Dis, cette révolution c'est pour quand ?
En ce quarantième jour de l'assassinat de Chokri Belaid qui est,
dans le même temps, la véritable date anniversaire de l'indépendance politique
de la Tunisie, l'âme du martyr de la Révolution est venue à moi me charger de
transmettre un message à nos élites.
Pour ceux qui s'étonneraient de ce que je viens de dire, je
confirme que les âmes de nos disparus, qui ne sont que les invisibles comme
disait Victor Hugo, sont bien parmi nous. Et c'est le cas de celle de Chokri
Belaid, en tant que martyr qui plus est, qui continue à militer encore plus
activement pour ses valeurs dans le monde invisible.
Il n'y a donc aucune raison de douter de la véracité de ce contact
et du message de l'au-delà que je présente ci-après et dont j'invite tout vrai
musulman, notamment parmi nos élites au pouvoir, à bien le méditer. En effet,
l'islam croit à la survivance de l'âme et à la présence des esprits parmi nous
ainsi qu'à leur contact avec les âmes des vivants aussi bien en veille que
durant le sommeil.
Ce contact a commencé par l'interpellation que j'ai mise en titre
de ce paragraphe; Chokri précisant par la suite qu'il la destine aux élites au
pouvoir, toutes tendances confondues. Ne reniant rien de ses convictions et de
ses valeurs, il me dit avoir une vision encore plus pertinente de la réalité
politique sur notre plan terrestre vu de cet ailleurs qui n'est pas si loin
comme croient à tort les esprits bornés. C'est que l'au-delà est, en quelque
sorte, un in-delà pour qui sait deviner l'existence de ce qui ne se voit pas,
comme l'air ou encore l'intelligence de ceux qui ne savent que douter de la
réalité de l'invisible.
Il me dit qu'il n'est que temps de donner enfin l'exemple de
l'amour de notre patrie en arrêtant de réagir aux épiphénomènes, agissant
plutôt sur les phénomènes. Il est primordial en ce sens que l'action politique
porte sur les causes et non sur les effets, sinon elle n'est que ce cautère sur
la jambe de bois.
Il est temps de prendre conscience que rien de bon ne saurait être
fait s'il continue à dériver de politique viciée à la base, étant fondée sur
une injustice flagrante dans les rapports entre nations et entre ressortissants
de ces nations et à l'intérieur de ces nations.
Il ne sert à rien de se réclamer de principes quand ceux-ci se
réduisent à des slogans creux. Quitte à ériger la naïveté en mode d'action, Belaid
exhorte de conformer désormais les actes aux paroles et la pratique à la
logique d'action, faisant de cette naïveté l'arme redoutable du philosophe,
l'ingrédient nécessaire à toute utopie d'aujourd'hui appelée à devenir la
réalité de demain.
Pour cela, Chokri demande qu'on cesse de douter de la réalité de
la Révolution ou faire comme si elle n'a pas eu lieu. Certes, dit-il, elle ne
fut pas le renversement habituel que supposent les bouleversements révolutionnaires;
et pour cela il me donne raison de la qualifier de Coup du peuple. Celui-ci ne
fut pas moins un changement radical dans la mentalité de tout le peuple libéré
enfin des chaînes qui bridaient sa créativité, occultant son génie. En cela, le
Coup du peuple fut d'abord une révolution mentale populaire.
C'est ce qui accuse le décalage existant entre le peuple et ses
élites qui restent en retard d'une révolution mentale, soit en ne l'ayant pas
reproduite sur leur propre façon de penser, soit en en filtrant les impératifs
selon une grille de lecture démodée, inopérante, taillée à la mesure des
mouvements de masses du passé qui n'ont plus rien à voir avec l'âge des foules
postmodernes qui remplissent les rues de Tunisie.
Notre pays est entré dans une ère de communions émotionnelles;
pourtant, on ne retrouve aucun élément affectif, et encore mieux affectuel,
chez les élites du peuple qui se prétendent révolutionnaires selon des schémas
antiques. On ne rencontre chez elles que des réactions épidermiques et des
réflexes conditionnés dès qu'elles sont contestées dans leurs concepts surannés
relevant de l'ordre ancien bel et bien fini. En cela, ces élites sont aussi
coupées du peuple que celles qui parlent aujourd'hui au nom d'une révolution
qu'elles vouaient aux gémonies encore hier, ayant été au service zélé de la
dictature déchue.
