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Chroniques de la maladie d'islam
Ultime semaine
Jour 22
Vendredi 15 mai 2020
Nous avons précisé que parmi les manifestations de la maladie d'islam, au niveau populaire, sa nature virtuelle et, au niveau officiel, son caractère d'illusion de religion ou, dans le meilleur des cas, d'islam politisé et instrumentalisé, sans nul rapport avec la foi islamique. Il est même possible de lui appliquer l'épithète coranique de foi bédouine, un islam illégitime et formaliste, s'en tenant à la forme textuelle sans once de foi, en conformité avec le verdict divin du verset 14 de la sourate Les Appartements : « Les Bédouins disent : "Nous croyons". Dis : "Vous ne croyez pas. Dites plutôt : "Nous nous soumettons", tant que la foi n'a pas encore pénétré votre coeur. »
La conception de nombre d'Arabes aujourd'hui de la religion musulmane est bédouine, nullement arabe; énorme est la différence ! L'esprit arabe est alerte, ouvert et convaincu de la nécessité de l'ouverture au monde, à autrui dans sa différence, ce qui a autorisé la civilisation d'islam.
Par contre, l'esprit bédouin est fruste à l'excès avec une compréhension restrictive des choses non sans morgue et arrogance; ce qui fait du tort à la religion. Dieu a noté que l'islam des Bédouins est sans rapport avec la religion, précisant au verset 97 de la sourate Le Repentir ou la Dénonciation : « Les Bédouins vont plus loin que quiconque dans la dénégation, l'hypocrisie, la propension à ignorer les normes expresses que Dieu a fait descendre sur Son Envoyé — Or Dieu est Connaissant et Sage. »
Certes, l'arabe (plus exactement littéraire), langue du Coran, est bien celle de cet Arabe bédouin grossier et rustre. Les citadins arabes avaient, d'ailleurs, l'habitude de placer leurs enfants chez les tribus nomades pour, notamment, l'apprentissage et la maîtrise de la langue arabe; ce fut le cas du prophète.
Au reste, au moment de la naissance de la linguistique et de la philologie arabes, les premiers maîtres de la nouvelle science se sont astreints à apprendre la langue arabe pure auprès des tribus nomades des Arabes bédouins qu'ils visitaient systématiquement, puisqu'elle était leur langue.
Nonobstant le fait que l'Arabe bédouin est celui qui possède le mieux sa langue, la foi d'islam n'a toutefois pas été bédouine, marquant le plus clairement ce qui la distingue de la mentalité bédouine justement. Si le Coran a bien été révélé dans la langue du Bédouin, il n'en a repris ni la mentalité ni la vision des choses, les rejetant même.
Mais la mentalité bédouine a vite dominé en islam, réussissant même à y ériger un clergé qui a fait d'une foi spirituelle un banal culte et des rites sans âme, défigurant une religion qui demeure innocente de la caricature qu'en donne les musulmans.
Il n'est pas sans intérêt de rappeler ici que ce qui s'est passé en religion n'a pas été différent de ce qu'a connu la langue de la révélation dans les cercles littéraires qui s'étaient multipliés au début de l'efflorescence de la civilisation de l'islam au fameux temps des premiers Abbassides. On y débattait, y organisant même des joutes polémiques, en se référant souvent aux Bédouins sur les points épineux de langue.
Or, malgré le caractère scientifique de ces débats et la haute stature de l'assistance, il y avait place aux jugements iniques par tromperie et félonie politique ou idéologique. À ce titre, l'affaire du frelon est restée l'exemple le plus éloquent de ces moeurs délétères, dont la victime a été le célèbre maître linguiste Sibawayh. En effet, que sa position dans l'affaire était juste, elle a été invalidée sur la base du témoignage d'un Bédouin corrompu invité à soutenir le contraire par les ennemis de Sibawayh, abusant de leur autorité politique, affichant une arrogance savante.
Il va sans dire que la littérature était riche de ce genre d'arnaque; on doit ainsi à Taha Hussein d'avoir démontré comment l'essentiel de la poésie de l'Antéislam fut inventée durant l'ère abbasside. Mais la religion n'en était pas prémunie, et du mensonge plus particulièrement. Ce qui ne saurait étonner quand le fiqh autorisait à mentir dans le cadre d'un hadith en vue de servir la bonne cause de l'exhortation au bien à la piété; Ibn Hanbal, érigé en maître incontesté du courant sunnite, ne disait rien d'autre.
Au reste, c'est l'augmentation exponentielle des hadiths apocryphes, à partir du troisième siècle de l'hégire notamment, qui a imposé ce qu'on a appelé science du hadith qui a imaginé les moyens d'en contrôler la véracité, catégorisant les hadiths selon le degré supposé d'authenticité ou de crédibilité du rapporteur. Les choses demeurent en l'état à ce jour, la fin justifiant toujours les moyens tant chez certains religieux que nombre de politiciens pratiquant la politique sans ses lettres de noblesse.
Aussi, comme notre passé arabe musulman,sans parler de notre présent, déborde d'abus de confiance, il importe d'y faire attention pour qui est soucieux d'honnêteté et d'objectivité, sourcilleux dans l'application de l'éthique de l'islam qui est, avant tout, d'avoir de la vertu.
Notons ici qu'en affirmant l'impératif de la rupture avec l'islam bédouin, notre propos n'a trait qu'à la compréhension bédouine de la religion sans nulle distinction, bien évidemment, entre l'Arabe et le Bédouin du fait de leur leur mode de vie, citadin ou nomade. D'ailleurs, nous avons précisé auparavant que la vie citadine n'est en rien supérieure à la ruralité, la question n'étant que d'éthique qui appartient à tous et ne dépend pas du lieu où l'on vit, l'urbanité n'étant pas nécessairement spécifique à la ville en termes de moralité, même si celle-ci relève de la gouvernance des pays et est davantage concentrée dans les villes, la capitale des pays. Aussi, rompre avec la religion bédouine n'est pas dans le changement du type de vie, mais du type de pensée, nombre de citadins n'ayant rien d'urbain, gardant une pensée et des moeurs sauvages.
Une telle rupture est dans le retour à ce qui est le plus authentique en religion arabe d'islam, cette belle foi tolérante, sans juste s'attacher à son texte, son libellé, plutôt à ses visées et à son esprit, en premier et en dernier. C'est ce qui est de nature à sauvegarder dans les préceptes de la religion, ainsi que formulés par le Coran mecquois surtout, la distinction de l'esprit arabe, bien loin de la sotte vanité du Bédouin intégriste.
La lecture bédouine de l'islam et de ses préceptes y élève des idoles morales, travestissant cette religion qui est venue mettre à bas toutes les idoles; la parole divine ne peut être un texte sans âme, sinon il est ainsi élevé en idole. Ainsi, avec sa fausse lecture de l'islam, le Bédouin fait-il une crotte de la perle, selon l'expression triviale de Tawhidi.
Jour 23
Samedi 16 mai 2020
De par notre lecture bédouine de l'islam, nous y avons institué la même distinction qui existe dans le christianisme entre Jésus de Nazareth et Jésus des chrétiens; ce dont a bien parlé Gibran Khalil Gibran dans son livre d'aphorismes "Le sable et l'écume". En effet, nous avons désormais en notre religion un Mohamed d'islam, le vrai prophète de cette religion, et un Mohamed des musulmans, celui des gens du commun, produit de la jurisprudence musulmane, avec de temps à autre en islam populaire virtuel, une réapparition du premier, le messager de l'islam.
Notre fiqh aujourd'hui, dans ce qu'on qualifie de tradition du prophète, ne fait pas partie du message de l'islam quand il ne le contredit pas parfois. C'est ce que dans "Les Conformités" l'auteur de la thèse des Visées de la Loi religieuse qui y soutient s'être "retrouvé étranger dans le corps de gens relevant de l'esprit du temps, n'ayant comme règles que les habitudes, altérés qui plus est par des innovations superflues". Et Chatibi de citer des exemples concrets, tel ce dernier, auquel on a précédemment référé, "de ce qui a été raconté d'Abou Dardaa disant : si le prophète devait revenir en ce temps-ci parmi vous, il ne reconnaîtrait rien de ce qu'il honorait et ses Compagnons, à part la prière. Awzaï dit alors : Mais que dirait-il d'aujourd'hui ? Et Issa Ibn Younes de renchérir : Mais que dirait Awzaï de notre temps présent?" Et je rajouterais volontiers : Que diraient ces anciens s'ils vivaient notre temps de la maladie d'islam ?
Assurément, si le messager de l'islam devait revenir sur terre, il nous exhorterait à renouer avec le message de l'islam tel qu'il l'a révélé, tout miséricorde pour tous, qui s'est transformé en inclémence totale. Car sa foi est celle de la liberté absolue et la libération de tout lien à l'exclusion de celui de se soumettre à Dieu avec lequel le fidèle entretient un rapport direct et exclusif, sans nul intermédiaire humain. Aussi, en cette foi, un jurisconsulte, vrai connaisseur des prescriptions de Dieu, ne se permet pas de commander à la croyance des musulmans, surtout pas à leur conscience et leur bonne foi, car il sait pertinemment ignorer par nécessité bien plus de la sagesse divine que ce qu'il en a appris.
C'est bien l'islam dont viendra forcément le temps d'être revitalisé puisqu'on est à l'orée d'un nouveau siècle et sur une bonne et tolérante terre, cette Tunisie réjouissante et jouissive, dont le sol est fertile grâce aux restes de ses soufis et la souplesse de caractère de sa population. Il est donc fatal que le site privilégié de la piété musulmane y soit le coeur et son comportement avec autrui, non point dans ses gestes fixés par le rituel religieux.
Le musulman ne saurait être réduit à un robot cultuel ne bougeant que sur commande rituelle, toute sa foi se traduisant dans ce qu'il fait, ce qu'il dit et selon son intention. Il ne relève donc pas de la foi d'islam et de son messager s'il n'honore pas au jour le jour l'impératif d'être juste et noble de valeurs.
C'est l'islam spirituel qu'ont vécus et fait connaître les soufis, une foi d'amour ainsi qu'elle a été chantée par le poète du soufisme égyptien Ibn Al-Fâridh dans son célèbre grand poème en T, connu aussi sous le nom de "Arrangement comportemental" ou cette autre sommité du soufisme qu'est Ibn Arabi affirmant : "َAmour est la foi que m'oriente***son cortège; l'amour, ma religion, ma foi".
S'agissant du prophète musulman dans l'imaginaire populaire, c'est une figure inventée par les jurisconsultes et les serviteurs de la politique, les mouches des palais selon l'expression de Jahidh, y compris les palais de nos jours, les plateaux médiatiques; et cette figure est inventée et n'a aucune réalité. Ainsi, le prophète de l'islam est devenu un second Jésus dont on fête la naissance et on copie les moindres gestes, même ceux relevant de sa nature humaine, alors qu'il n'est à être pris en exemple que dans sa parole et action en parfaite conformité avec la lettre et l'esprit du Coran.
Aussi est-il possible de dire que l'islam des musulmans d'aujourd'hui n'est plus celui du message du prophète Mohamed, mais celui des jurisconsultes dont la plupart étaient des convertis ainsi que l'a rapporté Ibn Khaldoun; donc leur jurisprudence, comme leur imaginaire et inconscient, était influencée par le judaïsme et le christianisme bien plus que par la nouvelle religion islamique, ce qu'on a appelé judaïcité (israilyet) dans l'histoire de l'islam.
De la sorte, les musulmans ont inventé une église en islam, moins légitime que celle créée en leur religion par les chrétiens, l'église étant une oeuvre humaine comme le dit Gibran notant dans "Les Âmes révoltées" : "Nous adorons et nous prions selon notre volonté propre, non ainsi que le commandent moines et abbés". C'est bien cela l'islam, une paix spirituelle et matérielle; aussi est-il éternel, et non ce qu'il est devenu de par sa maladie !
L'islam actuel est passé de la foi du Coran à la foi du hadith pour reprendre, légèrement modifiée, une expression de Georges Tarabichi. Un tel renversement idéologique a été réalisé par les sunnites singeant les chiites dans le travestissement des conceptions religieuses selon le texte et l'esprit du Coran. En premier, ce fut la responsabilité de Chafaïi, puis d'Ibn Hanbal qu'on a intronisé comme imam de la sunna. Et nous avons déjà évoqué celle des rationalistes de l'islam, les mu'tazilites avec l'affaire de la création du Coran en un temps mal choisi et une mauvaise stratégie. Nous reviendrons, au demeurant, à cette affaire avec des détails supplémentaires pour évoquer la nécessité de la réouverture du dossier comme déjà annoncé.
Auparavant, nous continuons avec le hadith érigé en juge du Coran par ce sunnisme venu contrer le chiisme — qui a donné le plus parfait exemple de la politisation de la foi monothéiste — et qui a reproduit son oeuvre, donnant naissance aussi en islam au ministère du jurisconsulte (wilayat al faqih). Cela a été possible avec les dires du prophète qui sont devenus une mécanique entre les mains des jurisconsultes pour légiférer alors qu'un tel pouvoir n'était même pas reconnu en islam au prophète. Car il y est juste le transmetteur du message ou de loi de Dieu, soumis à la loi divine, nullement législateur de cette loi et qui demeure Dieu, unique pouvoir légiférant en islam avec le Coran et uniquement le Coran.
Or, comme le hadith a été élevé au rang du Coran avec Chafaï, puis l'a dépassé avec Ibn Hanbal, il est devenu possible au faqih d'inventer des hadiths faisant dire au prophète, et à travers lui à Dieu, tout ce qu'on voulait; d'où la porte ouverte à tous les excès. Certes, on pourrait noter que, pour éviter de tels abus, on n'a pas manqué d'inventer l'outil de l'ajustement et du dénigrement. Mais comme il a été précisé déjà, ce mécanisme se soucie moins du contenu du hadith que de la chaîne de sa transmission.
De plus, avec l'inflation ahurissante des hadiths inauthentiques, ladite technique n'a plus utilisé les premières exigences des auteurs des deux recensions majeures, les élargissant sans fin. Ce qui, au final, ramène à l'éthique et le degré de bonne foi et d'honnêteté des gens du hadith, en faisant le premier et dernier critère de la véracité de la chaîne de transmission, et partant du hadith lui-même.
À la vérité, on en est arrivé à considérer le hadith authentique du moment qu'il est rapporté par une personne de confiance d'une personne de confiance jusqu'à arriver au Compagnon puis au prophète, d'autant que le critère propre aux spécialistes de ce métier ou industrie qu'est l'ajustement et le dénigrement, déjà loin d'être objectif, se révélait être une pure subjectivité. Le juge de Nishapur (Al Hakim Al-Nissaburi) dans son livre "Connaître la science du hadith" nous livre un témoignage précieux en la matière, soutenant que "la connaissance du hadith est une intuition; ainsi si l'on demande au savant motivant ce qu'il rapporte d'où il le tient, il ne saura répondre ni en donner preuve". Aussi d'aucuns ont-ils osé comparer la connaissance de la science du hadith à une sorte de divination, du moins dans l'optique des ignorants de ce métier devenu industrie ou, encore mieux, commerce.
