On nous dit que la
reconduction du gouvernement Jomaa après les élections ne fait plus de doute,
les grosses pointures politiques que sont Ennahdha et Nidaa Tounes, les deux
pôles incontournables de la scène politique, y adhèrent, même si chacun apporte
son bémol en termes de détails qui ne remettent pas en cause la question
majeure du maintien du gouvernement des compétences.
Un nouveau deal
Cette idée qui semble faire
son chemin relève du nouveau deal politique en Tunisie, imposé tout autant pas
les contingences intérieures que les considérations géostratégiques.
Il s'agit de l'horizon futur
de la scène politique dans notre
pays dont le croquis a été dessiné lors de la phase décisive du Dialogue
national et dont les traits de force sont devenus évidents avec les visites à
l'étranger du chef du gouvernement, particulièrement en Occident et plus
spécialement aux États-Unis.
Il reste que si une telle
option est raisonnable, étant de nature à assurer plus de stabilité au pays, on
ne peut que s'interroger sur la contradiction inhérente à l'attitude de nos
dirigeants politiques accrochés à l'idée de l'organisation au plus vite d'élections
législatives et présidentielles.
On excipe de l'argument du
respect de la constitution qui exige formellement de telles élections quand il
ne s'agit que d'un prétexte pour se redonner une base politique, renouveler une
légitimité électorale perdue ou absente.
Car l'on est passé à la
légitimité consensuelle, et celle-ci consiste en une vision partagée de la
politique chez MM Caïd Essebsi et Ghannouchi bien plus que d'un partage du
pouvoir, même si l'une n'exclut pas l'autre selon l'évolution de circonstances
demeurant, pour l'essentiel, imprévisibles.
En effet, si l'accord est
déjà acquis de la formation d'un gouvernement de technocrates apolitiques pour
une législature de cinq années au sortir des élections, on ne peut
raisonnablement que se demander à quoi bon organiser des élections, obérant encore
plus le budget de l'État, les dépenses faramineuses n'ayant pour seul but que
de renouveler une légitimité qui n'aura aucune conséquence, la scène politique
au lendemain des élections étant déjà dessinée et devant rester en l'état ?
Ce que demande le peuple
Certes, on estime que le
gouvernement a le devoir d'organiser les élections; mais sa mission qui doit
primer tout n'est-elle pas de redresser le pays et de libérer les
administrations des affidées à la troïka défunte qui ont galvaudé l'esprit du
service public, piétinant les droits tout en maintenant les abus de l'ancien
régime ?
Il est vrai, on se réfère aussi
au respect de la constitution, en faisant même un argument massue. Or, si
respecter une formalité de la constitution est important, il est encore plus important
de respecter sa matière, ce qui n'est pas les cas puisque les droits et
libertés qui sont les véritables acquis de la démocratie n'étant toujours pas
effectifs.
On évoque également les
élections nationales comme un acquis démocratique, mais on oublie que le
véritable acquis serait dans l'organisation d'élections municipales afin de
permettre au peuple de renouer avec la politique et de se charger d'assainir la
situation dans le pays à travers la seule structure habilitée à le faire que
sont des municipalités librement élues.
La donne politique nouvelle suppose plus de sens
patriotique et moins d'ego personnel; les chefs des deux grandes formations du
pays doivent écouter la voix du peuple des profondeurs de la Tunisie; elle
exige du concret, se lamentant de la détérioration de sa vie quotidienne.
Or, seules des élections au
plus près des préoccupations populaires, donc des municipales, sont de nature à
répondre à cette attente qui est de plus en plus une exigence et qui deviendra
une impatience un jour ou l'autre. Alors, s'ouvrira la boîte de Pandore de la
coupure définitive entre un pays
réel, officieux, en pleine mutation, et un pays légal officiel, mais figé sur
les dogmes du passé.
Assurer donc la transition
démocratique et la réussir, c'est mettre en œuvre une constitution que nos amis
étrangers qualifient d'historique. Cela suppose qu'on ne se comporte pas avec
elle comme avec une pièce archéologique, remisée dans un musée, mais qu'on adapte
notre vie de tous les jours, surtout notre politique, à son rythme nouveau.
Faisons donc l'impasse dans
l'immédiat sur les élections nationales et organisons des élections moins
coûteuses et plus profitables au pays que sont les élections municipales! Et en
parallèle, mettons en application la constitution, notamment dans les droits et
libertés imposés par la société civile, qui commandent une réforme immédiate de
la législation nationale liberticide héritée de la dictature.
Publié sur Leaders