De la raison islamique pure ou une foi à
retrouver
Une tradition monothéiste commune :
Nous, les croyants des trois religions
monothéistes, tous gens de ces Écritures sacrées qu'on appelle du Livre,
inaugurées par l'Ancien Testament et couronnée par le Sceau des Révélations,
l'Ultime Testament islamique, nous sommes les enfants d'un seul pater familias
et nous communions dans le même esprit de famille, celui de la coutume
abrahamique.
Appelée longtemps tradition judéo-chrétienne,
celle-ci n'est pas moins judéo-christo-musulmane et elle se veut, aujourd'hui,
exclusivement musulmane quand elle n'est que sémitique, incluant surtout les
Juifs et les Arabes.
Il est plus de traits dans cette tradition dite
musulmane référant au judaïsme et au christianisme qu'à l'esprit authentique et
authentifié de l'islam et ce bien qu'on les retrouve particulièrement incarnés
dans le salafisme de nos rues, dogmatique et intolérant.
Oublierait-on, par hasard, que le message de
l'islam est venu rétablir une conception originale dans sa pureté originelle de
la foi d'Abraham en la marquant notamment d'insignes marques de tolérance et
d'humanisme en un temps de cruauté où pareil esprit s'était dévergondé sinon
perdu. Ainsi, la tradition judéo-chrétienne n'en garda que si peu de traces,
reproduisant l'esprit du temps dans certains domaines sociaux que nous
retrouvons si vivaces chez nous aujourd'hui, comme il sera précisé dans cet
article.
Rappelons, pour commencer qu'en tant que
monothéistes ou en étant simplement humains, nous sommes tous pareils, et dans l'humain,
il est de l'humus ainsi que l'indique l'étymologie, la nature humaine étant, par
définition, imparfaite, toute part noble en elle ayant son contraire. Cet
esprit d'égalité absolue des créatures divines que nous sommes tous au-delà de
nos différences, nos qualités ou nos turpitudes, nous l'avons en notre religion
où il est patent que rien ne distingue tant les créatures que leur foi en leur
créateur. Or, cette foi peut prendre diverses formes; d'où les cultes variés; et
elle n'est pas nécessairement cultuelle, se faisant obligatoirement musulmane,
puisqu'en sceau des Écritures, l'islam reconnaît le judaïsme, première
révélation en titre et le christianisme, première manifestation universaliste du
monothéisme.
Spécificité de la foi islamique :
La foi, en islam, est d'abord et avant tout la
reconnaissance de l'unicité divine; et elle peut revêtir diverses formes qu'une
simple croyance ne peut autoriser, étant forcément limitée et particulariste. En
islam pur, la foi musulmane est donc inférieure à la foi tout court qui est la
foi islamique ou hanafisme islamique. La première correspond à la croyance,
stade inférieur de la foi qui est purement cultuelle, tandis que la seconde,
foi véritablement islamique est une foi libre en un Dieu omniscient et
omnipotent, essentiellement clément et miséricordieux; une foi incluant donc le
culte, mais le dépassant et se résolvant en culture où les autres fois
monothéistes se trouvent intégrées.
En cet islam pur, islam des origines, la foi est
liberté et le rapport entre Allah et sa créature est direct, sans le moindre
intermédiaire. En islam hanafite, degré supérieur de la foi, bien plus culturel
que simplement cultuel comme il a été dit, croire ne peut jamais signifier
mourir pour sa foi, mais survivre pour la faire vivre et prospérer. Et cela est
à faire non pas par la contrainte et la terreur, mais bien par l'exemple, le
meilleur que peut donner le vrai croyant, celui qui a la foi, soit celui qui ne
se contente pas des apparences, mais incarne dans sa vie de tous les jours ses
préceptes. Il est ainsi ce juste de voix et de voie auquel l'islam convie ses
adeptes.
La foi islamique est donc un entendement, une
sagesse, une sapience commune au monothéisme, l'islam en tant que culte en
étant la branche majeure, mais non la seule, et en tant que culture, le
récipient de l'ensemble des révélations monothéistes comme hanafisme islamique
du fait de la nature de l'islam en sa qualité de sceau des Écritures.