Nous reviendrons au sujet avec davantage de détails sur l'origine politique de la science du hadith et l'impasse éthique à laquelle a amené la pléthore des dires inventés, imposant ce que nous appelons l'impératif d'envisager une nouvelle époque en islam après l'islam du hadith, selon l'expression de Tarabichi, et qui serait l'islam post-hadith dans le cadre de l'islam postmoderne.
Ce sera dans la chronique d'après-demain, celle à venir étant réservée à saluer la journée mondiale de lutte contre l'homophobie au nom de l'islam pour aider à le sortir de sa maladie actuelle.
Jour 24
Dimanche 17 mai 2020
Ce jour de ramadan de cette année particulière est très symbolique, étant la journée mondiale de lutte contre l'homophobie qui est la plus hideuse des manifestations de la maladie d'islam, les pays musulmans ignorant cette journée et ce qu'elle représente, alors que leur religion est bien la plus digne de la célébrer. En effet, l'islam correctement interprété n'a jamais été homophobe contrairement à la croyance généralisée qui est un flagrant déni de la vérité et une injustice tant pour les gens concernés que pour cette foi, l'homosexualité y étant une nature par la seule volonté de Dieu placée en certaines personnes.
Outre leur fausse et perniciesue lecture que nous invaliderons preuves définitives à l'appui, les intégristes en Tunisie usent du stratagème de la référence à l'islam dans la Constitution pour refuser la célébration de cette journée, la reconnaissance du droit des gays et partant le rejet des demandes d'abrogation du crime homophobe. Il s'agit du clou de Jha dont j'avais parlé.
Qui ne connaît pas le conte mettant en scène ce personnage populaire de Jha, figure truculente et géniale du sens de la rue arabe ? C'est l'histoire d'un fieffé malin dans le besoin qui vend pour des galipettes à un riche voisin sa maison avec la condition expresse de garder en propriété, planté dans la maison, un clou avec le droit de venir l'entretenir à tout moment. Prenant les choses à la légère, le nouvel acquéreur accepta la condition, l'estimant sans valeur par rapport à l'énorme gain réalisé puisque, pour pratiquement rien, il entrait en possession de la maison et tout ce qu'il y avait de biens, à l'exception du clou.
Or, celui-ci allait se révéler d'une importance capitale, étant la ruse de Jha pour se permettre de venir chaque jour entretenir son clou, à n'importe quelle heure et en se permettant tout ce qu'il voulait faire avec le clou. Ce qui finit par déranger au plus haut point le nouvel acquéreur l'amenant finalement à délaisser la maison à Jha pour retrouver la paix.
Ce conte est populairement pris en exemple du recours à la ruse ou à d'arguments fallacieux pour arriver à des fins illégitimes; il est aussi révélateur de la tromperie que retrouve en des questions autrement plus importantes en vue d'empêcher que les arguments sérieux puissent y être entendus ou pris en compte. C'est le cas de la question de l'abrogation de la criminalisation de l'homosexualité en Tunisie et dans le restant des pays d'islam, la situation y étant globalement partout la même avec la référence à l'islam dans la constitution du pays.
En islam, même s'il est considéré comme une anomalie chez les humains, le sexe gay est estimé naturel, étant répandu dans la nature, et il n'est point interdit comme cela a été démontré et ainsi que nous le rappellerons ici. Or, les intégristes usent de la référence constitutionnelle à la religion et de la nécessité du respect de ses valeurs comme Jha de son clou.
Pourtant, le sexe arabe est, d'une part, bisexuel, tout comme il l'est dans la nature où c'est le sexe le plus répandu; d'autre part, il n'a ni interdit ni criminalisé ce sexe naturel chez une partie des créatures de Dieu. Aussi, c'est grâce à ce clou qu'on réussit, en Tunisie, à empêcher l'abolition de l'article 230 du Code pénal, fondement de la criminalisation de l'homosexualité au prétexte qu'on agit ainsi au nom de la religion, mentant de la sorte sans vergogne à son propos.
Ce qui ne contribue pas à changer les choses, c'est que personne ne contredit cette fausse lecture intégriste, le silence généralisé sur la question encourageant la violation de la tolérance de l'islam et sa juste compréhension. Et il est particulièrement de la part des militants contre l'homophobie et de la société civile et ses associations, les uns et les autres n'osant pas contrer un tel flagrant mensonge ni lui opposer les arguments et les preuves pourtant disponibles.
La principale raison à cela est probablement le fait qu'en l'occurrence on milite moins pour l'abrogation de l'homophobie en Tunisie que pour la laïcité. Il est bien regrettable, en effet, que les associations luttant pour l'abolition de l'homophobie refusent d'user de l'arme religieuse dans leur combat pour un droit légitime alors qu'elle est bien la seule efficace. Dans le meilleur des cas, elles croient à tort qu'il n'y a pas lieu de parler de religion et que la façon unique de réussir leur militance est de l'ignorer. َAinsi ignorent-elles, à la vérité, la principale cause interdisant la réussite de tout combat en l'objet, le clou de Jha précité.
Ce qui confirme l'erreur stratégique de ces associations homosexuelles qui ont plutôt pour objectif la laïcité, la séparation de la religion et de la politique à la manière occidentale; un objectif tu car la laïcité a mauvaise presse auprès du large public. C'est pour cela aussi qu'elles reçoivent un total appui de la part de l'Occident, tant matériel que moral; ce qui pose problème. En effet, cela se fait désormais au prix d'une intensification du harcèlement des gays.
Car la mauvaise médiatisation de la cause, avec la confusion ainsi créée entre le droit des homosexuels et l'ingérence étrangère islamophobe, a fait empirer la condition homosexuelle dans le pays en suscitant la réaction violente non seulement des intégristes, mais aussi et surtout de tous ceux qui refusent une quelconque hostilité à l'égard de la religion du pays.
Bien que leur stratégie inspirée de l'Occident soit sans utilité en terre d'islam, les associations anti-homophobie, généralement appuyées financièrement par cet Occident, ne veulent pas la changer, ne faisant que reproduire les normes d'action des associations occidentales laïques qui les soutiennent, imposant même parfois leurs vues.
Or, si la laïcité a été utile en Occident, particulièrement pour le droit au sexe, homosexuel comme hétérosexuel au reste, elle est pernicieuse en islam qui n'a ni interdit l'homosexualité ni n'a validé le péché de la chair de la Bible judéo-chrétienne. D'autant plus que la séparation de la religion et de la politique y est parfaitement possible du fait de la nature duale de cette religion, une foi pour l'intimité rigouresuement protégée et une politique pratique de vie publique fermée à la religion. Ce qui est bien une laïcité islamique qui pourrait bien se substituer à la laïcité occidentale populairement honnie, à tort ou à raison, peu importe, en terre d'islam.
Correctement lu, selon le texte coranique et ses visées, l'islam reconnaît le droit au plaisir et au désir à l'humain, ainsi que le prouve son paradis avec ses houris et ses éphèbes. Comme l'ont compris les soufis, le plus important en la matière est de veiller à la tempérance; et c'est ce à quoi appelle la foi authentique d'islam en insistant sur la nécessité de purification personnelle dans un environnement de droits et de libertés. On sait, au reste, que le mariage de plaisir était pratiqué et avait même lieu durant le pèlerinage de la vie du prophète et après sa mort avant que des jurisconsultes imbus de traditions judéo-chrétiennes ne l'interdisent, défigurant leur foi en pensant la rehausser.
Cela s'applique à qui croit que l'islam a interdit l'homosexualité, se montrant ainsi injuste à son égard tout autant que vis-à-vis des personnes concernées, faisant d'une foi de justice et d'équité une religion de l'injustice et de la terreur.
Quiconque soutient que l'islam est homophobe dit faux, se basant particulièrement sur les versets se rapportant aux gens de Loth; or, il ne s'agit que de récits qui ne sont pas susceptibles de fonder les catégories du licite et de l'illicite en islam. Et il n'est que du récit, rien d'autre, dans le Coran en matière d'homosexualité ! S'agissant de la sunna authentique, plus précisément chez Boukhari et Mouselm, on n'y relève aucun hadith en l'objet; n'est-ce pas éloquent pour ce qui a été considéré comme étant la pire des turpitudes ?
Au vrai, il n'est pas étonnant que l'islam n'interdise pas l'homosexualité, car le sexe arabe est bisexuel ou holiste, ne distinguant pas, comme dans la nature, entre le mâle et la femelle; et ce fut bien le cas de la société musulmane du temps du prophète.
L'actuelle criminalisation de l'homosexualité chez les musulmans est le produit d'un effort d'interprétation obsolète de la jurisprudence musulmane; il est l'oeuvre de jurisconsultes par analogie avec l'adultère, influencés par la Bible. Il est à noter, d'ailleurs, ici que l'homosexualité n'était pas la caractéristique des gens de Loth leur ayant valu le châtiment; elle n'en concernait qu'une infime partie, sinon ils n'auraient pas été un peuple.
De plus, la colère de Dieu qui a frappé le peuple tout entier n'était pas motivée par le fait d'une minorité, sinon cela aurait manifesté de sa part de l'injustice; elle était plutôt à cause du fait que tout le peuple pratiquait le brigandage, tous les gens de Loth étient, effectivement, des bandits de grands chemins. Si Dieu n'a pas mentionné ce crime de tout le peuple, se limitant à évoquer le comportement de certains, c'était par effet de cette rhétorique arabe généralisant le particulier en vue de maximiser la satire, en affiner le trait. D'autant que l'homosexualité était, en ce temps, la pire des offenses, surtout chez les gens du Livre dont l'influence et les traditions sur les musulmans n'est plus à rappeler.
Ce que nous soutenons sur l'homosexualité en islam est d'ailleurs confirmé par le chef de file du rite Dhahirite (littéraliste) connu par son intransigeance dans la lecture littérale du Coran, refusant la moindre interprétation, comme ce fut le cas avec l'homosexualité. Ainsi, Ibn Hazm juge que les gens de Loth ont été puni non pour homosexualité, mais pour leur mécréance. Faisant l'inventaire de tout ce qui a été rapporté de dires sur le sujet et les discutant, il les rejettent un à un en finissant par affirmer qu'il n'est point de peine pour l'homosexualité en islam.
On lit ainsi dans L'Illustré : "Comme il est avéré... qu'on ne tue point pour cela ni n'existe de peine, Dieu et son prophète ne l'ayant pas prévu, on estime qu'il a été question de commission de mauvaise action, et qu'il importe de par mandement prophétique d'en assurer la levée par la main, ce qui n'autorise qu'à les en blâmer par le fouet ainsi que cela a été déterminé par l'Envoyé de Dieu et sans plus, juste pour mettre fin à l'effet de la mauvaise action sur la communauté... Quiconque doté de sens sait avec certitude que lever le tort commis par qui imite les gens de Loth, actifs et passifs, sert la piété que dessert l'indifférence à son égard; aussi faut-il les en retenir, mais sans en faire couler le sang ou porter atteinte à leur corps ou à leurs biens... Et nous nous remettons à Dieu contre toute tentation de nous montrer plus ou moins intransigeants que lui dans la défense de sa religion ou de légiférer selon nos opinions de mauvaises lois, et nous remercions amplement Dieu".
Lors de la célébration de cette journée il y a deux ans, et l'année dernière encore, j'ai suggéré de saisir cette occasion pour rappeler la vérité sur l'homosexualité en islam, honorant du coup cette foi des droits et de libertés, y compris des homosexuels, et ainsi mettre enfin un terme au travestissement de toutes parts attentant à son humanisme avéré.
J'ai alors précisé que coupler la dénonciation de l'homophobie et de l'islamophobie pourrait se faire par le rappel du drame du jeune maghrébin Ihsane Jarfi assassiné atrocement en Belgique en 2012 juste pour être musulman et homosexuel. En effet, la Belgique a pris l'habitude depuis quelques années de célébrer son souvenir en cette journée, lui donnant son nom. Ne serait-il pas possible d'importer la journée de célébration d'Ihsane Jarfi en terre maghrébine ? Les musulmans maghrébins ne sont-ils pas mieux placés pour honorer l'esprit de ce musulman modèle et gay ?
Faut-il rappeler que pour les nobles valeurs et l'excellente réputation d'Ihsane Jarfi, son drame a énormément ému ses compatriotes, aussi bien belges que marocains, Pourquoi donc les militants maghrébins pour les droits homosexuels continuent-ils d'ignorer le drame de ce jeune, un des leurs qui plus est, au lieu d'en faire une icône de leur combat pour leurs droits?
Assurément, ils auront de la sorte de bien meilleures chances pour réussir à abolir l'homophobie en terre d'islam au lieu de continuer avec leur actuelle stratégie qui sert moins leur cause que les intérêts d'un Occident réveillé à ses démons islamophobes. Qu'ils appellent donc à ce que dorénavant la célébration de la journée du 17 mai au Maghreb soit aussi celle de la mémoire d'Ihsane Jarfi victime à la fois d'homophobie et d'islamophobie, ce que je nomme l'islamohomophobie !
Jour 25
Lundi 18 mai 2020
La jurisprudence musulmane d'aujourd'hui considère le dire du prophète et sa tradition une référence essentielle l'emportant même sur la référence première théorique qu'est le Coran, comme cela a été démontré par Georges Tarabichi avec son maître ouvrage "De l'islam du Coran à l'islam du hadith. Naissance incessante". Ce qui confirme notre propos que l'islam est politique par nature.
D'ailleurs, la naissance du hadith et sa formidable croissance étaient purement politiques, ce qui a occasionné l'impasse éthique produite par la prolifération des hadiths inauthentiques, participant à la maladie d'islam dont on souffre à ce jour. Aussi avons-nous dit qu'il est impératif de sortir de cet état, que méconnaît la majorité musulmane mais qu'entretient une minorité, en envisageant un nouveau temps en islam après celui du hadith et qui serait l'islam post hadith. Cela permettrait peut-être à l'islam de retrouver la santé dans le cadre de l'islam de nos jours, l'islam postmoderne, marquant les retrouvailles avec l'éthique de la foi première d'islam, une éthique politique ou poléthique i-slamique.
Nous en parlerons dans les chroniques de ces derniers jours de ramadan en rappelant, d'abord, la naissance politique du hadith dont on commença à faire circuler les récits de manière soutenue après l'éclatement de la communauté musulmane en courants politiques rivaux à la suite de la grande discorde née au début de la seconde moitié du règne du troisième calife Othman Ibn Affèn.
Malgré les apparences, une approche liminaire des événements, la division de l'islam en fractions ennemies n'a pas eu pour cause la religion, une mésentente sur des questions théologiques. Contrairement à ce qui sere le cas plus tard avec, par exemple, la question de la création du Coran, ces premières divisions le furent, pour l'essentiel, à propos du pouvoir. De fait, la théologie n'était pas encore une discipline à part ou science à ce moment-là, et n'était surtout pas disjointe de la politique, et partant de la rivalité qui allait secouer l'islam sans cesser de le faire récurremment.
