d î n wa d u n i a
Expression corporelle :
Cachez-moi ce mâle que je ne saurais voir !
Dossier de Ghita Zine publié par le magazine au Maroc
(n ° 23 • o c t o b r e 2 0 17, pp. 58-63)
Extrait :
Dans la région MENA, l’expression corporelle dans les arts vivants ne date pas des temps présents. Pourtant, tout débat artistique soulevé autour du corps finit par tourner à la polémique. A la controverse se greffent campagnes de dénigrement et diffamation, alimentant par la même occasion un discours homophobe banalisé.
…
Juriste, sociologue et politologue tunisien, Farthat Othman voit pour sa part l’action artistique comme un porte-voix idéal du droit à disposer de son corps : « Les expressions artistiques sont aujourd’hui le meilleur vecteur pour la communauté LGBT, non seulement pour se défendre, mais aussi pour contre-attaquer efficacement ». Défendant l’idée selon laquelle « l’expression artistique est la plus éloquente, car elle se concentre sur le message sans connotation idéologique », le chercheur en profite pour lancer un appel : « A travers vous, j’invite les militants marocains à s’inspirer du drame d’Ihsane Jarfi(1) et de l’hommage de son papa en sa mémoire(2), dans le cadre d’un opéra ou d’une pièce théâtrale. L’islam véritable n’est pas homophobe. Quand l’homosexualité était encore réprimée en Occident, c’est dans les pays musulmans que les gays allaient vivre librement leur droit au sexe, comme le font les jeunes arabes de nos jours en Occident. Une telle supercherie doit cesser. De plus, la catégorie de l’homosexualité — ainsi que l’a démontré Foucault — est une invention occidentale. Le sexe maghrébin, y compris amazigh, étant comme celui qu’on trouve dans la nature : bisexuel. Et je l’ai démontré. C’est pour cela que j’ai inventé le néologisme : érosensualité ».
Ci-après le texte intégral de ma réponse :
Présentation des questions par Ghita Zine
Mes questions sont donc liées à l'amalgame que l'on fait souvent dans nos pays, lorsqu'un artiste homme aborde les questions du corps et fait de l'expression corporelle son cheval de bataille (nous en avons un exemple au Maroc aussi, avec le chorégraphe Lahcen Zinoun, dont le début de parcours dans la chorégraphie durant les années 1970 était difficile à cause de cela. Il avait même été catalogué comme persona non grata par le roi de l'époque, Hassan II).
L'artiste en question, qu'il se considère lui-même homosexuel ou pas du tout, est tout de suite taxé d'être efféminé, de manquer de virilité, est parfois menacé dans son intégrité... Dans ce brouillon, les allégations sur son orientation sexuelle deviennent l'apanage de nombre de ses détracteurs, ce qui nous ramène aussi au dénigrement dont souffrent les LGBT dans nos pays et d'un certain discours homophobe normalisé. Je voudrais avoir votre avis là-dessus dans quelques lignes, si vous le souhaitez.
A partir de la polémique du spectacle d'ouverture du festival de Carthage, nous ne parlons pas ici du cas précis de Rochdi Belgasmi, mais plus généralement les problématiques qu'elle traduit :
• Pourquoi, dans la région MENA, une frange de nos représentants politiques tend 'naturellement' à alimenter ce discours dénigrant les artistes qui se saisissent des questions liées au corps ?
• Pensez-vous que ces décideurs seraient soutenus dans leur démarche ?
• Dans ce contexte, pensez-vous que le débat sur le droit de disposer de son corps à travers l'expression artistique s'est démocratisé dans notre région ?
• Par ailleurs et en dehors de cette polémique, pensez-vous que l'expression corporelle à travers l'art est une bonne façon de donner une visibilité aux LGBT et d'interpeller sur leurs conditions de vie au sein de nos sociétés ?
MES RÉPONSES
À
MME GHITA ZINE
(Dîn wa Dunia)
PRÉSENTATION :
Je noterais, au préalable, que je suis aussi diplomate de profession et cela éclaire sur mon approche qui se veut surtout une prise en compte des subtilités des situations.
Car — et je le répète souvent — nous sommes non seulement au Maghreb et au monde arabe, mais dans le monde entier, en pleine confusion axiologique. C'est le propre de notre époque qu'est la postmodernité.