Sources judéo-chrétiennes de la tradition
musulmane :
Que voit-on, pourtant autour de nous? Le voile
qui est une constante anthropologique dans le pourtour méditerranéen et dont le
port est récurrent dans toutes les religions des Écritures est proclamé
abusivement islamique alors qu'il n'est pas plus musulman que judaïque ou
chrétien ! Il suffit de prendre les figures des nonnes et des juives rabbins
pour risquer de les assimiler à nos musulmanes d'aujourd'hui, pensant que le
voile fait la musulmane, comme si l'habit faisait jamais le moine, et ne se
doutant pas du ridicule d'une telle prétention loufoque à une quelconque fausse
originalité en la matière. D'ailleurs, en pur islam, ledit prétendu voile
islamique est bel et bien une hérésie d'esprits machistes tournant notre
religion selon leurs humeurs d'un autre temps.
Il faut donc se rendre à l'évidence : même le
moralisme excessif de nos religieux n'est absolument pas islamique, car il ne
fait que reproduire la morale sémitique basée sur l'interdit et la peur de la
moindre surface de nudité de la chair, même la plus anodine. En effet, en la
matière, l'islam a été la religion la moins puritaine, car la plus humaniste,
tout en étant en avance sur son temps eu égard au retard en l'objet des autres
religions des Écritures.
Faut-il multiplier les exemples illustratifs de
la communion dans une même tradition de pudibonderie des religions
monothéistes, tradition désormais reniée chez les siens, juifs et chrétiens, et
finalement appropriée par ceux qui y étaient étrangers, les musulmans? Pareille
tradition s'est, en effet, infiltrée en islam pour le marquer de son empreinte
issue des Ancien et Nouveau Testaments envers et contre l'esprit islamique et
la pure raison arabe musulmane. J'en donnerai illustration infra.
Disons, dans l'immédiat, que nous avons
aujourd'hui, dans l'esprit des musulmans, un blocage culturel double qui est
tellement incrusté dans l'inconscient qu'il ne peut disparaître que par un
travail de conscientisation et de prise en considération de la raison pure
islamique, sans relâche et sans concession. Ce blocage est fait d'une
conviction de l'excellence qui n'est en rien islamique, puisqu'elle est
l'héritage du mythe juif du peuple élu, et d'une prétention à la détention de
la vérité érigée en une vérité unique, détenue par une caste de savants à la science
infuse, les oulémas et les cheikhs. Se positionnant en intermédiaires entre
Dieu et les croyants alors qu'il n'est nul intermédiaire en islam entre eux,
ils ne sont pas sans rappeler les rabbins et les prêtres, réintroduisant en
islam pur église et synagogue, pourtant écartées l'une et l'autre de la
pratique de la foi islamique véritable.
Par conséquent, quand nous l'incarnons comme
nous le faisons d'une manière extrême et extrémiste, la foi que nous croyons
musulmane est au mieux une croyance sémitique; elle n'est en rien
authentiquement islamique, car l'islam est venu justement pour révolutionner
pareille tradition en libérant le croyant de l'emprise de l'esprit pur du
judaïsme et du christianisme excessivement moralisateur au point d'en devenir par
trop liberticide. Or, en islam, n'étant soumis qu'à Dieu, le musulman est, par
définition, l'homme libre de toute contrainte, et c'est sa foi même qui lui
garantit une telle liberté.
Les racines de la guerre sainte :
S'agissant du Jihad ou guerre sainte, notons
pour commencer que l'islam n'a en rien innové en la matière, sinon en
humanisant cet épisode fatal, au vu des valeurs de l'époque, de tout ordre
nouveau venant prendre la place d'un ordre fini.
Et nous rappelons ici la notion de guerre totale
de l'Ancien Testament que déjà le Nouveau Testament a cherché à atténuer aidé
en cela par le caractère purement civil de la personnalité de Jésus-Christ.
L'islam, quant à lui, a eu le mérite de
confirmer cette tendance du christianisme premier et de la renforcer malgré le
statut hautement politique de son prophète. Il fut ainsi la première religion
des Écritures a codifier la guerre, la dotant de lois, imaginant à l'avance un
statut aux conflits armés, se révélant en quelque sorte le précurseur des
fameuses législations humanitaires de Genève.