Il est à noter aussi que le hadith n'avait aucune sorte de légitimité avant la grande discorde, au point d'avoir été interdit de le consigner par écrit; en début d'islam, il n'était qu'oral, pratiquement limité au Hijaz. À la faveur des débuts de la guerre civile, mais sans violer l'interdiction de sa consignation par écrit, d'aucuns commencèrent d'en user pour justifier une militance, valider ou invalider une légitimité, en usant contre leurs ennemis. Aussi, les Omeyyades, particulièrement après avoir réussi à avoir gain de cause, ont cherché à légitimer leur pouvoir; ce qui les amena à le consolider en instrumentalisant la religion une fois installés à la tête de l'État d'islam. Ainsi ordonnèrent-ils de rompre avec la tradition du hadith oral et de le consigner dorénavant.
Le hadith est donc passé du statut informel de l'oralité à la formalité du caractère officiel et écrit; et alors qu'il était surtout limité au Hijaz, à peine utilisé par les adversaires des Omeyyades pour contester leurs prétentions au pouvoir, il va avoir un nouveau sort, devenant icontournable en islam, prenant même le pas sur le Coran pour des considérations de pure politique politicienne, par un réalisme sans once d'éthique.
Pour paraphraser Georges Tarabichi, nous dirons que le hadith, au départ interdit de consignation était la premère catapulte aux mains des ennemis des Omyyades pour invalider leur légitimité; objet de l'ordonnance officielle omeyyade de consignation, il est devenu, entre les mains du pouvoir, cette même arme contre ses adversaires. Le témoignage du jurisconsulte Ibn Chiheb Al-Zohri est à ce titre éloquent : "Nous n'aimions pas consigner ce savoir jusqu'à ce que ces émirs nous y contraignirent".
La science du hadith a donc commencé en politique religieuse. Si elle a cherché, au début, à sauvegarder les apparences de l'éthique de l'islam premier, à partir du troisième siècle de l'hégire, elle évoluera bien vite en un métier, plutôt une industrie, et même un commerce de bas de gamme. Ce qui amena cette maladie où les jurisconsultes sont les serviteurs du temple virtuel qu'ils édifièrent en islam.
En effet, l'un des plus grands paradoxes de l'islam de notre temps est que l'on révère et vénère les imams jurisconsultes, leurs rites et avis juridiques ou fatwas illustrant une lecture figée de la religion, tout en méconnaissant, dans le même temps, nombre de versets coraniques qui interdisent au messager de Dieu lui-même bien moins de ce qu'on voit d'eux. Force alors est de se poser des questions sur le degré de leur sincérité quand ils assurent être attachés à l'islam et tenir à suivre l'exemple du prophète en appliquant sa tradition. Surtout qu'une bonne part des dires prophétiques a été inventée ainsi que nous l'avons précisé et illustré de quelques exemples avec les hadiths problématiques, auxquels nous reviendrons, au demeurant.
Assurément, la sanctification par les gens du hadith de la tradition ou sunna du prophète, érigée en idole morale en islam, n'est pas née du néant, le passage de l'ère de l'islam de la révélation à celle de l'État et de la politique ayant amenuisé cette liberté qui est à la base de la foi d'islam. Elle est déjà bien manifeste dans la pluralité des parlers de la révélation, outre la multiplicité des lectures du Coran. Or, après l'unification de l'idiome coranique avec le canon de Othmane, on a brûlé les versions qui n'y étaient pas conformes.
Bien pis ! on a interdit les lectures particulières; et si certaines nous sont parvenues, on n'a pas moins enregistré des tentatives d'intimidation des lecteurs pour les amener à renier la leur. C'est ce qui est arrivé à l'un des sept auteurs des lectures canoniques, par ailleurs célèbre linguiste de l'école de Bassorah, Abou Amr Ibn Al-Alâa a qui on a enjoint d'abandonner sa lecture dissidente en certains points à la lecture officielle du canon d'Othmane et qui a préféré sauver sa vie que ne pas renier sa lecture. Cela se passait assez tôt en islam, leldit lecteur étant décédé en l'an 154 de l'hégire.
La répression n'a pas tardé à se développer et elle concerna aussi le hadith, en usant pour imposer une lecture unique de l'islam à la faveur de la nature divine ou presque qu'il allait gagner. Ce qui n'est pas pour étonner dans une civilisation de l'écriture sainte qu'était cette religion ! Toutefois, ce qui ne manque pas de surprendre, c'est le degré excessif qu'a atteint cette science alors que le vocable même de hadith n'était ni courant du temps du prophète ni n'était utilisé pour désigner ses paroles aux débuts de l'islam, ne désignant encore que le Coran qui en use pour se présenter, comme dans le verset 23 de la sourate Les Groupes, dite encore Par vagues, où il se dit être "le plus beau message".
La phénoménale et rapide prolifération des hadiths, fabuleuse à plus d'un titre, relèverait éventuellement de ce qu'on appelle en psychanalyse transfert, c'est-à-dire ce processus de la pensée par lequel on reporte d'un sujet sur un autre des désirs inconscients prouvés en vue de créer un lien affectif intense, positif ou négatif, pour faciliter ou interdire sa réalisation. Ici, ce serait pour avoir les coudées franches à mentir au nom du prophète sans états d'âme. On adore donc, en contradiction avec l'islam pur, son messager dont on contredit allègrement le message aussi bien dans sa lettre que dans son esprit. Un message qui se résout, pour l'essentiel, outre l'unicité divine, dans l'assomption de la vertu.
Or, qui prétendrait ignorer le grand nombre de ces versets éducatifs à l'intention du prophète et qui limitent son message à l'obligation expresse de la seule transmission, sa mission s'y arrêtant ? Effectivement, parmi les spécificités du prophète de l'islam, en plus du fait qu'il garde sa condition humaine en dehors de sa mission, il est soumis aux ordres de Dieu, n'ayant nul droit à ordonner autre chose que ce qu'il lui demande de transmettre et dont lui appartient en exclusivité le savoir définitif. Aussi, tout ce qui est présenté comme exégèse n'est qu'un effort humain d'interprétation, imparfait par définition. Cela traduit la scientificité de la religion d'islam, sachant que le propre d'une théorie scientifique est d'être réfutable, ainsi qu'admis depuis Popper.
Or ne voilà-t-il pas que les jurisconsultes dépouillent l'islam de sa scientificité et outrepassent ce que Dieu interdit à son messager en imposant leur vision des choses ! Sont-ils donc, plus que le prophète, habilités à cet effet ? Leur sanctification de ses dires ne relève-t-elle pas de l'illusion inconsciente, n'étant juste qu'une feinte de leur inconscient tandant à dissimuler le dépassement de leurs limites, à les occulter ?
Comme le Coran, à l'intention du messager de Dieu, est riche en messages éducatifs récurrents, parfois même particulièrement sévères, à plus forte raison ces derniers le sont-ils en direction de tous les musulmans, et à leur tête leurs imams lorsqu'ils méconnaissent les implications de tels versets, ne tenant compte ni leur lettre ni de leur esprit.
Les exemples ne manquent pas en la matière, et on se suffira, en ce ramadan, de citer cette prétendue piété obligatoire consistant à imposer aux gens de jeûner ou à interdire de ne pas jeûner en public. Comme si le fidèle jeûnant pour Dieu ne le fait que pour se montrer, nullement pour la cause première de s'abstenir de manger qui est de communier avec ceux qui ont faim parmi les malheureux, et donc agir en conscience pour satisfaire le devoir de donner à manger à qui a faim, sans en faire la publicité; c'est bien là le sens du ramadan !
Et ce n'est pas ce que font la plupart des jeûneurs qui ne songent qu'à s'empiffrer sans même se soucier de surveiller leur comportement, se dégradant particulièrement durant ce mois, ou de s'abstenir, quand ils donnent à manger, de s'en vanter sans vergogne.
Il est évident que de tels actes, d'un point de vue psychologique, sont liés les uns aux autres, étant pour l'essentiel motivés par le souci d'occultation de l'éthique islamique. Tenir particulièrement à la prière de nuit (dite prières à pause) et à l'aumône durant ramadan relève du même phénomène, car la piété en islam n'est pas affaire de mois ou liée à une action spécifique; elle relève de la vertu qui est la seconde nature du fidèle, sinon la première, bien avant sa nature humaine qui est imparfaite.
Jour 26
Mardi 19 mai 2020
Cette année, la maladie du virus corona 2019 a interdit l'habitude, bien ancrée en notre islam malade, de piété nocturne méconnue de jour au prétexte de la panse vide et ce que cela entraîne comme altération de l'énergie et des humeurs habituelles. N'aurait-il pas été préférable de suffisamment s'efforcer à parvenir de jour à la même piété nocturne, avec autant de ferveur et de passion, non une fois la panse remplie avec ce type de piété passive ? Car la piété en islam est tout d'abord l'oeuvre et le comportement humains en leurs rapports avec autrui, veillant la journée durant, et non seulement aux nuits de ramadan, à se maîtriser, retenir sa main, sa langue et son regard du moindre tort à faire à son prochain, quel qu'il soit.
Bien mieux, elle est dans la culture des sentiments d'amour et de tolérance en soi en veillant, toute la journée et durant les mois de l'année entière, à être toujours de bonne intention, placide de caractère. Ainsi ne verrait-on pas ce qui est devenu une habitude durant ramadan en journée, cette humeur sombre et ces mauvaises attitudes, ce que la rue tunisienne appelle "folle herbe du ramadan".
Cela découle aussi, sans doute, de cette tendance hystérique à la tromperie et simulation officielle touchant aux manifestations du jeûne dans l'espace public, imposé par la force physique de l'autorité publique et celle, morale, de qui n'hésite pas à contredire le libellé et l'esprit religieux au prétexte d'en être défenseur. Ce qu'imposent logique et droit constitutionnel en notre pays est la défense des droits et des libertés au nom du respect véritable de la foi. Ainsi, s'agissant de qui ne jeûne pas publiquement, le respect du mois de ramadan et de la religion est de favoriser les droits de tous, ceux qui jeûnent et ceux qui ne jeûnent pas, et non de leur imposer à tous le jeûne. Bien plus, le jeûne dans un environnement où nul n'a libre de manger perd son sens initial; et c'est une défiguration manifeste de la foi d'islam qui honore la liberté du fidèle en son rapport direct et exclusif avec son Dieu.
La militance pour les droits spoliés durant ramadan est assurée d'être efficace si elle invite à renouer avec l'islam authentique en laissant aux gens leur liberté de jeûner sans ostentation ni hypocrisie, sauf à fausser le sens du jeûne, et celle de ne pas jeûner sans avoir à se cacher au risque de le vicier pour qui l'accomplit. Revendiquer le droit à ne pas jeûner de cette manière est assurément susceptible d'en accélérer l'admission, car ce sera retourner ses propres armes contre l'intégrisme sans tomber dans le piège de donner l'impression d'agir contre l'islam, religion du pays. Et il en ira exactement de même pour les droits avéré en islam vrai tels l'égalité successorale entre les sexes ou l'homosexualité ainsi que nous l'avons établi il y a deux jours.
Aussi, au lieu de se limiter à des manifestations sans nul intérêt, les associations qui appellent au droit de ne pas jeûner publiquement, et aussi les initiatives militant pour ce qu'elles appellent les droits des minorités, ont intérêt à réponde à notre invitation pressante de proposer des projets de lois précisant que l'empêchement allégué par le législateur est caduc. C'est la religion d'islam elle-même qui encourage à réaliser sans délai, dans leur intégralité, les droits revendiqués et à respecter les libertés encore manquantes, abusivement en son nom. Et il est souhaitable que de ces militants s'enracinent un peu plus dans la réalité du pays en délaissant la stratégie stérile qu'ils emploient, ce mimétisme d'un réel occidental n'ayant nul rapport avec le vécu populaire en Tunisie.
À l'évidence, le visage des Tunisiens est bien plus maussade qu'il n'était, guère plus souriant, assombri qu'il est devenu du fait que l'injustice physique subie dans le pays ne s'arrête pas, doublée même d'un harcèlement moral, faisant cultiver le désespoir ou les entourloupes pour s'en sortir. Il est vrai que la nature imparfaite des humains favorise de telles dérives; le prophète lui-même n'a pas échappé à une telle condition en se renfrognant, prenant l'air sévère et se détournant de l'aveugle qui l'abordait. Mais Dieu a dénoncé un tel comportement et a éduqué son prophète qui s'est d'ailleurs aussitôt repenti de sa réaction spontanée d'un moment d'égarement passé, étant l'incarnation modèle des bonnes manières et de la vertu.
Une telle nature humaine imparfaite est loin d'être niée en islam, appelant justement à la purifier. En relève, sans doute, le phénomène dont on parle des dires problématiques où l'excès est allé jusqu'à évoquer les plus banals propos, faits et gestes du messager de Dieu dans sa condition humaine et non prophétique. Or, il n'est infaillible que dans cette dernière, transmettant la parole de Dieu.
Aussi, en arriver à affirmer que tout ce que dit le prophète a le même caractère que la révélation, comme l'ont fait la science et les gens du hadith, c'est aller bien au-delà de ce qui serait admis du fait de la nature humaine. Ce qui n'impose pas moins, et encore plus même, une instante purification. De même faut-il dépasser les retombées négatives induites par l'excroissance du corpus des hadiths qui, ne l'oublions pas, sont un déni du Coran lui-même puisqu'ils font recouvrer au messager de l'islam ce que lui a dénié le Coran, c'est-à-dire d'être législateur en lieu et place de Dieu. Cependant, il ne s'agit que d'un leurre, relevant de la pure virtualité, les dires rapportés au prophète étant inauthentiques et inventés; aussi, à la vérité, c'est le traditionaliste, l'auteur du hadith, qui légifère en islam, non le prophète, et ce à la place de Dieu et au nom de son messager moyennant ses dires et sa geste ou tradition.
Il est de la haute importance de faire attention à cet état maladif qui fait que le législateur en islam est un humain en une religion qui réserve à Dieu le droit de légiférer. Le pis est que ce pouvoir législatif du hadith, prétendant son origine divine et qu'il est une variante orale de la révélation de Dieu à son prophète, n'a même pas respecté parfois les plus basiques règles éthiques de l'islam. Un tel jugement sévère n'est pas issu seulement des cercles opposés aux gens du hadith puisqu'on le retrouve aussi chez certains qui les ont défendus et supporté le corpus du hadith contre ses ennemis.
On en citera, à titre d'exemple, Ibn Qotayba qui a critiqué les rationalistes mu'tazilites de l'islam dans leur opposition aux gens du hadith, défendant certains des dires problématiques de ces derniers. Dans "Manuel de la dissemblance du vocable et réplique aux Déterministes et aux anthropomorphistes" - un ouvrage consacré à la question théologique de la création du Coran, à laquelle nous reviendrons - il juge sévèrement et défavorablement certains milieux des gens du hadith. D'ailleurs, on aura,noté que, dès le titre, il les traite d'anthropomorphistes, terme de stigmatisation utilisé à leur égard par les mu'tazilites, les assimilant à ceux qui appartiennent à cette tendance concevant Dieu à l’image de l'humain, ayant des yeux, une bouche, un nez, des mains et des pieds, mangeant et buvant comme lui, faisant tout ce qu'ils font. Ce qui ne manque pas de surprendre de la part de celui qui critique les mu'tazilites en reprenant à leur égard le nom de déterministes (Jahmites) que leur accolent leurs adversaires, référant à Jahm Ibn Safwane qui fut, avant eux, partisan d'un déterminisme absolu et croyant, comme eux, à la création du Coran ainsi qu'au déni du moindre anthropomorphisme.
