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samedi 22 mars 2014

Mare nostrum 4

Rapport du FEMISE 2013 sur le partenariat euro-méditerranéen




Le Forum euroméditerranéen des instituts de sciences économiques (FEMISE) a rendu public le 6 février son rapport pour l’année 2013 sur l’Euroméditerranée. Intitulé « Vers une nouvelle dynamique pour le maintien des équilibres économiques et sociaux », il s’intéresse aux voies de modernisation sociale possibles pour les pays méditerranéens en mesure de répondre aux aspirations de leur population, tout en restaurant de bonnes dynamiques économiques.
Or, nombre de ces pays en transition politique se signalent par le peu d’intérêt de leur classe politique à la très grave détérioration de la situation économique. Comment donc conduire la politique économique d’un pays en transition? Voici le diagnostic des spécialistes du FEMISE pour l'ensemble des pays de la région et pour la Tunisie, plus particulièrement.

Bilan de santé des pays sud-méditerranéens

Chiffres, détails et graphiques  à l’appui, le rapport relève la gravité de la situation économique et sociale des pays du sud méditerranéen, notant qu’ils subissent l'incertitude politique intérieure et les effets de la crise économique mondiale réduisant leurs débouchés ainsi que les transferts de fonds des expatriés pourtant salvateurs. D'autant que la flambée des prix des produits alimentaires de base, et du pétrole pour ceux qui en importent, ne font que détériorer encore plus la situation.
Parmi les cause de cette catastrophique situation pour l’ensemble des pays étudiés, le rapport relève, outre le poids du secteur informel et de la corruption : la grande difficulté d'accès au financement pour les PME et TPE, les lourdeurs administratives, fiscales et législatives, la connivence entre les sphères politiques et économiques par le biais des rentes et privilèges des élites toutes tendances confondues, l'insuffisance des infrastructures, l’absence de main-d'œuvre qualifiée et l'absence de grand marché, liée à la faiblesse de l'intégration économique régionale.
Ce dernier est d’ailleurs l’un des cinq points clés émergeant de l’analyse du rapport, et qui sont :
1 - La nécessaire rupture avec la doxa économique : les rapporteurs estiment que la crise des pays étudiés vient, pour une bonne part, d'une « approche trop technocratique » et dépassée, amenant à ignorer les véritables problèmes. C’est le cas de la question de libéralisation des échanges qui a été au final limitée, s'accompagnant des conséquences terribles, non seulement sociales mais aussi en termes de difficultés accrues pour les entreprises du Sud du fait d’un désintérêt évident pour les spécialités régionales
2 - Les impératifs du social et du court terme : les mesures sociales, se traduisant par les embauches massives, notamment de fonctionnaires, de hausses des salaires et des rentes de retraites, ont résorbé quelque peu le mécontentement des populations en amortissant  les effets de la crise sur les exclus et les plus démunis. Toutefois, elles ne se sont pas intégrées dans une politique économique de nature à accompagner au mieux la transition politique et relancer l'économie.
3 - Une insuffisante réduction des inégalités : les approches économiques classiques sont encore dénoncées ici du fait de la négligence de ce facteur essentiel dans le déclenchement des révolutions arabes que furent les inégalités territoriales. La nécessité du développement solidaire inclusif est rappelée, c’est-à-dire l’impératif d’aller au-delà de la réduction des inégalités en termes de revenus, et ce en ciblant la participation des plus larges secteurs à la vie sociale et la réduction des disparités d'opportunités grâce à un rôle plus grand de la société civile.
4 - Un pacte pour une jeunesse revalorisée : les besoins énormes d'emplois dans les rangs de la jeunesse impliquent la nécessité de la création d'emplois de nouveau type, non ceux habituels ans un secteur public ayant d’ailleurs atteint ses limites. C’est grâce aux associations et à la solidarité sociale qu’on pourra développer un secteur privé dynamique se substituant à celui qui existe bien, mais demeurant hors la loi, étant informel. Cela suppose aussi de faire évoluer le système éducatif vers un plus grand intérêt pour le capital humain et son intégration, non seulement dans une économie de profession, mais aussi de la connaissance et de l'innovation grâce aux idées, au sens que donne Schumpeter à l'idée, soit celle « qui se transforme en activité économique ». Or, souvent, les jeunes des pays du Sud redoublent d’ingéniosité et termes d’idées créatrices ne trouvant aucun écho pour exister économiquement.
5 - La nécessaire implication internationale : les auteurs rappellent les exemples de la dislocation de l'empire soviétique et du processus de réunification allemande pour insister sur une implication pareille à celle que cela a occasionné de la part de la communauté internationale pour renouer avec la stabilité dans le monde. Les bailleurs de fonds internationaux portent la responsabilité de la réussite des transitions en cours. Aussi appellent-ils la communauté internationale à se mobiliser comme elle a su le faire lors déjà de la réunification allemande ou la transition politique des pays de l'Est européen. Un effort similaire est impératif en Méditerranée, car  les programmes de coopération euro-méditerranéenne, assurent-ils, sont insuffisant avec, notamment, l’absence de plan d'ensemble.

