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dimanche 21 avril 2013

Tunisie, ma mie 4

Diplomatie en grève

Les agents du ministère des Affaires étrangères à l'Administration centrale font grève ce lundi; c'est symptomatique de l'état de crise qui agite ce département, et au-delà toute l'Administration tunisienne.
Il s'agit, en l’occurrence, d'une protestation contre les promesses non tenues de neutralisation du ministère afin de protéger notre diplomatie des soubresauts politiques inévitables en démocratie, mais qui seraient fort déstabilisateurs pour la nôtre encore en herbe.
Il est à rappeler que l'une des règles de base ayant présidé à la constitution du gouvernement Larayedh était justement un pareil principe de bonne conduite. Or, si le gouvernement a fini par accepter cette inévitable solution que dicte le bon sens et qui a le mérite d'être juste et éthique, le parti majoritaire au pouvoir semble tout faire pour la vider de signification, reprenant d'une main ce qu'il a été obligé de céder de l'autre.
C'est qu'il s'emploie à maintenir au cabinet du nouveau ministre des Affaires étrangères, qui est un diplomate de carrière, les conseillers amenés avec lui par l'ancien ministre Abdessalem. Or, il n'est pas besoin d'être grand clerc pour savoir la raison du maintien d'un tel personnel étranger au corps diplomatique, appelé à être l'œil de son parti au cœur de la diplomatie tunisienne.
Cela découle de l'analyse que fait le parti Ennhadha, mais qu'il n'est pas seul à faire, à savoir que le ministère des Affaires étrangères abrite parmi ses cadres des serviteurs zélés de l'ancien régime, qu'il urge de nettoyer au plus vite.
Ainsi a-t-on vu des représentants du pouvoir entonner superbement au ministère les slogans révolutionnaires, comme s'il n'y adhérait pas, allant jusqu'à prétendre apprendre aux diplomates leur métier et ce que serait la vraie diplomatie.
S'il est légitime que l'on puisse avoir une vision particulière du métier diplomatique selon les convictions politiques que l'on nourrit, il est illégitime cependant de vouloir juger à travers elle la diplomatie tunisienne et les diplomates de qualité qui l'ont servie; car il serait injuste et malhonnête de douter de leur professionnalisme et surtout de leur patriotisme.
En effet, avoir servi en diplomatie sous l'ancien régime n'est pas synonyme forcément d'avoir été à la botte de la dictature, comme certains le pensent opiniâtrement dans le staff politique actuellement au pouvoir. Nombre de nos diplomates n'ont servi réellement que leur pays combien même ils ont été formellement au service du pouvoir déchu; et je suis bien placé pour le soutenir ayant combattu pour les valeurs à l'intérieur même de cette diplomatie au point de finir par en être injustement et abusivement écarté.
D'ailleurs, faut-il le préciser, malgré les protestations révolutionnaires des responsables passés et actuels du ministère, je n'ai pas encore eu gain de cause pour être réintégré dans le corps diplomatique. Toutefois, mon contentieux avec mon Administration ne saurait nullement m'amener à être injuste à son égard, même si elle n'a pas manqué pour sa part de l'être avec moi, car l'on doit toujours à la vérité de la dire et du faux s'abstenir.
N'étant donc pas susceptible de connivence avec cette Administration qui continue à me refuser mon droit, je suis bien placé pour m'inscrire en faux contre l'affirmation ressassée dans les allées du pouvoir que la diplomatie tunisienne serait pourrie jusqu'à la racine. Bien au contraire, elle reste professionnelle et gagnerait à voir renforcé et garanti le réel penchant qu'elle affiche à la neutralité.
Il nous faut faire montre d'objectivité, ne pas céder à l'émotivité, souvent mauvaise conseillère, et être surtout juste pour pouvoir distinguer le bon grain de l'ivraie. Disant cela, je ne cherche point à dédouaner tous les diplomates, certains ayant effectivement démontré une vocation à servir la dictature; mais on ne peut généraliser ces cas qui restent marginaux, l'écrasante majorité de nos diplomates ayant été plutôt les serviteurs zélés de la Tunisie et non de son régime.
Je dois d'ailleurs à la vérité de dire que durant mon combat au cœur même de l'Administration, qui pour s'être fait en catimini n'était pas moins efficace, faisant bouger les choses de l'intérieur avec des retombées effectives, je n'ai pas manqué d'avoir parfois, et ce juste par la force de mes valeurs, le soutien de hauts responsables censés compter parmi les piliers du régime déchu.
