Je fais un rêve !
I have a dream ! Il y a tout
juste cinquante ans, l'anaphore célèbre de Martin Luther King fut proclamée en
un message d'espoir repris par le monde entier. En effet, prononçant en ce 28
août 1963 son discours sur les marches du Lincoln Memorial pendant la Marche
vers Washington pour le travail et la liberté, le leader noir américain parla
au nom de toute l'humanité.
Aussi, nous voudrions
aujourd'hui, date anniversaire de cet éloquent message d'humanité, saluer la
mémoire de ce militant de la cause des libertés en reprenant sa thématique et
en l'adaptant à notre pays.
Comme lui, rêvant d'un
avenir paisible pour les Noirs et les Blancs en Amérique, nous souhaitons
chanter notre désir de voir, à l'avenir, les religieux et les laïques en
Tunisie coexister en harmonie et vivre en paix, égaux en droits, sans peur, en
étant libres dans leur conscience finalement émancipée du moindre dogmatisme.
Aussi, invoquant l'esprit du
leader américain, mais aussi celui de Paul Valéry, de Pierre de Marbeuf, de
Maurice Maeterlinck, de Charles de Gaulle et de François Mitterrand, je fais un
rêve.
Je fais un rêve que les
architectes de notre actuelle politique écrivent les textes magnifiques pour la
Constitution et pour la pratique du pouvoir qui se traduisent par la promesse
que chacun des Tunisiennes et des Tunisiens, religieux ou laïc, croyant ou
non-croyant, serait assuré de son droit inaliénable à la vie, à la liberté et à
la dignité, clé de la recherche du bonheur.
Je fais un rêve que nous ne
serons plus insatisfaits de l'injustice au pays et nous ne serons pas
satisfaits jusqu'au jour où la justice régnera comme le soleil en notre été, et
l'équité en droit à la différence réchauffera les cœurs comme l'incandescence
de nos sentiments à fleur de peau.
Je fais un rêve que bientôt
ce peuple se lèvera à la hauteur sublime de sa religion et vivra le vrai sens
de sa foi; une foi authentique dans sa tolérance et son humanisme. Et nous
tenons cette vérité comme allant de soi, que le croyant qui a la foi est l'égal
de l'humain son semblable, même s'il ne la partage pas, car il a ce qui est
supérieur à la croyance, son humanité; or les hommes naissent et restent
égaux.
Je fais un rêve qu'un jour
très prochain chaque injustice sera levée, chaque difficulté sera aplanie, les
conflits d'intérêts seront réglés et les pratiques tortueuses seront redues
droites. Alors, la gloire de ce peuple, humble mais digne dans sa souveraineté,
sera révélée et célébrée; tous les humains la verront et la salueront en
s'inclinant devant le génie tunisien.
Je fais un rêve que les
enfants de Tunisie pourront très bientôt chanter avec un sens nouveau l'hymne
de la patrie : Nous sommes enfin libres ! Notre pays, fiers de toi, que la
liberté retentisse dans tous tes parages! C'est de toi, donc, douce patrie de
la liberté, c'est de toi que je chante et j'écris ton nom : liberté, chérie !
Je fais un rêve car :
Moi, j'attends un peu de réveil,
Moi, j'attends que le sommeil passe,
Moi, j'attends un peu
de soleil
Sur mes mains que la lune glace.[1]
Je fais un rêve et je dis aux
miens :
Patience, patience,
Patience dans l'azur !
Chaque
atome de silence
Est la
chance d'un fruit mûr ![2]
Je fais un rêve et je leur
rappelle :
Et la mer et l'amour ont l'amer pour partage,
Et la mer
est amère, et l'amour est amer...
Celui qui
craint les eaux, qu'il demeure au rivage,
Celui qui craint les maux qu'on souffre pour aimer,
Qu'il ne
se laisse pas à l'amour enflammer...[3]
Je fais un rêve, car
maintenant je pardonne à la douce fureur d'antan et j'ose dire aux regrets :
Si les rêves ont été l'abus de ma jeunesse,
Les rêves seront aussi l'appui de ma vieillesse,
S'ils furent ma folie, ils seront ma raison,
S'ils furent ma blessure, ils seront mon Achille,
S'ils furent mon venin, le scorpion utile
Qui sera de mon mal la seule guérison.[4]
Je fais un rêve de la
Tunisie, ma mie, Tunisie outragée ! Tunisie brisée ! Tunisie martyrisée ! Mais
Tunisie, libre et libérée ![5]
Je fais un rêve d'une
Tunisie devenue le pays des libertés, modèle de la transfiguration nécessaire
du politique où l'on s'honorera désormais de rendre honneur rituellement et
régulièrement aux militants des valeurs et des libertés, et dont l'hymne sera
:
Salut aux humiliés, aux
émigrés, aux exilés sur leur propre terre qui veulent vivre et vivre libres.
Salut à celles et à ceux qu'on bâillonne, qu'on
persécute ou qu'on torture, qui veulent vivre et vivre libres.
Salut aux séquestrés, aux disparus et aux
assassinés qui voulaient seulement vivre et vivre libres.
Salut aux prêtres brutalisés, aux syndicalistes
emprisonnés, aux chômeurs qui vendent leur sang pour survivre, aux indiens
pourchassés dans leur forêt, aux travailleurs sans droit, aux paysans sans
terre, aux résistants sans arme qui veulent vivre et vivre libres.[6]
Et je fais le rêve éveillé,
car il sera, instamment, réalité !
Notes :
[1] Maurice Maeterlinck, Heures
ternes in Serres chaudes.
[2] Paul Valéry, Palme in
Charmes.
[3] Pierre de Marbeuf, Sonnet,
Poètes français de l'âge baroque, Anthologie (1571-1677).
[4] Joachim du Bellay,
Maintenant je pardonne à la douce fureur... in Les Regrets. On aura noté que je
remplace le mot "vers" par celui de "rêves".
[5] Charles de Gaulle, extrait
du discours du 25 août 1944 à la libération de Paris. Bien évidemment, à paris,
j'ai substitué Tunisie avec l'ajout du mot "libre" à la fin.