Le grand bluff
Assurément, la situation actuelle recèle bien de
gravité et un tort extrême pour le pays dont la majorité continue à souffrir
non seulement de la misère, mais des exactions des bandits de tout poil qui
pullulent dans de pareils moments.
Mais, au-delà de tout cela, force est de noter
que ce qui se passe en Tunisie peut lui être finalement salutaire,
car il met à nu spectaculairement la nature vraie du parti majoritaire : une
formation comme une autre, malgré sa prétention à incarner la vertu. Ce qui
confirme ce que nous apprend l'histoire : ceux qui se targuent d'être vertueux
ne le font que pour cacher leurs turpitudes. Or, en Tunisie, rien ne peut être
caché; en tout cas, jamais indéfiniment.
Ce qui se passe au pays démontre de la plus
belle façon que nous avons affaire à une conception surannée et toute classique
de la politique; où le politicien est assoiffé de pouvoir, s'y accrochant bec
et ongles, quitte à violer ses propres principes; où la langue de bois est
reine et la politique balance entre cynisme et double langage.
Où sont donc passées les valeurs dont se réclame
le parti de cheikh Ghannouchi? Certains de ses plus dogmatiques adhérents
prétendent justifier l'injustifiable par un état de guerre qui imposerait leur
pratique politique délétère et où tous les coups leur sont permis.
Or, nous leur disons : Non ! La Tunisie est et
restera paisible, et l'islam y sera à son image. Car il existe une autre façon
de faire la politique aux lumières de notre religion et ce n'est pas celle dont
vous donnez l'exemple le plus affligeant!
Le roi est nu aujourd'hui; place au roi
clandestin, le peuple, véritable et seul maître de sa destinée ! Les événements
de ces jours-ci démontrent que nous avons affaire à un parti gangrené par la
haine de l'autre, sinon la honte de sa propre personne, jouant à l'apprenti
sorcier au nom d'une religion sublime qui le lui interdit expressément et dont
il contribue ainsi à altérer la noblesse.
Le grand bluff auquel on assiste aujourd'hui
faisant de la politique, au mieux, un jeu de poker menteur, n'a que ceci de bon
: c'est qu'il clarifie la situation à l'égard des intentions de tout un chacun.
S'agissant de parti EnNahdha, la question est de savoir s'il veut incarner la
Révolution, et il doit alors pratiquer un islam des Lumières, tolérant, œcuménique
et surtout novateur, seul islam possible en Tunisie. Ou il ne veut que le
pouvoir en se substituant à l'ancienne dictature; dans ce cas, il verra se
retourner contre lui toutes les forces vives du pays, tous les patriotes authentiques.
Or, EnNahdha sait parfaitement bien qu'il ne
peut pas et ne doit surtout pas gouverner seul; et que la formule de la troïka
est tout bénéfice pour lui, pour son programme et même son avenir en Tunisie.
Il doit aussi comprendre que sa force actuelle
est provisoire, sinon illusoire, si elle ne repose pas sur l'appui indéfectible
de ses partenaires, et ce dans l'intérêt bien compris du pays.
S'il aime à se prendre pour un colosse, qu'il
réalise qu'il a les pieds d'argile et que ce sont ses partenaires qui lui
permettent de tenir debout et d'assurer. Sans eux, il ne tardera pas à tomber
comme un château de cartes au moindre souffle d'air pur.
Il doit surtout comprendre qu'il est bien une
autre façon de faire la politique, comme il est une façon véritable de croire
en islam, qui est d'avoir une foi respectueuse de tous, et surtout de ses
adversaires. C'est que l'islam est une noble façon de vivre, car il est
démocratique, authentiquement démocratique, par essence.
Or, l'exemple déplorable que donne EnNahdha de l'islam
est celui d'une religion dogmatique, xénophobe, raciste et liberticide, qu'il
n'est pas, bien évidemment. Dans les faits, ce parti ressuscite le parti
stalinien de triste mémoire. Qu'il change donc avant de nuire davantage au pays
et à son peuple qui a assez souffert de la dictature déchue ! Qu'il se
renouvelle, surtout que les adeptes de l'ordre ancien — dont il se révèle ainsi
le complice objectif — cherchent à le réinstaurer comme un moindre mal aux
dérives d'EnNahdha !