Une telle dérive dans l'excès des gens du hadith vient de la croissance pléthorique et anarchique de leur science, osant même modéliser les plus banals propos, faits et gestes du messager de Dieu dans sa condition humaine. Ainsi disserte-t-on sur des futilités dans des hadiths sur la manière d'uriner du prophète, le faisant debout ou non, ou s'il fallait ou non ne pas se retourner vers la Mecque lorsqu'on urine ou défèque, ou encore si le fait de se toucher le sexe chez l'homme impose ou non des ablutions.
Cela a amené nombre d'imams, y compris des sommités parmi les traditionalistes, de s'inscrire en faux contre la validité des plus étranges de ces hadiths, les estimant même fantasmatiques. En la matière, Ibn Al-Jawzi reste sans conteste le plus lucide et objectif des auteurs avec son livre "Les Apocryphes". Ainsi n'hésite-t-il pas à traiter un dire comme étant "inventé", traitant celui qui l'a rapporté de "menteur" ou "délaissé" ou "au dire faible" et même avec ce verdict cruel de n'être rien, "sans valeur". Ce qui le distingue peut être d'autres critiques comme lui, c'est qu'il ne se suffit pas de rejeter ceux des chiites, appelés par les sunnites "Déserteurs", mais signale également les dits inventés, selon son expression, par les "fanatiques des gens de la sunna".
En se basant principalement sur le hadith, la jurisprudence musulmane ou fiqh a fini par ressembler à un exercice d'acrobatie ou un tour de magie, parfois juste blanche, mais parfois encore noire; et c'est le plus grave, emportant péril pour l'islam menacé par ce péril de devenir étranger aux siens. Au demeurant, la magie est reconnue en islam, son messager en ayant même été victime.
Comment donc continuer, en islam, d'accepter que le hadith soit cette science au même niveau que le Coran, et qui lui est même supérieur, alors que ses propres adeptes affirment que ni la raison ni la logique n'y trouvent place ? C'est ce que précise l'Orateur de Bagdad (Al-Khatib Al-Baghdadi) dans son livre "Précis d'éthique du diseur et étiquette de l'écoutant", intitulant l'un de ses chapitres : "Où il est dit que le savoir du hadith n'est pas une initiation, mais une science du coeur infusée par Dieu", y notant que "le savoir du hadith est synonyme d'orfèvrerie; seul l'orfèvre-joailler y est connaisseur à l'exclusion de tout autre connaisseur, sans nécessité de preuve".
Avec le temps, il est devenu aussi synonyme d'opération de change, selon l'expression d'Ibn Rajab Al-Hanbali. Comment alors distinguer le faux hadith du vrai et le menteur du sincère des rapporteurs ? Surtout que le nom de garde récitant (hafidh) qui sera donné au traditionaliste rapporteur des hadiths est devenu l'équivalent du cheikh, lui-même équivalent au savant, et ce juste pour la capacité à retenir et à mémoriser les hadiths sans nulle autre référence en savoir ni même en intuition!
Avec la débâcle du hadith devenue lourde de conséquences au vu de l'échec du système de l'ajustement et du dénigrement supposé le contrôler des dérives ou l'assainir le cas échéant, comme nous le dirons plus tard, s'impose la question suivante : Ne devrait-on pas se passer aujourd'hui du hadith comme autorité référendaire ?
La confusion étant à son comble entre hadiths authentiques et inauthentiques, ne faudrait-il pas tout simplement délaisser tous les hadiths ou, pour le moins, ne pas en user comme référence, le fidèle n'y revenant, tout au plus, que pour un surplus de glose et d'explicitation de sa bonne exégèse du Coran ? Et comme de bien entendu, cela se ferait selon l'interprétation au vu des visées, bien meilleure et plus objective que l'appréciation subjective à laquelle a abouti le mécanisme d'ajustement et du dénigrement du hadith.
Dans son ouvrage "Connaître la science du hadith", le juge de Nishapur (Al Hakim Al-Nissaburi) a soumis ce mécanisme à un examen critique auquel personne n'a osé s'y atteler avant lui. Ce qui lui a permis d'attester qu'un certain nombre de traditionalistes et non des moindres s'était rendu coupable de fraude. Parmi eux, des autorités connues et reconnues pour être les plus sûres des références en confiance, tel Soufiane Thaouri, considéré comme le savant (cheikh) de l'islam, imam des récitant (hafidhs), maître des savants et prince des croynats en tradition. Il le cite pour avoir rapporté des récits d'inconnus et de dénigrés. Autre sommité épinglée : Qatada Ibn Dooma Al-Sadoussi, qualifié par Ibn Saad dans ses classes pour être de confiance, autorité sûre; or, il est rangé par le juge de Nishapur "parmi ceux qui ont fraudé et abusé des gens de confiance". Idem pour Chooba Ibn Al-Hajjaj, autre prince en la matière.
S'il est inutile ici de citer les dires invalidés, jugés ridicules et même affreux selon le vocable d'Al-Kinani dans le titre de son livre: "Épuration la loi religieuse prophétique des affreux dires apocryphes", il est probablement utile, par contre, de revenir au hadith déjà évoqué de la contagion pour évoquer deux autres justifications de la part de qui a cherché à en confirmer l'authenticité. En effet, on y trouve l'aptitude de la raison musulmane à progresser, ce qui finira bien par arriver tôt ou tard, pour sortir de l'impasse actuelle de la mainmise de la sunna sur l'islam, même si cela impose de délaisser des dires prophétiques et leur particularité acquise selon l'innovation de Chafaï de succédané de la révélation, et qui est cause de la prolifération des apocryphes et du mensonge en islam. On y reviendra dans la prochaine chronique.
Terminons par noter qu'on en est arrivé chez les traditionalistes à dire, selon l'expression d'Al-Jouzakani (ou Al-Jourakani, selon certains, référant à un village de Hamadhan en Iran) dans : "Les faux perfides et les authentiques célèbres", que "chaque dire venant contredire la tradition est à délaisser et son récitant abandonné". À plus forte raison serait-il approprié d'appliquer cette règle pour le Coran dans une lecture selon ses visées en vue de s'en suffire seul en islam, comme l'envisagent ceux qu'on appelle coranistes, et ce en reprenant de nouveau l'effort d'interprétation (ijtihad) pour l'intelligence de sa sagesse. Ce faisant, s'il le faut, on pourrait se référer à certains des hadiths des plus authentiques des recensions authentiques, du moins ce qui est attesté de ce qui a fait unanimité, à titre purement consultatif. Ce qui se ferait selon les visées et l'esprit de la Loi religieuse et non la lettre, aussi bien coranique que prophétique, et tout ce qui est lié à la mentalité du moment, produit du temps de la révélation. Car elle est sans temps, intemporelle au sens d'éternelle, sinon le message d'islam perd sa spécificité d'être pour tout temps, toute époque.
Aussi, après la fermeture en islam de la porte à l'ijtihad et sa réouverture qu'on appelle de nos voeux, serait-il logique de fermer enfin la porte à la science du hadith avec la revitalisation des sciences du Coran guère assez explorées !
Jour 27
Mercredi 20 mai 2020
Si Dieu se montre dans le judaïsme et s'incarne dans le christianisme, il se présente en islam de par sa parole. C'est ce que confirme le Coran; or, de nos jours, avec l'intronisation de la tradition prophétique comme référence première de la religion, nous avons récupéré, en la personne du messager de Dieu, ce qui a caractérisé le christianisme et le judaïsme d'adoration et de déification de sa parole et sa geste même ce qui n'outrepasse pas sa condition humaine qui relève des invariants de l'islam. Aussi, l'invention des dires attribués au prophète s'est-elle multipliée, se variant à l'infini selon les intérêts et le type du pouvoir en place, dont le hadith relatif à la contagion dont nous avons déjà précisé le caractère problématique et l'effort entrepris pour le dépasser, notamment avec l'oeuvre encyclopédique d'Al-Tahawi précédemment évoquée.
En effet, il y a référencé plus de dix mille hadiths, leur ôtant l'apparence d'être contradictoires afin que nul soupçon de défaillance ne vienne altérer le corpus des dits prophétiques en sa parfaite authenticité et légitimité. Il n'est, peut-être, pas sans intérêt de noter qu'il appartenait à l'école la moins dogmatique de l'islam, qui a volontiers recours à la raison et à la logique, celle d'Abou Hanifa. Il n'empêche qu'il se chargea de son ministère de conciliation des hadiths contradictoires non pas de manière scientifiquement rationaliste et nullement dogmatique, mais aussi en la conformant aux vues des chefs de son rite, puisqu'il réfère toujours aux avis d'Abou Hanifa An-Nomâne, du juge Abou Youssef et de Mohamed Ibn Hassan Al-Chaybani, sa plaidoirie se faisant une défense de la justesse des vues de son rite. C'est ainsi le cas quand il se laisse aller à l'exagération ou même à une certaine mystification, ne faisant au final qu'échouer dans son objectif de lever les contradictions des dires examinés et aussi dans l'ensemble du corpus des hadiths apocryphes.
Il faut dire que cela était l'une des marques de la science du hadith qui n'a pas échappé à l'instrumentalisation idéologique et l'altération politicienne, plus particulièrement au sixième siècle de l'hégire avec l'apparition de cette sorte d'art des apocryphes qui fera l'objet d'une chronique à venir. En effet, la dialectique des dires inauthentiques et authentiques y apparaîtra comme étant le biais commode pour faire l'éloge d'un rite précis au travers des dires de ses adeptes et d'invalider ceux de rites adverses.
Ce faisant, dans la même démarche et avec le même objectif, on a enregistré les prémices d'efforts marqués par ce courage qui manque cruellement de nos jours au fiqh, prémices qui iront crescendo avec le temps. Ainsi avons-nous relevé dans d'autres tentatives subséquentes le recours à un mécanisme nouveau ou original dans la gestion de ces hadiths problématiques, comme l'a fait Ibn Chahine, de son vrai nom Abou Hafs Omar Ibn Azadh de Baghdad, avec son ouvrage "Des abrogeant et abrogés des hadiths" ou "Livre des hadiths abrogeants et abrogés", et Abou Bakr Ibn Moussa Al-Hazimi qui lui a emboîté le pas avec "Précis des abrogeants et abrogés" avant de voir, au sixième siècle de l'hégire, le sunnite aux tendances soufies Abedwahhab Chaarani proposer sa "Balance" pour une analyse d'équilibrage entre les hadiths opposés, une tentative de conciliation entendant à la fois mettre fin à la contradiction des hadiths, mais aussi à l'opposition entre les jurisconsultes et la division entre les rites.
Ce processus est symptomatique du passage de la problématique des hadiths contradictoires d'une gestion purement exégétique à l'invention d'un mécanisme d'analyse, quitte à être artificiel; ce qui cantonne l'islam, dont l'origine est spirituelle comme l'a démontré le Coran mecquois, à ce système de vie terrestre apporté par la révélation médinoise. Sans conteste, cela a quelque peu contribué à une évolution ultérieure de cet état de choses peu satisfaisant. En effet, même si l'on ne conteste pas au hadith d'être également de source divine, il est quelque abus et arbitraire d'imposer l'empreinte du Coran médinois à la révélation mecquoise, notamment quand on l'instrumentalise à des fins politiques, sinon politiciennes, comme c'était le cas durant toute l'histoire de l'islam. Nous y reviendrons.
S'agissant de la problématique de la contagion, l'audace de l'effort a consisté à recourir au mécanisme de l'abrogation propre au Coran, ce qui induisait la rupture avec les tentatives précédentes d'harmonisation des dires contradictoires, mais supposés ne pas s'opposer du fait de leur source divine, même s'ils sont l'oeuvre du prophète, car il ne parle pas de lui-même, plutôt sur inspiration divine selon la conception qui s'est imposée depuis Chafaï. Aussi, le recours à ce mécanisme signifie-t-il l'acceptation de la possibilité de contradiction entre les dits prophétiques afin de l'éliminer. Ce faisant, on a fait abstraction du fait que ladite technique coranique ne concerne que les préceptes juridiques, non les questions d'opinion comme c'est le cas en l'occurrence.
Par ailleurs, il n'est pas sans intérêt de relever ici que ce mécanisme emprunté au Coran est dérivé du verset 106 de la sourate La Vache et qu'il ne suppose en rien l'existence de contradiction entre l'abrogé et l'abrogeant, ce qui est au demeurant impossible dans le Coran où cette technique signifie tout juste le remplacement d'un verset par un autre semblable sinon meilleur : "Nous n'abrogeons un verset, ni ne le faisons passer à l'oubli, sans en apporter de meilleur ou d'analogue".
Par contre, dans le hadith, ce même mécanisme suppose l'intention de lever une contradiction; ce qui, en contradiction avec la technique coranique, confirme l'opposition et la contradiction puisqu'il remplace le hadith abrogé par un hadith qui lui est opposé et le contredit en l'abrogeant. C'est ce qu'a entrepris Ibn Chahine dès avant la fin du quatrième siècle de l'hégire, puisqu'il est mort en l'an 385 de l'hégire, et après lui Ibn Moussa Al-Hazimi, mort en 584 de l'hégire. Que disent-ils donc concernant le hadith de la contagion et son opposé la hadith des lépreux, et qui ont amené certains, dont Ibn Qotayba comme on l'a vu, à prétendre que l'un, afin de le conformer à l'autre, ne signifiait pas la fuite de la contagion, mais de l'odeur nauséabonde?
Ibn Chahine considère le second hadith des lépreux abrogé par le premier, celui de la contagion, confirmant ce dernier et infirmant l'autre comme n'étant pas à retenir, seul le hadith de la contagion fait donc foi pour lui. Pour cela, il a bousculé le mécanisme coranique en adoptant une méthodologie inversée, l'abrogé ne précédant par l'abrogeant mais lui étant subséquent. Sa conception de la question n'est pas moins conforme à celle de son époque, l'esprit du temps étant que croire dans la contagion n'empêche pas de la nier au nom de la fatalité de la volonté divine dans la destinée de ses créatures. Cela n'allait assurément pas à l'encontre de ce qui convenait le mieux aux dirigeants de ce temps et ses intégristes religieux, adeptes de la totale remise de la destinée humaine à Dieu, courant incarné par les Hanbalites de l'islam sunnite.
C'est dans le même sens que son prédécesseur qu'a agi Al-Hazimi, confirmant une équivalence entre les dires contradictoires avec la prééminence de l'un d'eux sur l'autre et que manifeste l'abrogation qui, bien évidemment, ne signifie pas la contradiction, mais juste l'absence d'effectivité en interprétation.
Quant à Chaarani, il a participé à ce débat d'une façon originale avec l'esprit soufi qui a tant prouvé sa capacité à toujours innover, même si, en l'occurrence, ce fut de manière quelque peu passive, loin de ce qu'on a connu chez Ghazali ou Chatibi, par exemple, en initiatives plus positives, sachant que les trois sont d'obédience sunnite. Pour sortir de l'impasse de la ruse en interprétation ou encore la falsification à laquelle on n'échappe pas, à la vérité, avec le recours au mécanisme de l'abrogation, Chaarani propose un tout nouveau mécanisme qu'il nomme Balance. C'est une sorte de pesée entre deux hadiths contradictoires, mais en niant leur opposition qui ne serait, chez lui, qu'une pure différence de poids ou de classe, une pertinence en plus ou en moins au sens de l'interprétation restrictive ou extensive du commandement. Ainsi réussit-il à concilier la loi et la vérité, cette dernière étant, dans la vision soufie, une unité originelle et originale.