Le bilan de santé de la Tunisie

Le rapport consacre un chapitre fort intéressant à notre pays titré : « Sur fonds de crise politique, une troisième année de transition porteuse de vulnérabilités majeures du pilotage macroéconomique mais des capacités de résilience à moyen terme. »
On y note, au-delà du contexte politique fort tendu, « la récurrence des mêmes dysfonctionnements économiques latents et des fragilités structurelles qui étaient à l’origine des vagues contestataires et de la révolte sociale. » Le rapport relève bien une reprise de croissance, mais la stigmatise comme étant liée aux activités marchandes. Il explique le déficit de croissance par deux facteurs : un rendement insuffisant du capital et sa faible accumulation quand il est fixe.
Tout en assurant le rôle clé de la consommation privée pour contrecarrer la chute de l’investissement, il déplore le niveau bas de l’investissement, à l’origine du déficit de croissance, et ce pour différentes causes dont  un accès au financement bancaire limité pénalisant les PME-PMI.
Pour le rapport, la croissance souffre surtout des retards d’inclusion, ou un développement solidaire inclusif, supposant une réelle contribution des facteurs de production à la croissance susceptible d'empêcher la dégradation de la productivité avec des changements radicaux dans la gestion des questions de la pauvreté chronique, des transferts sociaux et du chômage. Or, assurent les rapporteurs, s’il y a bien eu des changements en ce domaine, ils se sont manifestés essentiellement par une baisse de la pauvreté, mais la persistance des inégalités régionales et un rôle discriminant du dispositif des transferts sociaux, outre un chômage structurel et un déficit d’emplois décents.
À cela ils ajoutent la détérioration du climat des affaires et de la compétitivité, les vulnérabilités du pilotage macroéconomique à court terme et des facteurs de grosses  fragilités internes,  comme l’existence de  tendances opposées de la politique monétaire, et les vulnérabilités latentes du secteur bancaire.
De celles-ci, entre autres déficits, le rapport évoque notamment l’aggravation des créances compromises et les questions de supervision et de contrôle bancaire en transition. Les manques cruels dans la sécurité sont signalés, la Tunisie ne disposant pas encore d’un dispositif de sécurité institutionnalisé, tels qu’une fonction de prêteur en dernier ressort (PDR) en cas de crise systémique ou un système de garantie et d’assurance des dépôts pouvant limiter les effets d’aléa moral. En outre, aucun mécanisme de gestion et/ou de simulation de crises de liquidité n’existe.
La dégradation des notations concernant le risque bancaire est bien évidemment évoquée avec ses conséquences dans les limites de la politique d’expansion budgétaire face à la dégradation des finances publiques. Ainsi, note le rapport « En raison du grippage des principaux moteurs de la croissance (demande extérieure et investissement privé domestique), l’impulsion de la demande interne (consommations privée et publique) par une politique budgétaire contracyclique agissant essentiellement par l’accroissement des dépenses de fonctionnement (notamment par des hausses salariales) et de compensation n’a pas été sans conséquence sur la dégradation des finances publiques ».
Le rapport ne manque pas de faire référence aux facteurs de fragilités externes avec le creusement du déficit courant et l’insuffisance des entrées nettes de capitaux, les problèmes de mobilisation des ressources financières externes, celles qui le sont étant en priorité destinées au financement des déficits budgétaire et courant, les contraintes de soutenabilité de la dette externe et la dépréciation du taux de change. À ce dernier sujet, on lit « À partir du mois de mai 2013, l’euro, devise-phare pour l’économie tunisienne, a atteint 2,16 dinars contre 1,96 dinar en mai 2011, soit une dépréciation de près 10% en deux ans. En même temps, le dollar est passé de 1,377 dinars à 1,619 dinars soit une dépréciation de 15%. En décrochant au dessus de la barre symbolique de 2 dinars, la parité du dinar par rapport à l’euro a suscité une polémique visant à imputer la dépréciation du dinar à des facteurs exogènes. » Et les rapporteurs de conclure que le taux de change réel n’est plus calé sur les fondamentaux.
Analysant les capacités de résilience à moyen terme et les axes de réformes, le rapport insiste sur l’encadrement  des subventions pour plus d’équité sociale, relevant particulièrement que « le dispositif actuel de protection sociale ne semble pas performant quant à l’atténuation des inégalités et la réduction de la pauvreté en Tunisie. Les filets de protection et le système de subventions alimentaires sont en effet mal ciblés pour pouvoir lutter efficacement contre la pauvreté ». Il note aussi la nécessité de la « restructuration du système bancaire »  afin de contourner radicalement les contraintes liées au déficit de liquidité globale du système bancaire. On lit à ce sujet : « l’option de recapitalisation de certaines banques (notamment publiques) est en cours d’étude. En particulier, un full audit préalable a été lancé pour trois banques publiques dont on estime le financement des besoins de fonds propres additionnels pour la recapitalisation ainsi que l’amélioration de leurs modes de gestion à 3,2 milliards de dinars (ce qui équivaut à 5% du PIB). Pour l’ensemble du secteur bancaire, et selon le dernier FSAP (FMI – Banque Mondiale) de 2012, le besoin de recapitalisation nécessite de lourds financements estimés à près de 7% du PIB. »
Enfin, la réforme fiscale n’échappe pas à l’attention des rapporteurs qui considèrent que « la révision du système fiscal est un enjeu important pour la prochaine période ». Dans cette perspectives, en plus des réformes en cours du code d’investissement, ils trouvent nécessaire « plus de flexibilité du régime de change pour plus d’attractivité des financements externes, » du fait que « la faible attractivité du marché financier aux investissements étrangers de portefeuilles en actions et en obligations répond à trois facteurs : (i) un contrôle de change encore ex-cessif pour les investisseurs étrangers sur les marchés, principal et alternatif, des titres de capital sur la cote de la bourse, (ii) un faible taux de souscription autorisé pour les investisseurs étrangers sur le marché obligataire de la cote de la bourse et (iii) des dispositions fiscales devenues contraignantes en matière de plus values réalisées par les investisseurs étrangers. ». Tout cela impose aussi de relever le niveau et la qualité de l’intervention du système financier et d’approfondir les marchés de capitaux.
Publié sur Leaders
sous le titre :
 Un rapport du FEMISE déplore la récurrence des faiblesses de l'économie tunisienne