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I-SLAM : ISLAM POSTMODERNE








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jeudi 25 juin 2015

Érosensualité arabe 9

Homosensualités maghrébines, érosensualité arabe : Douce sociologie de la libido tunisienne



Il s’agit de présenter une recherche se voulant, en quelque sorte, pleine d'esprit, au sens simmelien, et qui fera l’objet d’un ouvrage à publier intitulé : Érosensualité arabe. Sociologie de la libido maghrébine, Tunisie en exemple. 
Centrée sur l’homosensualité (mon terme pour l’hmosexualité), l’homoérotisme et la sensualité au Maghreb, elle fait de l’érosensualité, prise comme métaphore, un idéal-type pour éclairer un réel rétif aux analyses classiques, mettre en exergue l’idée-force qui structure un moment vécu par l’individu, le groupe et la société, se résolvant en un instant éternel.
Pensée passionnée, complexe et logique contradictorielle en sont le terreau pour un terrain voulu arable, rendant mieux compte du sexe en terre arabe, sexe qui n’est que sens en sa polysémie même, l’homosexualité en étant l’illustration paroxystique, n’étant qu’homosensualité et érosensualité.  

Sexualité, sensualité 

Le rapport arabe au sexe est, en effet, une effervescence conviviale où la sensualité se fait polysensorialité manifestant une attitude en apparence apophantique, mais qui n’est pas moins « apophatique », s’exprimant ¬— pour citer notre maître à tous — « par évitement, par comparaison, par images émotionnelles, car jamais on n’arrivera à dire, avec précision, les insondables qualités qui sont les siennes ». 
Se réclamant de la raison sensible dont il s’agit ici de refaire l’éloge, cherchant la monstration la plus fidèle du ressenti im-perceptible dans nos rues grouillantes, en effervescence quotidienne, c’est d’une aperception tout en gestuelle éruptive qu’il s’agit, aussi bien dans les mouvements que dans les sons, bien plus vocalisée qu’elle n’est gestualité, et qui est le tempo de rapports humains arabes symphoniques, soumis à une continue houle émotionnelle. 
Cette sociologie radicale, relativiste, douce aussi comme on le dit d’une médecine, caressante même, se veut enchâssée dans une pensée magnétique, mettant au jour ce qui fait centralité dans les cryptes psychosociologiques de mœurs sensuelles. Bien évidemment, sociologie effervescente, elle renvoie à la sociologie de la bacchanale d’un certain islam populaire soufi où feria dionysiaque enracine un sentiment pluraliste et frondeur de valeurs et de passions. Celles-ci sont cause et effet d’une fusion sensuelle pouvant être sexuelle, sous-textuelle plutôt que contextuelle, et encore moins textuelle, en l’absence de contrariété visuelle inquisitoriale, dans l’esprit d’un temps festif, ludique et hédoniste, orgiaque même au sens étymologique.
La recherche suggère surtout de clore la parenthèse du finalisme sociologique en matière d’études sur les sexualités au Maghreb et dans le monde arabe. Elle rompt avec les catégories mentales de la culture occidentale se fondant sur des distinctions extrêmement précises du présent et du passé, de celui-ci et du futur, de la causalité de l'avant et de l'après, de la séparation du moi et du non-moi, de l'intérieur et de l'extérieur, du sujet et de l'objet. 
Car notre culture arabe islamique, identique en cela à d'autres cultures orientales, n'a pas établi de telles catégorisations ni ne les a assumées avec leur netteté occidentale. Ma conviction est qu’il est en cours dans tout le Maghreb, et en Tunisie encore plus qu’ailleurs, un processus en maturation d'une innovation épistémologique à la manière de la découverte de la perspective venant bouleverser l'ordre pictural établi, régénérant des systèmes en décadence étroitement imbriqués. On sait déjà que l'in-sens peut faire sens, se résolvant en pluralité de sens (in-sens = des-sens). Mais le terme sens lui-même se diffracte en une plurisensuaité jubilatoire où le sens, l’émoi, est roi, quasi-clandestin. Ainsi, dans nos rues peut-on distinguer une dialogie sensuelle sous l’apparence de la polyphonie verbale; car lorsque le sens dans le discours est muet à force d'interdits, les sens sont diserts.

