Mais où sont les défenseurs
des droits de l'Homme; ont-ils avalé leur langue ? Où sont passés les militants
de la liberté d'expression, ont-ils renié leurs valeurs ?
Aujourd'hui, en Tunisie, on
poursuit une jeune fille dont le seul tort est d'avoir eu le courage d'afficher
ses idées. Amina, j'écris ton nom, car nous sommes tous Amina ! Et si les
femmes et hommes politiques se taisent, c'est qu'ils ont honte de leur
pusillanimité devant ton courage et ta bravoure.
Voilà les autorités se
prétendant révolutionnaires en cette Tunisie qu'on veut donner pour modèle qui
ont recours à un arsenal dont a usé et abusé la dictature déchue pour tuer dans
l'œuf les manifestations de la jeunesse tunisienne à vivre librement sa vie,
sans Dieu ni maître, sinon sa souveraine volonté.
Non seulement ils n'osent
pas abolir des lois liberticides qui n'ont plus de légitimité, sinon de
légalité depuis l'abolition de la norme supérieure qu'est la Constitution, mais
ils se ridiculisent en poursuivant une jeune pacifiste qui n'a fait que
s'exprimer avec des moyens dérisoires.
A-t-elle menacé l'ordre
public ? A-t-elle attaqué quiconque, attenté à la liberté d'autrui ? Elle n'a
fait que taguer un mur comme les jeunes l'ont fait durant les journées
mémorables de la Révolution. La poursuivre aujourd'hui, c'est insulter tous ces
jeunes; et c'est cracher sur leur révolution !
Et elle n'a tagué qu'un mur
de cimetière, non point un bâtiment public, un ministère de souveraineté;
pourtant, nos responsables irresponsables y trouvent une atteinte au prestige
de l'État. Ainsi ne font-ils que se couper encore plus du peuple pour incarner
l'autorité fantoche qui habitait cet État.
Le véritable prestige de
l'État est dans le prestige du peuple, qui réside dans une dignité magnifiée
par le droit à la liberté et à l'impertinence. Il n'est, en effet, nulle
démocratie sans le droit garanti à l'impertinence.
Reprocher en plus à Amina de
porter un instrument d'autodéfense, c'est se rendre coupable de complicité des
violences commises par les fanatiques que l'État ne peut ou ne veut empêcher
d'empiéter sur la liberté sacrée d'autrui.
Et comment le ferait-il
lorsqu'on entend certains de ses représentants prétendre que le militantisme
purement pacifique d'Amina et ses consœurs serait bien pire que les turpitudes
des groupes fanatisés de l'ordre moral qui n'est que de la pure moraline ?
Nos autorités ajoutent le
ridicule à l'hypocrisie en prétendant ne faire qu'appliquer des lois dont elles
avaient pourtant eu à souffrir quand elles étaient persécutées; que leur
mémoire est donc si courte ! Et que le silence du ministre des droits de
l'Homme est bien lourd, tellement sinistre, quand on foule au pied les droits
de ses concitoyens sans qu'il réagisse, n'osant ni y mettre le holà ni se
démettre.
Si nous autorités sont aussi
sincères qu'elles le prétendent, que ne s'empressent-elles de décider, pour le
moins, un moratoire à l'application des lois de l'ancien régime, ces lois
scélérates avec lesquelles on continue d'opprimer le peuple tunisien, lui voler
ses libertés, violer sa dignité !
Se coulant cyniquement dans
le moule juridique de l'ancienne dictature, ils ne font qu'accélérer le risque
de plus en plus évident de refaire sortir le peuple dans les rues pour
réactiver une révolution en train d'être récupérée par ceux qui n'ont en tête
que le pouvoir et ses délices.
Aujourd'hui aux arrêts,
Amina est demain une nouvelle victime d'opinion dans les prisons d'une
République qui peine à se libérer de la dictature des mauvaises habitudes. C'est
qu'elle est de nouveau là, la dictature, dans cette banalité du mal si
incrustée dans les têtes. Et cela appelle inéluctablement une révolution
mentale que le peuple, désormais en avance sur ses élites, finira par la leur imposer
par la force après l'avoir en vain réclamée à cor et à cri.
Amina en prison et c'est
toute la jeunesse qui dansait hier dans la rue qui écrira sur sa poitrine
dénudée : nous sommes tous Amina ! La pudibonderie de nos faux saints aminera
alors, car les seins nus, comme ils mettent le feu aux sens de nos tartufes,
embrasent aussi les foules, incendiant les têtes éprises de dignité. Or, la
liberté est la première des dignités.
Attention, donc, gens au
pouvoir, la patience du pays est en train d'aminer au spectacle de la curée faite
à la gente demoiselle; une condamnation injuste de l'enfant innocente ne la
fera que définitivement s'évaporer pour laisser place à cette effervescence
incontrôlable de l'ère des foules postmodernes dont est saisi notre pays !
Alors, toute la Tunisie, et
bien au-delà, scandera Amina et écrira ce nom comme on a écrit celui de toute
libération. Que l'on arrête donc d'exacerber la colère grondante dans les
masses; car à réprimer injustement Amina ainsi qu'on le fait, on n'arrive qu'à
miner le courroux d'un peuple d'autant plus paisible qu'il est farouchement attaché
à sa liberté. Et Amina est aujourd'hui une incarnation de cette liberté.
Publié sur Leaders