Le
sexe n'est pas tabou en islam, une métaphore pour les libertés
En réaction au climat d'ordre moral délétère qu'on veut imposer à la société tunisienne tout en violentant sa nature profondément hédoniste, je vais continuer dans cet article ce que j'ai déjà fait ici au nom à la fois des libertés que d'un islam authentique. Il s'agit de l'archéologie que je tente de notre savoir religieux, en creusant dans l'inconscient collectif, cet imaginaire qui nous fait et nous défait, afin d'y dépister ce qui nous freine dans notre marche vers plus de démocratie pour un vivre-ensemble respectueux de tout un chacun dans ses spécificités et ses différences.
Aujourd'hui,
je prendrai la métaphore du sexe comme illustration de ces freins
aux libertés, essayant de démontrer comment on pourrait faire de
nos inhibitions et des liens nous tenant rivés au médiocre, déviant
même vers le pire, une impulsion majeure vers une libération pour
le meilleur qui soit en soi. Car, comme je l'ai dit par ailleurs, il
est une lumière en nous; or, elle est souvent mise sous le boisseau.
Je
tiens de suite à préciser que mon propos sera le plus simple
possible dans son but de vulgarisation; et donc, contrairement à
d'autres articles, je le présenterai cette fois sans références
académiques, même si elles peuvent se retrouver à la moindre
affirmation en prenant la peine de les rechercher.
Ce
sera le cas particulièrement du côté français dont on signalera,
tout de même, qu'elles puisent aussi bien chez Gaston Bachelard,
Gilbert Durand, Henry Corbin que chez Carl Gustav Jung, Max Weber,
Émile Durkheim ou Michel Maffesoli.
Quant
au côté arabe et islamique, il suffit de se libérer de nos
réflexes d'autocensure pour réaliser à quel point les références
de mes affirmations sont pléthoriques. J'en évoquerai quelques-unes
malgré tout dans le corps du texte afin de répondre au souhait de
certains lecteurs, puisqu'on m'a reproché de ne pas donner
d'exemples lorsque j'ai rappelé, dans un précédent article, ce qui
n'est qu'une vérité incontestable en islam, à savoir qu'il n'est
nulle obligation absolue en islam de jeûner.
On
l'aura compris, c'est donc de la sociologie compréhensive que je
situe mon propos et qui rentre dans le cadre de ce que je nomme, pour
notre pays, une politique compréhensive. C'est ce que je propose à
nos élites en les appelant, tout autant que de se libérer d'une
lecture anachronique de l'islam, à se désembuer l'esprit de la trop
réductrice mentalité des Lumières. En effet, j'appelle les uns et
les autres à se retremper dans celles qui ont inondé notre passé
quand l'islam était bien davantage qu'un simple culte, une culture
et une civilisation oecuméniques et universelles.
C'est
ce que je qualifie de rétromodernité de cet islam des Lumières,
l'i-slam postmoderne qui est l'autre référence majeure du présent
écrit, l'islam spirituel dont parle, par exemple, Corbin ou encore
aujourd'hui Geoffroy, et qui est aux couleurs du soufisme des
vérités, le soufisme original qui a eu le mérite d'avoir bien
interprété le fait religieux islamique dans sa dimension
universaliste; ce qui est, d'après moi, le salafisme authentique.
Le
prenant en métaphore des libertés, je dirais aujourd'hui que le
sexe n'est nullement tabou en islam qui est la religion la plus
explicite en la matière. C'est d'ailleurs tout à fait
compréhensible puisqu'elle est plus qu'une simple religion, étant
un code de vie. Or, qui dit vie, dit forcément sexe; peut-on, en
effet, imaginer vivre sans s'adonner au sexe ?
Et
il est inutile de citer ici les exemples détaillés des questions
relevant de la matière sexuelle dans notre religion; ils sont
archiconnus. Il suffit de noter que le sexe a été traité tout à
fait normalement selon les valeurs de l'époque et ses connaissances.