Et le génie de l'islam fut de consacrer, au
final, le principe de la guerre défensive plutôt que la guerre offensive et, en
plus, de distinguer deux niveaux à la guerre sainte : l'un subalterne ou petit
Jihad, correspondant à la guerre sainte telle que consacrée par la tradition
judéo-chrétienne, et le grand Jihad, seule vraie guerre sainte islamique, car
consacrant l'humanisme de son message, et qui est une guerre livrée à soi-même
et aux turpitudes personnelles intrinsèques à la nature humaine.
Il est donc pour le moins aberrant que cette
religion qui a élevé au plus haut niveau la tolérance et la magnanimité,
prônant le vivre-ensemble le plus paisible entre les croyances diverses, soit
ainsi violée en ce qu'elle a de plus original en elle, son humanisme. Et
pareille aberration relève même de la pure incroyance puisqu'elle ne fait que
détruire ce que l'islam a eu le mérite d'édifier résolument et avec force en un
environnement hostile : une œuvre de paix en un temps de guerres incessantes,
un message d'humanisme en une époque de xénophobie extrême, une entreprise
sanctifiant la valeur humaine et sa liberté sans limites de race, de croyance,
d'origine ou de mœurs, face à sa négation tous azimuts par la tradition religieuse
dominante.
Pareille incroyance verse même carrément dans
l'idolâtrie par cette vénération des formes tutélaires de haine et d'exclusion
de son prochain qu'on voit substituer à une divinité par définition toute
clémence, toute miséricorde, et ce en un temps devenu enfin moins cruel, plus
propice à l'épiphanie des nobles valeurs portées par l'islam, désormais
consacrées universellement par le concert des nations.
N'est-ce pas atteindre au plus haut degré de
l'irraison, qui est la signification même de l'idolâtrie, que de se prétendre
musulman en prêchant justement le contraire de ce à quoi il appelle et ce qui
constitue l'essence de son message et son originalité propre : ce message de
raison, œcuménique de par son humanisme et la progressivité de ses
prescriptions respectueuses de la nature humaine dans ce qu'elle a de plus
fondamental, de plus universel?
Illustration de la raison islamique pure :
Il est temps d'illustrer maintenant notre propos
par trois exemples pertinents qui sont d'autant plus éloquents qu'ils relèvent
de ce non-dit tellement intégré dans les consciences qu'il est, à tort,
considéré comme relevant de la foi islamique alors qu'il en viole l'esprit
véritable et la raison pure.
Et d'abord la liberté de croyance. Elle est
consacrée de la plus belle et la plus éloquente manière dans le Coran qui, en
tant que source première et supérieure de la loi islamique, ne condamne aucunement
l'apostasie, en laissant le jugement à Dieu, seul souverain pour réprimer ou
pardonner. Ce n'est que la tradition ultérieure, nullement prophétique, ou
alors selon une interprétation erronée des dits avérés, qui est venue faire
l'exégèse des versets coraniques, évidents et clairs pourtant, dans le sens de
l'exclusion des apostats et leur mise à mort.*
Ce qui n'a rien d'islamique ensuite, c'est
l'appréhension du sacré qui est, en pur islam, un sacré bien plus moral et spirituel,
mais nullement matériel ou encore physique et corporel. Il est ainsi pour le
moins aberrant de voir de nos jours les musulmans ériger de nouvelles idoles en
sacralisant certaines formes et images, autant d'icônes prétendues islamiques
tout en interdisant d'autres, figeant l'islam, son esprit et sa raison
révolutionnaires, valables pour tout temps et en tout lieu, dans une forme
datée et déformante. Iconoclaste, ennemi déclaré de l'idolâtrie, l'islam l'a
été du fait que le sacré véritable se manifeste par le respect et la pureté de
l'intention avant d'être incarné dans une forme quelconque, réductrice et
altérante qui plus est.
C'est que le sacré, en islam pur, est moins une
représentation, une apparence à laquelle il est interdit de tendre la main et
d'y toucher, qu'une attitude de vénération absolue, et qui est donc une
inclination juste du cœur qui, en aucune façon, ne peut verser dans l'injuste.
Car la justice de l'attitude de respect du sacré ici se résout dans la justesse
du comportement se retenant d'en altérer la hauteur par un geste indigne, une
basse parole.
