Angela Merkel en Tunisie : contrer les prétentions allemandes
Le 3 mars, la chancelière allemande arrive en Tunisie quasiment sur un pied de guerre, ayant l'objectif de transformer l'essai de ce qui a été initié, mais pas finalisé, lors du récent passage à Berlin de M. Youssef Chahed : le rapatriement sans formalités des clandestins tunisiens et une solution pour le casse-tête des réfugiés.
Diktat de realpolitik
En Allemagne, le chef du gouvernement a beau opposer un non-possumus aux prétentions allemandes, Angela Merkel ne veut s'avouer vaincue et, fidèle à l'image de bulldozer politique qu'on lui accole, elle entend venir, en Tunisie même, emporter la mise avec un argument massue, irrésistible pense-t-elle.
Pour dire les choses peu diplomatiquement, il s'agit d'un quasi-marchandage avec l'aide conséquente allemande si la Tunisie n'obtempère pas aux exigences allemandes, jugées raisonnables et incontournables par la chancelière allemande qui sait jouer sur cette question son avenir politique avec la montée des périls extrémistes dans son pays.
Pour cela, en fine politicienne, Madame Merkel a estimé nécessaire de s'adresser aux plus hautes autorités tunisiennes : le président de la République et l'Assemblée des représentants du peuple. Comment alors résister avec un minimum de succès à ce que certains observateurs qualifient, sinon de fatalité, su moins de diktat qu'impose la realpolitik?
En contrant une telle logique par des arguments de la même veine qui sont de nature à faire mouche. Quels sont-ils? Les voici en une combinatoire de quatre armes majeures, une sorte de tétrapharmakos, soit ce quadruple remède selon la philosophie grecque et qui chez Épicure, est la recette du bonheur, politique ici cela s'entend.
En l'occurrence, ce serait un antidote contre le dogmatisme politicien actuel qui veut plier les pays du Sud aux exigences des pays du Nord sans tenir compte de leurs spécificités ni de leurs légitimes revendications. C'est tout simplement un appel à plus de bon sens et d'éthique en politique pour une plus grande solidarité dans les rapports internationaux. Après tout, c'est l'Europe qui est la cause du drame libyen; comment en arriver à en faire endosser les retombées sur la Tunisie qui en a déjà assez souffert ?
Tétrapharmakos diplomatique
- · La sécurité de la Tunisie est essentielle pour tout le bassin méditerranéen et elle impose le refus du moindre camp de réfugiés sur son sol. Le pays a déjà fait son devoir, et bien plus, en matière de solidarité et ce au prix de sa sécurité fragilisée. Aussi, abriter de nouveaux camps en Tunisie, c'est y encourager l'installation de terroristes qui ne seront plus retranchés dans les montagnes. C'est que de tels camps ne manqueront pas de devenir un terreau pour la délinquance; sinon, pourquoi un État de droit comme l'Allemagne ne les installerait-il pas sur son territoire au lieu de les refouler vers un pays encore fragile comme l'est aujourd'hui la Tunisie ? Certes, il y a l'argument de la nationalité, mais il est fallacieux en un monde globalisé.
- · La clandestinité est un pur artefact que crée la fermeture des frontières. Il suffit que celles-ci soient ouvertes et on n'aura plus de clandestins ! Or, nombre de délinquants primaires versent fatalement dans le terrorisme du fait de la condition qui leur est faite en termes de droits et de libertés de mouvement, la libre circulation humaine étant un des droits de l'Homme les plus primordiaux.
- · La pratique du visa actuel est obsolète et elle n'est pas une fatalité, d'autant plus qu'elle est contraire au droit international avec le prélèvement des empreintes digitales sans contrepartie. Car c'est une question de souveraineté et de dignité. Pourtant, une parade sérieuse existe et consiste en la transformation du visa actuel en visa de circulation délivrable gratuitement et d'office à tout ressortissant tunisien qui le demande pour une période minimale d'un an durant laquelle il circulera librement en toute légalité et en parfaite sécurité. Cela permettra, sans nul doute, d'éliminer la tentation devenue irrésistible d'entrer en clandestinité avec les affres qui y sont liées.
- · Les intérêts en termes de sécurité et de développement sont communs aux rives nord et sud de la Méditerranée. Aussi, si l'expérience démocratique tunisienne échoue, elle aura de néfastes répercussions sur l'Europe elle-même qui ne saurait se fier à une illusoire sécurité derrière ses frontières fermées. Or, la transition démocratique en Tunisie ne réussira pas dans les conditions actuelles injustes des rapports tuniso-européens. Son succès impose leur sérieuse refondation et il serait logique et sain que cela se traduise par une offre d'adhésion de la Tunisie à l'Union européenne, puisqu'elle en fait déjà partie de manière informelle et au détriment de ses intérêts.