Ainsi,
quand on se réfère aux livres anciens des jurisconsultes musulmans,
on est parfois surpris, eu égard à la pudibonderie de mise de nos
jours, par la liberté extrême de ton avec laquelle ils ont traité
des questions les plus délicates, sans fausse honte ou pruderie
déplacée. Certains termes qui sont considérés aujourd'hui
vulgaires, honteux, et qui seraient passibles de sanctions pour
outrage aux bonnes moeurs étaient même utilisés normalement, sans
la moindre vergogne par les plus illustres du Salaf. J'en évoquerai
juste le verbe "baiser" parfaitement connu en arabe
classique et présent fréquemment en poésie comme dans les livres
religieux sans la moindre gêne. Il est même dans le titre d'un des
ouvrages de l'illustre imam Siyouti :
نواضر
الأيك في فوائد النيك
On
explique traditionnellement cela par la nécessité de
l'explicitation, dans une matière aussi délicate, surtout lorsqu'il
s'agit de l'application d'une peine, et ce par un souci absolu
d'équité. C'est bien évidemment à l'honneur de nos plus anciens
jurisconsultes ayant bien compris l'esprit libertaire de l'islam. Et
je citerai ici Ibn Taymiya pour ceux qui souhaitent plus de précision
à ce sujet :
ذكر
شيخ الإسلام ابن تيمية في منهاج السنة :
من
العلماء من قال:
إنَّ
هذا يدل على جواز التصريح باسم العورة
للحاجة والمصلحة، وليس من الفحش المنهى
عنه.
De
plus, pour ne prendre qu'un exemple éloquent, les livres anciens, y
compris de fiqh, citent bien volontiers et sans la moindre gêne le
neveu du prophète Ibn Al Abbès déclamant ce vers qu'on n'oserait
plus réciter aujourd'hui de peur d'être traité, pour le moins, de
vulgarité :
وهن
يمشين بنا هميسا ***
ان
تصدق الطير ننك لميسا
Raconté
par d'éminentes sources, ce fait est d'autant plus éloquent quant à
la liberté des moeurs des anciens Arabes musulmans que le neveu du
prophète était en tenue de pèlerinage sur le chemin de La Mecque
et que personne ne met en doute sa véracité.
Pour
rester dans ce registre du parler vulgaire auquel on est habitué
dans nos rues et que je prends à dessein comme un archétype, il
faut dire qu'il existe bien dans la tradition arabe musulmane des
expressions jugées aujourd'hui immorales, mais dont on usait
également sans la moindre restriction ni fausse pudeur. Mieux ! le
prophète lui-même n'en déconseilla pas l'usage, y invitant même,
ce qui était parfaitement logique du fait qu'il s'agissait d'un
phénomène bien incrusté dans la mentalité populaire. Cela
démontre encore une fois pour qui en douterait l'absolue adaptation
de notre religion à son temps.
On
rapporte ainsi de l'un des plus illustres Compagnons du prophète,
Obey Ibn Kaab qu'il usait, contrairement à ses habitudes avant sa
conversion, d'injures du type :
أعضك
الله بأير أبيك ou
أعضض
بأيرأبيك.
والأير
هو العضو الذكري للرجل
et
encore :
أعضض
بـظر أمك.
والبظر
هوالعضو الجنسي للمرأة
Or,
quand on reprocha à Obey cette vulgarité nouvelle, voici ce qu'a
été sa réponse selon les sources fiables de la Tradition
عن
أبيّ رضي الله عنه أن رجلا اعتزى فأعضه
أبي بهن أبيه فقالوا :
ما
كنت فاحشا قال :
إنا
أمرنا بذلك.
والهن
بمعنى الفرج.
Cela
est d'ailleurs confirmé par ce qu'on raconte sur le prophète
lui-même comme dans ce récit authentique :
لما
أتى ماعز بن مالك النبي صلى الله عليه
وسلم قال له :
لعلك
قبّلت ، أو غمزت ، أو نظرت.
قال
:
لا
يا رسول الله ، قال :
أنكتها
.
لا
يكني ، قال :
فعند
ذلك أمر برجمه .
