Le 20 mars, la communauté francophone célèbre sa journée
internationale avec, pour slogan, « le français est une chance ».
Francophone convaincu, français de cœur, je me permets de
m'inscrire en faux contre un tel slogan pour noter le néant sidéral qu'il
recouvre et ce au nom de la vérité tel que le donné social de la communauté
francophone le donne à voir de par le monde.
Ce faisant, j'ose dire à la France, qui est l'âme du mouvement
francophone ou du moins sa cheville ouvrière, qu'afin que le français soit
vraiment la chance qu'il était réellement : le mot d'ordre de liberté par
excellence, la francophonie doit devenir un partage de la démocratie tout
autant que celui de la langue de Molière.
Aujourd'hui, la solidarité et le partage ne doivent plus se
limiter à des slogans creux, des initiatives désincarnées et des mesures
déconnectées de la réalité des peuples, ces 22 millions de francophones dont
près de 50 % sont sur ce continent sinistré de la démocratie qu'est l'Afrique.
Certes, la réalité du monde est à la crise, mais celle-ci est
surtout dans nos têtes, car elle est d'abord et avant tout mentale, touchant
nos valeurs les plus essentielles, avant d'être économique ou financière.
Or, la première des valeurs à célébrer et à préserver en notre
époque est incontestablement celle de la démocratie ! Aussi, si l'on est, à
juste titre, fier en francophonie que l'usage de la langue française progresse
dans le monde, que le français soit la cinquième langue la plus parlée sur
terre et la seule, outre l'anglais, à être parlée sur les cinq continents, il
nous faut malheureusement nuancer cette fierté avec l'état lamentable de la démocratie
dans l'aire francophone.
Alors, la question qui s'impose d'elle-même est de savoir ce que
fait le mouvement francophone pour aider à ce que germe cette démocratie et
pour soutenir toute démocratie naissante, même si cela peut paraître relever de l'utopie en certains points ou
dans certaines situations; car, depuis quand l'impossible est français ?
Que l'exemple malien soit l'occasion de tirer la leçon qui
s'impose, à savoir le soutien nécessaire, immédiat et inconditionnel que
doivent toujours apporter les démocraties constituées aux jeunes démocraties
émergentes qui ont l'absolu besoin de consolider leurs acquis dans un espace de
démocratie en totale synergie et parfaite symbiose avec les démocraties
instituées.
On avait là un État où une expérience démocratique modèle devait
réussir et qui a sombré dans le drame le plus horrible. Les raisons de cette
horreur sont multiples, mais ne doivent surtout pas être réduites au seul
extrémisme religieux; ce serait alors une absolue aberration et la plus monstrueuse
des malhonnêtetés intellectuelles. En effet, l'extrémisme religieux,
aujourd'hui vilipendé, ne s'est nourri que de la persistance d'une politique
d'exclusion de la part des démocraties anciennes à l'égard de la nouvelle
démocratie, manifestée par le maintien des frontières que la transition
démocratique et sa logique auraient imposé d'ouvrir aux ressortissants de la
jeune démocratie.
Et nous y voilà ! Le maître mot pour instaurer une démocratie
durable, notamment dans les anciennes dictatures qui cherchent à réussir leur
transition vers la modernité politique, le moyen le plus sûr surtout pour
assurer sa pérennité, est que cela se fasse dans une aire de liberté, un espace
de libre circulation pour les citoyens de la nouvelle démocratie, notamment sa
jeunesse guettée par le désespoir, dont celui de rallier les mouvements
extrémistes. Tout le reste n'est, au mieux, que langue de bois et, au pis, pure
malhonnêteté !
La francophonie doit épouser les valeurs de notre époque qu'est la
postmodernité. Or, une francophonie postmoderne suppose que ce mouvement donne
à la solidarité et au partage dont il se réclame une dimension éminemment
concrète, soit une dimension politique. L'espace francophone doit devenir
progressivement un espace de démocratie où la libre circulation humaine est
garantie aux pays ayant entamé sérieusement leur processus de transition
démocratique, comme c'est le cas aujourd'hui de la Tunisie.
J'agis en politique pour un espace méditerranéen de démocratie qui
ringardise la moribonde, sinon mort-née, Union Pour la Méditerranée, cet
exemple parfait de la bonne idée dévergondée, étant sacrifiée sur l'autel d'une
realpolitik qui n'a plus de sens en notre monde actuel.
