Droit à l'impertinence :
Le coup du peuple tunisien,
notre Révolution 2.0 que tout le monde estime être un modèle, est un droit à la
démocratie. C'est ce droit que le peuple s'est offert, seul, à la force de son
courage et avec le sang de ses martyrs.
Aujourd'hui, les élites
gouvernantes veulent substituer leur volonté à celle du peuple au prétexte d'une
légitimité électorale étriquée, qui est peut-être même désormais illusoire du
fait de la façon dont ces élites s'adonnent à la politique.
Que voit-on, en effet ? Pour
ne citer que le dernier cas honteux, celui de ces jeunes, qui furent pourtant les
munitions de la Révolution, poursuivis pénalement pour avoir osé s'adonner à de
l'impertinence politique dans une chanson de rap dont c'est la nature même
d'être irrévérencieux.
On bafoue ainsi la liberté
d'expression au nom d'un illusoire respect de l'autorité qui ne peut venir véritablement
que du respect de la dignité du peuple. Et celle-ci est dans le respect de son droit
imprescriptible à la libre expression; et l'impertinence est sa marque majeure.
Ce droit à l'impertinence
est un aspect fondamental du droit du peuple à la démocratie qu'on viole tout
simplement en continuant à user d'un arsenal juridique ayant servi la dictature
contre laquelle cette jeunesse s'est justement révoltée.
Quelle différence y a-t-il,
en effet, entre un gouvernement censé être issu de la Révolution et celui de la
dictature si l'on perpétue la honte du recours à des délits qui servaient à
celle-ci pour asseoir son emprise sur le peuple ?
Il est impératif, si le
gouvernement actuel veut sérieusement prétendre représenter la Révolution, et à
défaut de l'abolir tout simplement, de geler dans l'immédiat tout l'arsenal
juridique qui sert pour la répression des libertés.
Ainsi et ainsi seulement il
démontrera sa foi véritable en la démocratie et dans le droit du peuple à ce régime
qu'il a mérité de haute lutte. Notre gouvernement qui prétend représenter le
peuple osera-t-il le faire ? Le peuple attend des actes et non des paroles même
bien choisies dans une langue de bois impeccable, qu'il n'écoute plus ni
n'entend de toute façon.
Doit au rêve :
Le hic est qu'on ne prive
pas seulement le peuple de son droit à l'impertinence; on lui confisque aussi
tout droit au rêve qui est pourtant, en politique, un ressort incomparable de
communication pour le politicien et un dérivatif pour le peuple à ses problèmes
au quotidien.
Nos gouvernants n'osent même
pas innover dans leur action et user de symbolique, parlant à l'imaginaire de
ce peuple, notamment sa jeunesse qui a la tête pleine de songes qui se
retrouvent vite transformés en illusions, cette voie royale vers la
désespérance et toutes sortes d'extrémismes.
On sait que l'imaginaire
tunisien, au-delà de la dignité que procure un travail décent et surtout
pourvoyeur des moyens de la liberté, est travaillé par une irrésistible envie
de libre circulation, d'attirance vers l'ailleurs, renouant avec sa nature
nomade et sa vocation phénicienne de voyageur au long cours.
Pareil rêve amène nombre de
nos jeunes à chercher le coup de feu sur les champs de bataille où ils s'adonnent
volontiers aux illusions de la gloire militaire, ou à risquer leur vie sur des
embarcations de fortune, moins à la recherche d'un Eldorado dont ils savent
l'inexistence, que pour répondre à leur nature profonde les portant au
vagabondage initiatique éminemment postmoderne.
Or, que fait notre
gouvernement pour aller dans le sens de pareil rêve ? Absolument rien !
Pourtant, rien ne lui interdit de déclarer solennellement le droit acquis par
le Tunisien à circuler librement et d'en faire un axe de sa politique
étrangère, ne serait-ce que pour le principe, en affichage symbolique aux
retombées psychologiques certaines.
Au-delà du conformisme
politique, qu'est-ce qui pourrait justifier pareille inertie, sinon une volonté
occulte de porter à son comble la désespérance de la jeunesse et son courroux
contre l'arrogance d'un Occident qui la rejette ? Machiavéliquement
compréhensible, une telle attitude n'est, en effet, que fort utile en termes
idéologiques, faisant de ces jeunes les recrues toutes prêtes et fanatisées des
mouvements religieux extrémistes censés répondre à leur besoin de valorisation
et leur soif de dignité.
Le J'accuse du peuple à ses élites :
L'un de ces jeunes a usé
dernièrement des allumettes qu'il ne pouvait plus vendre pour partir en fumée.
Son âme (car, en islam, on croit au contact entre les âmes, vivantes comme
mortes) est venue me parler au nom du peuple et de sa jeunesse qui offre son
corps aux flammes ou qui brûle au feu du rêve d'une vie digne.
S'adressant, m'a-t-elle dit,
aux politiques de notre temps, nationaux et internationaux, elle accuse. Voici
ce que je l'ai entendu dire dans son impertinence d'outre-tombe où elle peut
s'y adonner en toute liberté :
« J'accuse nos politiques de
rester sourds aux cris de détresse de la jeunesse, n'osant rien de concret
susceptible de répondre sérieusement à ses légitimes revendications, ne
serait-ce que sur le plan symbolique par une mesure majeure parlant à leur
imaginaire, satisfaisant leur soif de dignité, comme d'exiger en leur nom leur
droit inaliénable à circuler librement dans le monde. Certes, cela ne résout
pas leur misère, mais l'atténue au moins en donnant consistance à leurs rêves
de liberté et de dignité.