Effectivement, comme la loi religieuse est manifestée dans une jurisprudence qui n'est qu'un effort humain d'interprétation, imparfait par nature, la vérité se manifeste par l'obligation de s'orienter sans cesse sur le chemin de celui qui quête la vérité, vers un horizon inaccessible.
Il n'est pas douteux que le siècle relativement reculé de Chaarani, mort en 973 de l'hégire, a été pour beaucoup dans cette nouvelle vision conciliatrice en ce dixième siècle marquant l'apogée de l'excroissance pour le hadith et la limite extrême dans le dogmatisme figé pour la jurisprudence et ce tant en termes des principes jurisprudentiels que de leurs conséquences.
Il n'est pas douteux, par ailleurs, que ce projet consensuel de parité ainsi qu'il prit forme en ladite époque était parmi les signes avant-coureurs d'annonce de changement fatal en islam pour une rénovation par une jurisprudence renouvelée. Serait-ce ce que je qualifie d'islam post-hadith au sens de sortie du labyrinthe du corpus actuel de la tradition prophétique dans le cadre de l'islam postmoderne, un i-slam de paix spirituelle et temporelle, morale et matérielle ?
Le fiqh, selon Jouwayni, appelé l'imam des deux lieux sacrés, est la connaissance des sentences obligatoires nécessitant analyse et réflexion, soit l'effort humain d'interprétation en lequel se résout sa compréhension de la loi d'islam communément qualifiée de chariaa. Cette compréhension, notre actuel fiqh, n'est plus valide, emportant la maladie de l'islam. Par conséquent, il est nécessaire de revenir au Coran selon ses visées, avec possibilité d'user, pour son exégèse, du mécanisme de la balance proposé par Chaarani, par exemple, qui serait alors utilisé pour le Coran comme le fut pour le hadith le mécanisme de l'abrogation. Cela relève bien de l'ijtihad qui est défini par Jorjani comme le fait, pour le jurisconsulte, de s'investir à fond à avoir une opinion d'un précepte juridique. Ce qui, comme il l'ajoute au reste, l'effort à quérir l'objectif en termes de raisonnement.
Que serait alors le fiqh sinon l'effort à avoir une sûre opinion du précepte juridique ? Or, l'opinion ne saurait être éternelle au risque de se substituer au précepte lui-même; tout comme le précepte juridique, selon l'évolution des temps et des mentalités humaines, se doit de susciter une opinion nouvelle dont doit se doter le jurisconsulte en fournissant l'effort à atteindre l'objectif qui demeure, sans doute, l'harmonie du précepte juridique avec son temps et au vu des visées de la loi religieuse, dont l'intérêt le plus général. َAinsi l'islam recouvrera-t-il la santé qui le protégera d'un surcroît de daéchisation grâce à de nouvelles conquêtes islamiques moyennant une jurisprudence renouvelée, respectueuse de la foi, ne la défigurant plus.
L'intérêt le plus large est représenté, aujourd'hui en Tunisie, par la Constitution du pays; et il est dans l'ouverture de la porte à l'effort en religion au plus vite afin de refonder la jurisprudence musulmane, fiqh et chariaa post-hadith et postmodernes, sans guère plus d'injustice pour la religion d'islam ni pour les gens avec la suprématie de l'acte de foi et le respect de la dignité du fidèle. Cela est impératif dans nombre de matières essentielles du fait de leur nature symbolique, des sujets généralement tus, dont on a évoqué certains, et on revient à l'un d'eux: l'égalité des sexes dans l'héritage. C'est un des meilleurs thèmes démontrant l'enchevêtrement vicieux dans l'esprit des musulmans entre la religion et le droit musulman qui en est issu, cette charia qui est dans une affreuse confusion des valeurs, délaissant le principal pour l'accessoire, s'en tenant à la limite atteinte par l'effort d'interprétation des anciens en des principes maintenus liés par les conséquences entrevues et restées figées bien que tout a changé tout autour.
Il est impératif de reconnaître que l'intention divine incontournable en matière des successions, comme dans tous les préceptes religieux, est la justice et l'égalité entre les fidèles, que nul ne distingue que la piété. On ne peut admettre cela en général et le renier en particulier pour le sujet dont on parle; nous ne sommes alors que comme celle qui, après l'avoir serré bien fort, détord en brins son filé; ce n'est point l'islam !
S'il nous fallait employer la balance du siècle dixième de l'hégire, nous dirions, paraphrasant Chaarani, qu'opter pour l'interdiction de l'égalité successorale aboutit à une interprétation restrictive littérale du texte coranique alors que soutenir sa licéité permet une lecture extensive tenant compte de l'esprit du texte coranique et la visée de justice et d'égalité; aussi, revient-on aux deux plateaux de la balance. Et comme la balance penche désormais du côté des droits de la fidèle musulmane, il est impératif de lever la contradiction et l'opposition, car la parole de Dieu et sa visée ne supportent pas la moindre contradiction; ainsi doivent être aussi le discours des imams de l'islam et leur visée première!
Par conséquent, prétendre l'impossibilité de l'égalité successorale pour cause de la lettre du texte coranique relève de la plus grosse débilité et doit être rejeté sans appel au risque d'aggraver le péril encouru par un islam déjà au plus piteux des états. Le rejet de comprendre le texte coranique selon sa visée, progressivement si nécessaire, est la prévalence sur la visée de la parole de Dieu de la compréhension humaine que nous avons héritée; or, la première est supérieure à cette dernière ! Ce qu'on a hérité n'est qu'une compréhension machiste pour l'essentiel, inique et en contradiction avec la visée divine. De plus, elle n'est plus en phase avec notre temps, ayant été en syntonie avec une époque passée et dépassée où la femme, avec une part moindre de l'homme, avait déjà beaucoup; ce qui est devenu bien peu. Le statut de la femme a évolué en notre époque dans le prolongement de la dignité que lui a octroyée l'islam. Peut-être même que, d'après la visée de l'islam, mériterait-elle déjà une double part successorale par rapport aux hommes !
Refuser de réaliser l'égalité successorale en confirmant le principe musulman de l'égalité parfaite entre les fidèles, c'est agir comme les sectateurs kharijites qui se sont révoltés contre le cousin et gendre du prophète. Ils ont refusé de poursuivre le combat quand l'adversaire omeyyade d'Ali Ibn Abi Taleb a eu recours à la ruse pour éviter la défaite, appelant à l'arbitrage de Dieu sur leur différend pour le pouvoir, faisant lever le Coran sur les lances de ses guerriers quasiment défaits. Or, ayant satisfait à leur exigence, acceptant d'envoyer son arbitre selon les procédures en usage, ils se renièrent, refusant que des hommes fussent les arbitres de la parole de Dieu, comme si la parole divine ne nécessitait pas d'être interprétée par des humains et appliquée par eux.
Ces sectateurs, les encapuchonnés, premiers intégristes de l'islam, ont dirigé la révolte contre le calife légitime et l'ont tué, la veille de la fête du sacrifice, chez lui, après un long siège. Quiconque prétend s'en tenir à la loi religieuse telle qu'issue de la compréhension humaine, tout en refusant de faire l'effort d'interpréter la lettre du Coran, est de l'engeance de cette bande malfaisante en islam dont il a terriblement souffert. Elle a massacré des innocents et quelques-uns des meilleurs musulmans, dont le cousin et gendre du prophète lui-même et ont été à l'origine de la naissance du chiisme, les fous d'Ali et de la famille du prophète; car l'extrémisme se reproduit.
Pour finir, et en référence au projet soumis par le président Caïd Essebsi qui dort dans les tiroirs de l'Assemblée des représentants du peuple, disons qu'il n'est pas moyen, dans une loi d'égalité successorale, de faire référence à ce qui en serait la négation dans la jurisprudence musulmane actuelle, sauf sous forme d'une exception à durée limitée, expirant au bout d'un délai précis. La solution intermédiaire pour faire évoluer les choses en douceur, envisagée par le président défunt en laissant persister la possibilité d'appliquer le texte de loi actuel d'inégalité, ne saurait dépasser les dix à quinze ans tout au plus au risque de défaire ce qu'on entend faire.
Car ainsi, on ne fait que démolir, à la base, le droit positif avec une une loi religieuse parallèle alors que la suprématie de la loi est dans son exclusivité, notamment quand on a affaire à un texte se prétendant de nature divine alors qu'il n'est que l'interprétation humaine, tout comme l'effort pour la réalisation de l'égalité successorale qui, lui au moins, est plus conforme à la volonté de Dieu telle qu'exprimée par l'esprit du texte coranique.
Jour 28
Jeudi 21 mai 2020
La science est aussi un art ou en comportant; ainsi l'est aussi la science du hadith au sein de laquelle est né un art à la fin du siècle cinquième de l'hégire avec le livre de Maqdissi, mort en 507, intitulé "Mémento des traditions remontant au prophète" qui a inauguré une série d'ouvrages dont "Hadiths apocryphes remontant au prophète", plus connu sous le titre "Les faux perfides et les authentiques célèbres" d'Al-Jouzakani, mort en 543, et surtout "Apocryphes des hadiths remontant au prophète" d'Ibn Al-Jawzi (connu aussi sous le premier titre du livre d'Al-Jouzakani mais aussi du seul mot liminaire du titre). Il en existe bien d'autres, dont les plus récents sont cités en arabe ; faut-il rappeler ici que le phénomène des dires apocryphes, en place au début du second siècle, a connu une accélération dès le début du siècle suivant.
Cet art confirme, tout d'abord, que l'esprit critique en islam ne s'est jamais évanoui, pratiqué par nombre de noms illustres, dont ceux cités en arabe, mais par d'autres dont on a perdu la trace; il est vrai, c'était un art bien dangereux, que d'aucuns pratiquaient parfois au péril de leur vie. S'agissant d'ibn Al-Jawzi, son apport à cet art, une critique en bonne et due forme, était d'autant plus pertinente qu'elle venait de l'intérieur du système sunnite, de quelqu'un appartenant à un rite normalement situé aux antipodes de la pensée libre puisqu'il était hanbalite. On le critiqua sévèrement, le traitant de vaciller dans ses convictions religieuses, le soupçonnant même de les avoir reniées à la fin de sa vie pour épouser celles des adversaires chiites. Ce qui confirme, en second lieu, l'audace de tels libres penseurs, comme ce hanbalite original dont la critique la plus pondérée de son livre a été celle de Dhahabi "Ordonnancement des apocryphes", une sorte de réformation.
D'une façon plus générale, cet art a démontré ce qu'on n'a cessé de soutenir ici, à savoir sa nature politicienne et qui a usé de tous les moyens et ficelles pour contrôler fermement la raison musulmane, dont l'aspect le plus original et en même temps ce qui a eu le plus d'effet sur l'imaginaire populaire est l'instrumentalisation des songes, rêves et visions nocturnes, prétendant des rencontres avec le prophète en vue de crédibiliser certains mensonges éhontés. De la sorte, le mensonge idéologique est devenu une vérité incontestable du fait que la discorde politique et religieuse n'était pas limitée aux savants sunnites et chiites, s'étendant aussi aux spécialistes des autres secteurs du savoir islamique, dont les historiens. À titre d'exemple, on a réussi à imposer une fausse vérité chez les sunnites, celle de présenter le premier calife omeyyade comme ayant été scribe de la révélation auprès du prophète, alors qu'il est avéré, et non seulement chez les chiites, qu'il ne s'est converti à l'islam que lors de la conquête de la Mecque. À moins d'avoir été auprès du prophète à la toute fin de sa vie !
L'apparition de l'art des apocryphes à un temps assez reculé a été la conséquence de l'arrivée au pouvoir des chiites bouyides, véritable tsunami politique et moral. Refusant la mainmise sunnite sur la religion, contestant même leur qualification de sunnites, ils firent tout ce qu'ils pouvaient, durant les deux derniers tiers du siècle quatrième et le premier tiers du suivant, pour imposer leurs vues avant que le coup d'État des Turcs seldjoukides ne viennent rétablir la balance en faveur des sunnites en l'an 429. Ce qui est parfaitement évident dans le livre d'Al-Jouzakani ne cachant ni son souci ni son penchant idéologique de redonner sa suprématie au sunnisme en son sens classique en purifiant les dires prophétiques de la moindre trace chiite. Aussi, dans le titre de son livre, est tradition remontant au prophète les dires authentiques sunnites et faux et perfides les apocryphes chiites.
De la sorte, tant chez les uns que les autres, le hadith est devenu la meilleure technique du mensonge halal au diapason de la pratique en politique. À titre d'illustration, Al-Khatib Al-Baghdadi note qu'il aurait été question des traditionalistes dans le Coran, au verset 122 de la sourate Le Repentir ou La Dénonciation, qui évoquerait selon un dire apocryphe la quête du savoir et de la jurisprudence prophétiques. À la vérité, et les exégètes sont quasiment unanimes, il n'y est question que des hypocrites ayant déserté la dernière campagne du prophète vers Tabouk. Une supercherie similaire a concerné le verset 112 de la même sourate qui serait aussi relatif à la science du hadith.
À noter que, malgré quelques traits critiques à l'égard des traditionalistes, Al-Baghdadi a participé activement à la fondation de la science des dires prophétiques. Si Chafaï a été précurseur et fondateur de la science des principes de la jurisprudence musulmane, il a été, quant à lui le premier théoricien de la science du hadith, son codificateur et ordonnateur au moment de sa prolifération anarchique. Il a été, au reste, un grand connaisseur et soutien des traditionalistes, sa célèbre histoire de Baghdad n'ayant été que celle des traditionalistes de la ville. Aussi est-il possible d'affirmer que l'oeuvre de "coranisation" de la sunna entreprise par Chafaï à partir du Coran lui-même à la seconde moitié du siècle second de l'hégire a été parachevée au dernier quart du siècle cinquième de l'hégire par ce premier maître. Avec lui, grâce à sa théorisation dans "Maîtrise de la science du récit", a pris fin l'édification de la science autonome du hadith comme sunna coranisée ou révélée, ayant le statut d'équivalence et même de primauté par rapport à la révélation coranique.
L'Orateur de Bagdad confirme bien que la révélation n'est pas seulement du Coran, ajoutant foi à la conviction que l'ange Gabriel révélait aussi au prophète la sunna tout comme le Coran. Cette équivalence n'en est même pas une, puisque la sunna est voulue supérieure au Coran dans nombre d'occurrences, comme on l'a vu avec Ibn Hanbal pour qui les conciles autour des dires prophétiques sont valorisés par rapport à ceux de la parole divine. C'est ce que théorise Al-Bagdadi dont l'un des chapitres de son livre "Livre du jurisconsulte et du savant en jurisprudence" reproduit en titre la certitude d'Ibn Hanbal. Quant à l'équivalence entre les préceptes du Coran et ceux du prophète, titre du chapitre préliminaire de son autre ouvrage "Maîtrise de la science du récit", il inventorie les dires apocryphes portant sur l'insuffisance du Coran pour les commandements du licite et de l'illicite et sur la mise en garde faite aux musulmans de n'être pas que de purs coranistes ou coraniques en s'arrêtant au Coran.