Aussi, en ce jour de festivités de la francophonie, j'appelle tous
les francophones avertis et convaincus de faire en sorte que leur espace — encore
réduit au théâtre, sinon à l'opéra bouffe du politique et aux jeux de cirque —
se transforme en un espace francophone de démocratie. Pour cela, la
francophonie doit doter urgemment son mouvement de la vraie dimension
pertinente et sérieuse qui lui manque : l'intégration et la solidarité toujours
de plus en plus poussées et constamment encouragées des régimes démocratiques,
les plus anciennes démocraties soutenant les dernières venues.
Je les exhorte à agir pour faire que la francophone ose s'élever
au-dessus de ses jeux actuels devenus de simples jeux à la romaine en faisant
de leur 7e édition, prévue à Nice du 6 au 15 septembre 2013, l'acte de
naissance de l'espace francophone de démocratie méditerranéenne.
Rappelons que les jeux de la Francophonie, événement d'envergure
internationale organisé tous les quatre ans et alliant sport et culture,
rassemblent autour d'épreuves sportives et culturelles une jeunesse issue des
cinq continents. Et l'on sait qu'on compte environ 96 millions de francophones
en Afrique, un continent essentiellement jeune. Ainsi, les jeux offrent
incontestablement à cette jeunesse du monde entier l'expérience de la
compétitivité internationale permettant l'émergence de nouveaux talents et de
champions en herbe. De fait, l'Organisation Internationale de la Francophonie
(OIF) affirme placer les jeunes au centre de ses priorités et de ses actions; aussi
multiplie-t-elle les programmes destinés à favoriser leur insertion dans la vie
active, mais au sein de leur société, et à leur faciliter l'accès à
l'information.
Il lui reste à faire en sorte que ces programmes ne se limitent
plus aux réserves étatiques actuelles en s'étendant désormais à tout l'espace
francophone transformé ainsi en un espace de liberté. Son action présente
tendant à faire émerger de jeunes talents, et qu'elle pratique sous forme de
volontariat international donnant une expérience d'un an pour la concrétisation
d'un projet professionnel, doit s'articuler sur une stratégie de libre
circulation, la seule de nature à encourager la floraison des multiples projets
novateurs dont les jeunes sont partout porteurs et qui ne peuvent voir le jour
faute de liberté de circulation humaine.
C'est que, lorsqu'on n'hésite pas à décréter nécessaire la liberté
de circulation des marchandises pour l'économie mondiale et le commerce, à plus
forte raison faut-il que pareille liberté soit appliquée aux humains, seules sources
véritables des richesses !
On s'accorde à dire que l'espace francophone représente
actuellement 20 % du commerce mondial des marchandises et 14 % du revenu brut
mondial avec 30 % de sa population qui a moins de 30 ans. Mais combien
représente-t-il de pays réellement démocratiques ? Et quel est le
pourcentage des jeunes francophones fiers de parler le français, langue de la
liberté et de l'égalité, tout en faisant quotidiennement l'expérience concrète
de ces valeurs avec le droit d'user de cette liberté en circulant sans entraves
dans le monde entier comme le fait invariablement la jeunesse des démocraties
avérées ?
Voilà deux des quelques questions pertinentes que le mouvement
francophone gagnerait à se poser en ce jour anniversaire pour que les
festivités de la journée soient parfaitement utiles et ne relèvent pas de la
poudre de perlimpinpin.
J'appelle donc solennellement le mouvement francophone à profiter
de la situation actuelle en Tunisie pour réussir sa mutation nécessaire et
envisager l'expérimentation de la libre circulation humaine dans son espace en
commençant avec l'espace tuniso-européen moyennant la technique du visa
biométrique de circulation que j'ai conseillée et qui a l'avantage d'être
parfaitement conforme aux réquisits de sécurité européenne.
L'avantage en sera double du fait que la démocratie est
actuellement en marche en Tunisie, même si elle risque d'avorter d'un moment à
l'autre, et que le volume de la communauté tunisienne dans le monde, y compris
en Europe, demeure insignifiant tout en constituant une des présences humaines
les plus paisibles.
Le challenge est de taille pour l'avenir; osera-t-on le relever
?
Article publié sur Leaders