« J'accuse
les politiques européens et américains d'être autistes, plus soucieux de la
plus-value marchande des biens que de la valeur suprême qu'est l'être humain.
Je les accuse d'ouvrir les frontières devant les marchandises et de les fermer
devant les hommes dont le mouvement libre et sans entraves est le premier droit
inaliénable. Je les accuse d'être les complices objectifs des marchands de la
mort qui osent, eux, traiter les humains en marchandises, les faisant passer
les frontières au péril de leur vie dans un confort moindre que celui prévu
pour les biens.
« J'accuse les politiques,
nationaux et internationaux, de dogmatisme idéologique quand ils affichent une
farouche opposition à tout intégrisme religieux rendu responsable de tout alors
qu'il ne fait que s'alimenter de pareille politique d'aveuglement, y puisant
ses munitions humaines, les jeunes perdus, dépossédés de tout. Je les accuse de
pyromanie dans leur théâtre d'ombres de faux pompiers.
« J'accuse les politiques
nationales et européennes actuelles de verser objectivement dans le terrorisme
en encourageant indirectement les jeunes, privés même de ce qui fait la
spécificité humaine, le droit de rêver, à se sacrifier par désespoir aux chants
des sirènes haineuses et liberticides.
« Et je t'accuse aussi toi à
qui je m'adresse, comme j'accuse toutes les bonnes consciences, de ne pas faire
assez pour réveiller ce monde assoupi, qui marche sur la tête, menant
l'humanité entière à une plus grande catastrophe, ne convenant qu'aux
commerçants cyniques des armes et de la mort. »
Un espace de démocratie méditerranéenne et/ou francophone :
À cette voix de l'au-delà,
dont les intonations sont même perceptibles en notre in-delà pour qui a l'ouïe
fine, j'ai répondu que je me présente volontiers devant le tribunal de la
conscience humaine, invitant à m'y suivre tous ceux qui le voulaient, pour
rendre compte de nos actions contrariant vainement le sens de l'histoire, ne
faisant que le ralentir, violentant le simple bon sens, se satisfaisant d'une
bonne conscience frelatée, rejetée même par les simples d'esprit.
Il n'est que temps, dis-je,
de donner une assise matérielle au rêve et d'en finir avec les clairs-obscurs,
même pas artistiques, de la politique actuelle, sa langue de bois et son immoralité.
Hier, un juste, Stéphane
Hessel, est parti après avoir appelé en vain les politiques à s'indigner de
l'indignité de leur pratique politique. Faut-il que tous les rares justes ne
soient pas entendus ou à peine après leur mort ? Or, il est question du trépas
de tout un monde, car l'ordre de l'ancien monde est déjà périmé, et le futur
est encore en gestation dans la confusion accompagnant les changements
d'importance.
Que mon cri du cœur aide à
renforcer les lumières de notre conscience, à diminuer quelque peu ses ombres,
néfastes à terme pour tout le monde, y compris et surtout pour ceux qui en
profitent aujourd'hui et qui ont tout à perdre ! Car pour les autres, ils
ont déjà tout perdu et n'ont plus rien à perdre, sauf leur condition de devoir
souffrir à demeure. Qu'on y songe et que se réveille enfin notre sens moral
assoupi dans les catacombes de la République des âmes mortes !
Et j'ai promis à ma voix
d'outre-tombe d'œuvrer inlassablement pour un espace de démocratie
méditerranéenne et/ou francophone, un espace qui consacre la libre circulation,
sous couvert d'un visa biométrique de circulation, comme un acquis évident de
démocratisation et une exigence pour la réussite de la modernisation politique,
aucune démocratie ne pouvant naître et durer dans une réserve en notre monde
globalisé.
Ayant déjà appelé pour un
espace de démocratie méditerranéenne, j'y ajoute aujourd'hui la dimension
francophone pour insister sur le rôle majeur que la France peut et doit jouer en
vue de la mise en forme de ce projet auprès des instances européennes, la
francophone étant une composante essentielle de la politique étrangère de
l'Hexagone.
Il s'agirait alors d'un
nouveau challenge à relever pour la communauté de la francophonie qui, outre le
français en partage, aura alors à promouvoir la démocratie en partage. Car qui
peut aujourd'hui en France, outre le fait de parler français, se désintéresser
de vivre en démocratie?
Une vraie démocratie peut
être érigée en Tunisie, mais elle est en péril. Seule une proximité plus grande
de l'Europe, allant jusqu'à l'intégration en son espace, est de nature à
assurer à la Tunisie la réussite de sa démocratie. Et, comme préalable, car le
peuple ne peut trop attendre, la liberté de circulation telle que décrite
ci-dessus pour la jeunesse tunisienne est le meilleur rempart contre sa dérive
actuelle vers les extrêmes.
Si l'Europe ne se décide pas
à ouvrir les yeux sur les réalités en Tunisie et les graves dangers dont est
gros l'avenir, la France doit oser jouer le rôle de locomotive qui lui incombe
en tant que chef de file de la francophonie. Ainsi soutiendra-t-elle
sérieusement les locuteurs du français en Tunisie, dont le nombre se réduit
comme peau de chagrin, dans leurs efforts pour faire de leur pays un modèle de
République démocratique.
Ainsi l'islam politique ne
sera, en Tunisie Nouvelle République, qu'à la manière des partis chrétiens
d'Occident, une démocratie i-slamique (que j'écris volontiers ainsi, pour
éviter toute confusion) communiant dans le pluralisme et assumant, dans leur
entièreté, sans la moindre restriction, les droits universels de l'Homme et les
valeurs démocratiques internationales.