Que veut dire cela, affirme Chokri, sinon que le peuple a besoin
d'une élite qui arrête d'être autiste et développe à son égard, non seulement
une empathie totale, sincère et de tout instant, mais aussi et surtout du
magnétisme lui permettant de s'identifier à ses plus humbles composantes, être
en parfaite synesthésie avec lui, se conformant à ses exigences. Cela serait de
nature à permettre à ces élites, toutes tendances confondues, de la gauche la
plus intolérante à la droite la plus intégriste, de saisir à leur juste mesure
ces exigences qui sont le plus souvent muettes, relevant bien davantage de
l'inconscient, fleurissant dans l'imaginaire populaire.
Dix-sept mesures pour être révolutionnaire :
La révolution tunisienne n'étant pas un mythe, mon contact
spirituel avance, en cette date effective de l'indépendance tunisienne du dix-sept
mars, dix-sept mesures pour en concrétiser l'esprit, en précisant que lorsqu'on
ne peut agir sur le concret, on doit actionner les leviers de l'imaginaire,
pour le moins, pour faire bouger les choses. L'essentiel étant la relance de
l'innovation politique qui relancera fatalement l'économie en panne.
I - Mesures internes
Il s'agit de mesure de démocratisation et de moralisation de la
vie publique en Tunisie :
I - 1 : Sur le plan juridique, un
moratoire immédiat de toute la législation contraire aux libertés, actuellement
en vigueur, héritée de la dictature. Concomitamment, on doit arrêter toutes les
poursuites engagées pour des délits liberticides comme les délits d'opinion ou
de mœurs privées. Ainsi, à titre d'exemple, aucun Tunisien usant du droit à
l'impertinence ou ayant consommé du cannabis à titre privé ou s'étant adonné à
des rapports homosexuels privatifs ne doit être inquiété, n'ayant exercé que
son droit à la démocratie qui consacre toutes les libertés sans aucune
exception.
I - 2 : Sur ce même plan, réunir
urgemment des assises de la démocratie régionale et locale ouvertes à la
participation, au niveau de chaque gouvernorat et de chaque commune, de tous
les activistes structurés en associations, et de la société civile à travers
ses représentants connus et reconnus. Il s'agira d'impliquer le peuple dans le
choix de ses dirigeants au niveau le plus proche des citoyens, car la Tunisie
doit être véritablement une démocratie où le pouvoir appartient au peuple
exclusivement.
I - 3 : Sur le plan
constitutionnel, procéder, toutes affaires cessantes, à la mise en place des
instances nécessaires à la naissance du régime démocratique tunisien, soit
l'Instance Suprême Indépendante pour les Élections et les Instances
indépendantes pour la garantie de l'indépendance de la Justice et des Médias.
I - 4 : Sur le plan administratif,
décider la mesure générale d'abrogation de tous les privilèges et indemnités
actuellement servis dans la Haute Fonction publique et l'ensemble des postes de
responsabilité politique au pays, y compris au niveau des différentes
présidences de la République, du Gouvernement et de l'Assemblée Constituante.
Ce n'est que de cette façon que l'on assainira les instances dirigeantes du
pays en en écartant ceux qui n'y viennent que pour faire fortune ou se servir
sur le dos du peuple qui est, pour l'essentiel, bien pauvre pour accepter pareil
luxe. Le service de l'État doit relever du patriotisme, être un véritable
sacerdoce, un devoir civique. Et donc, on doit y cultiver l'humilité.
I - 5 : Pareillement et dans ce
même esprit, les traitements et salaires pour les responsabilités politiques
doivent être inversement proportionnels à leur importance, un ministre ou ses
conseillers ne devant pas percevoir des rémunérations plus élevées que ce à
quoi ils peuvent avoir droit dans l'Administration. Cela permettra de barrer la
route à ceux qui veulent cumuler le prestige de servir le pays et les intérêts
mesquins qui l'entourent aujourd'hui. Dans ce même cadre, il faut abroger
immédiatement tout cumul entre les fonctions ministérielles et de
représentation à l'Assemblée Constituante.
I - 6 : Sur le plan social, il est
nécessaire d'envisager une contribution des plus grosses fortunes à l'effort de
solidarité nationale, destinée exclusivement à profiter aux plus pauvres.
I - 7 : Sur le plan économique, une
taxe doit grever à partir d'un certain seuil de rentabilité, et en compensation
des facilités obtenues de l'État, le budget des activités économiques et
commerciales. Pareille taxe constituera une participation de la part de ces
entités à l'effort de promotion de l'emploi qui doit être déclaré cause
nationale majeure.
I - 8 : Sur le plan religieux, il
est nécessaire d'abolir le ministère des Affaires religieuses, car la Religion
est une affaire privée. Sa dimension publique, l'islam étant une religion et un
code de vie, ne doit relever que de la société civile et des associations,
aussi bien cultuelles que culturelles. Ainsi, la démocratie tunisienne
favorisera-t-elle une refondation de la laïcité en revenant à son sens
étymologique désignant ce qui est propre à tout le monde. Le fait religieux étant
en Tunisie l'affaire de tout le monde, on sera donc tous, en Tunisie Nouvelle
République, des laïcs, séculiers comme religieux.
