Les discussions se focalisent actuellement à l'Assemblée nationale constituante sur le mode de scrutin, outre la concomitance ou non et l'ordre des élections législatives et présidentielles. Ce débat n'est certes pas inintéressant, mais il traduit l'obsession du pouvoir de nos élites politiques et leur désintérêt de l'intérêt réel du pays.
C'est un scrutin uninominal rationalisé qu'il faut aux Tunisiens
On nous dit que le consensus est déjà acquis pour maintenir le système qui a déjà servi à la précédente élection bien qu'il ait démontré ses nuisances. Or, une gouvernance saine du pays commande de tirer les enseignements nécessaires de l'échec en Tunisie de pareil mode de scrutin. On a vu à quel point il a permis de bafouer la volonté populaire et faveur de l'omnipotence de partis qui étaient bien loin de représenter véritablement le peuple, ses exigences et ses revendications que ceux de leurs membres.
En démocratie, certes, le système partisan est nécessaire, mais cela nécessite un long exercice des mécanismes démocratiques, des institutions aussi solides que stables et des traditions bien établies. C'est ce qui fait l'intérêt en Occident du scrutin proportionnel de liste que nous avons retenu pour notre première élection libre et que les partis tiennent à reconduire.
Or, outre le fait aberrant de reconduire l'échec patent que nous avons expérimenté trois ans durant, cela heurte les traditions et même la psychologie tunisiennes marquées par la nécessaire personnalisation des rapports humains.
C'est pour cela qu'on ne doit surtout pas aller dans le sens de la volonté des partis voulant s'assurer la mainmise sur le pays. Il nous faut retenir le seul scrutin en congruence avec les caractéristiques du pays, établissant un rapport direct entre l'élu et l'électeur. Il faudra juste adapter ce scrutin en y intégrant la possibilité pour l'électeur de demander des comptes à l'élu qui doit s'engager sur des objectifs précis et réalisables. C'est le scrutin uninominal rationalisé supposant un contrat de mission que propose l'élu à ses électeurs et dont le contrôle de l'exécution pourrait être confié à une instance dédiée à créer au sein de la haute instance de supervision des élections.
Un tel mode de scrutin est le plus adapté à notre pays, étant de surcroît susceptible de préserver les acquis de la Révolution contre les intérêts des gros partis ou de ceux qui se créent juste pour des intérêts privatifs de certains profiteurs voulant mettre le pays sous leur coupe réglée.
Ce sont des élections municipales qu'il faut à la Tunisie
L'intérêt du pays commande aussi de privilégier ce qui intéresse le peuple en premier, à savoir les questions touchant aux réalités locales. Et c'est à travers des élections municipales qu'on pourrait répondre à cet intérêt. À voir l'état lamentable dans lequel se trouvent les services municipaux du pays et l'impéritie des délégations spéciale, on ne peut que convenir de l'extrême urgence de placer les municipales en urgente priorité.
Et c'est en organisant pareilles élections au plus tôt que l'on réconciliera le peuple avec la politique et avec ses élites; ce qui permettra de remettre le pays sur pieds étant donné qu'une démocratie se vit au plus petit niveau qu'est l'échelon municipal.
En effet, cela revient à mettre la pyramide politique du pays à l'envers que de privilégier les élections législatives et présidentielles comme on veut le faire. En effet, le peuple peut se passer volontiers d'un président ou d'un parlement, mais pas de services municipaux.
Aussi, persister à vouloir organiser les législatives et la présidentielle, c'est répondre plutôt aux intérêts de la classe politique qu'à ceux du pays et de son peuple. Sera-t-on donc pour une fois assez lucide et conséquent avec les valeurs affichées en osant agir selon ce qu'impose une saine gouvernance du pays ?
Refonder la démocratie
Si l'on veut éviter de revivre les soubresauts dont le pays a souffert ces trois dernières années, il est impératif d'innover en tenant compte au mieux des intérêts du peuple tunisien. Celui-ci impose qu'on refonde la démocratie en Tunisie en ayant confiance dans son génie, en lui donnant les moyens appropriés pour accéder à une démocratie refondée, en harmonie avec notre époque postmoderne, et donc une postdémocratie.
Cela passe inévitablement par des mesures appropriées comme celles précédemment énumérées qui sont de nature à permettre de recréer la confiance manquante du peuple dans la politique et dans sa capacité inouïe, grâce à une société civile très active qui fait l'admiration du monde entier, à faire de l'expérience tunisienne de démocratie un modèle réussi.
Lors de récents contacts en France avec des Occidentaux, Européens convaincus tout autant qu'amoureux de notre pays, mes interlocuteurs m'ont assuré que la Tunisie est, selon leur appréciation, dans l'œil du cyclone. Trop d'intérêts contraires menaçant sa fragile réalisation sur le chemin d'une démocratie véritable qui soit à la fois politique et économique que sociale et culturelle, faisant évoluer la lecture de l'islam pour une religion tolérante et humaniste.
Or, quand on est ainsi menacé, assurent-ils avec raison, on a besoin de soutien, d'une protection; et la meilleure des assurances pour la Tunisie est celle d'un système comme l'Union européenne auquel la démocratie naissante en Tunisie se doit d'être articulée pour avoir une chance de réussir en un monde globalisé ou nulle naissance nouvelle, surtout démocratique, ne peut voir le jour sans avoir une fée à son chevet, soit une démocratie avérée pour soutenir ses efforts et les canaliser vers la réussite.
Et ils me confirment dans ma conviction que le salut de l'Europe est dans la réussite de l'expérience tunisienne qui ne doit pas se contenter de singer un modèle occidental tournant à vide, mais le refonder pour en faire une démocratie revitalisée. Et c'est dans les cordes des Tunisiens pour peu qu'ils croient en l'originalité de leur Révolution, ce Coup du peuple modèle.
Publié sur Nawaat