Ainsi a-t-on mis sous écrou la raison des musulmans, les empêchant de faire l'effort d'interprétation nécessaire, hypothéquer leur intelligence en se suffisant de l'effort de leurs ancêtres ayant fait main basse sur une foi qui est à tous, non seulement aux musulmans, mais à quiconque a la foi saine et sincère, sauf alors à cultiver cette foi bédouine dénoncée par le Coran. Or, l'islam issu des dires prophétiques apocryphes est plutôt bédouin. Il est, d'ailleurs, des hadiths assurant le paradis non pour la connaissance du Coran, mais juste de la Sunna dans le cadre des songes, rêves et visions nocturnes qui ont fait floraison. Bien mieux, Al-Khatib de Baghdad, dans son livre "Honneur des traditionalistes", compare les gens du hadith aux anges, citant Soufiane Thaouri et le récit qui lui est attribué assurant que "les anges sont les gardiens du ciel et les traditionalistes de la terre".
À la vérité, le hadith et sa science sont devenus une polémologie idéologique en islam, la religion y étant une scène de combat ainsi que cela a été évident avec la prolifération des ouvrages sur les apocryphes à la suite de la chute de l'État chiites des bouyides, à l'exemple du livre d'Al-Jouzakani. Le plus grand intérêt du livre de ce dernier, connu surtout sous le nom des "Perfides", est d'avoir jeté une lumière crue sur la nature politique du hadith et sa particularité apocryphe, cette dernière étant de même type dans tous les dires quelle que soit leur origine, sunnite ou chiite. Parmi les preuves de la supercherie et de la tromperie chez eux tous dans les normes de leur science est de faillir à respecter les critères propres du hadith tels : l'âge, le vocable, la précision et la mémoire, tous ayant été violés en admettant les récits d'adolescents, des dires au sens et non à la lettre et d'accepter que l'auteur ait pu en oublier. Le référencement, fameux isnad, pierre de touche de la science, est tombé puisqu'on a pas mal retenu les dires sans références; la règle de l'écoute a été remplacée par la permission et aussi la successivité, le dire unitaire devant la règle. Même la mise à l'index de la fraude ne protège plus de rien du moment qu'on a accepté n'importe lequel des hadiths d'une supposée personne de confiance; et le mécanisme d'ajustement et de dénigrement, censé être une soupape de sûreté des hadiths, en protégeant le corpus, est tombé dans l'oubli, car on a retenu des dires du faible, de l'incorrect, du perfide et du faux; aussi les contradictions ont-elles pullulé, ne veillant plus aux conditions de motivation et du nombre.
L'auteur de "Maîtrise de la science du récit" avait déjà précisé tout cela par le menu, démontrant à quel point le récit a versé dans l'irraisonnable. Toutefois, ce qu'a entrepris après lui Abou Al-Faraj Abderrahmane Ibn Al-Jawzi dans ses "Apocryphes" l'a été avec nettement plus de précision et d'audace. Il y prendra parti contre tout excès dans le hadith, tel celui de ce contemporain de l'Orateur de Bagdhad, l'imam Samaani qui, malgré les imperfections et défaillances signalées, assure dans "Pour les traditionalistes" que "ce qui nous sépare des innovateurs est la question de la raison; ils ont fondé leur religion sur le raisonnable... mais les tenants de la sunna soutiennent que : le principe est de suivre, la raison est suiveuse."
Comme il n'est nulle dictature sans idéologie soumettant à son joug et occultant tout ce qui est susceptible d'en libérer les gens, la juste parole de justesse s'impose pour espérer faire sortir la foi de ce détestable emprisonnement et la maladie chronique qu'il a générée. On en a eu un aperçu avec le live d'Ibn Al-Jawzi venu au siècle sixième, celui de la consécration de la totale fermeture du système de la sunna prophétique, pour la critiquer de l'intérieur. Ainsi, au nom de la raison, il conteste le degré d'authenticité du hadith au vu de la pléthore du faux en son sein, mettant à nu le mécanisme du référencement (isnad) qui fut la base de cette science, puisqu'on a pu dire : "Au référencement juste, le hadith juste". Tenant compte de tout ce qui a altéré la fiabilité de l'industrie du hadith, Ibn Al-Jawzi donne la priorité, pour en vérifier l'authenticité, au caractère raisonnable ou non de son contenu, assurant que "si l'on tombe sur un hadith déraisonnable ou contraire aux principes, il faut conclure qu'il est inauthentique. Or, il arrive que le récit émane de gens de confiance tout en étant inauthentique et faux".
Dans son livre, non seulement il n'hésite pas à vérifier le contenu raisonnable ou non du dire qu'il critique, il en commente aussi l'opposition à la raison; il en va de même des conditions d'écoute du dire, prêtant attention à ce que négligeaient ses prédécesseurs relativement à la motivation et à la finalité du dire apocryphe. Incontestablement, il s'agit là d'un retour spectaculaire au principe de rationalité dont les mu'atazilites ont été les hérauts ainsi qu'à la relativité de la notion de confiance; ainsi ont-ils été les premiers à ne pas tenir compte de la qualité de justesse voulue d'office chez les Compagnons du prophète du fait de leur lutte fratricide pour le pouvoir, signalant que Dieu les réprimande dans le Coran et que même le prophète n'échappe pas aux sévères reproches divins.
À voir ainsi Ibn Al-Jawzi le hanbalite se retrouver de cette façon, théoriquement du moins, du même côté que les rationalistes de l'islam a une bonne charge de symbolisme et ne fait que mettre encore plus l'accent sur l'état déplorable de la science du hadith, aggravé par la grande diffusion de cette littérature hagiographique pour coloniser encore mieux les esprits avec tous les outils imaginables. Les récits laudatifs et de sanctification se sont multipliés dans une industrie tournant à vide, allant même jusqu'à donner naissance à des hadiths publicitaires, non seulement pour une idéologie ou une personne, mais aussi pour un métier ou même de l'alimentation, renforçant le côté folklorique du hadith. Le plus célèbre des aliments, l'aubergine, a fait l'objet d'un ouvrage de collation de hadits, celui du hafidh (imam récitant) chafaïte Abou ishaq BorhaneEddine Ennéji, mort en l'an 900 de l'hégire : "Collier de corail des dires dires apocryphes de l'aubergine". Ce qui n'est pas pour étonner quand on sait que le mensonge est, de notoriété, devenu l'occupation de nombreux récitants, un métier, une source de revenus. Al-Khatib de Baghdad avait déjà signalé cette tendance à la recherche du profit, citant dans "Maîtrise de la science du récit" nombre d'exemples relatifs à la "vente de hadith" et le conseil de certains pour qui en cherche de veiller à ne pas le quérir auprès d'un pauvre ou démuni et de privilégier les gens aisés dont la richesse est de nature à les prémunir contre toute tentation de tromperie et de falsification.
Jour 29
Vendredi 22 mai 2020
Ce qui est resté dans l'histoire de l'islam comme étant l'épreuve de la création du Coran a annoncé le déclin de sa civilisation; or, selon la logique du vaccin, il importe de rouvrir ce dossier en vue d'apurer la question et sortir l'islam de son impasse actuelle. L'épreuve fut une régression des droits et des libertés au nom de l'islam et la victoire écrasante du hadith sur le Coran, ce qui a politisé tradition prophétique avec le renversement total de la situation opéré par le dixième calife abbasside Al-Mutawakkil faisant suite à sa légitimation avec Chafaï. L'occasion attendue fut alors donnée à ses tenants pour aller au bout de la logique de leur dogme avec Ahmed Ibn Hanbal devenant l'imam des sunnites. Il ne le fut qu'après l'épreuve qui commença quinze ans après la mort de Chafaï en l'an 204 de l'hégire; et avec lui la science sera cantonnée exclusivement au hadith, d'autant qu'on le disait mépriser les écrits, Ibn Al-jawzi, auteur de "Hagiographie de l'imam Ibn Hanbal" assurait qu'il "interdisait la rédaction de livres".
Il nous faut avoir à l'esprit la compétition idéologique qui existait entre les adeptes des rites de chacun, s'illustrant par la surenchère dans le dogmatisme et qui ne dura pas longtemps, les hanbalites prenant nettement le dessus avec l'exploitation de l'épreuve à l'issue de laquelle ils sortirent avec l'aura des martyrs. Ce qui leur permit d'avoir le vent en poupe, d'autant qu'ils étaient très présents auprès du populo. C'est ce que confirme Ibn Al-Athir dans son Histoire, faisant la chronique de l'année 323, sachant que la mort d'Ibn Hanbal eut lieu en 242 de l'hégire et que son enterrement a réuni une foule immense, jamais vue à Baghdad, a-t-on dit. Ibn Al-Athir, dans l'extrait cité en arabe, précise à quel point ont atteint les nuisances sociales des hanbalites, particulièrement sous le califat Ar-Radhi, du fait du changement de l'attitude du pouvoir de la conciliation à la répression suite à l'aggravation des formes populaires d'intégrisme, et faisant aller crescendo l'activisme hanbalite.
Comme on a déjà évoqué l'importance du mensonge au travers des visions et rêves nocturnes ou de la publicité alimentaire, on ne sera pas étonné de voir les adeptes d'Ibn Hanbal le déifier en quelque sorte, le canonisant à la manière des chrétiens avec leurs saints; ce que ne manquaient pas de faire les militants des autres rites pour leurs cheikhs. Ainsi d'aucuns ont-ils pu dire que Chafaï allait jusqu'à se bénir par l'eau de lessive de chemise d'Ibn Hanbal, et qu'il lui annonça la bonne nouvelle de l'épreuve dont lui aurait parlé le prophète au cours d'un rêve. Les livres hagiographiques débordent de ce genre de mensonges fortement encouragés par les jurisconsultes.
L'échec des mu'atazilites dans l'épreuve eut lieu après une victoire éphémère, s'étant rangés du côté du pouvoir officiel contre la populace. Cela ne dura pas longtemps, s'étendant entre la fin du règne du calife Al-Maamoun, celui de son frère Al-Moatassim et du fils de ce dernier Al-Wathiq avant leur reversement et le rejet de leur pensée rationaliste par le calife Al-Mutawakkil. L'épreuve que mit en branle Al-Maamoun dans deux lettres célèbres du mois de Rabii 1er de l'an 218 de l'hégire, alors qu'il était en route pour une campagne contre les Byzantins (durant laquelle il mourra de maladie à Tarsous au mois de Rajab de la même année), ne fit qu'ouvrir la voie royale à la consécration d'Ibn Hanbal en maître du sunnisme.
Il est à noter que, pour l'essentiel, le renversement de la donne qui prévalait depuis le califat d'Al-Maamoun ne fut pas pour une raison religieuse, théologique; il était fondamentalement politique, ayant comme visée le service du pouvoir. Al-Mutawakkil n'avait pour ambition que de satisfaire le commun de ses sujets chahutant de plus en plus l'autorité au moyen de la religion. Instrumentalisée avec succès grâce à la propagande intégriste au plus près des gens de peu, elle leur donnait l'occasion de défier des gouvernants injustes ne se souciant que de leurs intérêts et des délices du pouvoir. C'était, au demeurant bien le cas du calife connu pour ses appétits ludiques, n'ayant en rien le souci de la religion; ainsi, Souyouti l'a-t-il décrit comme "vautré dans les plaisirs et l'ivresse".
Assurément, certains des aspects de cette épreuve en rappellent une autre qui lui ressemble du point de vue de la permanence de la propension du pouvoir, quel que soit le moyen utilisé, à imposer de nouveau sa mainmise sur les événements dès qu'il les sent lui échapper; ce fut bien le cas du drame des Barmécides ou Barmakides. Ainsi fut aussi le cas avec le calife Al-Mutawakkil qui aurait assuré que "les califes avant moi violentaient ses sujets pour s'y imposer et moi je les traite avec douceur pour qu'ils m'aiment et m'obéissent", comme le rapporte Ibn-Al-Amrani dans "Nouvelles historiques califales". Aussi, dès son arrivée au pouvoir, choisi par les chefs militaires turcs à la mort de son frère Al-Wathiq, ayant jugé trop jeune son fils, il s'empressa de rendre toute leur dignité aux gens du hadith, ne manquant aucune initiative pour avoir leurs faveurs ainsi que celles de la populace, particulièrement en agissant sur leur corde sensible à l'égard des gens du Livre par des mesures restrictives à leur égard" comme le note Fahmi Jadaane dans "L'épreuve. Essai en dialectique religieuse et politique en islam".
Concernant, par exemple, l'année 235, Tabari dont on cite un extrait en arabe, détaille les mesures vexatoires édictées à l'égard des chrétiens et tous les gens des Écritures, notamment en termes de vêture et de signes distinctifs à mettre sur eux et sur les portes de leurs demeures pour les distinguer des musulmans. Ibn A-Jawzi, dans "Histoire méthodique des rois et des nations", y ajoute les mesures restrictives prises à l'égard des chrétiens exclus des administrations et leur interdisant l'arabe (extrait en arabe).
À la vérité, Ibn Hanbal est loin d'avoir connu le martyre évoqué par ses supporters; Al-Motassim ne lui était pas un ennemi, le respectait même. Pas mal de mensonges ont été tissés autour de son refus d'adhérer à la thèse de la création du Coran, des coups de fouet subis et de son emprisonnement pour s'être limité à affirmer, par sécurité, que pour lui, le Coran est "la parole de Dieu, sans plus". C'est ce que confirme dans ses Lettres Al-Jahidh, plus proche des événements, et qui précise que les coups étaient purement symboliques. Au reste, Tabari ne dit rien sur ce prétendu martyre, se limitant à noter qu'on l'a interrogé comme d'autres (dont l'un, d'ailleurs, fut tué et crucifié) et rapporte sa réponse à laquelle répondit Al-Maamoun qui a demandé qu'on la lui fasse parvenir, et qui stiulait qu'il "a pris note de son propos et de son expédient, en concluant son ignorance et son affliction de telle tare".
Notons, à ce propos, que l'histoire de Tabari s'étend jusqu'à l'année 302 de l'hégire, soit bien des années après l'ordre du calife Al-Mutawakkil de "libérer dans tout le pays tous ceux qu'Al-Wathiq a emprisonnés dans l'affaire de la création du Coran" et ses ordonnances "au grand public de l'interdiction de polémiquer en religion et d'arrêter d'affirmer la création du Coran, l'apprentissage de la polémique religieuse ou sa pratique étant passible de prison à vie. Et il a ordonné aux gens de n'utiliser que le Coran et la Sunna sans plus... Aussi, la cote de la sunna s'est-elle grandement élevée du temps d'Al-Mutawakkil", ainsi que le rapporte Ibn Kathir dans "Débuts et fins".