Et on sait à quel point est porté l'attachement
de l'islam à la nécessaire prééminence de la justice et de l'attitude juste
dans les affaires humaines qui sont par nature imparfaites. C'est pour cela que
l'islam, étymologiquement, dérive tout à la fois de la soumission à Dieu que de
la paix que tout un chacun doit pouvoir trouver auprès du vrai musulman, comme
ce dernier la trouve assurément auprès de son créateur. Et ce n'est que justice
!
À ce sujet, il n'est peut-être pas inutile de
rappeler ce qu'on oublie bien volontiers, à savoir l'innovation majeure pour
son temps de notre religion que fut le statut de Dhimmitude, décrié
anachroniquement aujourd'hui, alors qu'il fut une révolution en une époque d'exclusion
absolue de l'altérité. Une attitude similaire serait de la part des musulmans
d'aujourd'hui de reconnaître à l'altérité, toute sorte d'altérité, le même
statut octroyé par Dieu au croyant en termes de droits et de libertés.
Saurait-on vraiment prétendre être de vrais musulmans en traitant notre prochain
moins bien que ce que lui prévoit Allah qui se réserve le droit de juger son
comportement en confirmant ou en infirmant sa conformité ou non avec sa loi ?
N’est-il pas mieux placé que nous pour juger si sa loi a été honorée ou non par
ses créatures?
Enfin, citons un sujet ô combien
sensible sur lequel même les plus patentés des militants des droits de l'Homme
n'ont pas honte, en terre d'islam, de se taire — et encore à tort —, car
notre religion lui garantit le plus strict respect dans un équilibre parfait
entre les exigences sociales et le réquisit de respect de la liberté
individuelle. Il s'agit de la question de l'homosexualité qui n'est, rien de
moins, que le plus grand mythe en matière de mœurs en islam.
En effet, et je l'ai démontré par ailleurs dans
un article circonstancié,** l'anathème actuel touchant cette pratique sexuelle
particulière n'a en aucune façon une origine arabe ou islamique. Le rapport de
l'Arabe au sexe est un rapport holiste, ne distinguant aucune forme de sexe,
n'en excluant aucune, et ne dédaignant nullement l'amour grec. Et cela a
continué en islam; on sait d'ailleurs à quel point la culture grecque au sens
large, incluant ses mœurs, a rencontré un succès auprès des Arabes musulmans.
La position de l'islam est, au demeurant, restée
conforme à la tradition arabe ancestrale, puisque le Coran ne condamne point
l'homosexualité; et tout ce qu'on y trouve traitant de Loth et de la pratique
de son peuple ne relève que du récit historique, rapportant les faits tels que
connus et frappés d'anathème par la tradition judéo-chrétienne. Par contre, le
Coran se garde bien de condamner formellement comme c'est le cas dans la Bible
ou dans d'autres matières qu'il interdit nommément.
S'agissant de la Sunna, aucune tradition avérée du
prophète n'en parle non plus ni directement ni indirectement. Ainsi, les deux
recueils majeurs de Boukhari et de Mouslim ne reproduisent aucun dit
authentifié du prophète sur la question. Aussi, se base-t-on dans les
condamnations qu'on prononce bien injustement jusqu'à nos jours sur une
tradition au mieux faible pour ne pas dire parfaitement inauthentique.
Alors comment pourrait-on renouer avec la pure
foi islamique dans cette confusion qui a fait que les exégètes du Coran et de
la Sunna aient repris consciemment ou inconsciemment les marqueurs moraux de
leur époque, faits d'exclusion et d'intolérance et qu'on devait à la tradition
judéo-chrétienne que l'islam était venu rectifier? Il nous faut de la lucidité
pour retrouver notre propre foi, cette raison pure islamique, car l'islam est
la plus rationnelle des religions, dans une relecture du Coran et de la Sunna
avérée, et ce en nous libérant d'un legs herméneutique qui a fait son temps et
qui n'a d'islamique que l'apparence, n'ayant pas donné à nos valeurs ni leur pleine
dimension ni leur portée réelle en matière de libertés et de respect des
valeurs humanistes.
RÉFRÉNECES :
* Cf. mon article, en arabe, Renouvellement du Lien indéfectible islamique (3) : L'apostasie n'est pas criminalisée en islam
** Cf. mon article, en arabe, Renouvellement du Lien indéfectible islamique (2) : Il n'est nulle interdiction de l'homosexualité en islam