Un avis de
prudence a été émis par le département d'État américain à tous ses
ressortissants dans un certain nombre de pays, dont le nôtre. Par cet
euphémisme, il faut comprendre que le pire est à craindre les prochains jours.
En effet, sans
même nous référer aux interceptions des communications électroniques faites par
les autorités américaines sur l'intention affichée des groupes faisant du
terrorisme une arme habituelle de lutte pour leurs idéaux, le bon sens suffit à
deviner qu'une période aussi trouble que celle que nous vivons est propice au
pire.
Ce que ne
disent pas les Américains, et qui n'est pas moins évident, c'est qu'outre le
fait que ces groupes terroristes peuvent être eux-mêmes manipulés, il est aussi
des acteurs agissant dans l'ombre en leur sillage ou séparément pour faire
avancer leurs propres pions, profitant de la situation.
En l'occurrence,
la légitimité prise en otage aujourd'hui en Tunisie par les intérêts partisans
des uns et des autres est une carte blanche à la liberté émotionnelle
emportant, nonobstant le meilleur des intentions dans quelques cas, le pire et
rien que le pire en termes de paix, de sécurité du pays.
La situation
d'anarchie actuelle, traduit certes à la base l'émancipation du peuple de toute
autorité, mais cela ne peut convenir aux accros de l'ordre, qu'il soit immanent
ou transcendant. Aussi, elle ne peut durer et ne saurait se maintenir au-delà
d'un seuil de tolérance avec lequel on flirte déjà.
Aussi, en
l'absence de spectaculaires mesures de nature à aller dans le sens des attentes
et de l'imaginaire populaires comme celles dont je parlais récemment,*
l'inertie pour ne pas dire l'incurie du gouvernement étant avérée, c'est le
scénario catastrophe que chaque bord privilégie en tablant sur ses atouts pour
y avoir le meilleur casting.
Il n'est donc
pas farfelu d'annoncer la poursuite des actes abominables heurtant les
consciences, comme ces "attentats dans les transports et d'autres
infrastructures touristiques" prédits par les Américains.
Il est évident
que dans pareil engrenage, et si les intentions s'affichent comme une
contre-croisade contre l'Occident, à travers ou en plus des intérêts
américains, ce qui sera affecté en premier, ce seront les intérêts du pays
concerné, le nôtre en l'occurrence et ceux de son peuple qui ne souhaite
pourtant, dans son immense majorité, que cultiver sa propension à une vie paisible.
Certes, les
Européens ne semblent pas partager la certitude américaine d'une menace
imminente les visant; mais cela peut s'expliquer, s'agissant de la Tunisie, du
fait de leur attention moins perspicace aux événements qui s'y passent que
celle de leur partenaire outre-Atlantique qui y est impliqué depuis bien avant
la Révolution. Toutefois, ils ne contestent pas que la situation y soit
incertaine; et il appartient d'interpréter cette nuance eu égard aux
spécificités politiques du pays.
En effet, il
n'est un secret pour personne que la politique yankee en notre pays est marquée
par une ouverture certaine à un jeu politique impliquant le parti islamiste,
tentant le pari de l'impliquer à la vie politique pour l'assagir. Cela se fait
avec des hauts et des bas, et bien plus de bas que de hauts, mais ils n'en
décrochent pas. Et ils ont raison pour le long terme.
Par contre,
nos voisins européens ne se gênent pas dans leur refus de principe, finissant
en attitude dogmatique, d'amalgamer la religion dans la politique et cachent à
peine aujourd'hui leur soutien à la contestation majeure de l'ordre islamiste,
issu de la légitimité des urnes pourtant, par un retour certes théoriquement
défendable, mais surprenant de leur part, à la légitimité de la rue.
Je suis le
premier à me réclamer de cette dernière, la puissance sociétale étant le seul
véritable pouvoir en notre époque postmoderne, un pouvoir instituant vidant le
pouvoir institué de toute son antique aura. Toutefois, ce qui se passe
actuellement sur la scène publique n'est pas de l'ordre de la transfiguration
du politique à laquelle j'appelle, l'abandon d'une conception politicienne à
l'antique; il relève bien plus de l'opportunisme qui voit une alliance
contre-nature entre les ennemis d'hier avec, pour unique objectif, la conquête
du pouvoir, quitte à user des catégories postmodernes le temps qu'il faut avant
de les rejeter, une fois l'ordre revenu et redevenant sacro-saint.
Pour cela, on
ne peut que craindre les pires convulsions avec la confusion initiale des
valeurs chez ses protagonistes de la gauche et de la droite, alliés aujourd'hui
et ennemis hier, le pouvoir et sa conquête pouvant justifier tous les excès
pour qui n'est pas à cheval sur les principes. Or, de nos jours, en Tunisie, ces
derniers sont assez vite foulés au pied.
Aussi l'alerte
est-elle bel et bien maximale et l'appel à la raison aux uns et aux autres plus
qu'impératif, si l'on pense d'abord et avant tout véritablement à l'intérêt des
plus larges masses de ce peuple qui n'aspire enfin qu'à une conciliation qui
soit juste et équitable pour tous.
Que les
enfants les plus sincères de ce pays fassent donc montre de sagesse; qu'ils
appellent non pas à défendre une légitimité ou une autre, toutes deux
légitimes, mais qu'ils agissent au nom de la raison et de la morale, pour la
paix et le retour à la stabilité en ce pays !
Qu'ils usent
de leur sens humain d'abord avant leur instinct d'animal politique et qu'ils se
disent que l'histoire ne pardonnera pas à qui aura permis que ce qui n'est qu'une
alerte maximale pour l'instant se transforme en une tragédie avec les attentats
qu'on prédit !
Une telle
bascule dans l'horreur, que les stratégies manichéennes ou machiavéliques
n'excluent pas, en supputant d'immédiats bénéfices, ne sauraient que desservir
tous ceux qui, de près ou de loin, y auraient participé, activement ou
passivement, en acteur ou en complice objectif.
Car le peuple,
le vrai, dans sa majorité silencieuse, ne leur pardonnera pas; et il sait
toujours distinguer ses véritables de ses faux défenseurs. Dont acte.