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I-SLAM : ISLAM POSTMODERNE








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lundi 20 avril 2020

Gestation de nouveau monde 4

Ramadan au temps du Covid 19 : Soigner la maladie d'un islam réduit au culte

 




Au-delà des restrictions actuelles, la maladie Covid 19 aura des conséquences sur nos vies, nombre de nos conceptions devant être affectées. Or, comme on soigne la maladie du nouveau virus Corona, il doit en aller de même de la maladie dont souffre l'islam, nous attelant à réformer sa vision obsolète tant chez les intégristes que leurs contradicteurs laïcistes. Car le mois du jeûne cette année est bien singulier. Il est propice à agir utilement pour renouer avec l'essence de l'islam essentiellement spiritualiste et culturelle.

En effet, une lecture faussée — qu'on a le tort de tolérer, sinon d'encourager — en a fait un simple culte, y reproduisant le schéma théologique judéo-chrétien. Pourtant, en cette foi où n'existe ni église ni synagogue, le rapport avec Dieu est direct, sans nul intermédiaire, surtout pas cette cléricature autoproclamée s'y arrogeant le droit d'être porte-parole divin, commandant licite et illicite. Aussi, concomitamment avec la lutte contre la maladie menaçant notre intégrité physique, il serait salutaire que les autorités soignent enfin la maladie morale gangrénant le mental en caricaturant une religion, qui fut une modernité avant la modernité occidentale, la rendant rétrograde.



La révolution, un retour au fondamental

À la faveur des conditions sanitaires actuelles, il est aisé de rappeler la vérité sur l'essence fondamentale de notre foi, ce qui fait sa spécificité : qu'elle commande le rejet de la moindre ostentation dans la piété, l'acte pieux s'y distinguant par sa modestie et même la propension à se cacher des yeux, seul le regard de Dieu important.

Ces temps de confinement et de distanciation d'avec nos plus habituels réflexes seraient propices à des retrouvailles avec le ramadan des premiers musulmans, un jeûne discret, sans excès ni surtout affectation et hypocrisie, ne se souciant pas de son prochain ni ne se montrant. Jeûner en vrai islam redeviendra alors l'effort sincère de mériter sa foi, cette bataille incessante contre soi et ses pulsions pour donner le parfait exemple de la piété.

C'est bien d'une révolution mentale qu'il s'agira ; elle est devenue impérative et urgentissime au vu de l'état miséreux de l'acte de croire en un islam réduit à un folklore de religiosité plus soucieux du paraître que de l'être. Pour réussir, une telle réforme, il importe de la mener selon les outils propres de la religion. Et ce sera sa révolution qui, étymologiquement, est le retour à l'essence, ce qui est premier, qui fut à l'origine.

La révolution en islam est bien ces retrouvailles avec sa matrice  qui, en terre arabe musulmane, est le coran correctement interprété, bien plus qu'en simple culte, en tant que culture. Or, le propre d'une culture est d'être vivante, d'évoluer sans cesse en revenant à ses sources les revitaliser. Ce que l'islam, philosophie de vie, est apte à faire.



L'islam entre laïcité et postmodernité

Comme l'islam est un tout, l'humain se doit d'y être divin par l'excellence de son comportement, un divin social comme dirait Durkheim ; ce qui a bien été perçu par les soufis avec la notion de l'homme parfait (ou plus correctement uni) traduisant le mariage harmonieux du spirituel et du matériel, réservant la foi à la sérénité de l'intimité soustraite à la vie dans la cité faite d'agitation, de trouble. Ce qui balise une voie à la foi originale et originelle : celle d'une croyance comme philosophie intégrale de la vie faite de droits et de libertés dans un humanisme se voulant intégral.

Car n'étant pas une simple foi, l'islam est une politique. Aussi, la séparation du religieux et du profane n'y a pas cours, l'imbrication du spirituel et du temporel étant totale. Toutefois, cela ne veut pas dire confusion, s'agissant d'une unité multiple, l'Unitas multiplex des anciens. Pour cela, en terre d'islam, la conception occidentale de la laïcité ne peut servir d'outil à la nécessaire réforme, sauf si on la prend en son sens étymologique de « laicus » qui signifie « du peuple ». En effet, ce qui est du peuple dans nos pays c'est la forte imprégnation spirituelle. De plus, en Occident, la laïcité est en crise, la caractéristique du peuple (« laicus » ou encore « laos ») devenant « laïcisme », produisant un « esprit prêtre » aussi intolérant et fanatique que la religion qu'il combat, le faisant au nom d'une autre religion, civile et laïcarde, où l'esprit religieux intégriste se mue en « fanatisme athée » tout aussi dangereux. 