Duvignaudie 

Je situe ma recherche  dans ce que je qualifie Duvignaudie (un peu à la manière de Duvignaud célébrant, avec Bastidiana, l'oeuvre éminente de Bastide au Brésil. Jean Duvignaud a effectivement illustré à merveille, pour la Tunisie, que l'archétype permet de comprendre les stéréotypes en saisissant les relations secrètes de la société tunisienne en mutation, ouvrant ainsi l’accès au sociétal cryptique, distinguant l'entrecroisement des fils minuscules du tissu social. Ainsi devient évidence l’interaction entre le visible et l'invisible, le construit et le donné, cette synchronicité qui met bien plus l'accent sur l'inapparent que l'apparent, ce possible placé au-dessus du réel, marquant l'incomplétude humaine tendant à l'entièreté de son être. 
Avec Duvignaud, on est merveilleusement en mesure de saisir de tels intersignes dont l'origine surréaliste ne fait pas de doute où il n'y a plus de hasard, car il est objectif, formant le sous-sol du vivre-ensemble, crypte d’un être-ensemble postmoderne. On y saisit la force invisible aux yeux non seulement du commun, mais aussi des sociologues ne donnant pas assez d'importance dans une attitude vainement positiviste à l'imaginaire qui est bien au coeur du sociétal. L’auteur des structures anthropologiques de l’imaginaire est d’ailleurs une autre source majeure de ce travail dont la méthode est une mythodologie et l’analyse, une mythanalyse mythocrique.
Notre intérêt pour l’ordinaire et l’actuel faits de presque rien qu’est le quotidien en Tunisie postrévolution met ainsi l'accent sur l'importance des éléments inaudibles, terreau invisible d’un évanescent se révélant structurel, d'une précision évasive, au coeur des rues  de nos villes (je salue ici, en passant, la géniale idée de consacrer le prochain numéro des Cahiers  de l’imaginaires à la rue) lesquelles, comme le corps humain, ont un pouvoir évocateur quand on sait aller au creux des apparences trompeuses, privilégiant la connaissance ordinaire et la scrutation des gens de peu.
Or, un tel repérage des petites choses du quotidien donnant du sens à la vie met en avance cette notion que je propose d'érosensualité, incarnation de l'homo eroticus des communions émotionnelles postmodernes. C'est d'autant plus évident en Tunisie que la pensée y est gesticulée, incarnée sensuellement du fait du handicap de la parole, bien évident chez nous, le Tunisien ne maîtrisant désormais ni sa langue maternelle ni comme ses aînés la langue de l'ancien protectorat. Et on sait ce que dit Saussure sur le lien entre pensée et langue; aussi la pensée est-elle sensualisée d’autant plus que tout autre langage a été perdu comme l‘a montré brillamment Duvignaud.
Cette pensée sensualisée met à nu l'âme arabe au travers de l'esprit tunisien, la révélant autrement que l’âme stéréotypée telle qu'analysée jusqu'ici,  marquée par une religiosité excessive quand on n'a affaire qu'à une spiritualité détournée de sa nature par l'encadrement juridique répressif et ses retombées morales.  

