Les mythes scandent notre vie en autant de récits qui disent notre perception du réel déformé, réduit parfois à du non-sens. Parmi ceux ne traduisant pas la réalité dans sa complexité, il en est un formé de toutes pièces dans les pays du Nord et repris à leur compte par les politiciens du Sud, celui de l'expatriation de leurs ressortissants.
C'est que l'immigration clandestine n'existe
pas; la seule clandestinité avérée est celle de la violation caractérisée des
droits de l'Homme par les politiciens occidentaux ! Et il est malheureux que
nos responsables politiques, représentants d'une Révolution se voulant être
celle de la dignité retrouvée, leur emboîtent aussi le pas, devenant leurs
complices objectifs dans cette tragique mascarade.
Il est un fait que personne ne saurait nier et
qui est la constance du mouvement des hommes dans l'histoire de l'humanité et
sa nécessité vitale, y compris pour la pérennité de l'espèce et ses progrès.
En Europe, et jusqu'à la fermeture des frontières
dans les années soixante-dix au nom d'impératifs économiques égoïstes et
fallacieux, l'immigration était encouragée, notamment dans sa forme
clandestine. Et cela venait s'ajouter aux siècles de pillages des richesses des
pays du Sud sans lesquels le développement économique de l'Occident n'aurait
pas vu le jour.
Aujourd'hui, et toutes les études scientifiques
et analyses objectives le confirment : la fermeture des frontières ne sert plus
vraiment les intérêts économiques des pays européens; elle ne relève que de la
politique intérieure, ses implications étant surtout idéologiques et
politiques. Bien pis ! la fermeture des frontières serait la cause première
inavouable de la crise économique actuelle dans le monde.
Agitée comme épouvantail, l'immigration
clandestine est donc un mythe, de ceux qu'une révolution comme celle de la
Tunisie se doit de dénoncer ou à tout le moins ne pas contribuer à alimenter.
Il s'agit là d'un impératif catégorique s'imposant à tout honnête et sincère
politicien dans ce pays.
Car, et on n'a plus besoin de rappeler cette vérité
devenue triviale : c'est bien la fermeture des frontières qui créé le
clandestin. Une circulation libre ne ferait que vider les pays européens de
leurs clandestins sans nécessairement y amener de nouveaux arrivants voulant
s'y installer à demeure. Il est une évidence que c'est la perspective actuelle
de ne pouvoir entrer en Europe qui amène ceux qui y sont d'une manière irrégulière
à y rester, ne plus envisager de sortir, même si l'envie et la nécessité le
mandent; et c'est ce qui fait que ceux qui arrivent toujours à y pénétrer
n'envisagent plus d'en sortir.
Cela encourage, de plus, les différentes maffias
qui alimentent ou suscitent les flux des migrants clandestins. Aussi est-il
justifié de soutenir que toute action en faveur de la consolidation de la lutte
contre l'immigration clandestine est bel et bien une complicité objective avec
ces maffias.
Il ne nous faut jamais oublier que l'immigrant
clandestin est essentiellement à la recherche d'un meilleur statut économique,
fuyant la misère, cherchant à survivre en un monde devenu un véritable village
planétaire malgré ses cloisonnements artificiels. Or, qui saurait blâmer
pareille motivation sinon un imposteur, n'ayant en vue que ses propres intérêts
mesquins? En tout cas, pas un véritable politique agissant au service de ses
concitoyens, notamment en notre pays.
Ce qui serait blâmable, et même criminel, c'est
de ne rien faire dans le cadre d'une coopération internationale véritablement
efficace pour retenir les candidats à l'émigration clandestine dans leurs pays.
Or, la meilleure façon de le faire pour l'Europe est d'imaginer un réel
programme de promotion des régions défavorisées en notre pays, articulé à une
ouverture simultanée des frontières en vue d'encourager les initiatives économiques
nombreuses ne demandant qu'à voir le jour entre le Maghreb et l'Europe.
Nombre de ces initiatives existent, mais nécessitent
la liberté de la circulation des hommes, pareillement à celle des marchandises,
pour exister et porter leurs fruits. Il est d'ailleurs révoltant et honteux
pour des démocraties se réclamant de l'idéologie des droits de l'Homme et du
libéralisme d'agir inlassablement en vue d'enlever les entraves à la
circulation des marchandises tout en les multipliant face aux hommes qui restent
les seuls véritables créateurs des richesses.
Aussi, il est temps aux décideurs économiques de
l'Occident de comprendre enfin que leurs intérêts sur le long terme sont dans
l'ouverture des frontières aux hommes tout comme pour les marchandises, sinon
bien avant. Il est temps qu'ils comprennent que leurs affaires pouvant être
bien prospères en un Maghreb acquis à la société de consommation sont
tributaires d'un climat de paix et de prospérité, et que cela ne se fera que si
cette extension méridionale de l'Europe est arrimée au système démocratique du
continent.