Or, j'ai dit que la Tunisie est postmoderne, le Maroc aussi, en ce sens qu'il y a un alliage de l'archaïsme et de la modernité. Nos pays, qui relèvent dans leur inconscient d'une modernité avant la lettre — que je nomme rétromodernité, et qui est celle de l'islam des Lumières — ne peuvent être modernes aujourd'hui, mais bien postmodernes.
Il nous faut prendre conscience que la Modernité au sens des Lumières occidentales est terminée avec la crise de la démocratie occidentale et le reniement par l'Occident de ses propres valeurs; aussi, je dis que les Lumières occidentales sont éteintes et qu'elles doivent être rallumées.
Cela suppose une nouvelle démocratie, qui ne saurait être que postdémocratie, celle qui a cours en Occident et que les élites singent chez nous, n'étant qu'une daimoncratie, soit le pouvoir des démons de la politique, les professionnels de la politicaillerie. Or, on le voit en Tunisie, et aussi au Maroc avec les événements du Rif aujourd'hui, cela ne saurait continuer, car la postmodernité est l'ère des foules par excellence.
Il s'agit ici d'une sorte d'introduction à vos questions auxquelles je réponds ci-après rapidement en précisant que vous trouverez dans mes ouvrages (ceux sur l'homosensualité ayant au reste été publiés à Casa, chez Afrique Orient) plus de détails, y compris dans le dernier paru sur l'Exception Tunisie, publié à Tunis, où les considérations sur le Maghreb sont nombreuses.
Sinon, sur la thématique qui vous occupe, je vous signale trois ouvrages qui y sont consacrés et d'une manière exclusive, et trois autres aussi sur les tabous défigurant l'islam plus généralement.
Les voici, datant tous de l'été dernier :
— D'abord une étude sociologique, publiée à Bruxelles et Paris, uniquement disponible sur Amazon ou Book Edition : Érosensualité arabe. Sociologie de la libido maghrébine, Tunisie en exemple
— Elle a été condensée dans un article exhaustif publié par l'IRMC et Karthala à Tunis et Paris avec nombre d'autres analyses de militants LGBTQI dans le cadre d'un ouvrage collectif dirigé par Monia Lachheb : Être homosexuel au Maghreb.
— Enfin, ce message spirituel de cette figure emblématique d'Ihsane Jarfi, gay musulman marocain que les militants LGBT au Maroc ont tort de ne pas en faire une icône de leur mouvement, car cela leur permettra de sortir de leur quant-à-soi et de toucher le plus large public maghrébin qui est loin d'être homophobe et de contrer ainsi les menées diaboliques des minorités fanatisées : Ihsane Jarfi : "Je suis Ihsane et je réclame justice". Message spirituel pour l'abolition de l'homophobie en islam.
La couverture de ces ouvrages récents est jointe à la présente réponse en plus de celles de trois livres datant de l'année d'avant, publiés à Paris sur Ces tabous qui défigurent l'islam :
— Tome 1 : l'alcool
— Tome 2 : l'apostasie et l'homosexualité
— Tome 3 : La nudité, le sexe et le voile.
Un dernier mot : que l'on ne s'y trompe pas, les intégristes au Maghreb et dans tout le monde arabe sont bien minoritaires, mais profitent de la mauvaise stratégie des ceux qui sont supposés les combattre et qui, au final, les renforcent par leur discours qui n'est bon que pour les réalités occidentales. Ils sont ainsi leurs complices et, pour les réveiller de leur inconscience ou dénoncer les crypto-intégristes dans leurs rangs, je les qualifie de salafistes profanes.
De plus, la catégorie de l'homosexualité — ainsi que je l'a démontré Foucault — est une invention occidentale, le sexe arabe et maghrébin, y compris amazighe, étant comme celui qu'on trouve dans la nature : bisexuel. Et je l'ai démontré. C'est pour cela que j'ai inventé le néologisme : Érosensualité.
