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I-SLAM : ISLAM POSTMODERNE








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samedi 25 janvier 2014

Une aire de civilisation 3

Les enseignements politiques de l'affaire Ruud Krol




On ne nie plus le rôle de l'argent, investissant le sport au point d'en dénaturer l'esprit, ce fair-play qui est une autre façon de parler morale, être éthique. Certes, l'argent est incontournable, mais il y a loin de la matérialité en moyen pour vivre à la vénalité devenue la raison de toute vie.
D'où la place éminente, jamais détrompée, des valeurs morales, cette déontologie qui n'est pure qu'en étant esthétique au sens étymologique du mot pointant la sensibilité humaniste au fond de l'être humain, au-delà de sa matérialité évidente et nécessaire, le spirituel restant quand meurt la chair.

Sport, politique et éthique

Or, on vient d'avoir une illustration de l'état lamentable de cet esprit dévergondé en sport avec l'affaire de l'ancien entraîneur du club sportif sfaxien, Ruud Krol. Si j'en parle, c'est pour en user comme d'une parabole pour ce qui se passe dans le même temps en politique; or, il n'est plus besoin de montrer à quel point les deux mondes sont liés.   
De quoi s'agit-il ? L'un des plus prestigieux clubs du pays, l'Espérance de Tunis a recruté comme nouvel entraîneur le technicien néerlandais qui venait de rompre avec le club sfaxien. Ce fut le soir même d'un succès de taille à l'échelle africaine; et M. Krol pensait qu'il choisissait ainsi le meilleur moment d'une décision qu'il savait douloureuse pour l'équipe qui lui a ouvert les portes de la Tunisie. C'était mal connaître la psychologie de ce pays, faire fi de ses règles morales basiques.
L'une d'elles, et c'est ce que l'équipe de la capitale du sud n'a pas accepté, est relative au fait que son entraîneur ait choisi de partir de son équipe en rompant par anticipation un contrat en cours pour rejoindre un rival, son  plus intime ennemi sportif.
Quoi de plus normal en démocratie, dirait-on, que de vouloir changer d'équipe, aller vers celle qui offre financièrement le plus, être aussi tenté par le prestige d'une institution du pays comme c'est le cas des Sang et Or ? C'est ce qu'a pensé l'entraîneur batave en prenant le risque de heurter l'essence même des sentiments honorés dans le pays. Il ne pouvait ignorer, pourtant, le degré extrême que peut prendre, même en sport, la rivalité entre équipes. En politique, cela s'appelle une trahison. Et quand il s'avère que c'est l'équipe adverse qui a tout fait pour que cela arrive, aggravant sa mauvaise foi en allant jusqu'à orchestrer une mise en scène qui ne trompe personne, cela s'assimile au vol en droit criminel. On sait, par ailleurs, l'importance qui s'attache à la protection des données sensibles, sévèrement réprimées en droit économique; et,il en va avec le talent avéré d'un entraîneur comme avec un brevet face aux convoitises de l'espionnage industriel.    
Ce que dénonce le CSS dépasse bien évidemment le simple cadre de pareilles pratiques antisportives. Comme n'a pas hésité de le dire le président du club de Sfax, Lotfi Abdennadher, on a affaire à un complot sportif; et nous croyons qu'il est similaire à celui que l'on s'évertue à faire réussir en politique contre les revendications à la liberté et à la dignité du peuple tunisien.

Islam démocratique et libéralisme économique

Le dirigeant sfaxien a reproché à ses homologues de l'Espérance d'avoir commis l'erreur de se croire tout permis grâce à leurs finances, s'attachant les services d'un entraîneur en l'amenant à rompre son contrat le liant à Sfax. Pareillement, le capital occidental, après s'être débarrassé d'une maffia qui détournait tous les profits à son compte, veut aujourd'hui un retour sur investissement en faisant de la Tunisie un marché ouvert aux pratiques les plus éhontées d'un capitalisme peu rationalisé. Pour cela, violentant ses propres principes au nom d'une spécificité culturelle réduite à un islam supposé incompatible avec une véritable démocratie, il s'associe à un parti qui n'est démocrate qu'en apparence pour se croire tout permis en Tunisie grâce à ses finances.
Pour ce faire, il a tablé sur un parti qui se pique de cultiver une diversité affichée qui n'est que l'auberge espagnole de la démocratie : on peut y manger à sa faim pour peu qu'on y amène ce dont on a besoin; peu importe sa qualité, elle ne sera pas contrôlée, la loi demeurant celle du plus fort; or, le plus fort est toujours chez lui le plus fou.
Si je suis sévère aujourd'hui  avec un parti que l'Occident intéressé présente comme un modèle d'islam politique, je ne l'ai pas été au lendemain de la Révolution. De fait, je l'ai testé au plus près, prenant le risque de paraître naïf, refusant de croire le double langage qu'on lui prêtait déjà, dans l'attente de la preuve tangible, lui reconnaissant le droit à l'erreur. Aujourd'hui, il n'y a plus de doute; Ghannouchi ne fait que chercher à pérenniser sa présence au pouvoir. Et il le fait avec talent, mais aussi une fausse morale affichée, l'art de la guerre l'y autorisant, croit-il à tort, mais dur comme fer.
En cela, il sait compter sur son arme fatale, celle d'offrir à l'Occident qu'il juge vénal un nouveau marché ouvert au capitalisme le plus sauvage. Et il table sur le fait que l'État de droit ne pourrait être érigé sans une société de droit. De son point de vue, celle-ci ne saurait être que conforme à une interprétation particulière, fondamentalement antinomique aux valeurs universelles, au nom d'une spécificité musulmane.
Pourtant, tous ceux qui entendent relire l'islam, revenir à son essence altérée par un salafisme puisant, comme on ne veut pas le dire, dans la tradition judéo-chrétienne font bien le départ entre la spécificité incarnée par la jurisprudence actuelle léguée par les ancêtres et une autre méconnue, plus authentique, qualifiée d'islamique pour être distinguée de la première. Se fondant sur les visées de la religion, nullement sur son texte daté, elle démontre que la lecture actuelle de l'islam prônée par Ennahdha est supposée faussement moderniste. Elle est même contraire à une vision authentique de l'islam qui est parfaitement compatible avec les plus évoluées des valeurs démocratiques, y compris postmodernes et que le parti du cheikh se refuse toujours à accepter au nom de son attachement au texte littéral de la religion.    
L'Occident n'en a cure; pratiquant lui aussi son propre dogmatisme, lui faisant sacrifier la spiritualité à la matérialité. Ainsi ne cherche-t-il pas en Tunisie les valeurs d'une démocratie véritable dans un État de droit qui soit aussi une société de lois; l'essentiel pour lui est que ces lois ne contrecarrent pas celles du marché. Il reste encore incapable de s'élever au-dessus d'une vision commode d'un marché troué d'illégalité, comme l'est devenue d'ailleurs la démocratie dans ses propres contrées. Pourquoi être plus royaliste que le roi, disent ses propres ayatollahs ?

