Rapport du FEMISE 2013 sur le partenariat
euro-méditerranéen
Le Forum
euroméditerranéen des instituts de sciences économiques (FEMISE) a rendu public
le 6 février son rapport pour l’année 2013 sur l’Euroméditerranée. Intitulé
« Vers une nouvelle dynamique pour le maintien des équilibres économiques
et sociaux », il s’intéresse aux voies de modernisation sociale possibles
pour les pays méditerranéens en mesure de répondre aux aspirations de leur
population, tout en restaurant de bonnes dynamiques économiques.
Or, nombre de ces pays
en transition politique se signalent par le peu d’intérêt de leur classe
politique à la très grave détérioration de la situation économique. Comment
donc conduire la politique économique d’un pays en transition ? Voici le diagnostic
des spécialistes du FEMISE pour l'ensemble des pays de la région et pour la
Tunisie, plus particulièrement.
Bilan de
santé des pays sud-méditerranéens
Chiffres, détails et
graphiques à l’appui, le rapport
relève la gravité de la situation économique et sociale des pays du sud
méditerranéen, notant qu’ils subissent l'incertitude politique intérieure et
les effets de la crise économique mondiale réduisant leurs débouchés ainsi que
les transferts de fonds des expatriés pourtant salvateurs. D'autant que la
flambée des prix des produits alimentaires de base, et du pétrole pour ceux qui
en importent, ne font que détériorer encore plus la situation.
Parmi les cause de
cette catastrophique situation pour l’ensemble des pays étudiés, le rapport
relève, outre le poids du secteur informel et de la corruption : la grande
difficulté d'accès au financement pour les PME et TPE, les lourdeurs
administratives, fiscales et législatives, la connivence entre les sphères
politiques et économiques par le biais des rentes et privilèges des élites
toutes tendances confondues, l'insuffisance des infrastructures, l’absence de
main-d'œuvre qualifiée et l'absence de grand marché, liée à la faiblesse de
l'intégration économique régionale.
Ce dernier est d’ailleurs
l’un des cinq points clés émergeant de l’analyse du rapport, et qui sont :
1 - La nécessaire
rupture avec la doxa économique : les
rapporteurs estiment que la crise des pays étudiés vient, pour une bonne part,
d'une « approche trop technocratique » et dépassée, amenant à ignorer
les véritables problèmes. C’est le cas de la question de libéralisation des
échanges qui a été au final limitée, s'accompagnant des conséquences terribles,
non seulement sociales mais aussi en termes de difficultés accrues pour les
entreprises du Sud du fait d’un désintérêt évident pour les spécialités
régionales
2 - Les impératifs du
social et du court terme : les mesures sociales, se traduisant par les
embauches massives, notamment de fonctionnaires, de hausses des salaires et des
rentes de retraites, ont résorbé quelque peu le mécontentement des populations
en amortissant les effets de la
crise sur les exclus et les plus démunis. Toutefois, elles ne se sont pas intégrées
dans une politique économique de nature à accompagner au mieux la transition
politique et relancer l'économie.
3 - Une insuffisante
réduction des inégalités : les approches économiques classiques sont encore
dénoncées ici du fait de la négligence de ce facteur essentiel dans le
déclenchement des révolutions arabes que furent les inégalités territoriales.
La nécessité du développement solidaire inclusif est rappelée, c’est-à-dire
l’impératif d’aller au-delà de la réduction des inégalités en termes de
revenus, et ce en ciblant la participation des plus larges secteurs à la vie
sociale et la réduction des disparités d'opportunités grâce à un rôle plus
grand de la société civile.