أخرجه
البخاري ]6824[
وأحمد
شاكر ]مسند
أحمد 4/143[
،
والألباني]إرواء
الغليل 7/355
[ عن
عبدالله بن عباس -
صحيح
D'ailleurs,
les récits tout aussi authentiques sont pléthoriques de la part
d'illustres Compagnons sur des propos usant d'un langage qu'on
jugerait aujourd'hui ordurier. Ainsi du premier des Compagnons, Abou
Bakr qui n'hésitait pas à insulter de la sorte les idolâtres :
امصص
بـبـظـر اللات ]البخاري
2731[
Il
en allait de même pour l'oncle du prophète, Al Abbès, parlant au
calife Omar qui, bien que réputé pour sa grandeur morale et son
intégrité éthique, ne le reprend point ni, à plus forte raison,
ne lui reproche pareille verdeur de langage qui enverrait en prison
de nos jours :
أعضك
الله بـبـظـر أمك ]كنز
العمال 12/
675[
Et
cela n'est pas propre aux sunnites, puisqu'on rapporte, tout aussi
authentiquement, que Hussein, fils de Ali, eut cette réponse à un
émissaire des autorités omeyyades :
أكلت
بـظـر أمك إن لم تبلغه عني ما أقول له
]المطالب
العالية للعسقلاني حديث 4581[
Ce
que je veux dire par ce qui précède, considéré surtout en termes
métaphoriques, est que l'islam estime, à bon droit, que le croyant
ne peut l'être véritablement que s'il est parfaitement bien dans sa
tête et dans son corps. Et cela nécessite, comme de bien entendu,
que l'être humain assume sa nature et vive, quand cela est
nécessaire, ses pulsions sexuelles y compris avec sa spontanéité
langagière, s'il le fallait. C'est qu'il y a un âge pour tout, et
il faut que la jeunesse, avec ses excès inévitables, se fasse pour
que la maturité s'installe sans fêlures.
En
effet, on sait qu'une sexualité qui n'est pas assumée en son temps,
c'est-à-dire notamment en période d'adolescence, est facteur de
troubles de la personnalité, de refoulements et de névroses. D'où
un déséquilibre irrémédiable de la personnalité à l'âge
adulte. Aussi est-il de la plus haute importance que l'adolescent
musulman, loin d'avoir honte de l'appel du sexe en lui ou de refouler
ses pulsions et les éventuels mots vulgaires qui lui échapperaient
du fait de la pression sociale, les vive en les assumant afin de se
réaliser entièrement en tant qu'être humain sexué et s'en libérer
spontanément sans culpabilisation. C'est la seule façon pour qu'il
soit équilibré plus tard, à l'âge mûr, en étant épanoui, bien
dans sa tête et dans son corps. Or, un esprit sain ne peut se
développer dans un corps soumis au refoulement et au retour forcé
du refoulé.
Pareillement,
il est inutile et même contre-productif de s'offusquer
officiellement de la verdeur du parler de nos rues et de culpabiliser
nos jeunes pour cela alors qu'ils ne font que se comporter aussi
spontanément. Le mieux est certes qu'ils arrivent le plus
naturellement du monde à éviter la langue des rues. Mais cela ne se
commande pas ni ne s'impose, surtout pas par la force; et on ne
réussira certainement pas à y arriver en imposant un ordre moral
dans nos villes, sur nos ondes et dans nos livres et revues. La
liberté doit régner et c'est l'apprentissage de cette liberté qui
amènera, grâce au sens inné de l'équilibre du Tunisien, à ne pas
dépasser les limites d'un vivre-ensemble harmonieux, respectueux de
tous.
Il
est évident que tout cela n'est pas facile dans une société
devenue pudibonde et faussement moralisatrice. Et je dis bien
faussement, car la morale à laquelle nous assistons n'a nul
fondement religieux comme j'en ai donné ci-dessus un court aperçu.
Qu'on réalise enfin que l'islam, respectueux de la nature humaine,
est bien loin de réprimer la nature sexuelle en nous, appelant au
contraire à ce qu'elle soit le plus possible épanouie.
Il
reste, toutefois à ne pas oublier que ce que la religion commande,
ce qu'elle impose et ce qu'elle interdit, c'est une pratique sexuelle
sans mesure, soit le sexe sauvage, sans règle de bonne conduite et
sans un minimum de rationalité. L'islam ne fait qu'appeler à un
équilibre à trouver en la matière, à avoir et à garder. Je
m'explique. Le libéralisme de l'islam en matière sexuelle est
limité à juste titre par un souci naturel de préservation de la
lignée, outre bien évidemment le minimum de décence, normal en
termes de convivialité, mais qui n'est pas absolue, ne se résolvant
pas en fausse pudeur, comme on vient de le voir.
Empressons-nous,
en effet, s'agissant de cette décence, de noter que nous ne parlons
ici que du sexe sobre, celui qui est dans la nature humaine portant
l'être sexué à satisfaire un besoin placé en lui par la nature.