Place maintenant à mes réponses à vos questions :
Préambule :
En un mot, avant de répondre à vos questions une à une, je dirais que les expressions artistiques sont aujourd'hui le meilleur vecteur pour la communauté LGBT pour non seulement se défendre, mais contre-attaquer efficacement. Car je n'hésite pas à dire que certains des militants, dont de faux militants qui ne sont que des infiltrés intégristes sous les atours laïcistes et islamophobes, ne font que du business avec la cause gay. Ce qui compte à leurs yeux, au mieux, c'est de dire que l'islam est homophobe comme les autres religions, ce qui est faux, et je l'ai démontré. On a d'ailleurs désormais des imams gays, et cela ira en se multipliant. Aussi, l'expression artistique est la plus éloquente, car elle se concentre sur le message sans connotation idéologique. De plus, elle cible l'essentiel autour duquel tourne la question : le corps en s'attaquant au faux tabou le concernant, à savoir que l'islam l'aurait tabouisé; ce qui est absolument faux, n'ayant été que l'ouvre de certains supposés musulmans influencés par la tradition judéo-chrétienne et qui la perpétuent en islam alors qu'elle a été abandonnée en Occident.
C'est un tel militantisme artistique sans arrière-pensée qui serait le plus efficace et aiderait à la réussite de la juste lutte anti-homophobe. D'ailleurs, à travers vous, j'invite les talentueux militants marocains à s'inspirer du drame d'Ihsane Jarfi à travers son message et le témoignage de son papa qui lui a offert un très bel hommage (Le couloir du deuil) dans le cadre d'un opéra ou une pièce théâtrale. Ma conviction est qu'ils réussiront avec de telles oeuvres là où échouent les militants avec leur discours idéologique contreproductif qui a fait régresser la situation des gays et non servies hélas avec une médiatisation qui ne sert nullement la cause, en définitive, mais ce qui en vivent. Pour cela, j'ai dit dans des articles, que ce sont, en dernière analyse, les militants gays qui bloquent l'avancée de la cause anti-homophobie au Maghreb. En tout cas, c'est prouvé en Tunisie où un projet de loi est en mesure d'être voté s'il était présenté par dix députés au parlement. Ces députés existent, mais demandent que les militants ouvrent le bas (ce qui est parfaitement logique); or, ces derniers refusent de reprendre ce projet du fait qu’il fait référence à l'islam, oubliant ou faisant miner d'oublier que c'est la constitution qui y réfère en premier !
Votre dossier sur le corps est donc bienvenu et serait salutaire, car ma conviction, comme vous, est que les défenseurs de la liberté à disposer de son corps toucheraient mieux le public et d'une manière d'autant plus large qu'ils lui parleront le langage de la vérité : que l'islam vrai, non caricaturé est la plus sensuelle des fois, qu'il n'a jamais jeté un anathème sur la nudité contrairement à la Bible et que ceux qui diabolisent le corps en islam se réfèrent appliquent, au vrai, les préceptes de la Bible et non ceux du Coran. Et cela concerne tout autant les femmes que les hommes ainsi que je l'ai démontré à maintes reprises en m'opposant au discours occidentaliste de certains, y compris des chercheurs réputés, dont l'analyse a été obscurcie par une tendance à coucher islam dans une sorte de lit de Procuste occidentalocentriste. Or, ne l'oublions pas, l'Occident est issu d'une tradition judéo-chrétienne qui est bien implantée dans l'inconscient occidental et qui justifie l'actuelle alliance capitalislamiste entre un capitalisme de plus en plus sauvage et l'islam intégriste; c'est ce que je nomme capitalislamisme sauvage.
Q et R :
Q. 1 : Pourquoi, dans la région MENA, une frange de nos représentants politiques tend 'naturellement' à alimenter ce discours dénigrant les artistes qui se saisissent des questions liées au corps ?
