Tunisie : fin de partie ?
Le jeu politicard en Tunisie est-il en train de connaître son heure décisive, celle qui sonne une fin de partie mal engagée ?
Personne ne doute du poids américain sur le cours du jeu politique au pays depuis le feu vert donné à la bascule en cette révolution qui ne fut qu'un coup du peuple, ce qui a supposé le coup de pouce sans lequel l'ancien régime n'aurait par perdu les appuis assurant sa pérennité.
Au bout de près de quatre ans de transition où comptait bien plus l'attitude du spectateur engagé occidental que les stratégies et tactiques des uns et des autres de la scène politique intérieure, il semblerait que la situation ait atteint son point de saturation imposant un nouveau cours, une nouvelle donne. Or, en termes de new deal, les Américains s'y connaissent bien.
La situation de confusion et de chaos leur a été utile pour juger et jauger les forces en présence tout en prenant le pouls du pays profond. Le jeu était périlleux, mais s'imposait pour clarifier une vision bien floue et débusquer le double sinon triple jeu de certains, le réel poids des autres, la valeur véritable de possibles futures cartes à jouer, et surtout l'enracinement dans le pays des diverses composantes politiques ainsi que les pousses repérées, prêtes à prendre la relève, tant sur le plan spirituel que matériel, de l'action concrète que de l'orientation idéologique.
Le tableau de chasse semble désormais assez riche en éléments permettant une conclusion d'étape : le jeu était mal engagé bien que non dénué d'enseignements de première main. Le plus important en termes de ratio intérêts/inconvénients est que la carte islamiste tunisienne ne serait plus l'atout majeur pressenti. Même l'arme de l'orientation ultra libérale du parti Nahdha et de ses satellites n'emporterait plus la conviction; à trop verser dans le libéralisme économique, on en fait un épouvantail au moment où le capitalisme le plus orthodoxe reconnaît la nécessaire dose de rationalité.
La catastrophique gestion du pays par la troïka a déçu ses soutiens occidentaux, et le gouvernement de compétences ne le cache plus alors qu'il était supposé n'être qu'une émanation du parti islamiste, édulcorée certes, mais somme toute assez fidèle à ses intérêts stratégiques.
C'est qu'entre-temps, les divers terrorismes ont pesé de leurs méfaits et altéré la sérénité affectée de la scène politique. Le terme est employé à dessein au pluriel, impliquant les dérives mentales, exprimées ou latentes, chez certaines composantes politiques, et qui se résolvent dans la situation actuelle en une quasi-complicité objective avec les menées terroristes connues. Or, l'on sait que ce qui compte en politique, c'est moins ce qui est apparent, ce qu'on montre, que cet occulte pouvant être terrifiant.
Il semble que les amis occidentaux, américains notamment, ne soient plus aussi sûrs qu'hier de gérer la situation ainsi qu'ils le souhaitaient, réalisant que ceux qu'ils pensaient manipuler le feraient en retour à leur manière. C'est la situation de notre armée, et du peuple tout entier à travers elle, qui semble influer sur le jeu en cours où une fin de partie semble donc s'annoncer.
Laquelle ? Il est trop tôt pour le dire, les hypothèses étant nombreuses chez les stratèges qui, en la matière, veillent toujours — quitte à perdre de précieux temps — à moins anticiper que « posticiper » en quelque sorte, c'est-à-dire se projeter dans un avenir fictif selon leurs différentes hypothèses afin d'être au plus près des réalités selon leurs intérêts.
Parmi ces hypothèses, il y a d'abord la carte en jeu actuellement, consistant à laisser aller jusqu'au bout le jeu déjà entamé du renouvellement d'une majorité islamiste mâtinée d'une force d'équilibre dominée par des valeurs sûres de l'ancien régime en vue d'un partage de pouvoir où les contraires s'opposeraient en s'équilibrant au nom de l'autorité nécessaire à retrouver de l'État, quitte à ce qu'il ne soit pas encore techniquement de droit.
Cette orientation hier encore incontournable a toutefois du plomb dans l'aile, les remous dans l'armée, bien moins à sa tête verrouillée par le président de la République qu'à sa base, redonnant de l'intérêt à une carte gardée en réserve qui impliquerait de courir le risque de stopper un jeu politicien malsain ne garantissant pas totalement la sécurité d'un pays allant à la dérive.
Le sûr pour les fées penchées sur le berceau de la Tunisie est qu'à l'heure des terrorismes multiples, le pays voit le péril — déclaré comme insidieux — peser le plus sur son armée qui est le pouls du pays, son incarnation ultime. Aussi, la suite des événements se jouera moins sur un terrain miné — dont les zones à risques, avec les tenants et les aboutissants des mineurs, sont désormais bien repérées et cartographiées — que sur le tapis diplomatique, quitte à n'en avoir ni l'apparence ni l'esprit.
Une fin de partie est certaine, seule sa nature est encore à définir : radicale dans les faits ou usant de cette option comme d'un épouvantail pour un changement qui soit radical dans l'affichage des intentions chez les politiciens parmi les décideurs du pays.
Publié sur Leaders