La belle au bois dormant et la bête immonde : un conte de la
Nouvelle Tunisie
En ce moment de réjouissances qui seront forcément éphémères,
comme toutes choses de la vie, adonnons-nous un moment à l'euphorie en laissant
la bride à l'imagination nous réciter ce qui pourrait être le conte inédit de
la Tunisie Nouvelle.
On prête rarement attention à ce que nos contes d'enfance recèlent
de leçons pour les adultes; ils sont autant d'apologues pour une saine
compréhension des choses, même s'il faut souvent en ajuster la compréhension
première avec ce que l'expérience de l'âge adulte permet. C'est le rôle de
l'imagination quand elle est employée à bon escient.
Il en va ainsi des contes de la belle au bois dormant et de celui
de la belle et la bête, imbriqués ici en un seul conte qui serait celui de la
Tunisie Nouvelle.
Disons tout de suite que l'imagination permet aujourd'hui de faire
de la bête assoupie cet Occident anesthésié par ses acquis passés dans un conformisme
coupable trempant assez vite dans l'arrogance la plus détestable au nom d'un
rationalisme devenu dogmatique, loin de la vraie science.
Disons aussi que la bête serait l'islamisme trop vite vilipendé,
assez caricaturalement étendu à l'islam dont le message originel est réduit à
l'exploitation qu'en ont faite et font ses adeptes. Aussi est-il aujourd'hui pour
certains la bête immonde.
Or, les contes de nos primes années d'innocence nous permettent de
savoir que toute bête en apparence, fût-elle abominable, recèle des sentiments
qu'il nous faut cultiver pour en tirer le meilleur. Aussi y trouverait-on un cœur
d'homme qui se révèle être aimant, affectueux et noble. Ils nous rappellent
aussi que la belle endormie peut toujours être réveillée par un prince charmant
toujours attendu, même si tarde sa venue.
Et si ce charmant prince n'était pas encore sorti de sa peau de
bête, venant malgré tout réveiller la belle dans sa bestialité apparente,
sachant que son propre salut est fonction du réveil de la belle, car seule en
mesure de lui rendre son humaine nature ?
Et si la belle était capable de ne pas avoir peur de cette bête,
allant au-delà de l'apparence, regardant son cœur palpiter d'amour peur elle et
d'une humanité certaine que manifeste sa passion, un filtre nécessaire à la
fois pour sortir d'une apparence trompeuse : celles de la mort et de la peau de
bête ?
Telle est la situation actuelle de l'Occident à nos portes : une
belle en son bois enchanteur, devenu une prison qui est non seulement mortifère
pour l'imagination créatrice, mais aussi criminogène pour quiconque continue à
s'abreuver de rêves pour survivre en allant hanter ses parages, tenter d'y
entrer.
Telle est la situation aussi d'un islam révélé comme une véritable
révolution mentale, se distinguant des messages précédents par son humanisme et
sa spiritualité, mais qui a été transformé par les siens en culte des ténèbres.
On sait toutefois qu'il peut y avoir un soleil en plein minuit,
comme on sait que la mort apparente qu'est le sommeil est toujours réparatrice
lorsqu'elle est constellée de rêves. Il suffit qu'au réveil ces rêves soient
transformés en réalité. Pour cela, il faut croire pouvoir le faire en osant
aller au-delà de l'utopie.
Aujourd'hui, la Tunisie donne au monde et à elle-même la preuve de
ce qu'elle peut faire grâce à son génie propre. Certes, la constitution qu'elle
vient d'adopter est loin d'être parfaite; d'ailleurs, elle est bien plus saluée
à l'extérieur qu'à l'intérieur, car on sait pertinemment pouvoir faire bien
plus. Mais elle reste globalement positive, un bon pas dans la bonne direction.
À condition que ce pas soit suivi d'autres, toujours dans le bon sens.
Pour ce faire, la Tunisie a le plus grand besoin de ses
partenaires, car elle a la lucidité de connaître son rang dans le monde. Or,
s'il est bien minime, conforme à sa petite taille, elle le tient dignement, la
valeur n'attendant pas le nombre des années ni n'étant liée à la taille ou au
savoir théorique.
Aujourd'hui, la Tunisie a besoin que ses partenaires d'Occident —
dont elle sait lié au sein son propre sort — de prendre sérieusement le risque
de tabler sur sa capacité novatrice à réussir une démocratie effective qui soit
un réel plus à la démocratie occidentale essoufflée. Elle attend que l'on salue
à juste titre ce qu'elle vient de réaliser de grandiose pour le pérenniser, et
ce en articulant sa démocratie naissante à un système démocratique avéré.
Il est évident que la démocratie ne naît pas d'un coup de baguette
magique; qu'un texte constitutionnel, fût-il le plus novateur et
révolutionnaire, ne vaut que par l'usage qu'on en fait. Or, un tel usage est
fonction d'un système performant dans un État de droit effectif en mesure
d'influer sur les habitudes et les mentalités récalcitrantes d'abus et de
passe-droits. Ainsi seulement fera-t-on de ce groupement humain qu'est la
Tunisie une société véritable de droits.
Tout comme pour un petit venant au monde dans une famille, la
démocratie tunisienne a besoin du soutien des adultes de la famille
démocratique; et il ne doit pas se limite à la nourriture. C'est de toute une
éducation que la démocratie naissante a besoin — parfaitement comme le petit
d'homme — auprès des grandes
démocraties qui l'entourent, ses parents putatifs inévitables.
Alors, les puissances démocratiques ne doivent pas faillir à la
mission d'éducation démocratique qui leur incombe. C'est le devoir de
l'Occident d'arrêter d'user de langue de bois et de biais qui sont autant de
subterfuges commodes, et de finir par transformer ses slogans creux en une
bonne volonté tangible.
Qu'il intègre donc formellement la Tunisie à son système
démocratique pour l'arrimer solidement au meilleur régime politique qui soit
disponible ! Que l'Europe, horizon incontournable pour la Tunisie, prenne
l'initiative de proposer l'adhésion de la Tunisie à son union !
Alors, le conte inédit que vit la Tunisie aujourd'hui durera, car
il donnera naissance à la plus belle féerie politique qui soit en Méditerranée
et dans le monde, aidant à transformer une pensée politique sclérosée. D'autant
que celle-ci verse désormais dans ce que l'histoire contemporaine des hommes a
produit de plus immonde, un holocauste moderne en pleine Méditerranée.
Ainsi concrétisera-t-on le paradigme nouveau en train de se mettre
en place sous nos yeux, et dont on pourrait anticiper l'occurrence en osant
abandonner un paradigme déjà fini qui, s'il continue à luire, ne le fait que
telles ces étoiles lointaines dans le ciel de la nuit qui, tôt ou tard, prendra
fin.
Publié sur Leaders