acceptaient de servir sans se sentir diminués, leur force fut décuplée et leurs butins plus importants.

Chez nombre de ces tribus — et plus elles étaient nomades, plus le phénomène prenait l’aspect de l’évidence — Mohamed avait davantage le rang d’un chef de guerre que celui d’un prophète. Et même pour qui admettait cette qualité, on l’assimilait alors volontiers à un devin ou un magicien dont on avait bien davantage l’habitude, chaque tribu possédant au moins le sien.

Au reste, si sa personne avait fini par revêtir un caractère sacré pour la plupart de ses disciples, cela ne fut ni automatique ni généralisé. Lors de la célèbre bataille d’Ohoud perdue face à sa tribu Qoraïch, il fut abandonné par la plupart de ses plus proches, ne se retrouvant qu’avec de très rares fidèles. De la vie même de Mohamed, il arriva à pas mal de tribus de rechigner à l’accomplissement de certains dogmes de la nouvelle religion comme l’aumône légale ou impôt.

Nombre de personnes, à la recherche de prestige, de gloire ou simplement dans le prolongement de la pratique fort répandue des arts divinatoires, prétendirent même s’offrir une part de ce qu’elles voulurent considérer comme un gâteau prophétique. Depuis les plus célèbres d’entre tous, le duo Chikk et Satih — le premier, une moitié d’homme ne possédant qu’un oeil, un seul bras et une unique jambe, et le second, un cul-de-jatte —, les augures, mages, aruspices, sibylles et pythonisses n’ont jamais manqué en terre d’Arabie. De là à prétendre à la prophétie, il n’y avait qu’un pas que d’aucuns sautaient bien allègrement.

Mais si certains, comme ces deux-là, étaient sages et pouvaient mériter le respect général, ne serait-ce que pour leur vision juste et avisée du monde et des choses humaines, croyant dans une osmose entre l’univers des vivants incarnés et celui des esprits désincarnés, la plupart arrivait à peine à leur hauteur, leurs prétentions au pouvoir ou aux biens terrestres les retenant au ras de leurs élucubrations.

Ce fut du Yémen, terre de haute civilisation où l’on situe les ancêtres des Arabes qui se sont disséminés par la suite sur les terres d’Arabie, que vint la manifestation la plus en vue d’une prétention pareille, la toute première apostasie de la vie même du prophète.

En cette contrée où les tribus s’étaient assez tôt sédentarisées en des villes de goût et de prestige à la culture déjà raffinée, la religion hébraïque était fort répandue et on assistait à des querelles de religions entre juifs et chrétiens de tradition. Ce fut, au reste, la persécution des chrétiens par les chefs arabes de confession juive de Najrane qui entraîna l’occupation de la région par les troupes chrétiennes venues d’Abyssinie au sixième siècle de l’ère commune, quelque cent ans avant l’apparition de l’islam, une période de troubles se prolongeant, ayant assez vite fait d’effacer le lustre et la puissance d’antan.

 

À suivre...

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Chapitre 3

 

Luttes d’influence et guerre de religion

2/5

 

Hayhala Ibn Kaab était le nom de ce prophète concurrent, mais on l’appelait plus communément Al Aswad Al Ansi. Devin noiraud, il avait embrassé l’islam avec sa tribu yéménite, puis apostasia et réussit à rallier à lui le clan Methhaj qu’il impressionna avec ses forts imposants tours de passe-passe. Constituant autour de lui une forte armée, il chassa de son pays les représentants du prophète, marcha sur Sanaa et Najrane et les enleva, étendant son pouvoir sur tout le Yémen, poussant bien au-delà, contrôlant Bahreïn et arriva jusqu’à la ville fortifiée de Taèf, au cœur de l’Arabie. Or, la région de Taèf était considérée comme le verger de La Mecque, ses riches familles y possédant d’opulentes propriétés où elles venaient séjourner l’été, fuyant les rigueurs de la canicule mecquoise.

La seconde manifestation eut pour cadre Yémama, province du Najd, une oasis de palmiers au centre de la péninsule, dans la grande tribu de la région, les Hanifa. Déjà, la femme du mage de Yémama, Sajèh, une femme instruite, poétesse et fort noble, semblait avoir la prétention à faire de l’art de son époux bien plus qu’une simple pratique traditionnelle au service de la seule tribu. Mais elle quitta la région, partant au nord du Tigre et de l’Euphrate consolider son savoir, notamment religieux, chez ses parents de la tribu chrétienne de Taghlib. Et la place se fit libre pour l’apparition, en ce Najd, du premier prophète des Assad en la personne de Toulayha Al Assadi.