Dasein maghrébin 

Avant de revenir à Duvignaud pour dire deux mots de deux de ses conceptions structurant ce travail, je préciserais que ma réflexion se concentre sur l’être-là maghrébin, le Dasein  heideggerien me permettant de spécifier la manière d'être particulière à l'homosexuel maghrébin, spécialement en Tunisie, notre champ immédiat d'observation . Le tout, bien évidemment, tournant dans la galaxie de l’émotionnel, cette charge en tension intérieure et extérieure chez le Tunisien, le munissant d’une préadaptation quasiment intuitive à un milieu avec ses contraintes multiples, apparentes et inapparentes, cet infini sensible pressenti par Weber, même s'il ne l'a pas exploré. C’est ce qui fonde dans la crypte de l'âme arabo-berbère une manière d'être et de se réaliser souvent ignorée, tout en lui permettant de se préserver, tel un animal qui s'adapte à son milieu en veillant instinctivement à prendre garde aux prédateurs. 
Le Dasein homosexuel au Maghreb est un être particulier et paradoxal, confronté à une possibilité constante de mettre en cause toute son existence, se jouer en quelque sorte de sa vie et de sa mort en toute conscience et inconscience (in-conscience) qui n'est de la sorte qu'une conscience augmentée. Tout en étant en relation étroite avec ses semblables/ dissemblables, il est enfermé dans une solitude qui le fait chercher son unique semblable dans ces dissemblables, un dissemblable qui lui soit semblable. Il pratique alors ce que Duvignaud appelle « jeu du je »  qui lui permet d'être dans la société, au monde sans en être, cherchant sans le vouloir ou le savoir (ou sans vouloir le savoir) le sens de son être dans une quête ontologique où il n'est plus homme découvrant sa féminité ou inversement. 
C’est ce qui lui permet de se retrouver acteur et non sujet dans une société où les présupposés et les clichés sont soigneusement réglementés pour taire une anomie toujours prompte à surgir, ressurgir, faire jour à partir d'une centralité souterraine qui n'est pas tant niée que passée sous silence, l'officiel, le texte de loi en l'occurrence, tout en reniant le contexte officieux, l'approuvant en son sous-texte informel pour peu qu'il demeure justement cryptique, dans l’inofficiel.
Un impensé pense ainsi plus l'être homosexuel maghrébin que ce dernier ne pense sa propre existence ; c'est son imaginaire, les intimations subjectives inconscientes qui définissent le sens officiel de l'être (dans les différentes occurrences du terme sens) afin de le conformer à l'attitude qu'impose la loi sociale officielle tout en déconstruisant son comportement conscient. Celui-ci, quoiqu'anomique, demeure son être propre en son propre temps bien différent d'une existence, plus proche d'une ex-istence, comme quand une extase se fait instase. C’est ce que résume cette tension qui est non seulement perceptible, mais réelle, bien tangible, qu'elle soit visible ou invisible, souvent cette réalité augmentée des spiritualistes, une sorte de réal maffesolien qui rend mieux compte de la vie facticielle de l'homosexuel en société maghrébine, la vie quotidienne avec ses contingences et surtout ses finités infinies dominées par une compréhension, parfois excessive, de l'existence quotidienne, comme si, préconceptuellement, on admet que les choses soient ce qu'elles sont tout en étant persuadé qu'elle ne sont pas ce qu'elles sont ni ne doivent l'être.  
La réalité se remarque ainsi par une dispersion dans une temporalité particulière, une perte en même temps qu'une reprise de soi, en somme une finitude faite d'infinités de finités. C'est tellement soufi, la marque première d'un islam populaire qui est d'abord une spiritualité même s'il prend l'apparence factice de religiosité par ce que j'appelle parabole et/ou complexe, selon le moment, du moucharabieh. J’en dirais un mot après avoir rappelé les deux notions capitales de Duvignaud retenus pour ce travail. 

