De l'hypocrisie en politique
Les tragiques événements de Gaza jettent une lumière crue sur l'hypocrisie de la classe politique toutes nationalités confondues. Ainsi, pour nos politiques et ceux des pays arabes et amis, on ne s'embarrasse pas, publiquement, de dénoncer l'aveuglement israélien qui est, pour le mieux, comme le fou luttant avec un bazooka contre la mouche attirée par ce qui a pourri en lui.
Dans le même temps, en catimini, on développe un tout autre discours qui ne dépasse pas les cercles intimes : soit que l'on se réjouit pour les coups portés aux radicaux palestiniens, soit que l'on ne déplore pas ces coups pour leur caractère excessif et illégal, mais bien pour l'affaiblissement qu'ils entraînent à ceux qu'ils se gardent bien de relever les excès qui les font, tout aussi que les Israéliens, verser dans l'innommable : un terrorisme qui est soit sauvage, pour les uns, soit codifié, d'État, pour les autres.
L'ignominie en Palestine est partagée
Nous avons pourtant connu un tel état sur le plan interne au lendemain du coup du peuple tunisien quand le parti islamiste majoritaire a joué avec le feu salafi, encourageant indirectement pour le moins les menées terroristes dont souffre encore le pays. Or, le courage, aujourd'hui, comme de toujours, est de dire les choses comme elles sont, sans mensonge éhonté, car les peuples ne se satisfont plus de demi-vérités.
Dans le drame de Palestine, les responsabilités sont partagées et il ne sert à rien de débiter une part de vérité, car c'est violer l'autre part, le tout faisant la seule et unique vérité qui est l'injustice faite à un peuple condamné à vivre dans des camps bien que son droit est internationalement établi.
Justement, ce sont les Arabes, qui ne sont en rien concernés par le problème palestinien, sinon en second plan, qui en tout fait, au nom d'intérêts politiciens, de faire en sorte que ce droit soit occulté. Et ils continuent d'instrumenter la cause palestinienne toujours aux fins de politique intérieure. Ainsi a-t-on vu les manifestants dans les rues de Tunis hier appeler au droit alors que les organisateurs de la manifestation sont encore incapables d'ériger l'État de droit en Tunisie.
En Palestine, l'ignominie est partagée : elle est, bien évidemment, de la part de cet État voyou qui fait de sa force une folie au nom d'un droit international bafoué. On oublie ou fait semblant d'oublier qu'il n'est aucune légitimité pour l'État d'Israël s'il ne reconnaît dans le même temps la pleine souveraineté de l'État frère palestinien, son jumeau monozygote, et ce dans l'entièreté de sa souveraineté.
Toutefois, Israël a beau jeu de tirer profit, dans sa folle politique meurtrière, de l'impéritie arabe qui refuse la reconnaissance de son État tout en en faisant du même coup celle de l'État palestinien pleinement souverain. Ainsi, tout se passe (ou on fait tout pour que cela soit ainsi) comme si ce sont bien les excès arabes qui nourrissent ceux d'Israël qui est bien aise de faire oublier l'injustice première pour focaliser l'attention sur celle, adventice, des Palestiniens.
Car si ceux-ci pratiquent le terrorisme, qui n'est que l'usage de la terreur, pour une cause juste, ils la galvaudent en s'attaquant à un État supposé de droit, en usant d'une terreur apparaissant sauvage et illégitime. Ainsi donnent-ils le prétexte à Israël de défendre son État internationalement reconnu, mais nié par les Palestiniens, réussissant dans le même temps et par une l'entourloupe du juridisme confortée par les apparences d'avoir le droit international de son côté.
Pour sortir de pareille ignominie partagée, les Arabes doivent d'abord cesser leur politique d'ingérence dans les affaires palestiniennes. Ensuite, les Palestiniens ont intérêt à cesser de faire la politique insensée qui est la leur consistant à violer le droit qu'ils entendent faire respecter par Israël. Il faut arrêter de faire la politique de l'hypocrisie.