Il s’était pourtant converti à l’islam l’année précédente avec l’ensemble de sa tribu lors de la venue de sa délégation à Médine faire allégeance à Mohamed. Mais cet homme très courageux, considéré comme valant à lui seul mille chevaliers, eut des rêves de grandeur et se vit un destin semblable à celui du prophète de Médine. Aussi, dès son retour chez lui, il apostasia et se mit à réciter de la prose rimée, parodiant le livre sacré de Mohamed. Pour s’attirer les faveurs de ses compatriotes, il abolit la prosternation dans la prière que nombre d’entre eux, imbus de la fierté ancestrale, trouvaient humiliante. Alliée à la chance qui le fit échapper au coup d’épée que lui porta l’homme envoyé par Mohamed pour le tuer, son éloquence fit croire à son invincibilité et augmenta vite le nombre de ses partisans. Ceux-ci, à la mort de Mohamed, se recrutèrent non seulement dans sa propre tribu des Assad, mais aussi dans celles de ses grandes alliées Ghatafan et Tayy. Il prétendit alors que, comme pour Mohamed, il avait des rencontres avec l’ange Gabriel et que celui-ci lui ordonna de prendre Médine qui venait de perdre son prophète. Et on vit les étendards rouges de ses troupes marcher sur l’ancienne Yathrib.

Dans le même temps, dans cette même contrée centrale du Najd, à Yémama précisément, vint un petit homme au teint pâle, au nez camus et dont la capacité de nuisance fut telle qu’on essaya de l’exorciser par l’altération de son prénom, en l’appelant par un diminutif, pour le dénigrer, et lui accolant de plus le qualificatif de Menteur.

On assura que tout comme son voisin, Mouslima ou Moussaylima apostasia et se proclama prophète au retour d’une délégation à Médine au cours de laquelle il fit allégeance. Il obtint, en même temps que sa tribu, sa part de butin distribué par le prophète Mohamed aussi bien en respect des us et des coutumes qu’en vue de s’assurer l’adhésion à sa religion de tribus que le dénuement rendait volages, prêtes même à vendre l’âme pour leur survie. Mais ce prétendant-là à la prophétie était connu depuis longtemps, bien avant la révélation de l’islam, pour se faire déjà appeler le Miséricordieux de Yémama.

Imitant aussi le Coran avec des phrases rimées, dispensant carrément ses adeptes de la prière et leur autorisant le vin et les relations hors mariage, il rallia aussi pas mal de monde à sa prétention à partager la prophétie avec Mohamed.

Dans les tribus arabes encore païennes ou fraîchement converties, la vocation prophétique allait ainsi bon train et les prétendants à une mission se voulant pareille à celle de Mohamed prospérèrent, comme Toulayha de Ghatafan ou Lakit Ibn Malik, l’homme au diadème, et la déjà nommée Sajeh, la prophétesse des Tamime qui fut loin d’être la seule femme à figurer en ce domaine, bien que la plus connue.

Sajèh revint, en effet, sur ses terres versées dans le christianisme, en ayant tiré la prétention à gouverner sa tribu et à la mener à des razzias victorieuses. Elle réussit à rallier à sa cause les personnes en vue de sa propre tribu dont même d’éminentes figures de l’islam. On y comptait ainsi le chargé des aumônes pour le compte de Mohamed, un dignitaire appelé le Seigneur au turban jaune. Un autre chargé des aumônes en était également, diplomate, connu pour son brio oratoire qui lui valut d’être un des tribuns de Mohamed. On y trouvait aussi le fils de l’Édenté, l’un des maîtres de l’éloquence arabe dont l’art du discours plut tellement à Mohamed qu’il qualifia son expression de magie, ainsi qu’un parrain de la tribu de Modhar, celle dont était issu Mohamed.

— On sait que Mohamed dit vrai ; mais on préfère le menteur de Rabi’a à l’homme sincère de Modhar.