R. 1. : La tendance n'est nullement naturelle, elle est, au mieux, politiquement affectée. C'est qu'elle part d'une hypothèse jamais vérifiée et qu'on veut accréditer par la force, d'autant mieux qu'elle est de plus en plus contestée selon la fameuse méthode Coué. On nous dit que la société est conservatrice et qu'on ne peut oser abolir les lois obsolètes, liberticides et scélérates. Or, on se garde de rappeler que ces lois n'ont intégré le corpus juridique maghrébin que durant la colonisation. Avant, les moeurs étaient libres et libertaires. De plus, on voit bien l'Occident ne pas contester ce prétexte de la spécificité culturelle dans les pays musulmans, car cela ne l'arrange pas de reconnaître la vérité, à savoir s'il y a une spécificité, 'est plutôt le libéralisme de l'islam est des moeurs arabes. Ainsi, quand l'homosexualité était encore sévèrement réprimée en Occident, c'est au Maghreb et dans les pays musulmans qu'allaient les gays pour y vivre librement leur droit au sexe, quel qu'il soit, exactement comme le font les jeunes arabes de nos jours. Une telle supercherie doit cesser. On ne peut plus dire n'importe quoi sur l'islam qui a été libertaire et humaniste et doit retrouver sa spécificité.
Faisons ici deux observations pertinentes :
— Malgré leurs lois, les sociétés occidentales restent homophobes du fait du fonds judéo-chrétien homophobe; or, malgré l'absence de lois, les sociétés musulmanes, surtout au Maghreb du fait de la forte influence soufie, ne sont pas homophobes, ou juste en apparence, du fait de la peur des lois justement qui sont toutes coloniales. De fait la société pratique ce que j'ai appelé "jeu du je" et ce juste pour survivre.
— Une telle labilité sociale qu'on croit être de l'hypocrisie permet à la société de survivre et aux tenants du pouvoir de préserver leurs intérêts qui nécessitent le plus grand contrôle de la société. Or, quel meilleur instrument pour cela que cette fausse lecture de l'islam, qui en fait un véritable opium avec notamment les contre-vérités sur la question. Tout cela avec la complicité d'un Occident aveugle à la vérité historique, surtout soucieux de ses intérêts actuels en premier. Il est évident que si les partenaires européens se résolvent à tenir un discours enfin sincère dur la question, ainsi que cela a été le cas au parlement européen en ce qui concerne la Tunisie, le Maghreb ne sera plus homophobe très très bientôt. C'est bien d'une question politique donc qu'il s'agit, non seulement pour les tenants du pouvoir dans nos pays, mais surtout du fait de l'Occident l'Union européenne en premier, supposé lutter contre l'homophobie.
Aussi, comme dénigrer le discours dénigrant les artistes se saisissant des questions liées au corps à un soubassement religieux et politique, c'est en contrant ces faux arguments qu'on démontrera sa fausseté. Faut-il être radical et revenir aux sources. Or, ce travail a été fait. Il reste à s'en saisir aux militants sincères et à leurs soutiens sans nulle arrière-pensée.
Q. 2 : Pensez-vous que ces décideurs seraient soutenus dans leur démarche ?
R. 2 : Les décideurs sont comme le roi de la fable; ils sont nus et jouent la comédie de porter le meilleur habit et personne n'ose le leur dire. C'est aux militants de la faire, et de cesser, pour les plus honnêtes, d'être le jouet des uns et des autres, laïcistes et islamophobes. Car la question est de savoir ce que l'on veut ; si c'est l'abolition de l'homophobie, il n'est que façon de la faire : rappeler que l'islam ne l'a jamais été. C'est l'argument massue contre tous les homophobes. Dire cela, c'est d'ailleurs être légaliste puisque toutes les constitutions des pays arabes réfèrent d'une manière ou d'une autre à l'islam. J'ai d'ailleurs soutenu que les militants au Maghreb qui croient réussir à obtenir l'abolition de l'homophobie en tablant sur une décision d'inconstitutionnalité ne font au mieux que perdre du temps précieux et, au pis, ils servent la stratégie des intégristes et des homophobes. Je m'explique : eu égard à la référence aux dispositions constitutionnelles à l'islam, le juge constitutionnel saisi d'une demande d'inconstitutionnalité de l'article 489 du Code pénal au Maroc, et au 230 en Tunisie, ne saura que tenir l'une ou l'autre argumentation : soit que cet article est conforme à la constitution, car il est conforme à l'islam qui serait homophobe; soit qu'il est anticonstitutionnel, car l'islam n'est pas homophobe. On voit qu'au mieux, si la sagesse l'emporte chez les juges, on aura perdu du temps pour rien, que les homophobes (qui ne sont pas qu'islamistes, rappelons-le) mettent à profit pour brimer le plus possible d'innocents gays ou juste bi. Pourquoi perdre du temps? Pourquoi ne pas se soucier du calvaire de ces innocents dont le nombre n'a jamais été aussi important que depuis la mauvaise médiatisation de la question homosensuelle. C'est, au demeurant, terme que je propose de retenir pour éviter la connotation sexuelle, ce type de sexe n'étant justement pas que du sexe, mais plutôt et en premier de nobles sentiments d'amour, une sensualité
Q. 3 : Dans ce contexte, pensez-vous que le débat sur le droit de disposer de son corps à travers l'expression artistique s'est démocratisé dans notre région ?