Jeu du je

J’ai dit que tout le dasein tunisien est dans ce jeu du je. C’est une des judicieuses expressions de la Duvignaudie en plus de celle du don du rien. Le jeu du je permet à l’homosexuel/homosensuel au Maghreb d'être dans la société, au monde sans en être. Un impensé pense ainsi plus l'être homosexuel maghrébin que ce dernier ne pense sa propre existence; c'est son imaginaire, des intimations subjectives inconscientes qui définissent son sens officiel de l'être (dans les différentes occurrences du terme sens) afin de le conformer à l'attitude qu'impose la loi sociale officielle tout en déconstruisant son comportement conscient. Celui-ci, quoiqu'anomique, demeure son être propre en son propre temps bien différent d'une existence, plus proche d'une ex-istence, comme quand une extase se fait instase.
Ce jeu se retrouve particulièrement dans le rapport au sexe, formellement sensualisé plutôt qu'asexué, le regard, le toucher et même le langage dessinant le je sexué qui ne peut donner sa pleine mesure qu'à l'abri des regardes de peur des rigueurs de la loi. On retrouve alors notre parabole du moucharabieh transformée ici en un complexe,  la vie véritable se passant derrière le grillage et non devant, permettant non plus de voir discrètement, mais d'être soi en toute discrétion. La puissance affective de ce complexe est ainsi déterminée par ce balcon grillagé du cadre juridique dont on ne peut plus se défaire, faire partie du cadre de vie, ayant déjà permis d'intérioriser tout un mode de vie et de pensée, une stratégie de jeu du je.  
Dviganaud ne disait-il pas que « Le jeu est une sorte de coup de force : au milieu du clair-obscur de la vie quotidienne, il lance un défi à la stagnation du monde »? C'est donc un coup de force qu'implique l'arsenal juridique répressif et qui est une sorte de coup de force permanent devenu aussi nécessaire qu'inévitable. On est dans un pays qui est de ces lieux « qu'anime l'esprit du jeu et qui s'enracinent dans un sol qui défie la durée ». 
Et le jeu est particulièrement prégnant qu’on relève une compréhension, parfois excessive, de l'existence quotidienne, comme si, préconceptuellement, on admet que les choses soient ce qu'elles sont tout en étant persuadé qu'elle ne sont pas ce qu'elles sont ni ne doivent l'être.  Duviganaud disait bien que « Le jeu est une sorte de coup de force : au milieu du clair-obscur de la vie quotidienne, il lance un défi à la stagnation du monde »? C'est donc un coup de force qu'implique l'arsenal juridique répressif et qui est une sorte de coup de force permanent devenu aussi nécessaire qu'inévitable. On est dans un pays qui est de ces lieux « qu'anime l'esprit du jeu et qui s'enracinent dans un sol qui défie la durée ». 
Dans l'analyse de tels signes, Duvignaud parle bien de « langage perdu » et y trouve du raffinement, une volupté qui est l'empreinte de tout instant de la vie emportant une promesse véritable de bonheur, même dans les manifestations miséreuses ou tragiques de la vie. Parmi ces signes, il y en a un particulièrement important, le don de soi, soi étant jugé rien. C’est le second emprunt majeur à Duvignaud dans ce travail.

Don du rien 

C'est exactement de ce langage perdu et du don de soi que relève le rapport au sexe en Tunisie en son actuel et quotidien où « les activités délirantes (...) révèlent l’excès de dynamisme ou de vitalité par lequel l’homme se distingue de la bête : le symbolisme, le jeu, la transe, le rire – et surtout le don. Le don qui, dépouillé de nos idées de négoce, est bien le ‘‘sacrifice inutile’’, le don du rien – la meilleure part de l’homme ».
Ainsi, ma remise en cause de l'imperium de la vision sexuelle de l'Occident se fait-elle à la faveur du don-sacrifice des intégristes, qu'il soit sanglant ou pas. Il est en effet une forte dose de sensualité et de désir de fusion avec l'autre, semblable ou dissemblable, dans l'acte intégriste se résolvant en un acte de bacchanale rejetant la contrainte en une fête postmoderne. 
Comme pour la fête, en matière sexuelle et homosexuelle, le fond de l'acte reste intact, il rappelle que « donner, c’est perdre. Bousiller. Sans idée de retour ou de restitution. Sans image économique… Donner parce que l’on n’est rien et que l’on donne à rien, surtout pas à cette image divine qu’interpose la société entre le donneur et le vide ». 
Plus que jamais, y compris dans sa forme paroxystique terroriste, avec le don, on n’est ni dans l’amour ni dans la soumission à une quelconque catégorisation ou loi, qu’elle soit sociale ou transcendante. Bien plus que de l’investissement, du sacrifice ou de la pure et simple dilapidation, le « don fait à l’invisible », « le don inutile » relève du pari, de ce pari par lequel « les hommes mettent à l’épreuve d’un cosmos, perçu comme un foyer diversifié d’indéterminations et de virtualités, leur existence même ».
Ne le négligeons pas : il est dans l’Arabe, en chaque Tunisien en tout cas, une fibre donatrice et sa sensualité est ce don du meilleur de soi, un rejet de la masturbation intellectuelle, la prostitution asexuée de l’élite qui fait taire les convictions, voile les idées et ignore les ressorts intimes. Et c'est dans la rue qu'il sort de l’ombre de lui-même, courant enfin le risque de sortir de sa personne en plein jour, délaissant la société de la déraison pour se retrouver éventuellement mis à l’ombre de la société.
Pour finir, disons qu’on a bien raison de parler de dissidence et de marginalité en termes d'homosexualité, c'est même tout le sexe qui est dissident en terre arabe aujourd'hui. De fait, la dissidence commence sexuellement ici pour se capillariser dans le corps politique, et la marginalité est à prendre en son sens étymologique de bordure qui est le bord, l'aboutissement, cette délimitation qui donne réalité à un corps défini. 