4 - Un pacte pour une
jeunesse revalorisée : les besoins énormes
d'emplois dans les rangs de la jeunesse impliquent la nécessité de la création
d'emplois de nouveau type, non ceux habituels ans un secteur public ayant
d’ailleurs atteint ses limites. C’est grâce aux associations et à la solidarité
sociale qu’on pourra développer un secteur privé dynamique se substituant à
celui qui existe bien, mais demeurant hors la loi, étant informel. Cela suppose
aussi de faire évoluer le système éducatif vers un plus grand intérêt pour le
capital humain et son intégration, non seulement dans une économie de
profession, mais aussi de la connaissance et de l'innovation grâce aux idées,
au sens que donne Schumpeter à l'idée, soit celle « qui se transforme en
activité économique ». Or, souvent, les jeunes des pays du Sud redoublent
d’ingéniosité et termes d’idées créatrices ne trouvant aucun écho pour exister
économiquement.
5 - La nécessaire
implication internationale : les auteurs rappellent les exemples de la
dislocation de l'empire soviétique et du processus de réunification allemande pour
insister sur une implication pareille à celle que cela a occasionné de la part
de la communauté internationale pour renouer avec la stabilité dans le monde. Les
bailleurs de fonds internationaux portent la responsabilité de la réussite des
transitions en cours. Aussi appellent-ils la communauté internationale à se
mobiliser comme elle a su le faire lors déjà de la réunification allemande ou
la transition politique des pays de l'Est européen. Un effort similaire est
impératif en Méditerranée, car les
programmes de coopération euro-méditerranéenne, assurent-ils, sont insuffisant
avec, notamment, l’absence de plan d'ensemble.
Le bilan
de santé de la Tunisie
Le rapport consacre un
chapitre fort intéressant à notre pays titré : « Sur
fonds de crise politique, une troisième année de transition porteuse de
vulnérabilités majeures du pilotage macroéconomique mais des capacités de
résilience à moyen terme. »
On y note, au-delà du
contexte politique fort tendu, « la récurrence des mêmes
dysfonctionnements économiques latents et des fragilités structurelles qui
étaient à l’origine des vagues contestataires et de la révolte sociale. » Le
rapport relève bien une reprise de croissance, mais la stigmatise comme étant
liée aux activités marchandes. Il explique le déficit de croissance par deux
facteurs : un rendement insuffisant du capital et sa faible accumulation quand
il est fixe.
Tout
en assurant le rôle clé de la consommation privée pour contrecarrer la chute de
l’investissement, il déplore le niveau bas de l’investissement, à l’origine du
déficit de croissance, et ce pour différentes causes dont un accès au financement bancaire limité
pénalisant les PME-PMI.
Pour
le rapport, la croissance souffre surtout des retards d’inclusion, ou un
développement solidaire inclusif, supposant une réelle contribution des facteurs
de production à la croissance susceptible d'empêcher la dégradation de la
productivité avec des changements radicaux dans la gestion des questions de la
pauvreté chronique, des transferts sociaux et du chômage. Or, assurent les
rapporteurs, s’il y a bien eu des changements en ce domaine, ils se sont
manifestés essentiellement par une baisse de la pauvreté, mais la persistance
des inégalités régionales et un rôle discriminant du dispositif des transferts
sociaux, outre un chômage structurel et un déficit d’emplois décents.
À
cela ils ajoutent la détérioration du climat des affaires et de la
compétitivité, les vulnérabilités du pilotage macroéconomique à court terme et
des facteurs de grosses fragilités
internes, comme l’existence
de tendances opposées de la
politique monétaire, et les vulnérabilités latentes du secteur bancaire.
De
celles-ci, entre autres déficits, le rapport évoque notamment l’aggravation des
créances compromises et les questions de supervision et de contrôle bancaire en
transition. Les manques cruels dans la sécurité sont signalés, la Tunisie ne
disposant pas encore d’un dispositif de sécurité institutionnalisé, tels qu’une
fonction de prêteur en dernier ressort (PDR) en cas de crise systémique ou un
système de garantie et d’assurance des dépôts pouvant limiter les effets d’aléa
moral. En outre, aucun mécanisme de gestion et/ou de simulation de crises de
liquidité n’existe.