Par ailleurs, il est bon de savoir que ce calife était connu pour son fanatisme, comme l'affirme "Histoire des Califes", confirmé par Ibn Al-Athir dans son "Histoire Universelle" qui précise qu'il "abhorrait Ali Ibn Abi Talib et sa famille politique". Aussi ira-t-ile, en l'an 236 de l'hégire, selon Tabari, jusqu'à ordonner "la destruction du mausolée d'Al Hussein, fils d'Ali et des habitations tout autour, et de labourer et de semer l'emplacement de sa tombe, interdisant aux gens d'y venir".
Pour une vision synthétique de cette question théologique de la création du Coran, ce qu'en dit Ibn Qotayba est plein de discernement dans son livre précité "Manuel de la dissemblance du vocable et réplique aux Déterministes et aux anthropomorphistes" qui lui est consacré et où il juge sévèrement et défavorablement les excès des gens du hadith (texte en version arabe). Outre ce qu'on avait dit des erreurs des mu'atazilites, il en ressort, pour leurs ennemis, qu'on a fait d'une question de détail une affaire de principe, divisant davantage les musulmans sans nul intérêt pour la foi.
À l'exception de la période de l'épreuve de la création du Coran, à cause de sa spécificité, l'instrumentalisation idéologique des divisions politiques en islam, dont on a multiplié les exemples, n'a pas été dans l'ensemble à contenu théologique, se focalisant pour l'essentiel sur ses manifestations pratiques et accessoires. Aussi est-il toujours possible, en notre islam malade, de dépasser la problématique de savoir si "la foi augmente et diminue", qui est la thèse sunnite d'Ibn Hanbal s'opposant à la conviction que la foi n'augmente ni ne rétrécit des murji'a et des mu'atazilites, limitant l'anathémisation aux péchés capitaux ou mortels, qui se réduisent, en notre sens en islam pur, à la seule négation de l'unicité de Dieu. Et rien n'interdit ni la nécessité ni la possibilité de faire passer l'islam de l'anthémisation à la libre cogitation.
Comme la rédaction du hadith fut tardive, puis est devenue une industrie alors que le prophète a interdit de consigner ses dires, nous nous arrêtons à cet interdit, délaissant un hadith faussé par le mensonge. S'il devait rester une référence consultative, on l'a dit, cela ne serait pas en contradiction avec la révélation, particulièrement mecquoise, son appréhension se faisant comme pour l'exégèse coranique. Ainsi passerions-nous de la thèse des visées de la loi religieuse aux visées de la foi, en premier et avant tout un monothéisme humaniste en une nouvelle théologie i-slamique.
Le coup d'État idéologique de Chfaii a incarné la modernité de la jurisprudence musulmane avec le triomphe du hadith et de la sunna, ce qui a autorisé des succès politiques décisifs. Or, comme l'époque de la modernité a été suivie par celle, actuelle, de la postmodernité, nous annonçons le passage de l'islam de la modernité du hadith, au sens de noviciat, des débuts et non de la contemporanéité, à sa postmodernité, période de maturité et de pleine maîtrise du hadith ou post-hadith se manifestant par les retrouvailles avec le Coran et son autorité exclusive en islam. Ce qui implique l'attachement à l'option coraniste et à la pure exégèse coranique, du Coran au Coran. Un tel effort ou ijtihad est en mesure de muer un jihad, véritable et seul licite après abrogation de son sens guerrier obsolète.
En effet, si l'ijtihad est aussi guerre, elle a pris fin avec l'autre, le jihad mineur, alors que ne prend pas fin la guerre avec soi et ses pulsions, le jihad majeur. Que les musulmans l'osent donc, qu'ils soient des gens de la politique ou de la religion ! S'ils sont de celle-ci, et c'est préférable, que cela soit avec une lecture correcte de cette foi, telle celle définie par la maxime de la mutation des règles à la mutation des circonstances, mais que n'appliquent malheureusement que de bien rares jurisconsultes. De fait, depuis la décision souveraine du calife Omar d'abroger le précepte coranique relatif aux ralliés de bonne volonté, aucune autorité religieuse n'a eu le courage de remédier aux obsolescences évidentes de l'islam; ce qui ne vint, les rares fois ou cela fut possible, que de la part des gens de la politique lorsqu'elle avait des atours éthiques, une poléthique au sens étymologique de la politique; ce qui était et demeure bien rare.
Cela a bien été le cas avec ce qu'on a appelé fatwa de Mardin émise par des théologiens de diverses nationalités réunis en 2010 dans cette ville située au sud de la Turquie et se voulant la contradiction de celle émise par Ibn Taymia à qui on avait demandé si la ville était en terrain de paix ou de guerre. En effet, à majorité musulmane, elle était gouvernée par des non-musulmans, les Tatars qui l'avaient soumise. Sa réponse fut qu'elle ne relevait ni d'un cas ni de l'autre, se trouvant dans une situation complexe. Cette réponse est dans le texte arabe, en notant qu'elle a comporté une erreur en changeant le sens et diffusée quasiment avec cette erreur, interprétée donc comme une invitation à la guerre. La fatwa qui se voulait son antithèse prise au congrès de mars 2010 ne fit qu'en donner une lecture au plus près du texte, assurant que le jihad est caduc dans les rapports entre nations, sans oser toutefois l'évoquer expressément du point de vue du Coran. En traitant ainsi de l'accessoire avec omission du principal, se limitant à répondre à Ibn Taymia comme le montre l'extrait de leur fatwa en arabe, on n'a fait que ruser et mal ruser, desservant et le but racherché et la cause de l'islam.
Certes, cet effort peut aider à faire sortir la fatwa de la légende, mais il n'aide en rien à faire sortir le jihad de la licéité étant désormais illicite. Comme il est impératif de revenir au sens correct de la fatwa en islam qui est juste celui de l'opinion du sachant à titre informatif, n'étant point un jugement, un commandement ou un précepte divin, ainsi faut-il également revenir au sens authentique du licite et de l'illicite. Bien entendu, à le faire, il n'y aurait nulle violation des tabous ou destruction d'icônes, ni à délaisser le hadith devenu douteux, y compris celui des plus authentiques des recensions authentiques. En effet, le Juge de Nishapur, mort en 405 de l'hégire, nous avait déjà précédé à dire que les deux recensions majeures n'ont pas échappé à la falsification, même s'il n'a pas donné plus de précision, préférant ne pas "citer les noms des faussaires parmi les sommités des imams de l'islam par souci de protection du hadith et de ses gens".
L'histoire de l'islam aurait été bien différente si le salafisme n'a pas fait main basse sur les esprits à la faveur de l'affaire de la création du Coran, usant de la même procédure suivie par les rationalistes qui croyaient servir la raison alors qu'il la desservait, ne servant au final que les maîtres du moment, les politiciens qui vont s'avérer sans foi ni loi.
La moelle épinière de l'islam est d'être liberté d'exégèse de ses préceptes selon leurs visées sans limitation par les considérations propres à un temps évanoui, une compréhension datée. La force de la foi de la rectitude est dans l'effort incessant. Par ailleurs, le salafisme actuel ne défend qu'une influence politicienne et une emprise morale s'ajoutant à une autorité physique n'ayant pour ambition que de juste gouverner les consciences voulues émancipées par Dieu. Depuis quand la pensée libre est serve en islam pur tel que révélé à La Mecque ? Ne devons-nous pas reparler de ce qui a amené l'obscurantisme afin de redresser ce qui a fourchu et pourri en nous ?
L'illicite en notre langue est ce qui est interdit; c'est aussi ce qui est tabou. En jurisprudence selon sa mouture actuelle, qui n'est pas du Coran pour y tenir, puisqu'il nous faut persévérer dans l'effort d'interprétation, il est ce dont la commission est péché, ce pour quoi on est rétribué à ne pas faire et puni à faire. Cette jurisprudence confond ce qui est interdit par un texte divin et ce qui l'est par un effort humain d'interprétation; la différence est pourtant évidente. Si le texte divin ordonne, l'interprétation humaine ne le fait pas, étant une approximation de sa visée; aussi c'est celle-ci qui est la plus appropriée à l'ordre divin, le confirmant ou l'infirmant du fait de la nature évolutive de la loi de Dieu. Prenons l'exemple de l'ablation de la main : il est bien un texte l'ordonnant; pourtant, on ne l'applique plus, sa visée l'interdisant.
Quant au licite, c'est ce qui est libre, permis. En jurisprudence musulmane, c'est ce qui est expressément autorisé sans restriction. Rendre licite, c'est donc autoriser l'acte à qui il est possible de l'interdire, l'en empêcher, le limiter par une autorisation. C'est ce qui n'est pas puni ou qui excède le champ de l'interdit ou ce qui est permis au choix. Il est donc des degrés du licite en droit musulman, le plus étendu étant ce qui fait pendant à l'illicite, ce qui s'y oppose. Or, comme le licite est l'antonyme de l'illicite, il inclut tout ce qui s'y assimile de légitime, impératif, admis, toléré, toutes ces catégorisations des jurisconsultes qui ne sont pas dans le Coran ni dans l'islam authentique qui ne connaît que ce qui est légitime tant qu'il n'est pas interdit explicitement. Contrairement à ce qu'ont pensé les jurisconsultes, tout ce qui est licite est légitime et tout ce qui est légitime est licite. Citons à titre d'exemple le divorce que la tradition estime être licite, mais répulsif, ce qui ne veut rien dire, une contradiction même.
En figure de rhétorique arabe, on parle du licite aimable pour la parole, sans malice; c'est ce que doit être notre jurisprudence au lieu d'interdire tout ce qui n'est pas illicite. Alors que Dieu a voulu sa foi d'aisance, nous l'avons transformée en foi de la gêne par une compréhension valide pour un temps mais invalide aujourd'hui.
Qu'on dénoue donc notre jurisprudence la déclarant licite, comme on le dit d'un serment, en expiant le mal fait à notre foi et l'injustice commise à l'égard des gens, laissant l'islam se daéchiser ainsi qu'on le constate, car Daech ne fait qu'appliquer cette jurisprudence traditionnelle caduque. Que nos jurisconsultes envisagent un acquit de ce fiqh anachronique !
La règle islamique de base de laquelle on ne saurait dévier est la licéité dans toutes les prescriptions du Coran ne comportant pas d'interdit explicite, l'interdiction n'étant qu'expresse et explicite. Et même avec cette condition, l'interdit ne s'applique point s'il contredit la visée de la foi d'islam, seule référence en cette religion de la rectitude. Il est imparable de toujours se référer à la compréhension selon les visées des préceptes de l'islam afin de tenir compte de son esprit qui condense sa caractéristique d'être une foi d'éternité, aux préceptes pour tout temps et tout lieu.
Ce qui suppose l'effort permanent d'interprétation de la religion au vu de ses visées humanistes, desquelles la règle de la licéité de base, l'illicite étant l'exception. Car la bonne foi est le coeur de cette religion, Dieu étant clément et miséricordieux de tous péchés, y compris le vol et l'adultère, car il n'est de péché en sa religion que de lui associer un autre Dieu. Et même pour ce péché unique, il lui est toujours loisible de pardonner en présence d'une sincère contrition.
Voilà notre islam malade défiguré par les siens bien avant ses ennemis, et qu'on agit à ce qu'il recouvre au plus vite la santé pour renouer avec son passé de gloire, un âge d'or bien en vie dans l'inconscient musulman.
Jour 30
Samedi 23 mai 2020
Nous avons salué dans une précédente chronique l'objectivité d'Ibn Al-Jawzi dans son livre les "Apocryphes"; et bien évidemment, tout est relatif, son intérêt découlant du fait qu'elle dérogeait, pour l'essentiel, à ce qui prédominait en la matière de tromperie, mensonge et subjectivité. Nous avons d'ailleurs précisé qu'il appartenait au rite le plus dogmatique de l'islam sunnite, dont l'influence n'a pas totalement disparu de sa pensée. Sans l'ignorer, nous ne lui accordons que peu d'importance du fait que nous portons attention, par principe, à la complexité de la nature humaine et insistons que l'on résiste à la moindre tentation de manichéisme pour servir au mieux la libre pensée.
L'orientation hanbalite d'Ibn Al-Jawzi se manifeste par son occultation quasi totale des dires pléthoriques sanctifiant les traditionalistes et consacrant la sunna comme référence majeure et autorité législative. En effet, comme déjà précisé, les gens du hadith sont devenus les chevaliers de l'islam. On a ainsi fomenté un récit attribué à Chafaï disant que les voir lui rappelle le prophète. Ce qui prouve à quel niveau de dictature a atteint la tradition sunnite dans ses caractéristiques de jeu politicien et manipulation religieuse, obscurantiste et dogmatisme. Car la politique répressive qui a dominé dans les pays arabes et d'islam a mis à profit la seigneurie du hadith et sa prééminence par rapport au Coran, s'imposant totalitariste tout comme la sunna avec sa fausse compréhension du Coran imposée aux esprits, ne laissant "d'autre choix aux coranistes que la désertion du terrain", ainsi que l'affirme Georges Tarabichi, auteur "De l'islam du Coran à l'islam du hadith. Naissance incessante", les dépouillant, en faveur des traditionalistes, du qualificatif de "parti de Dieu". Ce qui suffit pour confirmer la nature politique de la religion d'islam; mais elle est, avec eux, sans nulle éthique, au lieu d'être une poléthique.
Aussi Ibn-Al-Jawzi a-t-il eu tort de ne pas se soucier de ces dires surtout qu'ils n'étaient, pour l'essentiel, qu'à caractère divinatoire, attribuant au prophète ce qui ne relève pas de ses attributs de par un texte explicite du Coran. En effet, dans nombre de ces faux hadiths, le prophète connaît les mystères cachés au point d'en parler avec précision, en totale contradiction avec la parole de Dieu, comme dans le verset 50 de la sourate "Les Troupeaux" (Dis: "Je ne vous dis pas posséder les réserves de Dieu, non plus que connaître les mystères cachés) et le verset 65 de la sourate "Les Fourmis" (Dis : Pas un des habitants des cieux ni de la terre n'a science des les mystères cachés, mais Dieu seul). D'autant mieux que les spécialistes de la science des récitants les avaient condamnés, comme Al-Daraqutni, Ibn Ḥibbān al-Bustī et Al-Dhahabi, et qui l'ont précédé de deux siècles, à l'exception du dernier.
Assurément, cette occultation relève de celle du Coran chez les traditionalistes, pierre de touche de leur dogme, occultant du même coup la raison. Car, en une culture des Écritures sacrées comme la culture d'islam, la raison se manifeste littéralement par un texte nécessitant exégèse; et celle-ci est soit libre, ce que refuse la sunna, soit liée, un texte détaillé, nécessitant un simple assentiment; et c'est le hadith et le récit prophétiques. On a d'ailleurs déjà cité Samaani à ce propos dans "Pour les traditionalistes", qui y ajoute que "la voie religieuse est le récit et le dire prophétique, la tradition... Il est dans la religion ce qui relève de la raison et ce qui n'en relève pas; tout est à suivre impérativement. D'aucuns parmi les traditionalistes ont soutenu que Dieu ne se reconnaît ni par la raison ni sans elle... Nous entendons et comprenons notre religion par la grâce de Dieu... mais si nous n'y parvenons pas, nos raisons y étant incapables, nous n'y croyons pas moins".
