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mercredi 13 août 2014

Éternelle Tunisie 7

13 août 2014 ou la Tunisie début de siècle fait femme




Dans Vienne fin de siècle, C. Schorske donne une foultitude d'exemples éclairants sur  ce que fut ce laboratoire de l'époque naissante de la postmodernité. Dans l'ambivalence des choses et des êtres, l'appel de la vie résonne aussi comme un appel de la mort et à la mort. 

La Tunisie en ce début de siècle est semblable à cette Vienne-là où se met en scène un mélange d'instinct et de cruauté, d'esprit et de matière, de souffrance et de volupté, d'amour et de haine, bref de désirs humains, trop humains à en devenir inhumains.

La vie y est poésie aussi, la religiosité devenant dionysiaque parfois, orgiaque souvent; et on sait la sauvagerie qu'emporte l'orgie, cette marque de l'humaine nature pétrie de parts à la fois angéliques et diaboliques.

La femme garante du respect de l'altérité

Or, en Tunisie, la moitié de la population est femme et sa majorité est jeune; ce sont là deux forces qui ne sommeillent plus et qui agissent déjà dans les profondeurs de la conscience tunisienne, prêts à tout moment à surgir à sa surface comme un volcan en éruption emportant les vieilleries d'un temps fini.  

La Tunisie en ce début de siècle est face à son destin; elle est à la croisée de chemins qu'on pourrait résumer être ceux de la société et de la communauté, la première censée être la condition de la pluralité du vivre-ensemble et la seconde de son unicité. 

Rappelons ici que l'éminent sociologue Ferdinand Tönnies opposait la communauté, fondée sur des liens organiques, affectifs et spirituels, à la société de la civilisation urbaine et industrielle basée sur des contrats rationnels et des lois écrites, et qui lui paraissait être une forme de décadence. On retrouve d'ailleurs cette même opposition chez Spengler étendue à la culture et à la civilisation.

Qu'est-ce à dire sinon que le sûr est que la communauté tunisienne, assez homogène, peut tenir des deux notions en se découvrant «communautarité», mon néologisme qui y intègre la dimension nécessaire de l'altérité, et ce pour peu que la conception de la religion y soit spirituelle, bien plus culturelle que cultuelle. 

Or, une telle conception est perceptible dans la pratique populaire de la religion et le meilleur garant pour qu'elle se développe et triomphe des tendances intégristes de la religion nous tirant vers l'obscurantisme du passé est la femme tunisienne. Émancipée, libre et tenant à le demeurer, la Tunisienne constitue véritablement le seul parti du peuple, celui qui est en mesure réellement de contrarier les dérives intégristes des uns sans céder au dogmatisme profane des autres. 

La Tunisie est faite femme

En cet 13 août 2014, la Tunisie est faite femme, non pas tant la femme telle que voulue de Bourguiba, réduite à n'être qu'un faire-valoir d'un État autoritaire, nullement démocratique, mais bien plutôt le meilleur argument pour un État démocratique assumant son authenticité, enraciné dans la tradition, mais la fécondant au dynamisme de l'altérité nécessaire, un enracinement dynamique.

C'est la femme qui jouera en Tunisie le rôle que n'a pu ni ne pourra jouer la bourgeoisie, moteur du développement nécessaire pour sortir du sous-développement qui est d'abord mental.

Rappelons, à ce propos, ce que disait Franz Fanon dans Les Damnés de la terre : «La phase bourgeoise dans l'histoire des pays sous-développés est une phase inutile. Quand cette caste bourgeoise se sera anéantie, on s'apercevra qu'il ne s'est rien passé depuis l'indépendance, et qu'il faut repartir à zéro.»

Eh bien, on y est ! Le seuil zéro de la politique est aujourd'hui représenté par une bourgeoisie religieuse qui entend contrecarrer les insuffisances de la bourgeoisie laïque par un semblant de spiritualité qui n'est qu'une illusoire plus-value pour une ambition vorace pour gouverner et commander aux esprits, équivalent à celle de la bourgeoisie issue de l'indépendance du pays, et même pire. 

Le sous-développement est mental

En ce début de siècle, il n'est plus possible de continuer à se méprendre sur le sens du développement, mélangeant ce qui relève de l'ordre du quantifiable et ce qui est intrinsèquement non quantifiable.

On ne peut plus, au prétexte que l'Occident est économiquement développé, soutenir qu'il le serait ipso facto culturellement; car il peut être économiquement développé et mentalement sous-développé; on le voit quand il se laisse aller à violer les mêmes valeurs dont il se réclame pour de bas calculs politiques et économiques machiavéliques. 

Pareillement, les pays dits sous-développés le sont assurément sur le plan économique, mais cela ne veut pas dire qu'ils le seraient immanquablement sur le plan mental. On peut de la sorte avoir un pays sous-développé économiquement dont le peuple — mais pas nécessairement les gouvernants — est développé mentalement. Cette subtilité est à prendre en compte pour espérer réussir à vivre notre postmodernité où les catégories antiques de pensée désormais saturées n'ont plus cours. 

Nous avons en Tunisie un peuple développé, au sens aigu du juste avec assez de capacité de dérision pour ne pas se prendre trop au sérieux ni prendre au sérieux non plus les faux apôtres de la modernité. Ceux-ci oublient le vrai sens de la politique — une «poléthique» — et singent un Occident encore développé économiquement, certes, mais présentant de plus en plus les signes d'un sous-développement mental. Il vient d'ailleurs de le démontrer de la plus sauvage manière à Gaza.

C'est que l'excès de matérialité en Occident a tué tout sens du juste dont n'est capable que l'être doué d'un minimum de spiritualité. Or, notre terre ardente, soufis dans son tréfonds, en déborde. 

Et la femme reste la matrice des sentiments nobles en l'homme, elle est source et la garantie de la vie; et elle possède un statut enviable en Tunisie. Aussi, l'avenir de la Tunisie ne peut qu'être fait femme, tout ce siècle étant fait femme.               


Publié sur Leaders