Pourquoi l'Occident a snobé notre fête de la constitution ?
L'adoption de notre nouvelle constitution qui fut une réelle fête
en Tunisie a été saluée par l'Occident unanime à reconnaître son caractère
révolutionnaire. Effectivement, malgré ses inévitables imperfections, elle constitue
une base sérieuse pour la mise en place d'une démocratie aux canons de notre
temps.
L'Occident ne s'est d'ailleurs pas privé de peser de tout son
poids durant le processus constitutionnel pour amener le parti islamiste au
pouvoir, érigé en allié stratégique, à canaliser ses extrêmes et se faire une
raison pour aboutir au résultat obtenu. On avait d'ailleurs annoncé une
présence de haut niveau en Tunisie à l'occasion de l'adoption de la constitution.
Et il n'en fut rien; aucun des ministres des Affaires étrangères de nos
partenaires privilégiés, encore moins leurs chefs d'État, ne furent au
rendez-vous de la Tunisie en fête. On aurait voulu chercher l'affront qu'on ne
se serait pas pris autrement !
Quelle est donc la secrète raison de pareille indifférence qui
n'est qu'un boycott sinon déclaré, du moins affiché ? Il semble qu'elle serait une
idée révolutionnaire qui commence à travailler sérieusement les têtes en
Tunisie et chez nos amis les plus soucieux d'objectivité et de paix en
Méditerranée. Leaders, d'ailleurs, s'en est fait souvent l'écho, et elle a fait
l'objet récemment d'un appel direct à M. Mehdi Jomaa sur le site ami Nawaat,
l'invitant à croire au miracle pour le réaliser.
Ce miracle consiste pour la Tunisie d'oser demander, ne serait-ce que
pour le principe (comme le fit en son temps le roi du Maroc Hassan II avec des
retombées certaines) son adhésion à l'Union européenne et l'instauration d'un
espace de démocratie et de libre circulation humaine entre son territoire et
ceux de ses partenaires européens.
Effectivement, dans de nombreux milieux conscients de la marche
inéluctable de l'histoire, on pense désormais que l'idée n'est pas aussi
saugrenue qu'on a voulu la présenter et que, non seulement elle tombe sous le
sens, mais serait même la seule issue viable pour l'instauration durable de la
démocratie en Tunisie dans l'intérêt commun de la paix et la prospérité en
Méditerranée.
L'idée fait son chemin dans les têtes, y compris les plus rétives,
au point qu'elle aurait donc motivé le boycott évoqué. À contrecœur, pour ne
pas avoir à affronter au moment le moins propice cette question légitime, les
ténors de la politique occidentale, nos amis européens surtout, ont préféré
faire l'impasse sur ce qu'ils considéraient la veille comme une absolue
nécessité : venir saluer l'entrée de la Tunisie en démocratie. Pour eux, cette
entrée ne doit pas entraîner le déséquilibre de l'ordre actuel établi, même si
tout le monde croit qu'il est aussi injuste que périmé. Ils pensent, en tout
cas, que ce n'est pas le moment, à la veille notamment d'échéances électorales
majeures en Europe.
C'est faire fi de ce qui caractérise le peuple tunisien qui,
lorsqu'il est motivé pour la bonne cause, n'a en vue que son droit, y
sacrifiant tout pour y arriver, le faire triompher envers et contre tous. Car
sa volonté et indomptable, et telle est la nature de sa revendication
aujourd'hui.
L'adhésion à l'Europe de la Tunisie est une inéluctabilité pour
équilibrer les rapports internationaux et élargir les normes démocratiques aux
pays qui y sont moins rétifs qu'incapables, dans le système actuel, de s'y
adonner adéquatement du fait de la prépondérance des impératifs politiques des
puissances du Nord sur les intérêts légitimes des peuples du Sud.
Cela ne saurait se réaliser que dans le cadre d'une aire de
civilisation occidentalo-orientale que manifesterait l'entrée de la Tunisie
bien moins à une aire culturelle étrangère qu'à un espace de valeurs communes,
celles de la démocratie. Car cela ouvrira la voie à l'extension de la
démocratie au reste des pays du Maghreb et du monde arabe, permettant à terme
l'union maghrébine et arabe tant souhaitée et qui ne pourrait se faire en
l'absence de démocratie. Or, celle-ci ne pourrait naître en dehors du système
démocratique en vigueur.
Mais est-ce que cela va dans le sens des intérêts actuels de nos
amis occidentaux ? La réponse a été apportée ce dimanche qui a vu la fête
légitime de la Tunisie enregistrer l'indifférence coupable de ses plus proches
partenaires.
Il en est bien une morale à en tirer : c'est dans une telle
attitude que se résume en dernier lieu la différence entre deux civilisations qu'on
présente comme antagonistes et qui pourraient être complémentaires grâce à ce
qu'on appelle la pensée contradictorielle où les contraires s'additionnent. L'attitude
occidentale est capable d'indifférence pour un matérialisme ravageur alors que
l'orientale ne sait se départir d'une empathie assumée par excès de
spiritualité, quitte à verser dans la sentimentalité et jouer au mieux la
comédie, au pire la tromperie.
Publié sur Leaders