Et disons-le franchement : Qu'EnNahdha choisisse
enfin le salut et l'unité du pays en osant couper les branches désormais
pourries qui menacent tout l'arbre nahdhaoui en viciant, au sein même du parti,
le message de l'islam dans sa pureté originelle !
Le Coup du peuple tunisien, sa révolution exemplaire,
a donné à la Tunisie la chance inouïe de retrouver son essence profonde tout en
restant fidèle à son être apparent, non moins essentiel. Et c'est ainsi au
service de cette entièreté de soi que le pays a confié l'insigne honneur au
parti de Cheikh Ghannouchi d'incarner une nouvelle donne politique. Et dans
cette pratique novatrice de la politique, il a pris le soin, dans sa sagesse
ancestrale, de l'épauler de partenaires sérieux et crédibles, ayant la plus
haute idée de l'intérêt général, qui n'est que celui demeurant conforme aux
valeurs humaines et aux droits de l'Homme dans leur acception universelle.
Pourtant, EnNahdha est en train de gâcher sa
chance en manquant son rendez-vous avec l'histoire, cédant, comme elle en donne
le triste spectacle, au diktat des plus obscurantistes des siens. Mais qui sont-ils?
Représentent-ils vraiment l'esprit d'EnNahdha? Sont-ils de vrais musulmans?
Relèvent-ils de cet islam universel dont la foi est scientifiquement
défendable?
À Cheikh Ghannouchi, s'il garde encore la main
sur son parti glissant irrésistiblement vers le gouffre des entités fantoches
qui se révèlent bien plus cinquième colonne dans l'islam que pierre angulaire
de sa pérennité, au Cheikh donc de mettre fin à pareil grand bluff et de se
souvenir de ce que lui demande tout simplement le peuple : un islam des
Lumières en notre Tunisie, de nouveau belle et à jamais re-belle aux conventions
éculées et au conformisme castrateur des rêves et de l'imagination créatrice.
La fin de l'ordre ancien en Tunisie ne doit pas être
le commencement d'un ordre similaire dont on aurait juste retapé la façade,
remplaçant une dictature supposée laïque par une dictature soi-disant
islamique. En Tunisie l'extinction de l'ordre périmé doit correspondre au flamboiement
d'un ordre nouveau, soit une démocratie authentique renouant avec l'esprit
véritable de l'islam, mais ne niant en rien les principes démocratiques tels qu'incarnés
par le système international.
Serait-ce hors de portée d'EnNahdha ? Alors,
c'est que la vraie politique, qui est doit être foncièrement novatrice, est
hors de sa portée. Et dans ce cas, il pourrait céder la place au pouvoir à qui
serait en mesure de mieux incarner la politique à l'antique!
Il n'est que temps qu'EnNahdha — l'étymologie de
ce nom correspondant à la renaissance espérée pour l'islam par tout vrai
croyant — commence à appliquer sa recette à elle-même. Elle pourrait le faire,
par exemple, en ramenant au bercail les islamistes de gauche qui l'avaient
quitté un jour tout en se séparant de ceux qui, en son sein, abusent de
l'islam, le tournant en ridicule et violant même son message de tolérance,
d'amour et de fraternité.
Il est bien temps à Montplaisir d'arrêter ce
malin plaisir que prennent des garnements de la politique à l'antique de fouler
au pied les principes sublimes de notre religion, lui faisant du tort ainsi
qu'à notre pays. Il est temps d'y arrêter ce grand bluff auquel ils s'adonnent,
au mieux en maîtres jongleurs et au pire en apprentis sorciers.
Le peuple tunisien ne demande rien d'autre que
de soutenir un parti d'inspiration islamique, placer en lui sa confiance; la
condition sine qua non à cela est qu'il n'y ait pas d'erreur sur le produit,
celui-ci ne devant surtout pas se révéler entaché de vice. Car, il y a alors
tromperie; pareil contrat étant nul de nullité absolue.
Alors, le peuple ne manquera pas de trouver,
hors de ce parti se révélant inspiré par un esprit faussement islamique, quelques
honnêtes politiques qui sauront mieux incarner son aspiration à l'authenticité
et à la dignité. Et il n'attendra plus trop longtemps pour avoir satisfaction à
sa légitime exigence !
Publié sur Nawaat