Nécessité d'une politique compréhensive
Certes, ce n'est pas la tradition antique d'une certaine politique; amis il en est une bien meilleure, celle de la noble politique qui n'obéit qu'à la nécessité d'être vrai dans sa parole et juste dans son action. ll est temps que nos politiciens apprennent à être justes de voix et de voie. En pratiquant une politique de leur temps, cette postmodernité qui est l'âge de foules exigeantes de respect pour sa puissance; et ce respect est d'abord l'abandon de la moindre langue de bois.
J'ai déjà qualifié une telle pratique de « poléthique » où la politique est compréhensive comme on dit aujourd'hui de la sociologie. La Conscience doit être réhabilitée et placée au centre d'une action dont le moteur est d'être en congruence avec la rue et la psychologie des profondeurs des masses. C'est ce qu'on qualifie politiquement de charisme et qui n'est que la congruence avec les exigences et les attentes populaires du moment que l'on ne se pose pas en leur seigneur (vite devenu saigneur) mais en leur serviteur, ce qui est le propre sens du politique.
Le politicien qu'il nous faut est celui qui saura, par la médiation de la sagesse populaire, être compréhensif ce qui lui permettra d'atteindre à cet arrière-plan de la politique véritablement représentative, car en prise directe avec le fonds symbolique ayant valeur d'inconscient collectif de tout individu dans la communauté nationale.
Un tel inconscient est aujourd'hui incontournable étant à la base de nos actions les plus conscientes; c'est ce qu'on appelle imaginaire et qui n'est que l'imagination préalable et fugace de nos actes dont la saisine permettra d'anticiper en politique pour le meilleur de cette politique. Or, l'imaginaire arabe est fait tout à la fois d'une soif inextinguible de liberté débridée, quitte à être libertaire et d'une de dignité souvent synonyme d'authenticité. Or, seule la connaissance de cet imaginaire permet de distinguer que la tradition ne se réduit pas à la religiosité, mais qu'elle est spiritualité, ouverte donc sur l'altérité et sur l'impondérable; ce que je qualifie d'enracinement dynamique.
Il s'agit là d'un inconscient originaire qui est la face cachée de la conscience, et l'acte politique éminent vraiment utile de nos jours est de dissocier la conscience de cet inconscient pour lui donner toute son autonomie dans un processus que Jung qualifie d'individuation. Il s'agit d'un parcours au long duquel l'on entre en dialogue avec ses images intérieures pour finir par les intégrer en réconciliant les forces antagonistes qui en sont la base. C'est une expérience intime nécessaire; car pour paraphraser Jung, je dirais que le passé d'un peuple eût-il été d'un seul coup effacé par une génération, son fond structurel de mythologie et de religion ressurgit tout entier à la génération suivante; et c'est dans l'âme populaire, son imaginaire, cet invisible présent en permanence que résident l'histoire de la pensée humaine et la vérité de toute société.
Il nous faut donc urgemment procéder, pour réussir, à un véritable processus d'individuation qui nécessite une synthèse inévitable du conscient et de l'inconscient. Il s'agit de repérer les thèmes récurrents à forte intensité énergétique dans le comportement quotidien et l'imaginaire populaire, ce qu'on appelle images primordiales ou archétypales.
En cela, relativement à la cause palestinienne, l'Arabe n'est pas contre la légalité, même si elle suppose sacrifice, mais la forme qu'elle prend, car il reste sensible aux apparences. Or, comme celles-ci sont trompeuses, il ne hait pas tant que le mensonge, surtout celui prenant les atours de la vérité. Aussi se méfie-t-il de toute parole, même la plus sincère, tant qu'elle n'aura pas prouvé sa véritable sincérité. Et comme la plupart de nos politiciens usent de langue de bois...
Ainsi et ainsi seulement cessera-t-on de dire du drame de Palestine dont ne souffre que les civils innocents comme disait Shakespeare dans Macbeth que " c'est un récit raconté par un idiot plein de bruit et de fureur, et qui ne signifie rien ».
Publié sur Leaders