Or, qu'on le veuille ou non, cela est tributaire
d'un traitement véritablement digne des ressortissants de ces pays en leur
reconnaissant ce qui constitue aujourd'hui un des droits majeurs de l'Homme, la
liberté de circulation pour leurs citoyens.
J'ai déjà démontré ici en quoi la politique
actuelle du visa biométrique est contraire à la souveraineté nationale de notre
pays tout en proposant la solution respectant les légitimes impératifs actuels
de sécurité de l'Europe, soit l'instauration d'un visa biométrique de
circulation (ici). Et j'ai noté, par
ailleurs, que la Tunisie a droit à pareil traitement exceptionnel eu égard à
nombre de ses spécificités et de celles de sa communauté expatriée, dont
particulièrement l'expérience démocratique qui y a cours.
Que l'on ne s'y trompe donc pas! La nouvelle démocratie
tunisienne n'a de chances de se stabiliser rapidement qu'à la faveur d'une
pratique courageuse et originale de la politique qui passe par cet aspect
essentiel, tout en étant éminemment symbolique, de la libre circulation de ses
ressortissants.
Certes, on ne peut que déplorer que les
politiciens européens continuent à être aveugles à leurs intérêts véritables,
sans rien y pouvoir changer; mais que nos dirigeants les imitent dans pareil
aveuglement, la Révolution tunisienne et ses martyres commandent
immanquablement de le dénoncer !
Par conséquent, il est impératif pour nos
responsables de cesser d'être aux petits soins de la politique migratoire européenne
et d'oser mettre de l'imagination au pouvoir en plaidant auprès de l'Union
européenne le changement de sa politique aberrante en la matière. Et cela
commence par un refus net et clair de jouer simplement au gendarme face à une
revendication essentielle de notre peuple, et de sa jeunesse en premier, son
droit intangible d'aller et venir librement.
À la veille du deuxième anniversaire du Coup du
peuple tunisien, il n'est que temps de mettre pour de bon le peuple dans le
coup en incarnant cet aspect symbolique de sa quête de la dignité. Certes, cela
n'est pas suffisant ni ne se substitue aux autres priorités économiques et
sociales, mais il ne peut que constituer le déclic nécessaire pour donner vie à
tous les projets inéluctables en ces domaines.
Car outre son impact indéniable sur l'imaginaire
national, la charge formidable qu'aura pareil changement révolutionnaire dans
les termes des échanges et des rapports internationaux à tous les niveaux
aideront efficacement à dessiner les traits du monde futur auquel on ne saura échapper,
un monde de relations réellement équilibrées entre des États aux destinées
intriquées en cette ère des communications des foules à outrance.
Sinon le glissement actuel de notre pays dans
l'instabilité et l'extrémisme ne sera pas freiné et le spectre de
l'instauration d'un foyer de tension permanente inévitable avec la perte de
cette possibilité, bien réelle aujourd'hui, de faire de la Méditerranée un lac
de paix. Il n'est pas trop tard d'agir de sorte que cette perspective ne s'évanouisse
pas à jamais.
Arrimer la Tunisie à la démocratie européenne au
travers des mesures symboliques mais concrètes ci-devant résumées, auxquelles
doit s'ajouter la perspective de l'entrée du Maghreb (à travers la Tunisie pour
commencer) en Europe, c'est permettre à la démocratie d'y prospérer pour le
bien de tous.
Et c'est à la faveur de cette démocratie qu'on
sera en mesure de pratiquer une nouvelle facette de l'islam en Tunisie, un
islam humaniste et tolérant qui relève bel et bien de la tradition abrahamique
ayant donné lieu au judéo-christianisme.
Or, il est important de noter ici ce qu'il ne
faut jamais perdre de vue, à savoir que s'il y a une résistance de la part de
l'Europe à envisager l'inévitabilité de son extension au Maghreb, c'est moins
pour un argument géographique désormais dépassé qu'à cause de la dimension
religieuse de son tissu social supposée antagonique avec l'islam (ce qui
explique les difficultés rencontrées par la Turquie).
Aussi, démontrer qu'il n'est aucune opposition
indépassable entre un islam bien compris et le judaïsme et le christianisme,
car ne s'agissant que d'une déclinaison différente mais complémentaire d'une même
foi — ce que l'œcuménisme et le dialogue interreligieux ne cessent de démontrer
—, c'est agir vraiment pour la paix dans le monde.
Et Nobel oblige, l'Europe ne saurait plus se
soustraire à cette obligation. Qu'on l'y aide donc ! Cela nous évitera d'aller
contre les exigences de notre peuple en servant véritablement ses aspirations
les plus immédiates.
Avis à nos politiciens s'ils se réclament honnêtement
d'un islam des Lumières commandant une politique qui soit compréhensive, à l'écoute
du peuple. Et ce sera le plus beau cadeau à lui faire à la veille du deuxième
anniversaire de son Coup historique.
Publié sur Nawaat