De la fin au début renouvelé de l'histoire !
Pour paraphraser un proverbe finlandais disant : « Il n’y a pas de mauvais temps, seulement un mauvais équipement. » je dirais volontiers : « Il n’y a pas de mauvaise politique, seulement une mauvaise pratique politicienne. » Pour cela, j'appelle à la poléthique, une transfiguration éthique d'une politique ayant perdu ses vraies lettres de noblesse. Et il pourrait en aller de même pour l'histoire, personnelle ou mondiale, car il n'y a ni bonne ni mauvaise histoire, mais une mauvaise pratique des choses pour la vivre ou l'écrire, comme d'user de concepts obsolètes, devenus inopérants, sinon toxiques. Or, c'est le cas encore sur le plan national et international où l'on s'obstine à user de concepts éculés, relevant d'un monde bien fini. C'est tellement ironique, sinon bien tragique, que l'on est au seui d'un nouveau monde dont il nous appartient d'écrire l'histoire, une bien nouvelle, le début d'une autre histoire. Et c'est encore plus ironique, quoiqu’aussi quelque peu approprié, que Francis Fukuyama, célèbre dans les années 1990 pour son fameux "fin de l'histoire" et qui assurait sur le triomphe de la démocratie libérale occidentale dirigée par les États-Unis, assure aujourd'hui dans The Economist, le magazine des milieux financiers, la fin de l'hégémonie américaine. Notre penseur admet même que les sources à long terme de la "faiblesse et de la récession des États-Unis sont intérieures plutôt qu'internationales". Et même s'il reste convaincu que l'Amérique "restera une grande puissance dans les années à venir", il n'affirme pas moins que "son influence dépendra davantage de sa capacité à régler ses problèmes intérieurs que de sa politique étrangère".
Voilà bien ce qui vient confirmer ce que je n'arrête de dire pour nos élites nationales, à savoir qu'il nous faut une politique qui soit à la fois conçue au local mais en tenant compte dans le même temps de l'international pour espérer sortir de notre crise. Elle serait alors bien salutaire. On le vérifie encore une fois avec ce qui se passe en Ukraine où les élites au pouvoir en Occident démontrent, après la gestion tragi-comique du Covid 19 (dont on ne parle plus ou presque !) la banqueroute des valeurs ayant président à la naissance de leur civilisation, celles de la primauté de la logique sur l'intérêt, la liberté sur la contrainte et l'éthique sur le dogme. Certes, comme le note Fukuyama, l'apogée de l'hégémonie américaine, bien qu'elle n'ait duré qu'à peine 20 ans ("de la chute du mur de Berlin en 1989 à la crise économique de 2007-2009"), persiste, les États-Unis restant dominants en termes militaires, économiques, politiques et culturels. Ils en ont même abusé avec l'effondrement de l'ex-URSS en maintenant non seulement l'instrument qui était censé contrer son hégémonisme, l'OTAN, au lieu de le dissoudre, mais en en renforçant l'action dans la sphère d'influence même de la Russie, comme si l'on venait de loin prétendre avoir le droit de cultiver les terres en jachère en lieu et place du voisin immédiat à qui elle appartenait qui plus est. D'où la crise actuelle avec l'URSS dont la vraie cause se trouve dans le reniement de l'Occident de ses engagements vis-à-vis de la Russie de ne pas tenter de s'étendre sur les terres de son ancien empire.