Parabole et/ou complexe du moucharabieh 

La parabole januséenne du moucharabieh, devenant complexe est le fait de se cacher, déformation d'un trait culturel arabe consistant à ne jamais montrer, laissant plutôt deviner : on ne voit rien, mais on est vu; le but de ce jeu est moins de se cacher, que de pouvoir se mettre à son avantage, à la hauteur aussi d'autrui, cet autre Je. Or, cette parabole du jeu de je mue en complexe quand le moucharabieh n'est plus fixe, en un voile devenant obligation, religieuse qui plus est. Simmel, dans ses réflexions sur la psychologie coquetterie, a développé en la matière des aspects fort éloquents assez proches à la fois de ma parabole que de mon néologisme de l’érosensualité, notamment avec cette dialectique de l’avoir et du non-avoir.  
Par exemple, quand il écrit : « C’est l’art beaucoup plus que le plaire, lequel pénètre toujours de quelque façon dans la réalité. Ici la coquetterie est complètement passée du rôle de moyen ou de simple stade provisoire à celui de valeur finalisée : toute la valeur de jouissance qui lui était venue de ce premier rôle est désormais entièrement absorbée dans le second, le provisoire s’est dépouillé de sa dépendance par rapport à un definitivum ou simplement à l’idée de celui-ci ; et maintenant, de posséder justement le cachet du provisoire, de l’incertain, de l’hésitant, est devenu – par une contradiction logique qui est en même temps réalité psychologique – son charme définitif sans la moindre interrogation pourtant au-delà du moment présent (...) Ici se montrer enfin sous sa forme la plus pure la relation au jeu et à l’art qui constitue en tous points le propre de la coquetterie. Elle est en effet au plus haut degré ce que Kant a défini comme l’essence de l’art : « une finalité sans fin ». L’œuvre d’art n’a absolument pas de « fin », et pourtant ses parties apparaissent pleinement significatives et imbriquées, chacune nécessaire à sa propre place, comme si elles oeuvraient ensemble à une fin totalement désignable. »  
De cette parabole, je fais une thématique centrale qui n’est pas sans rejoindre, m’a-t-on dit, avec plus d'élégance (a-t-on même précisé)  la problématique du livre de Massad, Desiring Arabs que je n’ai pas lu. Je suis content d’une telle  convergence, pensant qu’une inscription plus grande dans un débat désormais ouvert le fructifiera. D’autant plus qu’en un moment où l’on se désole du retour du sacré galvaudé et d’une spiritualité défigurée, transformée en religiosité de bas de gamme, le sacré se virtualise.  Et si le sacré est virtuel en postmodernité, le sexe y est bel et bien sacré quand il se heurte à la contrainte. Aussi échappe-t-il aux catégorisations occidentales, se parant de ce voile oriental fait de tact jusqu'à l'hypocrisie qui émiette le sexe non en le catégorisant, mais en l'homéopathisant en sensualité. C’est donc la parabole du moucharabieh où il sied de simuler et de dissimuler non pas tant pour se cacher que pour mieux se découvrir en découvrant l'autre tout e se découvrant à soit, être aussi à son avantage pour plaire, être plaisant.    
En plus donc cette parabole/complexe, la centralité souterraine de cette recherche reste le néologisme d’érosensualité par lequel je finirai. 