On ne manquait pas d’entendre ce genre de propos chez les Arabes qui, outre les deux grandes branches des Arabes du Sud, soit du Yémen, et ceux du Nord, étaient subdivisés pour l’essentiel, concernant ces derniers, entre les deux fameuses lignes des Modhar, à laquelle appartenait Qoraïch, et des Rabi’a qui a donné, par exemple, le prophète Moussaylima. Or, l’attachement tribal était tel qu’on pouvait préférer un menteur avéré et faux prophète de sa propre tribu à celui qui paraissait être, à n’en point douter, l’envoyé de Dieu, et ce juste du fait de son appartenance à une autre tribu.

 

Au demeurant, la multiplication des vocations prophétiques, que les circonstances faisaient apparaître encore plus soudaines ou spectaculaires, n’était ni nouvelle ni surprenante. Les diverses tribus de l’Arabie étaient autant attachées à leurs spécificités qu’elles vénéraient leurs anciens, comptant en leur sein des mages. Certains parmi eux ne manquaient pas de donner à leur propos le vernis de la prophétie qui n’était en temps normal qu’un concentré de qualités supérieures faites surtout de sagesse, de clairvoyance et de détachement des futilités de la vie dans un environnement ingrat et hostile, où rien n’invite à cultiver de pareilles qualités.

 

                        Allons viens à la baise,

                        La couche est prête.

                        Ce sera à la maison, si tu le souhaites,

                        Ou au lit ; c’est à ton aise.

                        Sur le dos, si tu le veux, on t’étendra

                        Ou, encore, à quatre pattes on te mettra,

                        Et, en toi, aux deux tiers, tu l’auras

                        Ou tout entier, ainsi que tu le voudras.

 

On raconta que Sajèh qui marcha sur le Yémama à la tête d’une armée impressionnante fit si peur au prophète local qu’il chercha à la neutraliser en faisant appel à leur proximité tribale, usant de son immense savoir-faire. Il parvint à organiser une rencontre avec elle, réussit à l’impressionner et finit par lui proposer de s’unir doublement, au propre et au figuré.

Rapportant des anecdotes salaces sur leur compte, on assura que Sajèh et Mouslima se séparèrent mari et femme avec, pour dot, la moitié de la récolte de la région et, en prime, la dispense pour ses troupes de deux des prières prescrites aux musulmans : la première et la dernière, celles de l’aube et du soir.

Cependant, contrairement aux vers railleurs colportés sur son compte et celui de son nouvel époux, la prophétesse était une femme perspicace, à l’observation fine et tenait volontiers des paroles fort marquées de sagesse chrétienne. Profitant de son court séjour auprès de Moussaylima, elle avait jaugé leurs capacités militaires et leurs chances à triompher des musulmans. Concluant que leur mission relevait de l’impossible, elle s’en était retournée chez ses oncles chrétiens de Taghlib.

Si, en effet, du Yémen au Bahreïn, d’Oman à Yémama, au Hadhramaout, à Mahra, aucune tribu fraîchement convertie ne manqua de répudier son allégeance à l’islam, certaines retournant au christianisme, d’autres à la religion juive, la plupart au paganisme, toutes furent combattues, y compris celles qui ne se convertirent pas. Car désormais, on était obligé, en terre d’Arabie, de choisir entre l’islam ou la mort si on ne relevait pas des Écritures reconnues par la nouvelle foi, auquel cas on obtenait un statut spécial de double soumission : à Dieu et à ses fidèles.

Ce nouvel ordre appelé à révolutionner une contrée arriérée et la faire entrer de plain-pied, rapidement et à marche forcée dans la modernité, les musulmans le furent si brillamment, si vaillamment, avec beaucoup de vigueur et de sérieux ; de la cruauté même. Mais ils tinrent aussi, en des temps où la sauvagerie était la règle, de le faire selon des règles certes indiscutables, mais parfaitement justes, à savoir une fois échouées les options proposées préalablement pour faire amende honorable, revenir à ce qu’ils considéraient comme la seule vérité, ne supposant aucune transaction, la foi en l’islam.

 

À suivre...

 

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Aux origines de l’islam

Succession du prophète,

Ombres et lumières

 

 © Afrique Orient  2015

Auteur : Farhat OTHMAN

Titre du Livre : Aux origines de l’islam

Succession du prophète, Ombres et lumières

Dépôt Légal : 2014 MO 2542

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