Après
le drame : oser l'amour en Tunisie !
Après
le drame, que doit changer en notre pays ? Qu'y faire pour que
l'indicible ne s'y banalise pas, que la haine de soi et surtout de
l'autre n'y devienne monnaie courante, que la violence et la
barbouzerie y fassent la loi au nom d'une divinité tutélaire
assoiffée de sang, qu'elle soit du ciel ou de l'enfer ?
N'hésitons
pas un instant, ayons le courage de le dire, ce courage qui manque
cruellement aujourd'hui en notre pays martyrisé : il nous faut de
l'amour en Tunisie !
Il
nous faut y pratiquer la culture des sentiments vrais sur cette terre
de tolérance ancestrale dont le peuple reste hédoniste en son âme
profonde. Osons l'amour, ce noble sentiment en tout être humain, le
meilleur dont il est capable, non seulement pour qui il peut chérir,
mais aussi et surtout en direction de celui qu'il pense légitimement
exécrer, et ce en marque suprême de hauteur morale.
Comme
on aime Dieu, comme on aime ses parents et ses enfants, comme on aime
tous ceux qui nous sont chers, aimons-nous les uns les autres, sœurs
et frères dans l'humanité, sans apriorisme et sans préjugés, ces
œillères qui nous cachent la lumière qui est en nous, cette
sublimité spirituelle.
À
la faveur du Coup du peuple, notre Révolution mémorable, la lumière
en nous ne cherche qu'à affleurer à la surface de nos personnes,
mais nos réflexes viciés et nos idées reçues éculées l'en
empêchent. Et seul l'amour est en mesure de triompher de pareille
impossibilité qui n'est que de la pusillanimité.
L'amour,
c'est une parole vraie : bannissons donc le mensonge de notre vie, ne
montons plus ni à autrui ni à nous-mêmes ! Que la démocratie en
Tunisie soit synonyme de mise hors la loi de la moindre langue de
bois ! Il est inadmissible de continuer à soutenir politiquement des
choses qui jurent avec les faits, alors que l'on sait pertinemment
que rien ne se cache en Tunisie et dans le monde d'aujourd'hui, que
notre peuple, ainsi que les peuples en général en cet âge des
foules, ont l'intelligence suffisante pour ne plus croire ce qu'on
leur débite à longueur de journée de fausseté.
L'amour,
c'est un acte honnête, sans sous-entendu et sans arrière-pensée.
Arrêtons d'user de slogans creux, parlant de notre religion en idéal
de la foi, sans le démontrer dans le concret ! Notre religion est
bel et bien une croyance élevant l'être humain au-dessus de toutes
les turpitudes, et c'est l'amour qui permet cela. Or, tant que l'on
n'a pas aimé son ennemi, tant que l'on n'a pas aimé le différent,
on n'a pas fait acte de foi islamique.
Aimons-nous
les uns les autres, ne nous faisons plus la guerre ! Et si la
politique doit nous amener à la confrontation, que cela soit sur le
strict plan des idées. Ayons le courage de n'envisager la guerre que
dans le domaine de la pensée théorique, faisons-en une bataille des
idées ! Ayons le courage d'aller les mains nues aux guerres que les
plus fous nous imposent, et osons proclamer que nous n'y allons pas
pour guerroyer, mais pour y prêcher l'amour.
Prêchons-le
et pratiquons-le les mains nues, et si l'on nous fait face avec les
armes de la mort et les munitions de la haine, n'en usons surtout pas
et contentons-nous de les retourner contre ceux qui les tiennent,
sans intention de nuire, juste par réflexe défensif. La meilleure
défense, c'est la défense avec les armes les armes de l'ennemi.
Défendons-nous,
défendons nos idées avec amour, sans aversion ni haine pour qui que
ce soit. Osons l'amour et faisons-le au lieu de faire la guerre !
Puisons dans le meilleur qui est en nous, cet océan sans fond de
sentiments d'aménité et de fraternité; plongeons-nous en ses eaux
et que ses vagues n'agitent autour de nous que de l'amour.
Osons
aimer et laissons les gens aimer et s'aimer en ce pays d'islam qui
est synonyme de paix. Osons jeter un regard nouveau sur notre
religion, délaissons notre lecture surannée qui a perverti le
message amoureux de l'islam pour revenir à son essence qui est
exclusivement un amour infini sans exclusive pour qui que ce soit.
Arrêtons
de faire d'Allah le Dieu des Hébreux, coléreux, vindicatif, cruel
et rancunier. Allah est tout amour; sa miséricorde est sans fin pour
toutes ses créatures. Et il honore bien davantage le pécheur que le
saint, car le croyant, capable de piété est sur la bonne voie et a
moins de mérite qu'un pécheur appelé à finir par croire en ce
Dieu tout amour. C'est que pareil Dieu est toujours en mesure de
l'aimer, même et surtout dans ses turpitudes, lui pardonnant une
fois que l'amour, à force de persévérance, aura fini par effacer
ce qu'il y a de plus mauvais en lui, cette perversion humaine
inévitable, l'humain étant de l'humus, en continuel
perfectionnement.