Impératifs éthiques de la démocratie

Aujourd'hui, en notre ère des communications tous azimuts et sauf à pratiquer le mensonge le plus éhonté, nulle nouvelle démocratie ne saurait s'ériger dans une réserve fermée. Elle ne saurait plus être l'apanage de seigneurs (ou saigneurs) et de serfs, les uns imposant leurs lois aux autres en contrôlant l'imaginaire de leurs élites politiques et culturelles. D'autant qu'on a démontré que la servitude véritable demeure volontaire. Il ne s'agit là que d'une forme encore plus redoutable d'impérialisme qui n'est guère différent de celui aux couleurs religieuses, car puisant dans une même veine dogmatique. Pire, les deux pratiquent une négation de l'altérité : les religieux en croyant à une élection morale, les laïcs en laissant faire tant que leurs intérêts matériels sont sauvegardés au nom du respect de fallacieuses spécificités culturelles, même en matière de droits de l'Homme.
Il n'est qu'une spécificité qui compte, celle de communier dans des valeurs humanistes dans le cadre d'une ère de civilisation. Or, aucune véritable civilisation ne peut se fonder exclusivement sur une vision vénale du monde.
Je ne suis ni le contempteur de l'Occident ni le laudateur de l'islam; je suis un humaniste, militant des valeurs, toutes les valeurs, sans exclusive ni surtout dogmatisme qui n'est qu'une forme de terrorisme.
Parfois, on a besoin d'être sauvé de soi-même par un rappel à une vérité éthique oubliée. Aujourd'hui, il ne faut pas se leurrer : si l'Occident est incontournable, son système avec ses dérivés, tel qu'il est pratiqué actuellement, ne l'est pas. C'est sauver ce système que d’agir pour le renouveler. Pour prendre l'exemple de ce pays qui nous est à la fois cher et proche qu'est la France, on voit bien où mène une surenchère libérale et essentialiste qui fait mal, pas seulement à nous, les admirateurs d'un esprit français défunt, mais aussi aux vrais démocrates français eux-mêmes. 
Aussi, je dis et je maintiens que l'occasion de refondation de la politique, sa transfiguration sur des bases éthiques, se présente aujourd'hui en Tunisie­. C'est ce qu'ont compris les Américains avant tout le monde; seulement, ils cèdent à leur péché mignon de se satisfaire de la demi-mesure qui est la plus propice à leurs intérêts économiques. Ainsi qu'on dit d'un stratège gardant plusieurs fers au feu en une époque où l'on ne peut plus anticiper les événements comme avant, ils ne ferment aucune porte, mais veulent protéger et canaliser le sens politique et économique vers une entrée privilégiée ne convenant qu'à ses intérêts. Cette entrée s'appelle Ghannouchi.
Or, eu égard aux attentes de la Révolution tunisienne — qui est d'abord un coup du peuple —, la politique du cheikh tout autant que sa lecture de la religion se sont révélées une imposture. S'en contenter de part et d'autre quand on se prétend être le héraut des valeurs démocratiques, qu'elles soient au nom de la religion ou de la sécularité, peut relever de la forfaiture pour des esprits épris d'une démocratie véritable, qui est d'abord éthique. 
Hier, les orphelins du communisme utopique criaient à l'âme de Lénine : réveillez-vous; ils sont devenus fous ! Pareillement, nous crions aux démocrates, nos amis : Réveillez-vous, les nôtres le sont tout autant ! Entendra-t-on à temps l'appel à la raison ? Cassandre aura-t-elle encore le sort connu ?
C'est un cas de conscience pour tous ceux qui honorent l'esprit humain, comme quand il nous laisse les plus sages exhortations, comme cette sage réflexion attribuée à tort à La Boétie : « Les grands ne sont grands que parce que nous sommes à genoux : levons-nous ! »