Ce jour qu'on a voulu un
jour de deuil, y enterrant la dépouille mortelle du martyr Chokri Belaïd, doit
être plutôt un jour de fête.
D'abord, parce que dans
notre religion, on croit à la survivance de l'âme. Aussi, Chokri Belaïd n'est
pas sous terre; il n'est même pas au ciel, destination de toute âme; il est
toujours parmi nous pour continuer son combat pour la démocratie en Tunisie.
Qu'on se le dise donc : tout
martyr de la Révolution ne meurt pas sur cette terre du Coup du peuple, il
disparaît juste à notre vue, continuant son combat dans l'invisible, soutenant
encore plus efficacement les militants des droits de l'Homme et de la démocratie
pour un monde meilleur.
C'est que nous avons affaire
aujourd'hui à des armées de l'ombre, des malfaiteurs invisibles agissant pour
des intérêts dissimulés opposés à la réussite de la démocratie en notre pays.
Et ils usent de tous les moyens disponibles, s'activant au grand jour certes,
mais aussi et surtout par des menées occultes.
Il est des intérêts
clandestins qui rencontrent objectivement d'autres, déclarés, dont la stabilité
du pays est le dernier souci eu égard à leur agenda propre pour une Tunisie à
la mesure de leurs ambitions. Et elles ont toutes, dans leurs divergences et
leurs oppositions, la caractéristique majeure d'être antinomiques avec
l'intérêt bien compris du peuple. Or, cet intérêt n'est rien d'autre que plus
de liberté, plus de dignité, plus de justice et de joie de vivre sur cette
belle terre de Tunisie toujours ouverte au monde et à l'altérité.
La Tunisie a affaire
aujourd'hui à une hydre sortie d'un passé obscurantiste, dont les têtes
multiples, repoussant en se multipliant et au fur et à mesure qu'on les coupe,
sont à la fois apparentes et invisibles aussi.
Celles qui restent hors de
notre vue auront affaire à Chokri Belaïd et à tous les martyrs tombés pour une
Tunisie à jamais libre. Et celles se montrant au grand jour doivent rencontrer
de tous les combattants pour les libertés une opposition farouche et
déterminée. Ainsi seulement on finira par réussir, comme Héraclès, à tuer le
monstre revenu de la nuit du temps ou d'un passé récent honni pour faire
renaître le hideux et le monstrueux en notre beau pays.
C'est surtout un passé
récent que le meurtre de Belaïd a voulu rétablir, puisque le forfait semble
signé, ayant eu lieu un 6 février, soit le jour même de l'annonce, en 2011, de
la suspension du parti du dictateur déchu, le Rassemblement constitutionnel
démocratique (RCD).
Malgré cela, et alors que
l'attitude digne adoptée par le Président du Conseil allait dans le bon sens,
tirant les enseignements qu'il fallait du drame, on est surpris d'assister de
la part de certains acteurs politiques majeurs à de curieuses manifestations
allant à l'encontre d'une saine gestion des retombées du malheur que vit la
Tunisie.
En effet, Hamadi Jebali a su
tirer dignement la conclusion qui s'imposait de l'assassinat de Belaïd en
proposant le gouvernement qu'il fallait à la Tunisie en ce moment. Or, que
voit-on ?
Nous ne parlerons pas de
ceux qui jettent de l'huile sur le feu en appelant à la mise à bas de la seule
légitimité politique actuelle, celle de l'Assemblée élue. Certes, celle-ci a
démérité, mais elle a été légitimement mise en place. Si on peut et doit
dénoncer ses écarts, on ne peut nullement en contester la légitimité, mais agir
plutôt en responsable, pour réformer son action et rectifier ses erreurs, sinon
ses abus. Je reviendrai sur la question avec quelques propositions concrètes
pour rappeler à nos élus que si l'Assemblée Constituante est certes souveraine,
elle reste soumise au peuple qui l'a élue, souverain en premier et en dernier. Et
le peuple aujourd'hui demande un gouvernement tel que l'a compris le Président
du Conseil et tel qu'il cherche à le faire.
Ce qui surprend aujourd'hui,
c'est que l'on ne soutient pas à fond la proposition honnête et digne de M.
Jebali. Passe encore qu'il soit contesté par les caciques de son parti, les
faucons qui vivent hors du temps, rêvant de lubies, prêts à tout sauf à prendre
en compte l'intérêt véritable du pays !
Mais il est inadmissible
qu'on n'encourage pas le preux chevalier dans sa contestation des plus fous de
son parti, cherchant même à faire avorter son action salutaire par des arguties
juridiques. Il est déraisonnable aussi qu'on prétexte pour ce faire le respect tatillon d'un texte
juridique taillé sur mesure par les calculs partisans au moment même où il nous
est impératif d'oublier nos convenances égoïstes et de penser d'abord et avant
tout à l'intérêt suprême du pays.
Il est inacceptable que l'on
s'accroche ainsi à la situation figée actuelle au prétexte qu'en sortir, ainsi
que le propose M. Jebali, force l'interprétation des textes constitutionnels;
car un texte juridique n'est fait que pour assainir une situation donnée et non
pour la compliquer.
Si l'on est d'accord avec
l'initiative Jebali — et quelle conscience libre ne le serait pas, car elle est
actuellement la seule sensée et désintéressée ? —, tout devient possible pour
la mettre en exécution, que ce soit par une interprétation extensive des textes
ou même, incontinent, par une modification de ces textes. C'est une question de
volonté politique; le juridique ne fait que suivre !
Il nous faut donc arrêter de
tomber dans le ridicule ou encore l'irresponsabilité, ne faisant rien d'autre
que comme ceux qui s'attaquent à la légitimité en ce pays. Défendre cette dernière
ne doit pas signifier verser dans un juridisme excessif et caricatural ou dans
un formalisme purement opportuniste dont le but est de faire du cri de cœur de
M. Jebali une initiative mort-née.
Mesdames et Messieurs les
démocrates, si vous êtes patriotes vraiment, et je n'en doute point, c'est le
moment où jamais de soutenir la seule initiative judicieuse à ce jour et qui
est en mesure de sortir la Tunisie de l'impasse où elle se trouve. Soutenez
l'initiative de M. Jebali et ne faites pas que l'on passe du martyr Choukri
Belaïd à un martyre pour la Tunisie révolutionnaire ! Le peuple tunisien vous
observe.