I - 9 : Sur ce même plan, il est impératif
de consacrer dans la Constitution le principe novateur de l'islam comme
religion de la majorité du peuple afin de marquer le caractère véritablement
civil du Nouvel État Tunisien. Il en sera, pareillement, de la langue arabe.
Ainsi, et ainsi seulement, sera-t-on à la fois véridique et postmoderne (car on
ne dit plus moderne ou l'on est antique) !
I - 10 : Sur ce
même plan, il est de la plus haute importance de décider solennellement que la
peine de mort est abrogée en Tunisie, car seul Dieu est habilité à décider de
la fin des jours de ses créatures.
I - 11 : Sur le
même niveau constitutionnel, et pour prouver l'attachement du pouvoir à une
véritable démocratie, il est impératif aussi de consacrer la soumission du
droit interne aux traités internationaux régulièrement ratifiés. Car une
démocratie qui se respecte honore ses engagements internationaux et y conforme
sa législation interne.
I - 12 : Pareillement,
pour ce même souci de véracité d'adhésion de l'État tunisien à la démocratie
authentique, il est nécessaire de consacrer constitutionnellement les libertés,
toutes les libertés, dont l'accès sans restriction à l'Internet qui constitue
la symbolique par excellence de la liberté en postmodernité.
II - Mesures Internationales
Elles sont aussi inspirées par une vision plus morale de la vie
internationale, conforme au droit des gens :
II - 13 : Sur le
plan religieux dans sa dimension internationale multilatérale, la Tunisie
Nouvelle démocratie doit afficher solennellement son adhésion à un islam des
Lumières. Elle doit déclarer agir pour promouvoir dans le monde pareille conception
de la religion postmoderne dont les deux caractéristiques majeures sont son
universalité, et donc son œcuménisme, et sa rationalité, soit l'assomption de
toutes les valeurs humanistes universellement reconnues, y compris le système
international des droits de l'Homme.
II - 14 : Sur le
plan économique et financier, la Tunisie doit oser demander l'effacement de la
dette héritée de l'ancien régime. Le peuple qui a été spolié de ses richesses
par la dictature déchue ne peut moralement être contraint de continuer à
supporter le service de sa dette, car il s'agit d'une dette scélérate. Nos
partenaires sont obligés de l'admettre; faut-il avoir le courage de le demander
haut et fort au nom du peuple.
II - 15 : Pareillement,
au nom du peuple et comme une exigence majeure de la Révolution, la Tunisie
doit demander la libre circulation pour ses ressortissants dans le cadre d'un
visa biométrique de circulation. Conforme aux réquisits sécuritaires, celui-ci
sera aussi respectueux de la souveraineté nationale, puisque la prise des
empreintes des ressortissants tunisiens telle qu'elle se pratique actuellement
est une violation caractérisée du droit international. Ce sera là une
satisfaction majeure à offrir aux jeunes de Tunisie, leur évitant les dérives
extrémistes, ainsi qu'une participation rationnelle à résoudre le problème de
la clandestinité du séjour, cette clandestinité n'étant que le contrecoup de la
fermeture des frontières.
II - 16 : Une telle
demande de visa biométrique de circulation gratuit pour les Tunisiens doit se
faire dans le cadre d'un espace de démocratie méditerranéenne impliquant une
solidarité étroite entre les États démocratiques en Méditerranée. Dans ce
cadre, la France, eu égard à son passé en Tunisie et ses relations privilégiées
avec le pays et son peuple, doit agir activement auprès des instances
européennes pour l'aboutissement de ce projet et ce au non de la francophonie,
qui deviendra de la sorte un partage aussi des valeurs de la démocratie.
II - 17 : Cet espace
de démocratie méditerranéenne et/ou francophone doit aboutir à terme à
l'adhésion de la Tunisie à l'Union européenne. En effet, il est inévitable que
la Tunisie fasse acte de candidature à l'Union au nom de l'impératif de la
réussite et de la
stabilisation de sa démocratie et en vue d'agir pour la paix et la prospérité en
Méditerranée et dans le monde.
Outre ces mesures, le martyr Belaïd nous demande de faire l'amour,
sous toutes ses formes, et plus jamais la guerre, quelle que soit son
apparence, physique ou morale.
Puissent nos élites entendre cette sage voix d'outre-tombe qui,
venant de l'au-delà, ne peut que parler sagement, puisant dans l'infinie sagesse divine.
Voilà ! Comme on dit chez nous, le messager n'a que le devoir de
la transmission. Dont acte.
Publié sur Nawaat