Allah
est bien et n'est que tout amour; nos soufis l'ont bien compris qui
en font l'amour même, l'amour absolu. Ils ont surtout compris que la
vraie croyance, la foi véritable est moins de se réclamer musulman
que de pratiquer l'amour en islam, car notre religion fait de la
piété un acte permanent d'amour.
Il
est temps que tous ceux qui se croient musulmans sans pratiquer
assidûment pareil sentiment amoureux comprennent qu'ils ne sont pas
de vrais croyants, puisque Allah commande l'amour en premier comme
marque éminente de la piété véritable, sinon la marque exclusive,
entraînant toutes les autres.
Il
est temps donc qu'ils cessent de haïr ceux qui sont différents
d'eux, y compris les croyants ou athées qui ne relèvent pas de leur
foi, au nom justement de l'islam qui est une foi universelle. Il est
temps qu'ils donnent l'exemple en aimant le pécheur, ainsi
feront-ils bien plus de piété qu'en l'anathémisant.
Il
est temps qu'ils aiment le chrétien et le juif, qui célèbrent
comme eux l'unicité divine, seul critère de la foi en notre
religion œcuménique. Il est temps qu'ils aiment l'homosensuel (ou
homosexuel), car le respect de sa différence est la vraie preuve de
leur respect de la personne humaine consacrée par notre religion
d'amour.
Que
nos intégristes qui n'ont que la haine et l'anathème pour pratique
religieuse comprennent qu'ils ne représentent nullement l'islam, et
sils se prétendent être les serviteurs d'Allah, ils ne sont au vrai
que les suppôts de Satan, Allah n'étant qu'amour infini.
Le
dieu de l'islam n'est pas le Dieu de l'Ancien Testament, il n'est pas
le Dieu d'un peuple prétendument élu; dire cela et continuer à le
pratiquer tous les jours ce n'est rien d'autre que ressusciter une
tradition hébraïque que même les vrais juifs ont fini par répudier
étant une conception dépassée.
Il
n'est de peuple élu que dans la pratique de l'amour ! Il n'est de
foi islamique que la foi amoureuse; une foi amoureuse de Dieu et de
ses créatures, toutes ses créatures, sans la moindre exception.
Dire le contraire, c'est tout simplement mentir.
Faisons
donc acte de foi, mettons l'amour dans notre vie de tous les jours,
aimons-nous les uns les autres et, surtout, aimons ceux qui veulent
être nos ennemis, faisons-en nos amis, même contre leur gré.
L'amour, à force de persévérance de notre part, de sincérité et
de bonne foi, finit par triompher, étant la seule vérité de
l'homme. Que la Tunisie redevienne la terre de la tolérance qu'elle
a toujours été; que la Tunisie soit déclarée enfin terre d'amour
!
Rappelons-nous
encore les belles paroles du grand Farhat Hached qui, au pire des
moments de l'histoire de notre pays, quand on parlait de haine et de
vengeance, osait seul parler d'amour, unique langage véritable qui
parle au Tunisien, à son cœur et en son tréfonds.
Faisons
donc comme lui, quittons nos mines patibulaires de mercenaires de la
haine, des sentiments d'exclusion et commençons par mettre de la
sincérité, toute la sincérité nécessaire dans nos paroles et nos
actes. Soyons tous Farhat Hached, parlons amour comme lui !
En
1952, à un moment de haute tension sur notre terre, en pleine lutte
pour la libération politique de la Tunisie, Farhat osait répondre
de la plus belle façon à la mise en scène du nouveau Résident
Général de Hauteclocque, venu en notre pays sur un navire de guerre
pour impressionner les esprits. Il a raillé l'arrogance et la bêtise
dans l'un de ses sages et lucides articles en disant : "Il faut
dégonfler la baudruche !"
Pareillement,
aujourd'hui, en un moment crucial pour la Tunisie dans sa lutte pour
l'instauration d'une démocratie authentique, faisons comme lui en
disant à tous nos politiciens engoncés dans leur superbe,
pratiquant volontiers la politique du pire, une politique des
intérêts partisans égoïstes : dégonflons en nous la baudruche !
L'amour
auquel nous appelons, c'est cette parole de vérité à laquelle
appelle l'islam كلمة
سواء
,
soit ce verbe axé sur un commun accommodement, selon ma traduction !
L'amour,
c'est cet ordo amoris de la chrétienté, l'ordre amoureux des soufis
auquel j'ai appelé dans le cadre d'une politique qui soit
compréhensive, rompant avec les canons dépassés d'une politique
antédiluvienne à laquelle s'accrochent désespérément certains
esprits cacochymes de nos politiques, pas seulement par l'âge, mais
aussi et surtout par la mentalité.
Le
Coup du peuple de Tunisie, sa Révolution du jasmin, première saison
d'un printemps pour l'humanité entière, est d'abord et avant tout
une révolution mentale.
Révolutionnons
donc nos mentalités, compatriotes, osons enfin aimer, faites l'amour
en politique, pas la guerre ! Transformons, en une Tunisie devenue
terre d'amour, la politique belliqueuse en politique amoureuse ! Et
que le mot d'ordre du grand Farhat soit dans tous les esprits et à
jamais : Je t'aime, ô peuple !