R. 3 : Si par démocratisation, on entend la diffraction de cette question sensible dans la société au niveau de la surface et des médias, je dirais oui. Mais en ajoutant tout de suite que c'est une mauvaise démocratisation, étant basée sur le malentendu que je dénonce. En effet, comme on a une fausse conception de la démocratie (daimoncratie pour moi), la vraie démocratie est ce que je nomme démoarchie, la puissance sociétale. Or, celle-ci, y compris au sujet de l'homosensualité, existe, mais à bas bruit dans les sociétés maghrébines. D'où l'usage de la mauvaise médiatisation pour retarder la prise de conscience du plus grand nombre du droit au sexe et à un corps libre à travers l'expression artistique, mais aussi dans la vie privée. Les mentalités évoluent à ce niveau, mais continuent à coincer contre ce bouchon de la religion qui interdirait de sauter le pas. Il ne faut donc pas jouer le jeu des intégristes, dont les plus honnêtes seraient prêt à accepter la vérité historique — si elle leur est rappelée — que c'est violer l'islam que de croire qu'il interdit ce qu'ils ne font que s'interdire contre l'islam.
Q. 4 : Par ailleurs et en dehors de cette polémique, pensez-vous que l'expression corporelle à travers l'art est une bonne façon de donner une visibilité aux LGBT et d'interpeller sur leurs conditions de vie au sein de nos sociétés ?
R. 4 : Ainsi que je l'ai dit dans le préambule, l'expression corporelle à travers l'art est présentement la meilleure et la plus rapide manière de sortir de la confusion des valeurs dans laquelle nous vivons et qui est entretenue par ceux qui agissent dans l'ombre, homophobes ou juste des profiteurs de la cause. Cela permet de donner une visibilité non seulement aux LGBT en tant que tels, mais à l'humain, homme et femme, dont la valeur a été élevée par une foi se voulant universelle. Ce n'est pas parce que leurs conditions de vie sont minables et se prétendent conformes à cette foi caricaturée que c'est vrai. Comme l'art use moins de paroles que d'images et que nous sommes dans l'ère des images et du zéroïsme du sens des mots et des choses (comme dirait Foucault, à la pensée duquel il est utile de renvoyer ici), cela permet d'interpeller l'inconscient collectif et l'imaginaire populaire, y rappeler la vérité incontournable pour sortir de l'impasse actuelle : à savoir que l'islam en tant qu'art et culture intemporels , et non seulement en tant que culte daté, est postmoderne, faisant coïncider les contraires : l'enracinement dans les traditions, jamais pudibondes, et l'ouverture aux nouveautés inhérentes à la vie humaine. C'est ce que je qualifie d'enracinement dynamique. Et c'est tout simplement le cours de l'histoire et son sens incontournable. À savoir que l'islam s'il veut être la foi d'aujourd'hui ne peut qu'être postmoderne, celui de toutes les libertés, le rapport entre le fidèle et Allah étant direct, sans nul intermédiaire, surtout pas de ces clercs qui s'érigent en déités pour interdire ou autoriser. Mais qui sont donc ces imams rabbins ou chiites? L'islam majoritaire est sunnite et d'abord et surtout soufi !
Épilogue :
Le monde est en crise, personne ne le conteste. D'aucuns prétendent à tort que cela traduit un conflit de cultures; d'autres ont cru voir dans la domination du modèle culturel et économique américain la fin de l'histoire en revisitant la pensée de Hegel. Enfin, certains esprits plus alertes et objectifs disent la nécessité pour l'humain de réinventer une nouvelle civilisation.
