Êtes-vous un menteur, M. Ghannouchi ?
M. Ghannouchi, on vous sait un véritable animal politique, et c'est à votre honneur, même si l'humain dans l'animal a parfois tendance à se fondre, rendant bestialité ce qui ne devait être qu'humanité. Mais cela ne vous est pas propre, pourrait-on dire à votre décharge. Car votre intelligence ne fait pas de doute, même si elle est ainsi mal exploitée.
L'art et la manière
On l'a vu lors de votre sortie remarquable et remarquée à l'occasion de la célébration de la nuit du destin. Bien conseillé, vous avez su tirer votre épingle du jeu en damant le pion à tous vos adversaires partenaires, vous affichant en costume de ville, vous le soi-disant traditionaliste, tandis que tous les supposés modernistes laïques avaient cédé au protocole éculé et trompeur du port de costume traditionnel. Du coup, vous êtes apparu bien plus moderniste que ces faux modernistes qui n'ont de la modernité que l'apparat et les faux lustres. Ce qui, à raison, n'a nulle valeur à vos yeux.
Aussi, à bon droit, d'aucuns n'ont pas hésité à saluer l'artiste. C'est ce que je ne ferais pas ici, malgré tout le talent que je vous reconnais, car j'estime trop l'art pour accepter qu'on le dévergonde. Or, je vous suis de trop près, M. Ghannouchi, pour savoir ce que vaut l'art pour vous : une arme afin d'arriver à vos fins, quitte à tromper. Pour vous, au mieux, l'art relève de la jonglerie.
De l'art par défaut
Si vous êtes aujourd'hui artiste en Tunisie, c'est par défaut, n'ayant affaire qu'à des saltimbanques pratiquant au mieux de la pantomime; et encore sans arriver à y relever de l'art de Marceau.
Non, M. Ghannouchi, l'art pour vous est trop facile, surtout que le plus illustre de vos adversaires, celui qui vous aurait tenu la dragée haute en d'autres temps, est diminué par la maladie, n'étant plus en mesure de suivre vos tours de passe-passe; car vous êtes au mieux un illusionniste. C'est ce qui convient à vos soutiens, vos sponsors qui n'ont d'yeux qu'à leurs intérêts et non à l'éthique du combat en cours en Tunisie.
En d'autres temps, ceux de la politique à l'antique, vous auriez été cet artiste que vous vous gaussez secrètement d'être, alliant admirablement la force apparente du lion et la ruse la plus machiavélique du renard. Or, en notre temps postmoderne, vous n'êtes qu'un chat qui se prend pour un lion.
La politique à l'antique
C'est que les temps ont changé et le monde n'est plus à la politique de papy que vous incarnez à merveille consistant à jouer à la fois au lion et au renard. La postmodernité est à une poléthique où nul chef ou prétendu tel n'a la cote auprès du peuple s'il n'a pas du charisme, s'il ne sait pas fusionner avec lui dans ses idées comme dans sa vie de tous les jours.
Or, êtes-vous ce chef, M. Ghannouchi ? Manifestement, non, car vous n'osez même pas sortir seul dans la rue; la foule vous fait peur ! Pourtant, nous sommes dans l'âge de ces foules que vous redoutez pour votre sécurité. Et savez-vous ce que vous disent ces foules de nos compatriotes, M. le cheikh? Elles vous disent que vous êtes un fieffé menteur !
Ce n'est pas de moi, ce jugement; je ne me le permettrais pas, ayant trop de respect pour vous. C'est ce que j'entends dans la rue et de la part des Tunisiens de nos villes et nos campagnes que je fréquente régulièrement.
Plus de mensonges en politique !
Bien pis, dans la Tunisie profonde, on tient sur vous des propos que je ne reproduirais pas ici, car elles font de vous, cruellement et de la manière la plus crue, le personnage machiavélique que vos incarnez en politique. Or, Machiavel ne relève pas de l'art politique en islam.
Soyez donc à l'écoute des foules tunisiennes qui attendent de vous le juste de voix et de voie qui manque à la Tunisie, incarnant l'islam dans ce qu'il a de meilleur : la parole de justesse.
Celle-ci, aujourd'hui, plus que jamais, commande de dire le vrai et de tenir parole.
Or, que n'avez- vous pas dit sans tenir parole ! Je ne citerai ici que cette cause si symbolique qui heurte le conformisme de la classe politique sans scandaliser le peuple, ou alors une minorité embrigadée, dressée à faire écho aux plus déconnectés du peuple parmi les politiciens. J'ai nommé l'abolition de l'homophobie en Tunisie, représentée par le honteux article 230 du Code pénal. (1)
L'article 230 : survivance du colonialisme et violation de l'islam
Vous avez déclaré à des médias étrangers (2) n'être pas opposé à l'abolition d'une telle survivance du colonialisme (3) puisque cet article n'est que la manifestation de la tradition judéo-chrétienne de la législation du protectorat en Tunisie (4) Des livres en vente libre en Tunisie ont prouvé d'ailleurs que l'islam n'était nullement homophobe. (5)
Alors, qu'attendez-vous pour agir en commençant par cette question fort symbolique, démontrant ainsi tenir parole et ne pas laisser l'occasion à vos ennemis, et ils sont nombreux, pour dire de vous n'être qu'un menteur !
Et rappelez-vous, j'ai été le premier, dès votre arrivée au pouvoir, à vous adresser des lettres, ici (6) par exemple et encore ici (7), où je vous conseillais la parole de vérité dont, justement, l'abolition de ce texte, entre autres lois scélérates, de la dictature.
Alors, pour rester dans l'histoire comme le politicien le plus en vue de la Tunisie après Bourguiba, (8) osez vous débarrasser de l'étiquette de manipulateur en démontrant n'être pas un menteur. La politique étant un art bien plus sérieux pour supposer et accepter le mensonge, nous attendons, M. Ghannouchi, que vous demandiez à vos députés de présenter à l'Assemblée des représentants du peuple le projet de loi tendant à abolir l'article 230 du Code pénal.
Ce projet leur a été communiqué ainsi qu'aux autorités du pays et il a été publié ici. (9)
Alors, êtes-vous un menteur, M. Ghannouchi ? Vous savez ce qu'il faut faire pour démontrer ne pas l'être !
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Publié sur Al Huffington Post