Par ailleurs, le changement de paradigme en cours est fermeture de l'époque (étymologiquement parenthèse) de la modernité ouverte avec les Lumières, désormais stérile et se refermant dans les obscurités des excès d'inhumanité de son matérialisme. Le paradigme de la postmodernité en gestation est un âge des foules marqué par une soif de spiritualité et d'une rationalité autre, ne dédaignant plus ce qui relève de l'imaginaire qui, avec l'inconscient, structure l'humain. Ce dernier, après l'échec de l'illusion prométhéenne, redécouvre sa condition animale et sa nature à base de cet humus formant son étymologie. En cette nouvelle époque de communions émotionnelles, il est une place de choix à l'altérité et à une faim de spiritualité, à tout ce qui semblait insignifiant, ce que Debray nommait « sacral », et Duvignaud « prix des choses sans prix ». 

En notre islam malade, avec l'accélération de l'histoire et la nostalgie du sacré qu'elle augure, on a le choix entre la religiosité et le spirituel ; la première nous a donné la décadence et Daech, la seconde l'âge d'or de l'islam, incitant donc au retour à l'islam des origines, celui des maîtres soufis. Et ce sera l'islam postmoderne, de son époque, oecuménique et pluraliste. Un tel islam (que j'orthographie i-slam) est une rénovation de ses préceptes au nom de sa philosophie propre, mise au point par ses savants les plus visionnaires qui, indiquant la nécessité continue de l'interprétation, la basent non sur le texte du Coran seul ou en premier, mais sur ses visées et son esprit. Cette réforme est impérative à chaque début de siècle selon une tradition établie. 



Protocole de soins

Radicale, la réforme de l'islam doit relever d'un humanisme intégral, menée au nom d'une foi respectueuse de sa prétention d'être universelle et rationnelle en tant que sceau de la révélation, et aussi en tant que parole de sagesse et de justesse, parole de vérité, donc de droits et de libertés. Ainsi, le protocole de soins ne sera pas inapproprié, n'étant pas comme une reprise de ce qui a permis la rénovation des deux autres religions monothéistes, comme chez les laïcistes.

Ainsi, si l'on agréé à leur affirmation que la religion doit relever de la sphère privée, cela ne commande pas nécessairement une laïcité qui n'est même plus légitime en Occident, se relégitimant à la faveur de la démocratie, de l'État de droit. Par ailleurs, ces intellectuels ont tort de croire que la citoyenneté, l’égalité, la liberté de conscience, l’État de droit et les droits humains, antidotes indispensables à la religiosité et à l'intégrisme, sont le produit magique de la laïcité. Certes, leur absence manifeste la crise de l'islam, et les modernistes font bien son diagnostic en agissant pour la nécessité de  reconnaître et affirmer l’historicité et l’inapplicabilité d’un certain nombre de textes de la tradition musulmane dépassée et inadaptée. D'ailleurs, cela ne fait nul doute, même aux yeux de certains traditionalistes éclairés ; mais il renvoie dans le même temps à l'obsolescence des arsenaux juridiques auxquels ne veulent même pas toucher les gouvernants supposés laïques qui ont alors beau jeu de situer la question au niveau de religion qu'ils s'interdisent de toucher en mettant l'index sur sa lecture erronée et dépassée. Et c'est non par respect de la foi, mais par souci politicien.  

C'est à une mise à niveau des législations qu'il faut s'attaquer au plus vite ; ce qui est de la responsabilité du législateur. Ainsi réussira-t-on une réforme religieuse qui est plus simple qu'on ne le croit pour peu que l'on cesse d'aligner l'islam des Lumières sur une histoire anticléricale qui n'est pas la sienne, ne s'y étant imposée qu'en ses temps obscurs une fois ses lumières éteintes.  L'attitude judicative actuelle, quasiment moralisatrice, doit cesser; elle est le fait aussi bien des traditionalistes que des modernistes et ne sert qu'à maintenir les lois mauvaises, illégales qui plus est. Une situation de blocage ne servant que l'intégrisme, religieux et profane, ces deux facettes d'un dogmatisme néfaste.


Tribune publiée sur Réalités Magazine
n° 1791 du 24 au 30 avril 2020 (pp. 14-15)