C'est que le Tunisien, quelles que soient ses convictions politiques ou l'orientation du régime qu'il sert, reste d'abord et avant tout un patriote et sait le démontrer selon la force de son caractère et la finesse de sa personnalité.
Ainsi, dans mon conflit avec mon ministère qui a abouti à l'injustice précitée, je n'ai pas manqué d'avoir le soutien d'un Ambassadeur qui était censé bien proche du dictateur; et ce fut de sa part juste pour le principe, simplement par conviction, même s'il était conscient, me l'ayant confié, qu'agissant de la sorte, il allait contre ses propres intérêts.
De fait, son appui, qui n'a pas été négligeable, forçant l'Administration à recourir à un détournement de procédure pour arriver à ses fins et se débarrasser de moi, a fini par lui être effectivement préjudiciable, contribuant à sa disgrâce un peu plus tard dans l'année de mon éviction du corps diplomatique.  
C'est par respect à l'âme de cette personne d'honneur, au-delà de ce qu'elle fut comme personnage public, que je rappelle ces faits pour attirer l'attention sur la nécessité de ne pas juger les serviteurs de notre pays par trop hâtivement et selon les apparences, mais sur leurs actes effectifs.
Or, aujourd'hui, nombre de nos diplomates chevronnés — et j'en connais personnellement certains dont le mérite au service du pays est indéniable — continuent à être tenus à l'écart du métier ou des responsabilités juste du fait d'un soupçon injustifié et sans preuve. C'est bien sûr celui d'avoir été à la solde d'un régime qu'ils servaient officiellement, mais dont ils n'étaient pas nécessairement les créatures, leurs actes prouvant qu'ils étaient bien davantage au service de la Tunisie et sa communauté sans inféodation partisane.
Il urge donc, dans l'intérêt de notre pays, d'arrêter de dénigrer les gens sans certitude et de ne les juger qui sur vérification attestée. Il importe surtout d'arrêter de tenir à l'écart des compétences avérées pour le seul tort d'avoir été nommées à des responsabilités élevées par l'ancien régime sans prouver aucunement contre elles le moindre manquement à la déontologie et aux intérêts du pays.
Il est encore temps de sauver ce qui fait vraiment la fierté de notre Administration, à savoir son professionnalisme. C'est bien en encourageant toutes les capacités qui y sont, en les maintenant à l'écart des tiraillements idéologiques que l'on renforcera la neutralité souvent affichée par nos fonctionnaires bien plus serviteurs de leur pays que de son régime.
Notre diplomatie et notre pays ont tout à gagner de leur richesse en professionnels globalement à l'écart de la politique et plutôt mus par leur sens de l'État et son service que par des affinités idéologiques ou penchants politiques. Cette richesse, il ne nous faut pas la dilapider en continuant, comme on le fait actuellement, à maintenir abusivement à l'écart certaines valeurs sûres, à s'abstenir de régulariser la situation d'autres ou à s'employer à placer des zélateurs, non diplomates qui plus est, au service d'obédiences partisanes au détriment de la compétence et en violation de la déontologie.
Il est reconnu que malgré ses défauts et ses travers que je ne connais que trop, l'Administration tunisienne est globalement en bonne santé et cela est bien attesté à travers l'histoire. C'est ce qui a permis d'ailleurs à l'État tunisien de durer et de garder une certaine stabilité.
J'ai tendance, à ce propos, à dire que l'absence de l'État de droit en Tunisie a peut-être été compensée par l'existence d'une sorte d'Administration de droit, eu égard au juridisme excessif que nous rencontrons dans notre Administration et à l'excès de formalisme qui y a cours.
L'État de la Révolution dans sa nouvelle modernité a donc tout à gagner à exploiter les points forts de notre Administration au lieu de les affaiblir par la politisation à outrance qu'il est en train de pratiquer et qui finira par l'étioler tout en débilitant par ricochet l'État lui-même.    
C'est donc d'un appel au bon sens qu'il est question, et la grève du ministère de ce lundi ne fait que souligner son acuité. Que la neutralité de notre diplomatie soit donc affichée et garantie et que toutes nos compétences diplomatiques y soient mises à contribution hors de tout esprit manichéen ! Ce qui, bien évidemment, n'empêche pas de demander des comptes, selon des faits avérés et dûment prouvés, à ceux qui ont failli au service du pays comme c'est leur devoir, se laissant aller à servir exclusivement la dictature.
Mais, ne serait-ce qu'en témoignage pour l'histoire, et je puis le répéter ici, le nombre de pareils diplomates est bien réduit et ne peut en aucun cas entacher la bonne tenue d'ensemble de notre diplomatie.
Publié sur Leaders