Érosenusaité, réal des sens

Le recours à la raison sensible dans le cadre d’une connaissance ordinaire mande et commande un nouvel effort de déconstruction-construction du réel ou supposé tel, pour aller au-delà, vers ce réal ou niche le possible, supposé im-possible, cet inapparent bien tangible; la science n'est-elle pas que des choses invisibles ou cachées ? 
Le réal, néologisme de Michel Maffesoli, est au réel ce que le Dasein est à l'être ; il est un réel augmenté. Aussi, le réal des sens est érosensualité. Si, fondamentalement, il y a un sens à la vie, ce sens n'est plus ce que nous avons connu, le comprenons en plus comme tournant autour d'un mythe, celui du progrès; ce sens est ce qui est senti, ressenti, c'est le sens comme sensation; et le mythe d'aujourd'hui est moins le progrès que la régression en tant que retrait sur ce qui fait l'essence de l'être et sa durée, le sexe pris moins dans sa réalité physique mais psychologique, ontologique de besoin d'autrui plus que de désir de l'autre, un besoin en tant que prolongement et réalisation de soi.     
C'est moins d'hypocrisie sociale qu'il s'agit — on l’a déjà dit — que de labilité sociétale, ici au service du pouvoir en place. En accordant à l'interdit une place évidente, on trace comme une ligne rouge d'un dehors réservé qu'il ne faut point franchir, mais un pseudo-dehors que les autorités ont loisir de contrôler à leur guise moins pour respecter la norme supposée s'imposer que pour imposer leur magistère. Ce pseudo-dehors juridique est donc un dehors de simulacre aidant à neutraliser une réalité populaire qui échappe autrement à tout contrôle, une sorte de donnant-donnant : les autorités ferment les yeux si l'on ne revendique pas ses moeurs, les vivant en catimini. 
L'appréhension du sexe ne se peut plus réduire à son paraître comme le sens intérieur ne se réduit pas au sens commun ; un hiatus sépare ici l'être sensuel et le paraître sexuel. Le Maghreb est en état de sommeil, la tradition culturelle occidentale étant depuis quelque temps une nuit de la pensée. Il nous faut donc sortir de notre torpeur à la vie affective et effective en ébullition dans le conscient et l'inconscient populaire, quitter la représentation historiquement datée des rapports sociaux qui a beau se présenter comme rationnelle et qui ne reflète que des lieux communs, une vision dépassée. 
Il n'y a donc pas de théorisation sur le corps ni de juste théorie du corps au Maghreb, parce que le corps ne fait pas partie de l'impur, la catégorie de l'im-pur n'y existant pas à l'origine, y étant une étrangeté, une impropriété dans l'inconscient collectif. Contrairement à ce que l'on croit, si le sacré seul est conceptualisable, c'est justement parce que le corps est en quelque sorte l'antireligieux par excellence, la seule vérité au concret dans l'esprit populaire, libertaire par définition. 
Si l'on n'en parle pas, on ne le vit pas moins, l'hétérodoxie n'étant pas d'en parler, mais de le vivre en douce, sans bruit, particulièrement en Tunisie, Tunis depuis l'antiquité étant connue comme un site de la volupté débridée.  Cela n'est pas nécessairement par cachotterie ou esprit honteux, mais par sagesse, le dispositif juridique officiel empêchant son épiphanie. 
En somme, il s’agit ici de l’utopie d’un Éros fait de réciprocité par exaltation et non par effacement des singularités qualitatives, à partir du vaste champ des déterminations, et ce en envisageant les changements d’optique permettant de les déconditionner pour une phénoménologie des comportements quotidiens.  


Communication du 24 juin à la Sorbonne aux Journées du CeaQ 2015.