C'est ce que suggère Edgar Morin et je suis de son avis. Je crois même que les linéaments du Nouveau Monde en gestation sont en cours au Maghreb notamment, en Tunisie surtout ce petit Maroc où les événements actuels du Rif participent de cette bascule en une modernité autre, une modernité réinventée ou postmodernité.
Si on lit le livre du Marocain soufi, père d'Ihsane Jarfi cité plus haut, tombeau offert à son fils martyr, il nous y rappelle ce qu'était par exemple le Maroc avec ces hommes dansant et se maquillant en femmes, avec ces gays admis et même honorés. Au vrai, nous sommes aujourd'hui en plain amalgame et cela a commencé durant la colonisation qui en a joué pour mater les patriotes et les défaire, en souillant leur identité culturelle. Or, cette arme est restée aux mains des autorités de l'indépendance. Ainsi voit-on la Tunisie comme le Maroc s'accrocher à certaines lois du protectorat qui sont tout sauf islamiques, même si elles se prétendent issues de la morale de l'islam, comme les textes homophobes ou encore les diverses interdictions ayant trait à l'alcool (seule l'ivresse étant prohibée en islam) ou le non observation publique du jeûne, qui n'a jamais été une prescription islamique, étant donné que c'est la piété qui doit être cachée en vrai islam, donc le jeûne, et non le contraire, la supposée impiété qui ne relève que du seul et exclusif jugement de Dieu, par ailleurs Clément et Miséricordieux.
C'est un tel amalgame, entretenu par les zélotes et encouragé parfois par le pouvoir, qui a permis d'avoir la polémique quant à un spectacle somme toute anodin à l'ouverture du festival de Carthage : al danse, torse nu, du chorégraphe tunisien Rochdi Belgasmi, qui rappelle le Marocain Lahcen Zinoun, dont les belles performances n'ont pas manqué, dans les années 1970 de commencer à choquer. Or, ce fut la réaction des autorités officielles qui a encouragé cette dérive dans les valeurs, devenue ce que l'on voit aujourd'hui de dramatique, et ce en vilipendant le danseur au lieu de l'honorer, le déclarant même persona non grata au Maroc. Et ce fut l'oeuvre d'un monarque qu'on ne pouvait taxé d'obscurantisme comme le roi Hassan II. Or, le fait qu'il maintienne lui, comme le président Bourguiba, des lois coloniales et scélérates, comme celles interdisant l'homosexualité sont la preuve éclatante qu'ils avaient l'esprit pollué par cet amalgame coupable qui n'a aucune réalité historique. De fait, ils ont agi selon leur vision par trop occidentalocentriste tout en préparant le terrain à l'intégrisme qu'il disait combattre. Or, l'intégrisme criminel d'aujourd'hui a été enfanté par la démission coupable de ces modernistes, faisant de l'islam qu'une arriération, n'y voyant que ce qui en est resté après ses temps de gloire et d'universalité.
C'est avec ce temps qu'il nous faut renouer, non pas à la manière des intégristes qui cherchent un mythique âge d'or dans la plus mauvaise part de l'islam qui a prospéré durant les temps de décadence incarnée par le salafisme qui n'est qu'un islam judéo-chrétien, mais le vrai âge d'or des temps de la splendeur de l'islam, foi culturelle et non simple culte, rationaliste et universelle, que le soufisme, seul vrai islam, a incarnée de la plus belle façon. Or, le Maghreb est une terre soufie par excellence; et c'est au Maghreb qu'il prendra sa revanche sur le salafisme. C'est l'islam de son temps, un islam postmoderne, que je propose d'orthographier ainsi i-slam. Cela suppose bien évidemment u retour aux sources véritables de notre foi : le Coran et l'unique sunna authentique, authentifiée par Boukhari et Mouslem et avec ces seules références renouveler le droit et la jurisprudence de l'islam. Surtout, rompre au plus vite avec la mainmise actuelle du wahhabisme, qui n'est même pas un rite majeur de l'islam, juste une hérésie et qui, du fait qu'il contrôle les lieux saints, impose sa fausse vision de l'islam. C'est par ici qu'il importe de commencer l'oeuvre de rénovation islamique plus que jamais nécessaire.
fo
Sud tunisien,
18 juillet 2017