Une telle philosophie religieuse est une fausseté dans la philosophie ce la raison islamique. Aussi, comme le hadith est, de fait, le Coran — alors qu'il ne l'est pas, le Coran demeurant ce qu'on a toujours su l'être —, il est impératif de remplacer aujourd'hui le hadith par le kalâm et renouer avec la science du kalâm ou théologie du dogme en lieu et place de la science du hadith, les deux référant au Coran. Toutefois, la première emporte effort d'interprétation absent de la seconde. Ainsi s'ajuste et se maîtrise le savoir dont la source n'est pas la tradition, mais la raison validée au vu des visées divines; car, à la vérité, n'est à l'oeuvre que Dieu inspirant la raison humaine. Or, on sait ce que pense le maître du sunnisme Ibn Hanbal des maîtres de la théologie du dogme que sont les libres penseurs : des incroyants athées. Pourtant, la science du Kalâm n'a usé de la raison qu'à défendre la foi d'une religion dont la spécificité est de n'être pas fondé sur le phénomène du miracle, son seul prodige demeurant dans l'éloquence et la rhétorique coraniques, cette raison du Coran qu'est parole de Dieu. Comment donc adhérer à la parole de Dieu sans la reprendre et en parler ? C'est bien pour cela que les traditionalistes ont tout fait pour "éradiquer la philosophie en islam" comme le note Georges Tarabichi dans "Devenir de la philosophie entre christianisme et islam". Saisissons cette occasion pour dire que ce penseur nous a pas mal inspiré ici, particulièrement avec sa théorisation de "l'islam de la sunna" dans l'ouvrage prédéemment cité. S'agissant du miracle et de la raison, ce sont deux notions antinomiques, deux lignes droites ne se rencontrant point, mais avec la condition de la surface plane; or, l'environnement de l'islam est tout sauf une surface plane, permettant d'y voir se rencontrer et se croiser les lignes droites. Ce qui a même été entretenu en vue d'éliminer le pluralisme initial de l'islam, qui a été la plus garde spécificité de la foi des premiers siècles.
C'est la perte des "pluralismes dans l'islam", pour user d'une expression de l'orientaliste Henri Laoust qui a fait la maladie de cette religion dont il faut guérir en les retrouvant, car ils sont gage de santé et de sortie de ce que Tarabichi a nommé "nouveau moyen-âge" dans son livre "De la Nahdha à la ridda (De la Renaissance à l'apostasie)". Au reste, c'est bien le cas de l'islam si l'on se réfère au comput parallèle des années de l'hégire et du calendrier chrétien, étant au quinzième siècle de l'hégire. Ce qui est bien plus périlleux est que l'islam est une illusion chez nombre de ceux qui en font commerce et une pure foi virtuelle chez qui croit y tenir. Car l'islam, qui est religion et politique, est une religion de par le Coran révélé à La Mecque et une politique de par le Coran de Médine. Le Coran mecquois, révélation originelle, porte surtout sur l'univers des mystères cachés, l'au-delà et non les choses de la vie terrestre, banales et changeantes. Ce Coran, qui est l'assise de la foi, soit la parfaite maîtrise de l'être purifié par un effort moral pour le salut de l'âme de l'enfer de la vie et dans l'au-delà, a changé de nature dans le Coran médinois, portant sur la matérialité des choses pour un bonheur terrestre avant celui à venir. C'est ici que se situe la problématique majeure, celle qui fait gouverner nos vies par les vingt sourates du Coran, soit le total de celles révélées à Médine — ou par trente-deux au maximum, si l'on y ajoute les douze sourates objet de discorde sur leur nature — en délaissant les quatre-vingts sourates restantes, toutes mecquoises, déjà les plus nombreuses, mais aussi de plus grande profondeur de sens, fondant le dogme d'islam en cette foi pour tout temps et tout espace.
Il est, par ailleurs, évident, par simple intuition ou par raisonnement et déduction logique, et même du point de vue de la jurisprudence musulmane, que ce qui relève de la religion est éternel, ne variant pas, alors que ce qui relève de la vie et de sa politique, en son sens étymologique, est semblable à qui y vit, forcément imparfait, changeant sans cesse. Or, le Coran est tout l'islam, à l'exception de qui a divinisé la tradition, mais nous sommes de ceux qui ne pensent le hadith, et la sunna plus généralement, que source seconde en référence après celle axiale du Coran, et soumettons son interprétation aux visées du Coran lui-même interprété selon ses visées. Aussi pensons-nous que le Coran mecquois est l'essence de la foi d'islam alors que le Coran médinois est l'assise de son État. Comme l'islam est une religion, il ne varie point dans sa révélation mecquoise, assise de sa foi et de son dogme. Et comme il est une politique pour la vie, il a érigé un État qui a des bases religieuses, certes, mais aussi civiles. Aussi, dans cet État d'islam, les préceptes religieux pour la vie terrestre varient, au sens que ce qui dans le Coran médinois ne correspond plus au temps présent, et ce tout comme varient les conditions d'existence sur terre, dont celles des états, ainsi que le stipulent les préceptes de cette religion, le Coran mecquois.
L'islam est aussi mecquois et médinois, à l'instar du Coran qui a été divisé en temps et époques; il nous appartient de les distinguer pour la religion en tant qu'unité, en son ensemble. Assurément, la plus importante de ces périodes est celle séparant l'islam d'avant la conquête ou Fath et celle qui la suit, soit l'islam instituant, fondateur et celui qui a été fondé, l'islam institué. Le premier est une foi de révolte, de révolution, alors que le second est celui appelé à conserver et protéger ses acquis en termes de conquêtes, d'État et d'ordre, obligations s'imposant à tous les membres de l'État pour survivre et durer. À noter que la religion révoltée ou révolutionnaire est, en premier, une foi du coeur et une action selon ses préceptes, ce qui est affaire individuelle du fidèle, alors que la religion conservatrice ou d'État est l'affaire des autorités en place. Comme notre conviction est que l'islam a été fondamentalement une révolution mentale, en son temps mais la demeurant pour tout temps, ce qui constitue son éternité, il est raisonnable et logique, et même de première utilité, de prendre en considération ce qui a eu lieu et a lieu à l'intérieur des pays d'islam, alentour et dans l'histoire humaine d'événements, mutations et révolutions. La révolution des débuts n'est sans conteste pas la même dans les différentes phases ni particulièrement à la fin de sa première occurrence rejetant un ordre, et encore lorsqu'on l'institue de nouveau, bien différent de ce qu'il était. De cela nous faisons relever le passage de la théorie des visées de la loi religieuse à la théorisation, bien plus judicieuse, des visées de la foi islamique, un monothéisme absolu et exclusif du rapport direct du fidèle et de son créateur. Les visées de la foi sont ainsi plus étendues et plus proches d'un même islam pris dans sa lettre et son esprit de sceau des révélations et message d'éternité.
De même, nous en faisons relever, une fois libéré de la dictature de la sunna, une libération dans l'interprétation des concepts d'islam et l'exégèse du Coran par l'anagogie et l'herméneutique pour une plus juste saisine du sens de la parole de Dieu. En méditant, par exemple, les réflexions de certains grands savants de l'islam qui avaient une audace qui s'est réduite ou a même disparu. Nous en citons l'imam des deux lieux saints, Al-Jouayni, dans sa compréhension sagace de la parole de Dieu citée et commentée, sinon déformée, par Souyouti dans "Sciences du Coran en démonstration"; pareille analyse est bien de nature à fonder une nouvelle intelligence de la parole divine sans nulle atteinte à sa sacralité (le texte est livré en arabe). Il en ressort que, pour Al-Jouayni, la parole de Dieu est de deux types : en termes généraux, où c'est le sens qui prime, non la formulation, et en terems précis, transmise littéralement. Si Souyouti estime que le second type correspond au Coran et le premier à la Sunna, il est légitime de tenter d'autres interprétations comme de dire que le premier type correspondrait plutôt à la révélation médinoise et le second à la révélation mecquoise.
Au terme de ces chroniques, revenons à l'habitude de la vision oculaire à laquelle, en cette année de maladie, on n'a pas eu recours à la fin du ramadan comme à son début, acceptant de ne se référer qu'au constat astronomique. Or, celui-ci est une vision oculaire aussi et pourrait suffire à l'avenir; elle use bien des yeux pour voir nonobstant la manière de le faire. Sinon, il nous faudrait bannir la moindre innovation en notre pratique religieuse, tels ces mégaphones au sommet des minarets. Aussi, pour ce ramadan qui prend fin, la vision oculaire a-t-elle été plus conforme que les années précédentes aux préceptes de la religion qui est à tendance scientifique, qui le nierait ? Il aurait juste été préférable de ne pas attendre la dernière minute pour faire part de cette vision selon le calcul astronomique, mais oculaire. Ainsi, la vision du début du ramadan aurait été annoncée comme ayant eu lieu le 23 avril à deux heures 27 minutes du matin, heure GMT, et celle de l'aïd l'ayant été à cinq heures 40 minutes du soir du 22 mai. C'est la vision oculaire et scientifique du moment précis de la conjonction du soleil et de la lune. Quiconque refuse une telle vision oculaire et sa logique islamique pertinente, devrait étendre sa propre logique à tous les aspects de sa religion, y compris la vision de la face de Dieu, alors qu'il n'ignore pas que Dieu est parfaitement visible, mais avec les yeux du coeur ! La perpétuation de l'habitude désuète à comprendre la vision oculaire ne prouve qu'une seule chose : l'absence de foi véritable chez qui prétend l'avoir, car la foi est de l'intelligence; or, on ne la voit pas à l'oeil nu chez ces personnes !
Par ailleurs, il n'y a pas de croissant, mais une lune qui fait sa rotation autour de la terre qui tourne autour du soleil qui ne se lève ni ne se couche; il n'est qu'une étoile dans le ciel parmi d'innombrables autres astres au milieu d'un univers dont on ne sait pratiquement rien, à part que seul Dieu le sait. Quant au vrai savant, c'est celui qui s'active dans l'ignorance — et non dans le savoir ou la science — à lever ce qu'il peut de minime dans cette ignorance et ce savoir qui ne sont qu'une ignorance qui se lève comme un nuage et qui revient bien vite tout recouvrir.
Par conséquent, quiconque croit savoir, plus particulièrement en religion, atteste son ignorance; car la religion est la sagesse de Dieu que nulle connaissance humaine n'est susceptible d'avoir, à part d'y faire l'effort, un effort ou jihad incessant. Et comme l'a dit Kant de la science, que c’est la connaissance organisée alors que la sagesse est la vie organisée, il nous est possible de dire que l'islam, dans son aspect cultuel, est la religion organisée alors que, dans son aspect culturel, il est toute la vie organisée. Que nous sommes loin de cette sagesse et de cet islam perdu par ses adeptes égarant leur foi à force de vouloir gagner leur vie terrestre, un mirage sans plus.
L'attachement à des manifestations de l'islam malade , comme de soumettre le Coran au hadith, non le contraire, ou la vision oculaire du croissant du début et de la fin de ramadan sans recours à la science, n'a rien à voir avec la foi juste, en altérant l'âme tout entière, étant foncièrement scientifique. Il ne s'agit que de politique sans éthique, suivie par les gens de la religion et du pouvoir. Sans doute, cela nous rappelle ce qui a prévalu dans le christianisme et le judaïsme de collusion entre le pouvoir politique et l'autorité religieuse ou l'armée et l'église, que traduit la fameuse expression du sabre et du goupillon, et qui nous donnerait une expression similaire avec le partage des politiciens et des imams en terre d'islam de la soumission des corps et la gouvernance des esprits : la matraque et le chapelet.
Autre manifestation de la maladie d'islam cette année, similaire aux années précédentes, le début et la fin du mois du jeûne à des moments différents dans les pays d'islam; un état des choses qui ne changera point. Car la politique qui sépare les régimes de ces pays est appuyée par une religion malade, divisé depuis bien avant l'apparition des États musulmans modernes. L'islam étant politique par nature, il ne saurait y avoir de changement de situation que politiquement, si la sérénité gagne cette religion en renouant avec sa veine première de politique éthique; ce qui est lié au passage également de la politique politicienne à une poléthique. Cela ne sera ni facile ni pour bientôt, l'islam étant désormais l'otage d'un enjeu mondial dépassant ses adeptes, et les régimes politiques musulmans ou prétendant l'être. Aussi bien à l'intérieur des pays d'islam qu'à l'extérieur, il est des menées visant à le maintenir malade, sans sa spiritualité pure; ainsi est-il sous contrôle. Sans doute, l'état d'arriération, non seulement économique, même si certains régimes sont outrageusement riches, mais spécialement culturel et éthique y joue son rôle.
Parmi les armes utilisées par les intérêts en Occident et en Orient agissant contre l'islam spirituel pur, outre l'alliance entre les intégrismes sauvages capitaliste et islamiste, il y a ce souci particulier à maintenir en réserve ses adeptes, cantonnés dans leurs pays, à l'intérieur de leurs frontières hermétiquement fermées, tout comme ils étaient entassés dans la presqu'île arabique avant de se répandre dans le monde à la faveur de l'islam et en son nom. Ainsi s'exacerbent leurs divisions, l'absence d'étendues libres envenimant le mal-être, suscitant les crises comme un autocuiseur nécessitant aération. Cela a entretenu la naissance continue de l'intégrisme qui a fait se multiplier les pages horribles de l'histoire de l'islam arabe musulmane, y compris en ces temps supposés lumineux de l'expansion de l'islam.
Cependant, il serait faux de croire qu'une telle dialectique intégriste interdit l'acceptation du musulman du vivre ensemble, car l'islam reste intrinsèquement, de par son esprit originel et original, une paix spirituelle, et on ne peut douter de sa nature civile l'étant par définition du fait de son intérêt pour la politique de la ville au point de verser dans la politique et ses délices avec leurs abus et excès. Si l'on ne fait pas attention aux valeurs, rapide est le passage de l'islam policé à un islam policier. Ce qui commande d'agir sans cesse à revenir aux sources de la foi hors des geôles de la tradition et de la jurisprudence qui ne sont qu'un effort humain d'interprétation hors sa limite de validité. Il est non seulement invalide, mais ayant invalidé la foi d'islam qui s'est judaïcisée et christianisée tellement elle a été marquée par des emprunts à cette tradition des juaïcités (israilyet) érigeant église et synagogue dans une religion réprouvant le monachisme et le rabbinat.
Terminons, succinctement, en rappelant les principes de la foi d'islam, base d'une science post hadith en islam postmoderne (i-slam) : L'islam est le coran en premier et en dernier, la sunna lui est soumise au vu de ses visées en conformité avec celles du Coran; c'est une religion et une philosophie de vie, une foi et une politique éthique : une poléthique; et l'islam est comme le Coran, mecquois et médinois, ses visées sont celles de la foi qui est, comme la religion, sceau de la foi monothéiste, délié du culte d'islam, sinon il n'est qu'un islam bédouin; car l'islam est fondamentalement une culture s'adressant à tout l'univers en tout temps et en tout lieu, ce qui fonde son éternité; et l'islam est l'ultime testament des fidèles du monothéisme abrahamique.
Que Dieu guérisse l'islam d'aujourd'hui de sa maladie ! Bonne fête et bonne année à la foi de la rectitude !