La
dégradation des notations concernant le risque bancaire est bien évidemment
évoquée avec ses conséquences dans les limites de la politique d’expansion
budgétaire face à la dégradation des finances publiques. Ainsi, note le rapport
« En raison du grippage des principaux moteurs de la croissance (demande extérieure
et investissement privé domestique), l’impulsion de la demande interne
(consommations privée et publique) par une politique budgétaire contracyclique
agissant essentiellement par l’accroissement des dépenses de fonctionnement
(notamment par des hausses salariales) et de compensation n’a pas été sans
conséquence sur la dégradation des finances publiques ».
Le
rapport ne manque pas de faire référence aux facteurs de fragilités externes
avec le creusement du déficit courant et l’insuffisance des entrées nettes de
capitaux, les problèmes de mobilisation des ressources financières externes,
celles qui le sont étant en priorité destinées au financement des déficits
budgétaire et courant, les contraintes de soutenabilité de la dette externe et
la dépréciation du taux de change. À ce dernier sujet, on lit « À partir
du mois de mai 2013, l’euro, devise-phare pour l’économie tunisienne, a atteint
2,16 dinars contre 1,96 dinar en mai 2011, soit une dépréciation de près 10% en
deux ans. En même temps, le dollar est passé de 1,377 dinars à 1,619 dinars
soit une dépréciation de 15%. En décrochant au dessus de la barre symbolique de
2 dinars, la parité du dinar par rapport à l’euro a suscité une polémique
visant à imputer la dépréciation du dinar à des facteurs exogènes. » Et
les rapporteurs de conclure que le taux de change réel n’est plus calé sur les
fondamentaux.
Analysant
les capacités de résilience à moyen terme et les axes de réformes, le rapport
insiste sur l’encadrement des
subventions pour plus d’équité sociale, relevant particulièrement que « le
dispositif actuel de protection sociale ne semble pas performant quant à
l’atténuation des inégalités et la réduction de la pauvreté en Tunisie. Les
filets de protection et le système de subventions alimentaires sont en effet
mal ciblés pour pouvoir lutter efficacement contre la pauvreté ». Il note
aussi la nécessité de la « restructuration du système bancaire » afin de contourner radicalement les
contraintes liées au déficit de liquidité globale du système bancaire. On lit à
ce sujet : « l’option de recapitalisation de certaines banques
(notamment publiques) est en cours d’étude. En particulier, un full audit
préalable a été lancé pour trois banques publiques dont on estime le financement
des besoins de fonds propres additionnels pour la recapitalisation ainsi que
l’amélioration de leurs modes de gestion à 3,2 milliards de dinars (ce qui
équivaut à 5% du PIB). Pour l’ensemble du secteur bancaire, et selon le dernier
FSAP (FMI – Banque Mondiale) de 2012, le besoin de recapitalisation nécessite
de lourds financements estimés à près de 7% du PIB. »
Enfin,
la réforme fiscale n’échappe pas à l’attention des rapporteurs qui considèrent
que « la révision du système fiscal est un enjeu important pour la
prochaine période ». Dans cette perspectives, en plus des réformes en
cours du code d’investissement, ils trouvent nécessaire « plus de
flexibilité du régime de change pour plus d’attractivité des financements
externes, » du fait que « la faible attractivité du marché financier
aux investissements étrangers de portefeuilles en actions et en obligations
répond à trois facteurs : (i) un contrôle de change encore ex-cessif pour les
investisseurs étrangers sur les marchés, principal et alternatif, des titres de
capital sur la cote de la bourse, (ii) un faible taux de souscription autorisé
pour les investisseurs étrangers sur le marché obligataire de la cote de la
bourse et (iii) des dispositions fiscales devenues contraignantes en matière de
plus values réalisées par les investisseurs étrangers. ». Tout cela impose
aussi de relever le niveau et la qualité de l’intervention du système financier
et d’approfondir les marchés de capitaux.
Publié sur Leaders
sous le titre :
Un rapport du FEMISE déplore la récurrence des faiblesses de l'économie tunisienne