Cette cause est l'effet même d'une autre, ce que Fukuyama appelle glorification de l'"exceptionnalisme américain" et qui a fait et fait des ravages, "le sommet de l'arrogance américaine (ayant) été l'invasion de l'Irak en 2003, lorsque les États-Unis ont espéré remodeler non seulement l'Afghanistan (qu'ils avaient envahi deux ans plus tôt) et l'Irak, mais aussi l'ensemble du Moyen-Orient". On pourrait dire de même de la politique américaine et occidentale en Palestine, et aussi la sienne, sous la férule de la France, menée en Libye de Kadhafi. Au nom du chaos créateur, faisant peu de cas de ses victimes innocentes dont se soucie bien peu la matérialisme excessif du capitalisme redevenu sauvage, les États-Unis - et l'Occident plus généralement - ont surestimé l'efficacité de la force militaire pour provoquer un changement politique fondamental. Le modèle du marché libre a également rencontré des difficultés. La décennie se termine avec des troupes américaines enlisées dans deux guerres. La crise économique internationale a également mis en évidence les inégalités créées par la mondialisation dirigée par le supposé libéralisme néo-conservateur. Venant de celui qui a inspiré les néoconservateurs dans les années 1990, cette diatribe frappée au coin du réalisme vient tardivement car on le mal est fait et on sait que le nouveau monde censé naître du chaos est déjà né quoique non stabilisé encore. On assiste donc à la danse macabre des fantômes du passé et des démons en profitant et que génère le no man's land du passage de l'ancien au nouveau. Or, ce nouveau monde ne saurait reposer sur les bases vérolées et déjà en ruine qui furent celles de l'ancien monde en ruine. D'ailleurs, Fukuyama affirme lui-même qu'il est peu probable que les États-Unis reviennent à leur ancienne position hégémonique et qu'ils ne devraient même pas essayer de le faire. Au mieux, elle ne peut qu'espérer de "maintenir un ordre mondial fondé sur des valeurs démocratiques en coopération avec des pays de même sensibilité", ce qui revient à dire de poursuivre ses propres intérêts aux dépens de ses vassaux). L'avenir nous dira si les États-Unis sont encore capables de le faire.
Quid alors de ces vassaux et surtout des suiveurs, comme la Tunisie, ces pays sans nul poids sur la scène internationale sinon leur prétention à en avoir, bien fallacieuse et ne trompant même plus son destinataire, leurs peuples. Pourtant, c'est le moment où jamais de faire entendre leur propre musique à la condition d'oser le faire. Et c'est en puisant dans les valeurs violées pars les uns et les autres que la Tunisie pourra finir par être écoutée, pratiquant une parole de vérité, tant sur le plan national qu'international au nom de la nécessaire solidarité devant enfin guider les peuples, comme hier la liberté. Ce sera la valeur première cardinale du monde nouveau où, qu'on le veuille ou non, les États-Unis connaîtront le sort de l'ex-empire britannique dans le passé, puis soviétique, se réduisant à n'être qu'une source tarie, une ressource épuisée. Or, c'est inéluctable car les seules forces en mesure de le contrarier, les cercles du capital international ne s'y opposeront pas puisque, pratiquant une politique basée sur l'intérêt, la vénalité, ils s'accommoderaient même d'un monde dirigé par la Chine pour peu qu'elle adhère à leurs impératifs catégoriques matériels. Aussi, il n'est nulle abomination pour eux en leur realpolitik ; même le prétexte de la démocratie libérale peut être écarté, à condition que les privilèges de la classe capitaliste mondiale restent inchangés.
N'a-t-on pas dit que l'histoire est un éternel recommencement ? Alors que le passé glorieux de la civilisation d'islam instruise nos élites, celles de l'efflorescence de culture au quatrième siècle de l'Hégire et non de la période fondatrice de la foi qui en a été le socle. Qu'on renoue avec ce que j'appelle fair-pray, une religion culturelle et non cultuelle en premier, développant une politique éthique, cette poléthique dont le courage de la parole de vérité est l'emblème et la solidarité tous azimuts la figure de proue. Ce qui nous permettra déjà de jeter au rebut notre langue de bois qui ne fait qu'apporter la preuve supplémentaire que nos rois sont nus, usant d'une diplomatie et d'une politique n'ayant les atours de l'intelligence qu'au royaume des baudets, condition que tient à perpétuer l'Occident pour ses supposés alliés, et qui est le justificatif de son magistère usurpé. Car le développement et le sous-développement sont bien moins économiques et financiers que culturels et moraux. Or, notre richesse est inouïe pour qui n'a perdu ni la vue ni la saine raison pour visionner les réalités et les juger distinctement, objectivement et lucidement. Ce qui devrait être notre devise à l'orée de ce nouveau monde en gestation, une nouvelle histoire à l'écriture de laquelle on a bien le droit de participer. Mais avec originalité et talent !