Il ne s'agit donc que d'assumer sa nature en ne réprimant pas ses
besoins loin de tout excès. Ce
qui n'exclut nullement, bien sûr, l'effort de dominer ses pulsions
et d'être abstinent. D'ailleurs, on le sait, les excès
sont souvent la résultante de la privation. Et on le sait aussi,
l'islam réprouve les privations qu'impose par exemple le monachisme.
Ensuite, du moment que le sexe est pratiqué décemment, il est libre
en islam et nulle interdiction ne saurait le frapper s'il ne risque
pas de perturber la nécessité vitale de la lignée. C'est pour
préserver celle-ci que des règles ont été édictées pour que le
sexe soit encadré dans les liens protecteurs du mariage.
En
effet, à une époque où la contraception n'existait pas, l'islam ne
pouvait qu'ériger l'institution du mariage comme un pilier majeur
d'une vie sociale harmonieuse. Et malgré cela, il n'a pas hésité,
pour tenir compte de la nature humaine, à reconnaître la licéité
de rapports limités dans le temps, et donc limités à l'acte
sexuel, dans le cadre de ce qui a été appelé زواج
المتعة .
Que cette
exception parfaitement légale ait été par la suite interdite par
l'islam sunnite ne retranche rien à la volonté de notre religion
d'être tolérante et bienveillante avec les penchants sexuels de ses
adeptes, car elle sait qu'il y va de leur équilibre psychologique.
Or,
si tel était le cas en un temps où aucun procédé contraceptif
n'existait, que dire aujourd'hui avec tous les dispositifs que nous
connaissons de nature à renforcer la volonté protectrice de la
lignée en islam ? Cela veut-il dire alors que la relation hors
mariage serait à reconsidérer malgré l'existence de textes précis
la concernant ? La question ne se pose pas ici et nous y reviendrons
le moment venu dans le détail, textes à l'appui. Dans l'immédiat,
nous préciserons juste que la problématique qui nous occupe est la
suivante : comment concilier la liberté attestée en islam en
matière sexuelle et l'évolution des moeurs? Ainsi, nous avons
démontré, par exemple, dans une précédente étude exhaustive avec
preuves à l'appui que l'homosexualité n'était nullement interdite
en islam, aussi bien par le Coran que par la Tradition authentique du
prophète. Pourquoi donc continue-t-on à poursuivre pénalement et
aussi injustement des innocents au nom de la religion et des bonnes
moeurs?
Comme
quoi, l'islam vrai est encore à découvrir par les siens, surtout
ceux qui prétendent imposer par la force leur lecture pudibonde
altérée ! À nous donc de le redécouvrir comme un enseignement
pour les libertés, toutes les libertés. En effet, si l'islam est
venu sublimer la soumission de la créature à son créateur, c'est
bien pour magnifier sa totale liberté par ailleurs. On dit souvent
que l'islam est la religion de l'absoluité divine; mais on oublie
qu'elle l'est car, dans le même temps, elle est aussi celle de
l'absoluité de la liberté de l'homme. En effet, seul un être libre
— totalement libre — peut offrir la meilleure adoration à
l'absolue divinité.
C'est
cet islam-là qui est en mesure de fonder une expérience originale
politique en Tunisie, y installant une démocratie véritable, tout
en redonnant sa splendeur à l'islam, cette modernité avant la
lettre pouvant en faire de lui la religion postmoderne par
excellence; ce que je qualifie donc d'i-slam. Au parti islamiste au
pouvoir de se transfigurer donc totalement en contrebalançant ses
archaïsmes en termes d'adhésion aux canons de la démocratie par
des innovations majeures dans sa lecture de la religion, qui ne
seront pourtant pas de l'invention ex nihilo, mais juste une
réinterprétation plus authentique de l'islam des origines
Que
nos ayatollahs de Nahdha et des partis religieux nationaux
redécouvrent leur religion avec des yeux enfin non conditionnés par
la morale judéo-chrétienne qui avait cours à l'époque et que les
jurisconsultes, consciemment ou inconsciemment, ont plaquée sur les
préceptes originaux de l'islam, bien plus libertaires, puisque
l'islam est venu en une révolution contre les moeurs sociales de
l'époque. À cette occasion, je me permets de leur rappeller cette
fine expression attribuée à Ali Ibn Abi Talib, l'un des califes
bien guidés, et que confirme la sagesse humaine universelle : le
savant véritable est un ignorant durable
ما
زال العالم عالما مادام يطلب العلم، فإن
ظن أنه علم فقد جهل