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samedi 31 janvier 2015

Libre Méditerranée 2

Quand l’Union européenne pratique la désinformation




On ne le sait que trop, la politique ne s’embarrasse pas de sentiments, ou alors elle verse dans ce qu’on appelle bons sentiments qui ne sont que ce vernis appliqué sur ce qui est trop honteux ou laid, une façon de faire passer la pilule.

C’est ce que fait actuellement l’Union européenne dans le cadre d’une activité diplomatique soutenue auprès des dirigeants maghrébins afin de faire avancer ses pions tendant à servir ses seuls intérêts, et ce au détriment même des légitimes aspirations des populations du Maghreb.

Pourtant, de telles aspirations, quant au fond, ne sont en rien différentes des intérêts des populations européennes au nom desquelles la diplomatie de l’U. E. agit honteusement en violant ses propres valeurs éthiques.

Démission et culpabilité de nos élites

Le plus honteux est qu’en face, nos propres diplomates se laissent aller à adhérer sans réserve à la logique européenne au nom d’un fallacieux principe de réalité qui n’est qu’un alignement aberrant sur le dogmatisme d’un Occident en crise sinon en déclin.

Aussi accepte-t-on les lubies d’Europe quand elle fait feu de tout bois dans une tentative désespérée pour sauvegarder son prestige d’antan, s’accrochant à une domination perdue par le biais de notions et concepts vidés de tout sens. Ceux-ci n’ont plus, en effet, la pertinence passée, et leurs conséquences se retournent contre les visées premières qui ont été à la base de leur apparition.

C’est ce que nous voyons chez la plupart de nos élites, celles du moins qui ne versent pas — bien raisonnablement, d’ailleurs — dans l’extrémisme de qui est encore plus coupable, rejetant non seulement la pratique odieuse de l’Occident, mais aussi tout l’Occident, comme on jetterait le bébé avec l’eau du bain.

En effet, que l’on soit bien clair dès le départ ! Critiquer l’Occident n’est pas de notre part le rejeter, car il est le seul horizon valable et viable pour les Maghrébins dont l’enracinement ne fait aucun doute en une sphère méditerranéenne qui n’a aucun sens sans le voisin européen.

Liens structurels entre Europe et Maghreb

C’est au nom de tels liens structurels entre le Maghreb et l’Europe que l’on refuse justement de l’Europe sa politique aveugle, non point en versant dans l’aberration de ceux qui veulent couper la Tunisie ou le Maghreb de leur prolongement européen, ce qui reviendrait aujourd’hui tout simplement à les  tuer.

La Tunisie et tout le Maghreb font davantage partie de l’Europe que de l’Afrique; cela est un fait déjà relevé par les plus prestigieux des penseurs, européens y compris, comme Hegel. D’ailleurs, l’Europe est déjà au Maghreb économiquement, politiquement et culturellement, mais aussi géographiquement par le biais de ses présides au Maroc.

Une telle réalité ne peut plus être occultée et elle suppose, le plus logiquement du monde, le raffermissement des liens entre l’Union européenne et le Maroc et la Tunisie pour le moins. Je suis même allé jusqu’à suggérer leur adhésion à l’Europe.[1]

Toutefois, rappeler et clamer le nécessaire partenariat, sinon donc l’unité entre l’Europe et le Maghreb, ne peut ni ne doit se faire à n’importe quelles conditions.

Ce n’est pas parce que l’Europe développe un dogmatisme qui n’est en rien différent de celui que nous refusons chez nos intégristes qu’on se doit de ne pas s’autoriser à critiquer ses choix actuels contestables sur nombre de dossiers. Surtout quand ils sont les plus aberrants, étant devenus criminogènes à force d’autisme aux réalités.

Un partenariat européen de l’immobilité

C’est le cas, par exemple, du supposé partenariat de la mobilité qui n’est qu’un diktat de l’immobilité.[2] Le comble de l’aberration est que l’Union européenne déploie actuellement un lobbying qui n’est fait que d’une pure désinformation honteuse.

Elle fait ainsi dire à la presse et sur les réseaux sociaux que, dans le cadre des négociations actuelles avec le Maroc, elle propose la levée du visa, rien de moins ! Or, celles-ci n’ont pour but que d’amener à signer un accord de réadmission de ce qu’on s’entête à qualifier d’immigrés illégaux, un accord qui ne fait que consolider la situation actuelle, voire l’aggraver.    

Car tout en parlant d’une illusoire levée de visa, l’Europe ne propose qu’un hypothétique allègement ne concernant que certaines catégories selon des critères encore indéfinis, mais nécessairement par trop restrictifs.

Au vrai, l’Union européenne ne cherche qu’à faire passer — en force s’il le faut — le principal objet de l’accord qui est une réadmission sauvage de ceux qu’elle appelle illégaux, qu’ils soient des nationaux des pays concernés par l’accord ou même des étrangers ayant juste transité par eux pour regagner l’Europe.

