De la
Daimoncratie
à la
Poléthique
Daimoncratie
à la
Poléthique
En nos temps postmodernes, dont la Tunisie est une expression basique depuis son coup du peuple, il est bien temps de démystifier la politique en répudiant celle qui a toujours cours dans le monde et chez nous, une pratique à l'antique, ce que je nomme daimoncratie, chose exclusive des démons de la chose publique. Qu'est-ce donc d'autre la démocratie de nos jours, et pas seulement en Tunisie ? Et qu'est-ce que la politique ? Des menées affichées et surtout occultes, immorales et sans éthique, motivées par l'acquisition et la conservation du pouvoir par tous les moyens. L'outil majeur supposé magnifier le pouvoir du peuple n'est plus, même dans les démocraties de vieille tradition — qui sont ce qu'on qualifie de démocratie d'élevage —, que cette feuille de vigne inutile en un temps où la nudité ne pose plus et ne doit plus poser problème. Car la vérité ne se conçoit que nue ; ainsi est-elle éthique dans sa rigueur esthétique, une syntonie absolue avec l'environnement afin d'en être l'expression fidèle à la perception et à la sensation. Aussi, la façon ancienne de voir les choses et de faire la politique est finie et bien finie en notre ère des foules en effervescence. Son émoi, celui surtout de sa jeunesse, traduit une faim de loup de droits et de libertés et surtout d'éthique qui l'amène à verser dans l'horreur. Or, elle est avant tout dans nos têtes !
Le temps de la poléthique, une politique éthique est donc bien arrivé, qu'on y pense ! La faim fait enfin sortir le loup du bois. C'est d'éthique que la politique en postmodernité a le plus besoin, une conscience qui lui manque et sans laquelle elle n'est que ruine de l'âme. La démocratie doit y devenir une démopraxie, pratique de la chose publique au plus près de l'étymologie du mot, et donc la plus proche du citoyen réinvesti de son autorité et de sa puissance sociétale venant remplacer un pouvoir devenu une coquille vide. Les spécialistes parlent de la bascule inévitable de la cratie (le pouvoir) à l'archie (la puissance), annonçant la future démoarchie.
Ne nous leurrons plus ! En une socialité en effervescence du fait de l'âge des foules aux pulsions exacerbées, aux sens en émoi qu'est la postmodernité, la politique ne peut plus se faire comme avant, cette manière éculée de simuler et de dissimuler, où il sied de jouer au lion et au renard dans le même temps, tenter de laisser croire être l'instigateur de ce qui nous dépasse au vrai. De nos jours, il serait prétentieux à quiconque de prétendre être maître des événements. Tout au plus peut-on espérer les accompagner afin de profiter de leur cours, le dévier ou en atténuer les retombées fatales. C'est un peu, à l'oeuvre, une sorte de Mektoub postmoderne que la notion d'écosophie résume à merveille. On ne pense plus, on est pensé ; on n'agit plus, on est agi. En effet, l'homme maître et souverain de l'univers de la Modernité a depuis longtemps cédé la place à l'homme soumis, sinon dépendant de son inconscient, son imaginaire surtout. Aussi, s'il ne prend pas conscience de leur pouvoir irrépressible le manipulant à sa guise, il en est le jouet.
L'imaginaire, en nos temps aveuglés par le matérialisme outrancier allié à un positivisme dépassé, n'est plus la folle du logis du cartésianisme des beaux jours de la science, devenu un simple cartésisme quand la science se fait scientisme. Il est aujourd'hui une structure anthropologique éminente à ne point négliger. En ces temps troubles, la composante essentielle de l'imaginaire, cause et effet de son essence même, est une texture émotionnelle qui n'est, étymologiquement, que le fait de bouger. Et c'est désormais un besoin irrépressible, sous toutes les coutures. On a pu dire, d'ailleurs, que la postmodernité est la communion des émotions, un érotisme social qui n'est que l'amour qu'emporte son étymologie, soit le sentiment et l'attachement intenses liant les êtres entre eux. Et on sait que si l'amour est contrarié, il verse dans la haine la plus impitoyable; le dépit amoureux étant cruel, éros et thanatos deux faces d'une même réalité : ce besoin d'aimer ou de haïr chez l'humain.
C'est bien de libido sociale qu'il s'agit, au sens d'énergie vitale jouant à plein dans nos rues et sur les sentiers de traverse de par le monde, étant contrariée dans ses manifestations paisibles d'amour, y compris courtois. C'est ce dont il nous faut impérativement tenir compte, surtout en terre d'islam livrée à la plus criminelle des turpitudes, celle d'une religiosité castratrice à force de pudibonderie et de tartuferie. Et c'est dans les pays du Sud plus généralement, partie du monde la moins vieillie, où la jeunesse est la moins dotée de droits et de libertés, que la faim de la vie est à son comble. Aussi une telle appétence nourrit-elle les tragiques événements auxquels nous assistons dans le monde et qui signent dramatiquement la fin de l'ordre ancien périmé de la politique pour évoluer vers la poléthique.