Ainsi, l’Europe ne fait qu’exporter au Maghreb ses problèmes comme s’ils n’en ont pas déjà assez !

La libre réadmission impose une libre admission

Un tel accord est aussi proposé à la Tunisie qui, malgré tout ce qu’on a dit et fait, s’est empressée de plier aux desiderata européens en commençant par en signer un  protocole faisant partie de l’accord qu’elle s’apprête à signer. Il faut l’en empêcher, car l’accord est honteux !

Il est même odieux, car on ne peut légitimement parler de réadmission et de facilités dans la réadmission que s’il y a auparavant une admission sans entraves. Toute facilité en termes de réadmission ou même la moindre automaticité de celle-ci — ainsi que l’emporte le projet d’accord — doit impérativement être le strict pendant d’une admission préalable.

C’est ce qui n’existe pas actuellement avec le visa biométrique qui crée plus d’empêchements à l’admission en Europe qu’il ne la facilite. Pourtant, on l’a suffisamment démontré au point de réclamer désormais en Europe même l’ouverture des frontières,[3] s’il y a des illégaux, c’est du fait de la politique restrictive en matière de visa.

Il me souvient que dans les années 1990, du temps où j’étais encore au service diplomatique, j’avais taillé en pièces des tentatives similaires françaises en répondant à un projet d’accord de réadmission proposé à la Tunisie par un contre-projet. Celui-ci posait pour principe le lien entre la réadmission et l’admission, affirmant que la réadmission sans formalités ne pouvait être envisagée que dans un système de circulation libre où l’admission se fait sans visa.

À l’époque, cela fit capoter le projet, la France s’étant vue confrontée à une logique imparable, ne pouvant en nier la pertinence. Aussi en tint-elle compte, se contentant de remplacer l’accord en bonne et due forme par de simples ententes et des relevés de conclusions de négociations sans grande valeur juridique.

Malheureusement, après mon éviction injuste de la diplomatie, la Tunisie a vite fait de plier de nouveau aux conditions léonines de la France, en arrivant à signer un accord ultérieur de réadmission qui demeura, bien évidemment, lettre morte quant aux promesses de quotas de visas et de titres de séjours en faveur des Tunisiens — présentées comme généreuses — de la partie française.[4]

Une politique migratoire criminogène
    
Aujourd’hui, on a affaire à une sorte de répétition de l’histoire de la part des autorités européennes prêtes à tout, y compris à la désinformation, pour imposer son accord de la honte. 

Aussi, notre diplomatie doit-elle faire montre d’intelligence et de perspicacité en ne sacrifiant pas les intérêts de nos ressortissants à la politique politicienne et aux intérêts de la seule Europe devenue frileuse au point de ne plus distinguer son propre intérêt.

Notre diplomatie doit procéder de la même manière que celle qui se révéla déjà payante, et ce en répondant par un contre-projet sur un véritable partenariat de mobilité et non d’immobilité. Ce qui suppose donc de commencer par assurer la libre admission pour envisager une automatique libre réadmission.

Or, la libre admission sans la moindre violation de la sécurité obligatoire en un temps de hauts risques est tout à fait possible. Cela se fera grâce à l’outil que je propose : le visa biométrique de circulation.[5]

Cet outil est respectueux des droits de l’Homme, dont le premier est bien évidemment le droit de circuler librement sans entraves ; d’ailleurs, l’accord euroméditerranéen entre la Tunisie et l’Europe impose le respect des droits de l’Homme !

Et tout naturellement, il est parfaitement respectueux des réquisits sécuritaires qui fondent la philosophie du visa actuel devenu criminogène tout en étant illégal au vu du droit international; [6] et un tel aspect néfaste engage la responsabilité des dirigeants européens.[7]

Un nécessaire réveil de la conscience


Aussi, si nos diplomates ne contrent pas les Européens dans leur politique actuelle de gribouille — qui rappelle trop le héros biblique Samson — ils en seront les complices objectifs.

Leur devoir tant politique qu’éthique est de refuser au plus tôt de continuer à coopérer à une telle politique grosse des pires drames, tout en étant en plus immorale et injuste.

Une prise de conscience sur la gravité de ce qu’on est en train de faire est d’autant plus impérative de part et d’autre que nous sommes à un moment critique où la menace intégriste et l’avancée de Daech au Maghreb imposent une réaction commune salutaire qui ne peut être utile qu’en étant solidaire, sans la moindre arrière-pensée.[8]

Elle implique ainsi la plus impérative des obligations d’éliminer incontinent l’une des causes de ce terrorisme. Celle-ci est la stigmatisation continue des jeunes maghrébins qui commence par reconnaître leur droit imprescriptible à circuler librement.[9]

En effet, priver les jeunes du Maghreb de ce droit, c’est les pousser à rejoindre les aventuriers de tout poil, les contrebandiers des boat people en Méditerranée, pour le mieux, ou de plus en plus les terroristes du Levant.[10]

NOTES :